San Theodor


Chapitre 9

Le fils de son père

- Tu plaisantes ? demanda Dan, en considérant son ami.
Richie répondit par la négative d’un signe de tête. Richie avait trouvé le moment bien choisi pour parler à Dan. Ils étaient tous les deux à l’office, seuls, sans personne pour venir interrompre leur discussion. Richie lui avait seulement déclaré qu’il ne comptait pas partir de San Theodor. Dan ne comprenait pas ;
- Tu veux dire que tu veux passer le reste de tes jours ici ?
- Peut-être.
- Mais pourquoi ?
- Parce que je suis bien ici !
- Mais on a toujours voyagé. On n'est jamais resté très longtemps au même endroit. Et cette ville n’est pas si différente des autres !
Richie regarda son ami bien en face, et lui fit une confession ;
- Tu sais, l’argent de ma paye que je ne veux pas te donner... ben... je l’ai mis à la banque !
- A la banque ? Mais pourquoi ?
Ils furent interrompus par des coups de feu. Le devoir les appelait. Au moment où Dan allait franchir la porte, Richie le retint par le bras ;
- J’aime une femme !

Cris et Brad étaient fourbus. Ils avaient passé leur temps à courir après les bêtes qui avaient été dispersées par les voleurs, et n’avaient pas encore retrouvé le troupeau dérobé. Ils avaient réparé les clôtures endommagées, et obéit aux ordres de Samantha Ridell. Celle-ci ne s’était pas gênée pour faire remarquer à Brad qu’il n’était pas très doué comme cow-boy. Il avait pris sur lui et n’avait rien dit ; il s’était même tu lorsqu’elle lui avait affirmé être meilleure cavalière que lui... L’envie l’avait brûlé de lui proposer un défi pour vérifier ses dires, mais n’en avait rien fait. Il ne souhaitait pas rentrer dans son jeu. Et de le voir si peu combatif avait agacé la jeune femme, qui avait proposé à Cris de venir se désaltérer pour le récompenser de ses efforts ! Brad avait attendu en plein soleil que Cris revienne, requinqué et heureux. Qu’avait-il pu se passer dans cette maison pendant que lui frôlait l’insolation ? Cris ne semblait pas enclin à donner des détails, et Brad se demandait si son ami s’était seulement désaltéré. Il avait supporté ses réflexions et s’était lui-même étonné de son sang froid, mais il avait pris une résolution. Plus jamais il n’irait porter assistance à Samantha Ridell ! Il la détestait.
- Finalement, ça s’est bien passé !
- Parles pour toi, Cris ! Elle était aux petits soins pour toi ! "Un peu de citronnade, Monsieur Cris".
- Serais-tu jaloux ? dit-il en riant.
- Non. Pas du tout ! mais quelle garce !
Cris éclata de rire ;
- Tu ne peux lui en vouloir de se venger ! Après ce que tu lui as fait !
- Cris, c’est pas drôle ! Et j’aimerais qu’on arrête d’en parler ! La journée est finie !
Un cavalier arrivait face à eux, et s’arrêta à leur hauteur ;
- Bonjour, Messieurs !
- Bonjour.
- Suis-je bien à San Theodor ?
- Oui, approuva Cris. On peut vous aider ?
- Oui, je cherche un garçon du nom d’Anthony.
- Pour quelle raison ? demanda Brad, méfiant.
- Je suis son père.
Cris hocha la tête ;
- Si on le voit, on lui dira que vous le cherchez !
Et la cavalier reprit paisiblement la route de la ville. Cris fit part de sa surprise ;
- Anthony ne nous a jamais parlé de son père ! Je croyais que ses parents étaient morts !
- Je le croyais aussi, confirma Brad. Allez, viens, on rentre !
A peine arrivés, ils s’occupèrent de leurs montures, se débarbouillèrent et se hâtèrent vers la maison ;
- Dépêchez-vous, le repas est prêt ! annonça Elsa.
Ils s’installèrent avec fracas, et un sourire aux lèvres, Ted demanda ;
- Alors comment ça s’est passé chez Samantha ?
Cris répondit ;
- Nos avis divergent un peu à ce sujet ! On a retrouvé des chevaux, mais pas les voleurs !
- Alors, vous savez ce qu’il vous attend ! J’aimerais que cette affaire soit réglée très vite. Ca fait trop longtemps que ça dure !
- Oui, Shérif ! Oh ! Anthony, on a croisé quelqu’un qui te cherchait ?
La garçon parut surpris ;
- Qui donc ?
- Ton père ! répondit Brad.
Anthony avait perdu son sourire, ses yeux s’étaient voilés, mais il dit d’un ton détaché ;
- Vous avez dû vous tromper !
- Non, confirma Cris. Il a dit qu’il était ton père !
Anthony frappa du poing sur la table, faisant sursauter Johnnie tout près ;
- Vous vous êtes trompés ! Je n’ai pas de père !
- Doucement, calma Ted. Ils n’avaient pas l’habitude des coups d’éclat du garçon, qui continua ;
- Si vous revoyez ce type, dites-lui d’aller voir ailleurs si j’y suis.
Anthony se leva et quitta la pièce en claquant la porte. Ted allait se lever, mais Elsa le retint et partit à la suite du garçon. Ted fronça les sourcils. Quelque chose clochait. A part l’attitude d’Anthony, il y avait quelque chose de différent. Dan était silencieux ;
- Ca va, Dan ?
Il leva la tête comme s’il atterrissait sur terre ;
- Hmm... oui, ça va...
Dan était préoccupé. Une femme. Richie aimait une femme. Mais qui donc ? Cela voulait dire que leur route se séparait, que Richie l’abandonnait, que...? Une femme ! Richie lui préférait une femme ! Et que faisait-il de toutes ces années passées ensemble, de leurs errances, de leurs rêves... Cela ne pouvait pas se terminer pour les beaux yeux d’une demoiselle ! Dan devrait continuer seul ! Seul ! Qui le sortirait des mauvais pas dans lesquels il se mettait ? Qui le raisonnerait ? Qui partagerait le peu de nourriture qu’il possédait ? Seul ! Dan se retrouverait seul. Pourtant, il était suffisamment attaché à son ami pour comprendre son désir de stabiblité et ne lui en voulait pas... enfin pas trop...

