Une vie nouvelle


Chapitre 2

Jimmy avait été obligé d’abandonner Caitlyn, seule dans la rue, n’ayant même pas pu la raccompagner jusqu’à son hôtel. Cody l’avait appelé, le ramenant à la réalité : le travail avant tout, n’est ce pas ?
Et pourtant, à cet instant précis, le travail était à mille lieues de ses pensées. Celles-ci convergeaient toutes vers une seule et unique personne. Mais il sourit et se dit qu’il arriverait bien à la revoir : il arriverait bien à la revoir ! Rock Creek n’était pas une grande ville après tout et ils auraient certainement l’occasion de se croiser à nouveau, d’autant plus que le bal annuel était dans trois semaines.
En attendant, il y avait énormément de travail au relais. Il se concentra sur la tâche qu’il effectuait et essaya de ne plus penser à la jeune fille. Y arriverait-il ?

Caitlyn, quant à elle, décida d’éviter de sortir à la tombée de la nuit. Elle se méfiait et ne voulait surtout pas retomber sur les deux malfrats qui avaient essayé de lui dérober sa bourse. Jimmy ne serait malheureusement pas toujours là pour l’aider si une telle situation venait à se reproduire.
Jimmy, Jimmy, Jimmy ! Un si joli prénom qu’elle se répétait à longueur de journée comme une litanie.
Sentir sa main dans la sienne avait été l’un des plus beaux moments de sa courte existence ! Il portait encore ses gants beiges râpés et usés par le travail mais malgré cela, elle avait pu déceler une main à la fois robuste et puissante et empreinte d’une extrême délicatesse au contact de la sienne.
Il fallait vraiment qu’elle arrête de penser à lui, comme ça, tous les jours, espérant qu’il vienne frapper à sa porte…
A peine finissait-elle sa réflexion que justement quelqu’un frappa à sa porte. Qui cela pouvait-il bien être ? Jimmy ?? A cette idée, son cœur s’emballa mais elle se reprit, secoua la tête et respira profondément Non, impossible, ce serait trop beau.
Elle se leva du rocking chair, dans lequel elle aimait se prélasser et alla ouvrir la porte. La déception l’envahit ; ce n’était que Paul Hamer, son patron. Elle se força à sourire et lui demanda :
"Monsieur Hamer ?! Il y a un problème ?
- Pas du tout, je venais juste voir si tout s’était bien déroulé aujourd’hui, s’enquit-il en restant sur le pas de la porte.
- Les clients de la chambre douze sont partis ce matin en urgence mais ils étaient ravis de leur séjour. Sinon, rien de particulier.
- Ahhhh ! Depuis que vous êtes ici, tout marche à merveille. Vous êtes un ange tombé du ciel Caitlyn! la complimenta-t-il, en s’approchant d’elle et en la fixant droit dans les yeux.
- Vous y allez un peu fort, Monsieur Hamer ! répondit Caitlyn gênée. Je ne fais que mon travail.
- Pour vous remercier, j’aimerai beaucoup vous inviter à dîner ce soir. Et ne me refusez pas, je déteste les refus ! dit-il en faisant un grand sourire."
Caitlyn soutint son regard, sans sourciller. Elle aurait aimé refuser. Elle aurait aimé lui dire que ce n’était pas avec lui qu’elle souhaitait dîner mais elle finit par accepter : après tout, que risquait-elle? Rien !! Ils iraient manger soit au restaurant de l’hôtel, soit à celui que le marshal, Teaspoon Hunter, lui avait indiqué.
"Ce sera avec plaisir ! répondit-elle.
- Parfait ! Je passe vous prendre dans une heure, si cela vous convient.
-Très bien ! Merci Monsieur Hamer ! A tout à l’heure !"
Il se retira et ferma la porte derrière lui. Caitlyn continuait de fixer le panneau de bois, en se repassant la scène dans sa tête.
Bon sang de bonsoir !!! Quelle mouche l’avait donc piqué ?? Pourquoi l’inviter ? Pourquoi cette menace voilée dans sa phrase "je déteste les refus" ?
Elle n’aimait pas du tout la tournure que prenaient les évènements. Non pas qu’elle pensait avoir quelque chose à craindre de lui, mais tout de même ! Cet homme était étrange ! Il avait vraiment un regard… obscène, oui c’était ça ! Obscène !
