Une vie nouvelle


Chapitre 1

Jimmy, perdu dans ses pensées, avait effectué le trajet du magasin de Tompkins au relais en silence. Ses amis avaient remarqué son changement subit d’humeur mais s’étaient bien gardés de lui en demander la raison en voyant sa mine renfrognée. Il descendit de son cheval et l’emmena directement à l’écurie où il entreprit de le desseller et de le brosser. Après tout, les autres pouvaient très bien s’occuper de rentrer les provisions. Pour une fois que c’était lui et non Cody qui se défilait… Il se rattraperait une prochaine fois.
Pour le moment, il avait besoin d’être seul, pour pouvoir réfléchir en paix et analyser ce qu’il avait ressenti face à la si jolie jeune fille de la diligence. Une chose étrange s’était produite quand leurs regards s’étaient croisés puis quand elle s’était mise à rire : son cœur s’était emballé, de façon aussi brutale et imprévue qu’un jeune cheval encore sauvage après un coup de feu, et puis il avait manqué un battement, lui coupant le souffle. Malgré la violence physique qui s’était déchainée au plus profond de son être, Jimmy avait trouvé cette sensation des plus délicieuses. Il avait aimé ressentir cela. Se pouvait-il qu’Elle ait ressenti la même chose que lui ? Etait-ce cela qu’on appelait le coup de foudre ?
Teaspoon aurait surement la réponse à cette dernière question. Mais avait-il envie de la lui poser ? Il lui faudrait alors très certainement subir l’une de ces très longues tirades dont Teaspoon était adepte, sur les relations amoureuses, les femmes en général (et celles qu’il avait épousées en particulier) et tout ce qui pouvait rendre la vie compliquée en matière de sentiment… Non décidément, il ne pouvait se résoudre à en parler à Teaspoon !
Cody, ce n’était même pas envisageable, il n’avait pas arrêté de se vanter qu’il lui avait fait la cour et qu’elle n’était pas restée insensible à ses avances.
Kid, avec son histoire compliquée avec Lou, avait d’autres soucis en tête et ne serait pas forcément de bon conseil.
Ike, lui aussi, ne lui semblait pas être la personne idéale pour le conseiller en la matière. Idem pour Buck à qui il ne connaissait aucune histoire d’amour.
Quant à Lou ou Rachel, sauraient-elles comprendre les sentiments d’un homme? Non, décidément, il ne voyait personne à qui se confier. Il se débrouillerait donc tout seul…
Il savait très bien que ce qu’il avait éprouvé pour Sarah n’avait pas été aussi intense. C’était quand même fou, insensé de croire cela mais la vie était ainsi faite. On croisait une personne au détour d’une rue, par hasard, et votre vie s’illuminait d’un seul coup. Il fallait absolument qu’il la revoit, c’était comme si sa vie en dépendait, tout bêtement. Il savait où elle logeait et qu’elle était là pour au moins quelques jours, alors il tenterait sa chance… Pourquoi pas, après tout ? Il n’était pas plus bête qu’un autre ! Et puis, elle voyageait seule ; elle n’était donc probablement pas mariée. Enfin,… Il l’espérait ! Oui, c’était décidé ! Demain serait un grand jour.

Teaspoon avait fini de dîner et détaillait Ike, Buck et Jimmy du coin de l’œil, en souriant. Cody, Kid et Lou étaient sortis effectuer leurs corvées du soir.
"Je suis persuadé que vous voulez savoir quelque chose, les enfants. Je me trompe ? fit-il innocemment.
- Ah ! Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi, Teaspoon ! lança aussitôt Buck, le jeune homme métis.
- Bon allez, je vais éclairer vos lanternes. Que voulez-vous savoir exactement ?"
Ike, le jeune homme chauve qui était muet, se mit à effectuer de rapides gestes avec ses mains que Buck s’empressa de traduire aux autres.
"Ike demande ce que vous a raconté Caitlyn à son arrivée, juste avant que vous appeliez Cody et Kid pour l’accompagner à l’hôtel.