Ed Harris se présenta à la vieille grange quelques heures plus tard. Elsa le reçut du perron ;
- Bonsoir, madame. Je cherche Anthony. On m’a dit que je le trouverais ici !
- Qu’est-ce que vous lui voulez ?
Elsa avait essayé de parler avec le garçon. Il n’avait rien dit, s’était fermé, en répétant que son père était mort.
- Je suis son père...
Ted sortit , puis Brad, Dan, Johnnie, Cris et Richie.
- Je ne suis pas sûre qu’il veuille vous voir !
- Je suis là !
Anthony venait de sortir de la grange, à la surprise de tous qui pensaient qu’il resterait caché.
- Anthony ! C’est bien toi ! Tu as grandi ! Tu peux te vanter de m’avoir fait courir !
- Pas assez à mon goût !
L’homme était gêné d’être ainsi pris à partie devant tant de spectateurs.
- Ce n’est pas une manière de parler à son père !
- Tu n’es pas mon père ! Tu n’es rien ! Va-t-en !
- Je voulais te voir, Anthony !
- Pas moi ! Quitte la ville et oublie-moi !
- J’ai changé, Anthony ! Donne-moi une chance !
Le garçon secoua la tête ;
- Tu en as trop eu !
Harris chercha un soutien auprès d’Elsa, de Ted, mais les visages fermés lui conseillèrent de faire demi-tour sans insister, tel un vieil homme accablé par la peine que venait de lui infliger son fils.

Il faisait nuit. Tout le monde dormait. Tous, non. Anthony, assis sur les marches de la vieille grange, rêvassait. Johnnie, marqué par la scène à laquelle il venait d’assister, vint le rejoindre. Sans attendre, il dit ;
- Tu devrais lui laisser une chance !
Anthony regarda l’enfant avec un sourire. Il y a peu, c’était lui qu’on considérait comme l’enfant, comme l’élève... Maintenant c’était Johnnie. Mais Johnnie était beaucoup plus armé que lui, plus hargneux, plus téméraire et avec un professeur comme Brad, rien de fâcheux ne pouvait lui arriver. Il l’aimait bien.
- Tu ne le connais pas.
- C’est ton père !
Anthony secoua la tête ; - Ce n’est pas mon père ! Mon père est mort. Lui, c’est un fermier chez qui j’ai été placé comme valet par l’orphelinat...
- Et alors, c’est tout comme. Il avait l’air sincère. Il est venu te chercher jusqu’ici !
- Parce qu’il doit avoir besoin d’argent. J’aurais dû partir encore plus loin !
- Moi, j’aimerais que mes parents me recherchent ainsi !
Anthony le regarda tristement ;
- Parce que tes parents étaient des gens bien ! Moi, j’ai dû vivre avec ce type qui n’a jamais su garder un dollar en poche et qui me louait à ses voisins pour éponger ses dettes. Il m’a laissé mourir de faim... Si j’ai fui, c’est pour une bonne raison ! Ce type ne m’a considéré que comme un gagne-pain ! Aujourd’hui, je veux vivre pour moi, pas pour lui ! Je lui en ai donné des chances, j’ai cru ses promesses, ces jours où il m’appelait son fils... rien n’était vrai. Aujourd’hui, je ne crois plus rien. Je veux oublier cet homme qui n’a jamais été mon père !
Johnnie ne disait plus rien. Lui, il aurait aimé que ses parents, un oncle ou même un fermier traverse le pays pour le voir... lui, il n’avait personne. Et Anthony refusait celui qui l’avait élevé ! Fusse-t-il bourré de défauts, Johnnie aurait aimé être à la place d’Anthony. Anthony dut comprendre les pensées qui traversaient l’esprit de l’enfant. Il avait eu les mêmes. Ils n’étaient pas si différents.
- Tu n’es pas seul, tu sais ! Tu as Brad. Et Brad, il ne te demande rien en échange. Et crois-moi, s’il le devait, il traverserait le pays pour toi ! Certains se disent tes parents, alors qu’ils ne sont rien pour toi, et d’autres ne disent rien, mais se comportent bien plus comme des frères ! Belle tirade ! 
Johnnie hocha la tête. Ca n’empêchait pas qu’il aurait donné cher pour avoir ses parents près de lui. Il retourna se coucher, laissant Anthony avec ses pensées.