S’il tentait quelque chose ce soir, elle saurait le remettre à sa place ! Mais ne risquerait-elle pas de perdre sa place en agissant ainsi ??? De toute façon, il était trop tard maintenant. Elle verrait bien au moment voulu.

Caitlyn ne pouvait pas dire que la soirée s’était mal déroulée. Il l’avait amené au restaurant de Norman Stucker et il avait été très correct. Mais Paul (oui il voulait qu’elle l’appelle Paul) n’avait cessé de la dévisager, lui faire des compliments, lui prendre la main. Bref, il lui avait fait la cour et elle n’était pas arrivée à lui faire comprendre que ses avances ne l’intéressaient pas. Elle avait pourtant gardé ses distances, en retirant sa main lorsqu’il y posait la sienne dessus et en ramenant la conversation sur des sujets de la vie quotidienne. Mais rien de tout cela n’avait découragé Paul et cela en était devenu vraiment lassant !
A partir de ce jour, il ne l’avait plus lâchée d’une semelle. Il pensait qu’elle était sous son charme et qu’elle allait accepter de sortir à nouveau avec lui. Quelle idée grotesque ! Cela faisait déjà deux soirs qu’elle était obligée de trouver une excuse pour refuser ses invitations. Il lui avait lancé un regard mauvais puis avait sourit et l’avait laissée tranquille. Mais, tôt ou tard, il allait revenir à la charge. Elle avait pensé qu’après deux refus, il finirait par se lasser, mais non, il persistait. Il en devenait presque agressif.
Caitlyn en arrivait à rester cloîtrer dans sa chambre pendant ses heures de repos, de peur de le croiser. Elle ne pouvait plus le supporter. Il fallait qu’elle fasse quelque chose ! Ce soir là, elle sortit pour aller prendre l’air. Elle commençait à étouffer dans sa chambre, même si elle s’y trouvait très bien. La nuit était tombée mais elle n’hésita pas. Entre Paul et le risque de tomber sur des malfrats, elle avait choisi le moindre mal. Elle descendit les escaliers sans faire de bruit et se faufila dans la cuisine, en évitant son patron, occupé avec des clients dans le hall d’entrée.
Elle lança un rapide bonsoir à la cuisinière et sortit par la porte de derrière. Elle se retrouva dans une petite ruelle, contourna le bâtiment et continua son chemin pour arriver sur l’artère principale, avec pour seule lumière, celle que la pleine lune déversait sur la ville. Il faisait doux dehors, malgré un petit air frais qui soufflait tout doucement, la faisant frissonner. Elle regretta de ne pas avoir mis sa capeline mais tant pis, elle n’avait vraiment pas envie de retourner dans sa chambre maintenant.
Il n’y avait guère de passants dans la rue à cette heure-ci et son angoisse de rencontrer à nouveau ses deux agresseurs s’était atténuée, laissant place à une sourde colère envers Paul. Ses pas la menèrent machinalement vers l’un des seuls endroits encore ouvert et plein à craquer de la ville : le saloon. Il y avait de l’animation là-bas. Caitlyn entendait des disputes, des éclats de rire et même de la musique. Elle entra et alla s’installer près du piano pour essayer de reconnaître l’air que le bruit rendait inaudible de l’extérieur. Un sourire naquit alors sur ses lèvres et les paroles de la chanson lui revinrent aussitôt en mémoire.
In a cavern, in a canyon,
Excavating for a mine
Dwelt a miner forty niner,
And his daughter Clementine

Oh my darling, oh my darling,
Oh my darling, Clementine!
You are lost and gone forever
Dreadful sorry, Clementine

Elle avait fermé les yeux et son esprit s’était envolé, ou plutôt enfouis au plus profond de sa mémoire. Cette chanson, c’était la toute première chanson que sa mère lui avait apprise, alors qu’elle était toute petite : elle l’adorait. C’était si bon d’y repenser! Elle avait à l’époque rivalisée avec sa sœur pour être celle qui la retiendrait en premier. Et elle avait finalement réussi puisque bien des années après, la voilà qui la chantait sans qu’aucun trou de mémoire ne vienne briser la mélodie.