- Et bien…, reprit Teaspoon après s’être éclairci la gorge, elle s’appelle Caitlyn Matthews et elle est à la recherche d’un emploi, ici, à Rock Creek. Vous avez tous vu où elle loge pour le moment. Et voilà.
- Quoi ?! s’exclama Buck. C’est tout ?! Pendant tout ce temps, c’est tout ce qu’elle vous a dit ?! Pff… Et vous croyez que tout ce que Cody nous a raconté sur son compte est vrai ?
- Alors là mon brave Buck, QUI peut se vanter se savoir exactement ce qui est vrai ou faux dans la bouche de Cody ?! Et d’un Cody amoureux de surcroît !!! … Cela me rappelle beaucoup …"
Ca y est, Teaspoon était reparti dans l’histoire de la vie d’un de ses amis dont nul ne savait, là non plus, si elle était vraie ou si elle avait été fortement "arrangée" au fil des années.
L’esprit de Jimmy, lui, s’était arrêté.
"Caitlyn Matthews ! répéta-t-il à mi voix, les yeux perdus dans le vague, son esprit parti à mille lieues de là."
Rachel Dunne, la jeune femme qui s’occupait du relais, finissait de débarrasser la table quand elle se figea en l’entendant prononcer ce nom. Une assiette lui échappa des mains et alla rouler sous la table.
"Rachel, vous allez bien ? s’inquiéta Buck qui n’était manifestement que très peu intéressé par l’histoire de Teaspoon.
- Ca va aller, ne vous en faites pas ! Je suis parfois maladroite ! les rassura-t-elle, en tentant d’esquisser un sourire. De qui parliez-vous, Monsieur Teaspoon ?
- De mon ami Seamus qui…
- Non, non, avant cela !
- Ah, fit Teaspoon un peu déçu que son histoire ne passionne personne, il s’agit d’une jeune demoiselle qui vient d’arriver à Rock Creek et qui a fait un certain effet à tous nos amis, ici présents !"
Il montra alors d’un large geste de la main Jimmy, Buck, Ike mais aussi Lou, Cody et Kid qui venaient de rentrer dans la salle commune.
"Non, pas à tous !!! s’indigna Lou, une jeune fille qui devait se déguiser en homme pour pouvoir travailler au relais du Pony Express. Certainement pas à moi.
- Oui mais toi t’es jalouse ! Ce n’est pas la même chose, rétorqua Cody en riant !"
Le coup de pied fusa sous la table à l’instant même où Cody terminait sa phrase. Il se mit à crier, en se tenant la jambe, manquant de peu de tomber du banc.
"Celui-là tu l’as bien cherché, Cody !! lança Lou.
- Mouais !
- Elle se prénomme Caitlyn Matthews, reprit Buck, pour répondre à la question de Rachel. Et elle est jolie comme un cœur. Vous auriez dû voir la tête de Jimmy !
- Tu peux te moquer Buck ! railla Lou, prenant ainsi la défense de Jimmy, toujours perdu dans ses pensées. Tu aurais dû voir la tienne, de tête ! Vous auriez dû tous vous voir d’ailleurs. La bouche grande ouverte. Vous auriez pu gober des mouches !!"
Et elle finit la phrase en se mettant debout et en les imitant. Pendant qu’ils se chamaillaient et que Teaspoon essayait de les calmer, Rachel avait pâli. Non, ce n’était pas possible. Ce ne pouvait être qu’une simple coïncidence. Buck n’avait pas pu dire Caitlyn Matthews ! Ce devait être une erreur. Une grossière erreur. Il lui avait envoyé une lettre, lui annonçant qu’elle était morte juste après son mariage, il y avait de cela plus d’un an. Bientôt deux ! Et même si elle n’avait pas pu assister à son enterrement, elle n’avait eu aucune raison de ne pas croire Jack. Comment Caitlyn pourrait-elle être morte à Albuquerque et vivante, ici, à Rock Creek ? C’était tout simplement impossible ! Alors qui était cette fille ? Qui ? Etait-ce un imposteur usant de l’identité de quelqu’un d’autre ou une simple coïncidence ?