Elsa laissait traîner ses pieds dans l’eau fraîche de la rivière avec délice. Elle s’allongea dans l’herbe et ferma les yeux, sereine. Elle n’avait plus envie de penser aux problèmes d’Anthony et de son père, à la guerre que Brad livrait à Samantha Ridell. Elle ne voulait penser qu’à elle. Elle entendit un sifflement joyeux, elle ouvrit les yeux, et vit Richie la tête à l’envers. Elle se redressa aussitôt ;
- Richie ! Qu’est-ce que tu fais là ?
- J’avais un petit moment de libre. Je venais pêcher ! Mais je vais aller plus loin...
- Non, reste !
Elle lui fit signe de s’asseoir près d’elle. Il s’exécuta, et jeta sa ligne à l’eau ;
- Vous pêchez ? demanda-t-il.
- Oui. En Suède, on pêche sous la glace !
Richie se mit à rire ;
- Vous m’étonnerez toujours !
- Tu n’es pas le premier à me dire ça ! Dis-moi, alors, tu as toujours l’intention de quitter San Theodor ?
Richie avait les yeux fixés sur sa ligne ;
- J’ai dit à Dan que je ne voulais pas le suivre cette fois. Je ne veux pas quitter San Theodor. Je lui ai dit que j’aimais une femme !
Il sentit qu’Elsa avait tressailli ; il posa sa canne, la regarda et lui prit la main ;
- C’est toi que je ne veux pas quitter Elsa !
Elle retira vivement sa main ;
- Richie, tu es fou !
- Non, Elsa. Le jour où je t’ai vue, j’ai su que tu étais celle auprès de qui je voulais finir mes jours !
- Tu étais ivre !!! protesta-t-elle.
- Oui, mais ce sentiment était si fort que c’était clair pour moi ! C’était la seule chose qui était claire ! Elsa...
Elle s’était levée, et partait. Il la retint par le bras ;
- Elsa, je t’aime !
Ses yeux se plongèrent dans les siens ;
- On... on n'a pas le droit !
- Qui est-ce qui nous en empêche ?
- Tu travailles pour Ted, moi aussi, et... les autres... Non ! On n'a pas le droit !
Il prit son visage entre ses mains ;
- Non, donne-moi une bonne raison ! Dis-moi que tu ne m’aimes pas, et je partirai...
- Je ne t’aime pas ! déclara-t-elle, clairement.
Il la relâcha ;
- Alors, je n’ai plus de raisons de rester !
Il reprit sa canne et s’engagea lentement sur le chemin de la vieille grange. Elsa le regarda partir. Richie était son préféré, elle s’était attachée à lui, mais elle ne pensait pas qu’il pourrait l’aimer ! En fait, si, elle le pensait, mais se disait qu’il n’aurait jamais le courage de se prononcer. Pourquoi avait-elle été si troublée par sa déclaration ? Elle l’aimait beaucoup, de là à avoir une relation avec un homme... A cause d’elle, il allait partir ! Elle ne voulait pas qu’il parte !

- On ne bouge plus !
Cris tenait en joue, un homme qui tentait de cambrioler la banque. L’homme se tourna vers lui et Cris put reconnaître le père d’Anthony.
- Laissez-moi partir ! supplia Ed Harris.
Cris eut un instant d’hésitation, mais la foule qui l’entourait et son désir de bien accomplir son devoir l’empêcha de céder.
- Non ! Allez ! La prison, c’est par là !
Et Cris le mena jusqu’à la petite cellule sous les applaudissements de quelques badauds. C’était la première fois qu’on le félicitait. Il fit rentrer Harris dans la cellule et referma la porte dans un bruit de ferraille. L’homme attrapa sa chemise !
- Anthony... Dites-lui...
Cris hocha la tête en signe d’assentiment. En parler à Anthony, lui dire que son père était en prison, cela l’achèverait. Cris jugea plus raisonnable d’en faire part à Ted avant d’agir.