Elle mit un moment à réaliser que, prise dans le tourbillon de ses souvenirs, elle avait chanté à voix haute et que tout bruit avait cessé autour d’elle. Dans le saloon, le calme s’était imposé en maître et chacun écoutait respectueusement la jeune fille chanter. Sa voix douce et cristalline en devenait presque ensorcelante. C’était un don qu’elle avait reçu à sa naissance. C’était son porte-bonheur. C’est grâce à cela qu’elle avait survécue à toutes ces années de maltraitance avec Jack ! Tout simplement, en l’apaisant de sa voix.
Lorsqu’il devenait violent avec elle, elle commençait à fredonner quelques notes : les coups se faisaient alors moins nombreux puis moins forts. Finalement, il s’arrêtait de la battre ou de la fouetter et la regardait, subjugué par le son qui sortait de la bouche de sa femme. Il l’aidait à se relever en s’excusant même parfois du mal qu’il lui avait fait. Cela ne durait certes pas mais au moins, elle avait évité la mort à plusieurs reprises grâce à son timbre de voix si spécial.
Et voilà que cela recommençait !
Ce fut en sentant une présence tout près d’elle que Caitlyn ouvrit ses grands yeux verts. En voyant tout ce monde la fixer, elle s’arrêta aussitôt et resta figée de surprise.
"Non, ne vous arrêtez pas ! cria un homme à sa droite.
- Continuez !
- Mademoiselle, encore !!! hurlèrent plusieurs hommes devant elle."
Les protestations et les encouragements commençaient à fuser de toutes parts autour d’elle. Même les entraineuses du saloon réclamaient la suite de la chanson. Les hommes se rapprochaient dangereusement, Caitlyn sourit et entama instantanément un autre couplet.
Ruby lips above the water,
Blowing bubbles, soft and fine,
But, alas, I was no swimmer,
So I lost my Clementine.

Oh my darling, oh my darling,
Oh my darling, Clementine!
You are lost and gone forever
Dreadful sorry, Clementine

Elle était heureuse. Elle avait toujours aimé chanter, cela lui faisait un bien fou. Une douce chaleur s’emparait de son être et elle se sentait apaisée. Tous ses muscles se détendaient, tout son corps se relaxait et son cœur semblait être comme soulagé d’un lourd poids.
Le patron du saloon, un grand gaillard de près de deux mètres, aux longs cheveux noirs retenu par un catogan, s’approcha d’elle, entièrement sous le charme et lui demanda :
"Mademoiselle, acceptez de chanter ici, tous les soirs ! Votre prix sera le mien !
- Je ne peux accepter votre proposition Monsieur, je travaille déjà à l’hôtel ! répondit la jeune fille, tout en sachant au fond de son cœur, qu’elle préférerait mille fois travailler au saloon que retourner voir Paul.
- Qu’importe Paul Hamer !!! tonna le patron. C’est vous que je veux ici !
- Ouais !!! s’écria un homme dans la foule. Votre place est ici, avec nous !
- S’il vous plait ! implora le patron. Acceptez ! Dites oui !"
Quand elle n’était encore qu’une enfant et qu’elle vivait avec sa mère et sa sœur à Saint Jo, elle avait chanté au saloon, pour les hommes de là-bas. Bien évidement, le charme de sa voix n’avait pas encore atteint son apogée, mais elle était déjà fort appréciée des foules. Sa mère faisait partie des entraîneuses les plus réputées de Saint Jo. Sa sœur avait suivi les traces de celle-ci pour subvenir aux besoins de la famille mais elle, grâce à son don, elle avait pu éviter tout cela. Le patron du Saloon de Saint Jo l’avait engagée pour chanter. Elle n’était pas bien payée mais elle ramenait un peu d’argent à sa mère. C’était le seul monde qu’elle avait connu : le saloon. C’était le seul lieu, chose étrange, où elle se sentait en sécurité. Et pourtant c’était là bas qu’elle avait rencontré Jack Tyler.