Caitlyn se réveilla dans la nuit, toute courbaturée par la posture dans laquelle elle s’était endormie sur le rocking-chair. Un affreux cauchemar l’avait sortie du sommeil, un rêve horrible dans lequel son ivrogne de mari la brutalisait devant ses employés, comme c’était le cas presque tous les jours, pendant ses deux années de mariage avec lui. Il la giflait, la fouettait, la jetait par terre et la rouait de coups de pieds. Chaque partie de son corps en ressortait endolorie ou blessée : c’était un véritable supplice.
Elle avait toujours été, lors de sa vie avec Jack, couverte de bleus et de plaies. Elle avait même eu des côtes cassées. Elle en restait meurtrie au plus profond d’elle-même et en garderait les cicatrices jusqu’à la fin de sa vie. Seul son visage échappait à la malveillance de son mari. Elle n’y avait jamais rien eu. Non jamais, personne, en dehors de Jack et de ses employés, ne devant savoir ce qu’il se passait sous son toit. Personne ne devait savoir qu’elle était battue et humiliée, chaque jour que Dieu faisait.
Si elle devait sortir ou recevoir des invités, elle devait faire en sorte de cacher ses plaies et ses bleus, en prétextant une raison ou une autre : un châle sur les épaules car elle avait froid, une robe très austère qui montait jusqu’en haut de son cou pour pallier à la jalousie maladive de son époux. Des excuses, pour que personne ne sache.
Mais le pire dans toute cette histoire, c’était que Jack n’avait aucune raison de la battre. Aucune ! Et pourtant, la nuit de leur noce, elle était devenue son souffre douleur, sa chose. Il l’avait forcé et il lui avait fait du mal. Alors qu’elle croyait que l’acte d’amour était doux, tendre et merveilleux, elle l’avait découvert sous un autre angle. dans les minutes qui avaient suivies leur union, Jack lui avait fait le serment qu’elle n’oublierait jamais sa nuit de noces, lui murmurant à l’oreille comme une douce caresse ce qu’elle prit alors comme la promesse d’un avenir heureux ! Il avait eu diablement raison. Elle ne l’oublierait jamais, mais pas pour la raison qu’elle l’avait crue !
Se pouvait-il que tous les hommes soient ainsi ? Soient comme lui ?
Son père, ivrogne notoire, avait abusé de sa mère et avait disparu.
Son mari, également de la pire espèce, avait abusé d’elle, l’avait battue et séquestrée, prenant un malin plaisir à la faire souffrir et à se montrer en spectacle. Quand on avait sous la main une femme qui se laissait faire et qui ne bronchait pas, on pouvait se permettre d’en profiter ! Heureusement pour elle, elle n’était pas tombée enceinte ou alors, elle avait perdu son bébé, sans s’en rendre compte. Pauvre enfant ! S’il était né… Un père violent et sauvage ; une mère…
Caitlyn reprit ses esprits et se leva. Elle massa doucement ses reins douloureux, se déshabilla et passa une longue chemise de nuit en dentelle puis se glissa dans les draps frais du lit. En serrant sa poupée dans ses bras, elle se rendormit rapidement, la fatigue l’emportant sur les souvenirs.

A son réveil, elle décida de profiter de sa journée de repos pour visiter Rock Creek. Elle se leva donc en milieu de matinée, fraîche et dispose : elle n’avait pas aussi bien dormi depuis de longs mois. Enfin une nuit sans cauchemars ! Elle était tout simplement soulagée de pouvoir se poser ici et d’avoir trouver un travail.
Elle prit un bain qui fit un bien fou à son dos et à ses reins, puis enfila une robe de satin bleue toute simple et partit se promener. Elle alla voir le magasin de Monsieur Tompkins dont elle fit la connaissance. Un homme un brin bourru mais charmant. Elle espérait secrètement rencontrer le jeune homme aux longs cheveux châtains et le cherchait, sans s’en rendre compte, dans chaque silhouette masculine qu’elle croisait sur sa route. C’était à la fois excitant et effrayant : après tout, qu’aurait-elle bien pu lui dire ? Et puis, aurait-il simplement eu envie de lui parler ? Savait-il seulement qu’elle existait ?! Ou pire encore, il pouvait ressembler à Jack ! Mais elle ne l’avait pas vu…
En chemin, elle fit une rencontre agréable. Elle croisa le marshal, qui fut ravi d’apprendre qu’elle avait trouvé une chambre et un travail.