Mais le moment n’était pas propice aux souvenirs ! Caitlyn était indécise et un peu gênée par la façon dont tout cela se déroulait. Comment partir de l’hôtel, comme ça, alors qu’elle avait été si heureuse de trouver ce travail et qu’elle l’appréciait ? En même temps, elle ne pouvait plus supporter la présence de Paul Hamer dont elle commençait à avoir peur. L’éclat mauvais de son regard quand elle avait décliné ses deux dernières invitations lui revint en mémoire et elle frissonna. Cela la décida. Elle releva la tête et fixa le patron du Saloon droit dans les yeux.
"J’accepte votre offre, Monsieur… ?
- Alan Barnes ! Mais appelez-moi Alan !!
- Très bien Alan, répéta Caitlyn avec un grand sourire. Je serai très heureuse de travailler pour vous. Mais il va falloir que je quitte mon travail à l’hôtel. Et je doute fort que Monsieur Hamer apprécie mon départ.
- Je vais aller le voir de ce pas !! Il me doit un grand service. Il ne pourra pas refuser ma demande ! Ne vous inquiétez pas Mademoiselle !
- Je m’appelle Caitlyn Matthews.
- Enchantée Miss Matthews, fit Alan en serrant un peu fort la main de Caitlyn. Bien, alors maintenant, je vais aller voir Paul et par la même occasion, chercher vos affaires. Nous allons vous donner une chambre, ici, au Saloon. Cela ne vous dérange pas j’espère ? s’enquit-il, soudain soucieux.
- J’en serai ravie, Alan, répondit Caitlyn, un immense sourire sur les lèvres et les yeux pétillants de bonheur."
Il lui tendit le bras et elle l’accepta avec grand plaisir. Elle le suivit ainsi jusqu’à l’hôtel. Arrivés devant les marches du perron, prévenant, il lui dit d’aller préparer ses affaires, tandis qu’il irait parler, seul à seul, à Paul. Caitlyn ne tenait vraiment pas à assister à la conversation qui, elle s’en doutait, tournerait aussi sec à l’orage.
Paul était encore à l’accueil, accaparé par un client manifestement très énervé. Elle passa rapidement près de lui, mal à l’aise, sans lui accorder un seul regard et monta directement dans sa chambre pour préparer son sac et sa malle. Cela ne lui prit pas trop de temps car elle n’avait pas acheté énormément de choses depuis qu’elle était arrivée.
Une fois que tout fut prêt, elle fit le tour de la chambre, caressant avec nostalgie chaque meuble. Cette chambre, c’était le premier endroit où elle s’était sentie vraiment chez elle et cela lui faisait quelque chose de la quitter comme ça, d’un coup, comme si elle l’abandonnait, elle qui l’avait accueillie quelque semaines plus tôt et lui avait offert chaleur et réconfort.
Mais la vie était ainsi faite et Caitlyn savait qu’elle allait trouver bien plus en partant travailler pour Alan au saloon. Elle s’assit une dernière fois dans le rocking chair en se disant que ce serait son prochain achat s’il n’y en avait pas dans sa future chambre, et attendit patiemment qu’Alan vienne la chercher. Quelques minutes plus tard, on frappa un coup à la porte.
"C’est Alan !
- Entrez, c’est ouvert, répondit-elle en se levant et en s’approchant.
- Ca y est ! Tout est réglé !! Vous pouvez venir avec moi… Enfin si vous n’avez pas changé d’avis entre-temps.
- Certainement pas ! le rassura-t-elle en souriant. Mais vous êtes certain que Monsieur Hamer ne me posera pas de problème pour l’avoir laissé tomber sans prévenir, sans même lui avoir fait mes adieux ?
- Ne vous inquiétez pas pour lui ! Il n’y a plus de problème de ce côté-là ! Ah, tenez, avant que j’oublie, fit-il en sortant de sa poche une enveloppe qu’il lui tendit. C’est votre salaire de la semaine ! Il fallait quand même qu’il vous paye votre travail ! Il a eut un peu de mal à sortir cet argent mais… il vous revenait !"
Une nouvelle fois, Caitlyn fut surprise et troublée. Un homme qui était il y a une heure encore un parfait inconnu pour elle, prenait soin d’elle et l’emmenait vers une vie meilleure. Décidemment, cette ville était une vraie bénédiction. Elle prit l’enveloppe qu’il lui tendait et le remercia d’un sourire, les larmes aux yeux et la gorge nouée par l’émotion.