"C’est grâce à vous Teaspoon et je ne vous en remercierai jamais assez !
- Allons, allons, Miss Caitlyn, ne me remerciez pas ! Je n’ai absolument rien fait !"
Ils en étaient encore à discuter lorsque Jimmy apparut au coin de la rue. En les apercevant, il stoppa net son cheval et contempla Caitlyn durant de longues secondes, un sourire au coin des lèvres. Elle était là ! Il lui fallait juste attendre que Teaspoon s’en aille et il pourrait lui parler. Il était tellement heureux qu’il en oublia de se rendre au relais.
Ce fut Lou qui le ramena à la réalité.
"Jimmy, qu’est ce que tu fais ? On t’attend !
- Quoi ?!... Pas tout de suite Lou, j’arrive dans un instant !
- Jimmy, il ne va pas tarder et c’est ton tour !"
Pour un peu, il en aurait hurlé de frustration ! Juste au moment où il pouvait l’approcher, il devait partir pour Cottonwood, livrer une missive très urgente. Pourquoi est-ce que tout se mettait en travers de son chemin ?
Il jeta un dernier regard à Caitlyn, en l’appelant silencieusement et celle-ci, comme si elle avait entendu son appel, se détourna de Teaspoon et croisa son regard. La surprise et le ravissement qui illuminèrent son visage le comblèrent de joie. Ils restèrent quelques secondes comme ça, les yeux dans les yeux à quelques mètres l’un de l’autre, jusqu’à ce que Lou brise à nouveau le lien qui s’était créé entre eux en le rappelant à l’ordre.
Le jeune homme étouffa un juron, salua Caitlyn en touchant le bord de son stetson, fit faire demi-tour à son cheval et partit rejoindre Lou qui se tenait près d’un cavalier tout fourbu et plein de poussière. Il récupéra la mochila que lui tendait ce dernier et fila à toute allure. Plus vite partit, plus vite rentré ! Surtout avec Cody dans les parages ! Il n’allait pas le laisser continuer à tourner autour de Caitlyn. Il en était hors de question ! Elle l’avait reconnu et avait été heureuse de le revoir, il l’avait senti au plus profond de son être. Le bonheur de la revoir très bientôt lui donna le courage de poursuivre sa route sereinement.

Une semaine s’écoula, sans que Caitlyn s’en rende vraiment compte. Le temps passait vite lorsqu’on travaillait. D’ailleurs, son travail n’était pas si difficile que ça ! Elle était en contact permanent avec les clients de l’hôtel, qui venaient souvent la voir pour lui demander des renseignements, du savon, des serviettes, voire même de leur préparer un bain. Et cela lui faisait du bien de travailler un peu. Elle s’occupait le corps et l’esprit, ce qui n’était pas plus mal. Enfin, son esprit était plutôt accaparé par Jimmy mais cela ne la dérangeait pas outre mesure.
Tous les jours, pendant ses heures de repos, elle sortait faire un tour dans l’espoir de le croiser. Elle rencontrait souvent Teaspoon et Cody. Ce dernier avait toujours le chic pour se trouver sur son passage. Mais il était tellement gentil et amusant, qu’elle ne s’en offusquait pas. Il l’accompagnait un peu lors de ses promenades puis filait effectuer son travail lorsqu’il apercevait Teaspoon qui arrivait vers lui en râlant. Et elle repartait à l’hôtel.