Alan prit sa malle et son sac, les portant sans aucune peine et descendit les escaliers, Caitlyn sur ses talons. En arrivant dans le hall, Caitlyn constata avec soulagement qu’il était désert et que Paul n’était pas ressorti de son bureau. Elle se sentit toutefois mal à l’aise de partir comme ça et de le laisser se débrouiller tout seul. Même s’il était devenu un peu trop agaçant et menaçant, il lui avait donné du travail et elle lui en était reconnaissante pour cela. Mais tout cela était déjà du passé : elle était heureuse d’aller chanter, d’aller retrouver un monde qu’elle connaissait.
Au moment où elle franchissait la porte de l’hôtel, Paul Hamer surgit de nulle part et l’invectiva :
"Vous n’êtes qu’une traîtresse ! Partir comme ça, sans même me prévenir ! Et dire que je vous ai sorti de la boue, que je vous ai donné un travail… et pour me remercier, vous partez avec ce… ce type !!! Au saloon !!
- Vous m’avez donné un travail certes, et je vous en remercie. Mais vous ne m’avez certainement pas sortie de la boue !! s’insurgea-t-elle.
- Je vous offrais une vie honnête et tranquille. Vous n’auriez jamais manqué de rien. Nous aurions eu l’hôtel le plus réputé de la région, nous aurions été riches et heureux, mais manifestement, je me suis bien trompé sur votre compte ! Ce n’est pas cela que vous vouliez ! En fait, je crois que vous n’êtes qu’une putain ! Une sale petite traînée ! Alors rejoignez votre monde ! Ils vous attendent ! fulmina-t-il, hors de lui, ses yeux bleus lançant des éclairs.
- Paul, fermes la !! Tu n’as pas à la traiter comme ça ! fit Alan, en posant les affaires de Caitlyn par terre et en s’interposant entre elle et Paul.
- Tout ceci parce que j’ai refusé ses avances, balança Caitlyn, furieuse et blessée par ses remarques."
A ces mots, Paul devint blême et la foudroya du regard ! Profitant de cette courte accalmie, Alan attrapa doucement Caitlyn par le bras et la fit sortir du hall. Il retourna prendre ses affaires et jeta un dernier regard dégoutté à Paul. Ce dernier reprit ses esprits au moment où ils s’éloignaient tous les deux de l’hôtel. Il sortit sur le perron et lança, plus menaçant que jamais :
"Tu me le paieras, sale petite garce ! Oh oui, tu me le paieras !"

Alan avait essayé de la rassurer mais Caitlyn était mortifiée, comme tétanisée. Ces paroles l’avaient fait basculer à nouveau dans le passé. Jack l’avait menacée de cette façon lorsqu’une fois, une seule fois, elle s’était rebellée contre les coups qu’il lui donnait. Mon Dieu, la punition avait été tellement horrible, pire que tout ce qu’elle aurait pu imaginer … Elle n’avait plus jamais essayé de se débattre après cela. La haine qu’elle avait lue dans les yeux de Jack ce jour-là, elle venait de la voir à nouveau. Alan comprit que quelque chose n’allait pas. Il s’arrêta et lui fit face. Il essaya de capter son attention mais son regard était perdu dans le lointain. Il remarqua alors qu’elle était au bord des larmes et maudit intérieurement Paul. Dieu seul savait pourquoi mais la jeune fille l’avait bouleversé, par sa voix bien sûr, mais par son charme aussi. Il l’avait tout de suite trouvé attachante et là, il s’inquiétait vraiment pour elle.
"Caitlyn ? Caitlyn, est ce que ça va ? s’enquit-il, tout doucement."
Elle émergea lentement de son horrible cauchemar et posa ses yeux verts, brillants de larmes, sur Alan, mettant un certain temps avant de le reconnaitre. Puis lorsque l’image ne fut plus floue, elle entrevit un visage amical et très inquiet.
"Ca va aller, ne vous en faites pas Alan, le rassura-t-elle, en tentant un sourire puis en battant des paupières pour chasser ses larmes.
- Je m’inquiète si j’en ai envie. Et vous n’avez pas l’air d’aller très bien !