Elle vivait depuis un mois sur l’argent qu’elle avait volé à son mari. Enfin volé… c’était un bien grand mot : après tout, il était aussi à elle cet argent ! Jack n’aurait jamais pensé ni même soupçonné qu’elle puisse connaître la combinaison de son coffre et encore moins qu’elle ose voler SON argent ! Il la croyait tellement stupide et soumise ! Il parlait de SA maison, SON argent, SES chevaux, SES employés et SA femme, ou SA chose… selon son humeur. Tout était à Lui. Elle, n’avait plus rien ! Même plus sa dignité ! Et pourtant, ne s’étaient-ils pas mariés pour le meilleur et pour le pire ? Et pour tout partager ? Elle n’avait connu que le pire avec Jack. Mais elle avait réussi à trouver le courage de s’enfuir : elle était libre désormais, plus libre qu’elle ne l’avait jamais été et avec cet argent, elle allait peut-être enfin connaître le meilleur.
Elle pensait souvent à sa mère et sa sœur, mortes toutes deux il y avait plus d’un an maintenant. Elles lui manquaient terriblement. Pourtant Dieu seul savait combien elle leur en avait voulu ! Elle les avait maudites tellement longtemps de l’avoir "abandonnée" de la sorte à Jack ! Elle les avait détestées, haïes, puis elle s’était rendue compte de ses propres torts : elle avait cru au baratin de Jack quand il lui avait dit qu’il l’aimait, qu’elle était son unique amour, sa vie et qu’il ne saurait vivre sans elle ! Quelle cruche, bon sang, quelle sotte ! Elle aurait pu se mettre des gifles tellement elle s’en voulait à elle-même. Elle aurait pu partir, le quitter bien avant mais il lui avait appris la mort de sa mère et sa sœur, son unique famille. Où aurait-elle pu alors aller ? Elle était seule au monde désormais : Jack était devenu sa seule famille. Sans héritage, abattue et terrifiée, elle était restée. Mais très vite elle ne put supporter davantage l’humiliation que lui infligeait Jack à longueur de journée et un soir de printemps, elle avait pris son courage à deux mains et avait filé dans la nuit aidée par un employé qui avait eu pitié d’elle.
Aujourd’hui, elle travaillait. Elle allait avoir "son propre argent", gagné à la sueur de son front et elle était heureuse. Si tout allait bien, elle pourrait peut-être même s’installer définitivement ici, à Rock Creek. Pourquoi pas après tout ? Il fallait bien s’arrêter quelque part et essayer de refaire sa vie. Rock Creek lui semblait un endroit sûr et suffisamment éloigné d’Albuquerque et de son mari. Pourvu que l’avenir lui donne raison !

Cette semaine qui s’était écoulée l’avait quelque peu rassurée. Elle n’avait pas de nouvelles de Jack ou de ses acolytes et son patron était très gentil avec elle. Il s’inquiétait sans cesse de son bien-être et discutait souvent avec elle de choses et d’autres. Il était aimable mais… Il y avait un mais, malheureusement. Elle se méfiait de lui comme de la peste. Quand il était près d’elle, elle se sentait mal à l’aise. Il avait une drôle de manière de la regarder, comme s’il la déshabillait du regard. Et il avait un sourire… Brrr, rien que d’y penser, elle en avait des frissons dans le dos.
Ce soir-là, sa journée finie et avec sa paye en poche, elle décida de sortir en ville pour faire quelques emplettes. Elle avait envie de se faire plaisir et de s’offrir, avec SON argent, cette jolie paire de gants rose, assortie à sa robe favorite, qu’elle avait repérée quelques jours plus tôt dans une vitrine un peu plus loin, de l’autre côté de la rue. Elle prit son temps, pour se promener, laissant les derniers rayons du soleil lui réchauffer le visage. Il faisait bon pour un mois d’avril ! A cette époque-ci, à Albuquerque, l’air était étouffant, les températures avoisinant les 28°C à l’ombre. Ici, il faisait doux et ensoleillé, même en fin de journée. Rien de tel pour vous remonter le moral ! Elle croisa plusieurs hommes qui la saluèrent se retournant parfois sur son passage, ainsi que quelques femmes. Dieu qu’elle se sentait bien ici ! A l’abri, en sécurité.
Elle entra dans la boutique, juste avant sa fermeture et acheta ses gants. Les siens, payés avec son salaire ! C’était une sensation étrange que de pouvoir s’acheter quelque chose avec de l’argent qu’on avait durement gagné : les gants prenaient alors à ses yeux une valeur inestimable, une valeur bien supérieure au prix qu’elle venait de les payer. Elle ressortit de la boutique, avec une expression radieuse sur le visage. Elle était tellement absorbée dans la contemplation de son achat qu’elle ne vit pas les deux hommes arriver.
Ce fut quand elle se trouva bloquée par leurs grandes statures qu’elle leva la tête. Son sourire se figea sur ses lèvres et elle recula d’un pas. Son esprit se mit alors à bouillonner : qui étaient-ils, que lui voulaient-ils ???
"C’est une bien belle paire de gants que vous avez là, Mademoiselle ! fit le premier, un grand homme, le visage mangé par une barbe de plusieurs jours, les vêtements poussiéreux et en piteux état.
- Ouais ! fit le second au physique tout aussi négligé, il en faut de l’argent pour s’offrir de si délicates étoffes! Suis sûr qu’il vous reste encore un joli petit magot dans ce sac !
- Laissez-nous donc vous soulager de ce poids !"
Caitlyn s’était figée, effrayée par les deux hommes. Et le jour qui déclinait. Oh non pas ça ! Pas des voleurs ! Pas en pleine rue, avec la nuit qui commençait à tomber ! Ils pourraient devenir violents si elle refusait de leur donner son argent. Son argent !!!! Oui c’était le sien ! Le sien à elle, gagné durement. Ils n’avaient pas le droit de le lui prendre! Ils n’avaient pas le droit de lui gâcher sa journée de la sorte ! Ils n’avaient pas le droit de la menacer alors qu’elle commençait à se sentir en sécurité dans cette ville ! Pour qui se prenaient-ils ces deux-là ?!
Désormais certaine que les deux hommes n’avaient rien à voir avec Jack, la peur qu’elle avait ressentie en les voyant fit peu à peu place à de la colère ! Une colère qui montait du plus profond de son être et qui menaçait d’exploser.
"Désolée messieurs, mais vous n’aurez rien du tout ! répliqua-t-elle, en leur lançant un regard emplit de haine.
- Pardon ?! s’exclama le deuxième homme surpris qu’une femme puisse lui tenir tête.
- Elle a dit quoi la p’tite dame ?
- Je crains fort que vous n’ayez pas le choix, ma belle, si vous voyez ce que je veux dire…"
Il repoussa vers l’arrière un pan de sa veste dévoilant alors aux yeux de Caitlyn le pistolet qu’il portait à la ceinture. Mais au lieu de lui faire peur et de la calmer net, cela ne fit qu’augmenter la colère de Caitlyn.
"Vous êtes vraiment des lâches, ma parole !!! s’indigna la jeune fille, en haussant la voix, pour se faire entendre par quiconque passerait par là et pourrait venir lui porter secours. Deux hommes armés contre une femme sans défense ?! Vous devriez…
- Bouclez là ! lui ordonna le premier homme en lui attrapant le bras et en essayant de l’entraîner dans une petite ruelle. Si vous ne voulez pas finir votre vie ici, je vous conseille de…
- Lâchez-moi ! hurla Caitlyn en se débattant."
C’est à ce moment là qu’une voix masculine, venant de derrière elle, se fit entendre :
"Vous avez entendu ce qu’a dit cette jeune demoiselle ? Lâchez-la ! Et plus vite que ça !"
Caitlyn, toujours maintenue fermement par l’un de ses agresseurs, ne pouvait pas voir qui se tenait derrière elle. Elle essaya de tourner la tête, mais en vain.
"Dégage de là, toi, si tu veux pas finir en pâture aux charognards…"
Mais l’homme qui tenait Caitlyn n’eut pas le temps de finir sa phrase que deux pistolets à crosse d’ivoire surgirent comme par magie et vinrent se plaquer directement sur les poitrines respectives des deux hommes.
"Tu disais ??"
Les deux hommes ne se firent pas prier et s’enfuirent sans demander leurs restes. Caitlyn fut jetée à terre comme une malpropre. Elle resta quelques secondes sans bouger, étourdie par sa chute puis leva les yeux vers celui qui venait de lui sauver la vie. Son regard s’éclaira soudain à la vue du jeune homme aux longs cheveux châtains qu’elle avait tant souhaité revoir et qui lui tendait la main pour l’aider à se relever.