- Ce sont justes de vieux souvenirs, c’est tout !... Alors vous me montrez ma chambre ? J’espère qu’elle aura un rocking chair, on y est tellement bien dedans, lança-t-elle pour changer de conversation et pour rendre le sourire à Alan.
- il n’y en a pas mais je vous en ferai porter un, pas de souci ! répondit-il, en lui faisant un clin d’œil.
- La chambre donne-t-elle sur la rue ?"
Et tout en continuant la discussion, ils arrivèrent au saloon. La foule attendait avec impatience le retour d’Alan et de Caitlyn. Quand ces derniers passèrent les deux battants de l’entrée, ils furent accueillis par des cris de joie. La jeune fille ne s’attendait pas à un tel accueil ! Pourquoi l’acclamaient-ils comme ça ? Elle n’avait vraiment rien d’exceptionnel ; ce n’était qu’une pauvre fille, en fuite, pour échapper à un mari brutal et fou.
Alan leva les mains pour réclamer le silence et la foule se tut aussitôt. Il déclara alors que Caitlyn était désormais la nouvelle recrue du Saloon et qu’elle commencerait son travail le lendemain. Enfin, si elle le voulait toujours. Caitlyn accepta avec joie et suivit Alan jusqu’au 2ème étage.
"Je vous donne notre meilleure chambre, elle est la plus éloignée de la salle et donne sur la rue. J’espère que cela vous conviendra, Caitlyn ?
- Cela m’ira parfaitement ! Merci Alan !
- Arrêtez de me remercier, je suis gagnant moi dans cette histoire ! Vous allez faire rappliquer tout Rock Creek dans mon Saloon, avec votre voix merveilleuse… Vous savez que c’est quand même quelque chose, cette voix ?! On a dû vous le répéter assez souvent, mais…
- Pas si souvent que ça… en tout cas pas depuis quelques années… répondit-elle en s’arrêtant devant la porte que lui indiquait Alan.
- Hé bien préparez vous à l’entendre dorénavant ! Et plusieurs fois par jour… dit-il en riant. Allez, je vous laisse visiter votre nouveau chez vous !"
Il ouvrit la porte et s’effaça pour la laisser entrer. La chambre était luxueuse mais à la décoration beaucoup trop chargée. Tout était dans les tons bordeaux : des lourds rideaux en velours encadrant le lit à baldaquin aux deux énormes fauteuils, en passant par la tapisserie qui finissait d’étouffer le peu de lumière que dégageait une pauvre lampe à pétrole posée dans un coin. A cela, venaient s’ajouter de tas d’objets de décorations posés par-ci par-là, encombrant la chambre.
"Cela vous convient-il ?
- Euh… oui ! C’est très… euh… la chambre est très belle ! bredouilla Caitlyn, incapable de feindre un semblant d’enthousiasme face à ce décor qui contrastait tant avec la chambre qu’elle venait de quitter.
- Oui, bon, c’est peut-être un peu… trop, non ? questionna-t-il en réprimant un sourire.
- Peut être un peu oui ! répondit-elle, gênée de se montrer si peu ravie du décor.
- Je vous laisse faire les changements que vous souhaitez. Faites comme bon vous semble !
- Non mais je vous assure Alan, je vais m’y habituer ! Ce sera juste une question de temps ! "
Sur ces mots, Alan éclata de rire. Surprise, Caitlyn le regarda en se demandant ce qu’elle avait bien pu dire pour le mettre dans cet état.
"D’accord, je m’étais trompé ! Je pensais que ce style de chambre vous aurait plu ! Manifestement, un style beaucoup plus simple vous conviendrait mieux !
- Je ne veux pas vous embêter avec ça Alan. Cette chambre m’ira très bien !"
Et avec une rapidité qui surprit Alan, elle attrapa son sac et entra dans la chambre dont la seule note positive était la jolie coiffeuse qui se trouvait dans un coin.
"Bien. Si vous le dites… Nous en reparlerons plus tard. Je vous laisse ranger vos affaires. Demain matin, venez me voir une fois que vous serez prête. Nous parlerons affaire ! Passez une bonne nuit Caitlyn"
Et il la laissa seule, non sans lui avoir fait auparavant un clin d’œil.

Dans la salle en bas, tous ceux qui avaient assisté à ce que l’on appelait déjà « l’événement de la soirée » restaient là à échanger leurs impressions et à se féliciter de la décision d’Alan. Ike, qui était venu au saloon jouer quelques parties de poker, était encore sous le charme de la douce voix de Caitlyn et quand la dernière note s’était échappée de ses lèvres vermeilles, il aurait voulu lui hurler de continuer. La chanson, même s’il la connaissait, lui avait parut tellement différente. Il en avait presque eu les larmes aux yeux. Quel étrange sentiment !!
Il fallait absolument qu’il aille raconter ça aux autres. Ca allait très certainement en intéresser plus d’un. Il sortit presqu’en courant du Saloon et se dirigea vers le relais. Il ouvrit la porte à la volée et s’arrêta net sur le seuil.
Tous les riders qui étaient attablés, en train de discuter, se tournèrent vers lui, surpris de son entrée.
"Ca va Ike ? s’inquiéta Buck."
Celui-ci lui répondit aussitôt par gestes très rapides.
"Ouh la ! Tu vas trop vite pour moi Ike ! s’exclama Cody.
- Et pour moi aussi, enchérit Jimmy.
- Vous êtes nuls les gars ! C’est tout ! déclara calmement Lou, en réprimant un sourire.
- Ah parce que toi, tu as compris ce qu’il vient de dire ? demanda Kid.
- Exactement !"
Buck continuait de regarder les mains d’Ike décrire des mouvements rapides pendant quelques instants puis, une fois qu’il eut fini, il se tourna vers ses amis.
"Hé ben ! Si je m’attendais à ça !
- Quoi ? s’exclamèrent en chœur Cody, Jimmy et Kid.
- C’est à propos de votre chère Caitlyn, commença Lou.
- Ce n’est pas "MA" chère Caitlyn ! s’offusqua Kid.
- Ben voyons !
- T’as raison Kid, c’est MA chère Caitlyn ! déclara fièrement Cody."
Jimmy se retint de balancer une réplique acerbe de justesse. Ne surtout pas montrer à Cody son attachement à la jeune fille. Sinon, ça allait être pire que tout. Il respira un grand coup et demanda à Buck :
"Alors il a dit quoi Ike ?
- Que Caitlyn a quitté son emploi à l’hôtel et qu’elle travaille désormais au Saloon !
- Quoi ?! firent Kid et Cody en même temps.
- Ce n’est pas possible ! Pas elle ! murmura Jimmy, bouleversé par la révélation de Buck."
Elle ne pouvait pas faire ça. Elle ne pouvait pas appartenir à ce monde-là ! Caitlyn ? Une vulgaire fille de saloon ?! Non !! Comment imaginer un seul instant qu’elle puisse s’offrir à plusieurs hommes ?
Il savait très bien que les filles de saloon n’étaient pas forcément de mauvaises filles intéressées uniquement par l’argent et le sexe. Il avait déjà discuté avec certaines d’entre elles qui lui avaient avoué ne pas avoir beaucoup d’autres choix. Mais là, NON ! Ce n’était pas le cas : Caitlyn avait un travail honnête ! Elle ne pouvait pas l’avoir quitté pour aller vendre ses charmes aux premiers venus ?! Elle ne pouvait pas préférer ce genre de vie ! C’était tout simplement impossible ! Il fallait qu’il en ait le cœur net ! Il devait aller au Saloon et se renseigner.
Il se leva d’un bond et lança un : "j’ai un truc à faire !". Il se dirigeait vers la porte lorsque Lou lui barra le passage.
"Non Jimmy ! N’y va pas ! chuchota-t-elle.
- Pousse toi Lou ! prononça Jimmy à voix basse, sans cesser de fixer la porte.
- N’y vas pas maintenant ! Attends demain ! Tu es trop en colère là. Tu risques de dire ou faire des choses que tu regretteras plus tard."
Il la regarda, plus torturé que jamais. Elle semblait savoir beaucoup de choses alors qu’il n’avait rien dit et son regard en disait long. Mais elle avait raison : il risquait de se faire plus de mal qu’autre chose. Demain il irait au Saloon et alors il saurait…

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