"Ca va aller Mademoiselle ? demanda-t-il, les yeux fixés sur son visage, l’air terriblement inquiet.
- Je… Je crois oui ! répondit-elle, en glissant sa main dans la sienne et en se relevant.
- Ils ne vous ont pas fait mal ?
- Non, vous êtes arrivés juste à temps, Monsieur… ??
- Hickok. James Butler Hickok !
- Monsieur Hickok, je vous dois la vie ! dit-elle, sa main toujours dans la sienne, son visage levé vers lui. Comment puis-je vous remercier ?
- Oh… fit-il en baissant les yeux et en lui lâchant tout doucement et à contre-cœur la petite main de Caitlyn, vous n’avez pas à me remercier. C’est tout naturel."
Caitlyn, qui ne pouvait détacher son regard de ses magnifiques yeux bruns, lui dédia son plus beau sourire. Elle ne savait pas quoi dire. Elle se sentait toute timide devant lui. Depuis le temps qu’elle attendait cette rencontre… Jimmy, de son côté, releva la tête et la fixa avec intensité. Enfin elle était là ! Si jolie et si fragile. Dire qu’il aurait pu lui arriver malheur s’il n’était pas intervenu. Il avait eu tellement peur pour elle. Mais qu’importe, maintenant elle était là, devant lui.
"Oh veuillez me pardonner. Suis-je étourdie ? Je ne me suis même pas présentée. Je suis Caitlyn Matthews.
- Très honoré de faire votre connaissance, Miss Matthews, répondit Jimmy, feignant de ne pas savoir qui elle était.
- Je crois que vous pouvez m’appeler Caitlyn ! souria-t-elle. Vous m’avez sauvé la vie.
- Alors je crois que vous pouvez m’appeler Jimmy, répliqua-t-il, en lui souriant à son tour."
Ils auraient pu rester là des heures, à s’observer sans rien se dire de plus, mais la magie de l’instant fut brisée par une voix, derrière lui, qui appelait :
"Hickok ! Amène-toi ! On t’attend !"
Il se retourna, furieux d’être dérangé pendant un si agréable moment. Il l’avait tant espéré pendant une semaine qu’il ne voulait pas qu’il finisse si vite. Mais Cody, planté un peu plus loin dans la rue, continuait de l’appeler en lui faisant de grands signes. Celui-là ne perdait rien pour attendre. Mais Jimmy préféra quitter Caitlyn que risquer que Cody vienne le chercher, reconnaisse la jeune fille et recommence à se pavaner devant elle.
"Je dois malheureusement vous laisser, Miss Caitlyn…
- Caitlyn tout court…
- Caitlyn… A plus tard j’espère. Faites très attention à vous ! Je n’aimerais pas qu’il vous arrive quelque chose."
Et il s’enfuit presque, sans se retourner. Il la laissait, alors qu’il n’avait qu’une seule envie c’était de rester auprès d’elle, à jamais. Mais le devoir avant tout… Il la reverrait bientôt. Il le savait. Il le fallait ! Caitlyn le regarda partir, le cœur léger. Elle avait eu très peur des deux brutes, même si elle l’avait caché derrière sa colère. Et il était venu la sauver… Un homme l’avait sauvée. L’aurait-elle cru il y a de cela 2 mois ? Oh non ! Certainement pas ! Mais lui, Jimmy, était différent des autres. Elle le sentait.
Elle épousseta sa robe comme elle put et reprit le chemin de l’hôtel. Elle rentra dans sa chambre, se changea et descendit manger un peu dans la grande salle à manger. Elle dîna seule, dans un coin reculé de la pièce, refusant poliment les diverses invitations que lui faisaient les quelques hommes de passage à l’hôtel. Elle n’avait pas envie de faire la conversation, elle était très bien toute seule avec pour unique compagnie ses pensées et Jimmy. Oh elle allait très certainement rêver de lui, cette nuit. Très certainement…
Et cette pensée la fit sourire.

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