Mis au courant de l’arrestation de Ed Harris, le shérif voulut se charger d’avertir Anthony. Il était le plus jeune de ses garçons, il se sentait comme son protecteur. Il avait prié le garçon de venir marcher avec lui le long de la rivière ;
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Mon garçon, j’ai quelque chose à te dire...
- Ne tournez pas autour du pot, Shérif...
Ted sourit. Il avait pris de l’assurance le gamin au visage d’ange. Il y a peu, il ne lui aurait pas parlé ainsi ;
- Ok, on a arrêté ton père! Il braquait la banque...
- Bien, le coupa Anthony. C’est tout ?
- Tu veux en discuter ? demanda Ted, prêt à écouter.
- Il n’y a rien à dire, répondit calmement Anthony.
- Il veut te voir. Je sais que tu as de la rancœur à son égard ! Et même si c’est un voleur, il t’a élevé, et c’est en partie grâce à lui si tu es là aujourd’hui !
- Ca fait longtemps que j’ai réglé les choses entre nous ! Il n’y a rien à rajouter !
Ted secoua la tête ;
- Je croyais que de tous mes garçons, tu serais le plus humain ! Tu sais qu’on ne peut réparer toutes ses erreurs !
Anthony le regarda bien en face ;
- On ne peut pas toutes les pardonner non plus !
Ted se plongea dans un mutisme. Il avait lui aussi un fils. Mais il n’avait pas été un bon père. Il aimait trop la vie aventureuse ; il n’avait jamais voulu reconnaître cet enfant. Il devait aujourd’hui avoir l’âge d’Anthony, et cela le désolait de se dire que son propre fils devait le détester autant qu’Anthony haïssait Ed Harris. Il posa une main sur l’épaule du garçon ;
- Réfléchis quand même !

Brad traversait les divers domaines des environs de San Theodor avec Johnnie. Il cherchait le bétail volé de Samantha Ridell. Il voulait en finir au plus vite avec cette histoire afin d’être délivré du joug que la jeune fille faisait peser sur lui. Brad avait renvoyé Richie, avec qui il devait faire équipe, à la vieille grange. Le jeune homme était si distant, l’esprit ailleurs, qu’il ne lui était d’aucune aide ; il avait préféré se faire assister de Johnnie dont il ne doutait pas de la loyauté. Le garçon était heureux de suivre "son héros".
Alors qu’ils arrivaient sur les terres des Miller, Brad décida d’aller faire le tour du corral. La ferme semblait vide. Ils continuèrent un peu plus vers les pâturages, et là découvrirent un troupeau de plus d’un millier de têtes qui paissait !
- Joli troupeau ! s’écria Johnnie.
Les bêtes étaient marquées des initiales des Miller. Rien d’anormal. Pourtant, en amont de la rivière, un enclos séparé retenait quelques bêtes. Brad s’y rendit, enjamba la clôture et s’approcha d’une bête. Il cria à Johnnie ;
- Cette fois, on les a !
- Les Miller ? C’est les Miller qui ont fait le coup ?
- Faut croire ! Ils se sont dits qu’on n'irait pas aussi loin les chercher !
- Qu’est-ce qu’on fait ? On prévient le shérif ? demanda Johnnie.
Brad secoua la tête ;
- Non, dis-moi, Johnnie, as-tu déjà convoyé du bétail ?
- Euh... Non !
- Alors, tu vas apprendre !
Johnnie tenta de le raisonner ;
- Tu es fou ! On va pas leur voler ! Pas comme ça ! Ted va nous tuer !
Brad avait déjà ouvert l’enclos, et s’était juché sur sa monture ;
- A deux, on s’en sortira. Il n’y a pas beaucoup de bêtes. Tu feras bien gaffe à ce qu’ils ne débordent pas sur les côtés. Serre-les bien à droite ! Compris ?
- Brad, t’es cinglé !!
Brad poussa un hurlement sauvage qui apeura les bêtes, qui se lancèrent en un galop massif à l’extérieur de l’enclos...
- Allez, Johnnie, à nous de jouer !
Johnnie tenta de contenir le flot des bêtes, en hurlant ;
- T’es cinglé !
Mais la course était lancée, et Johnnie n’avait plus qu’à suivre en essayant de maintenir le cap des bêtes apeurées. Il se retrouvait voleur de bétail. Brad était cinglé ! Le lancer dans une telle aventure, lui qui n’avait gardé que des poulets dans sa vie ! Brad hurlait, et accélérait l’allure du petit troupeau.
- Serre à droite, Johnnie !
Le sol tremblait et ils fonçaient vers le domaine de Samantha Ridell. Johnnie priait pour que les Miller ne les poursuivent pas, ni ne leur tirent dessus !
- C’est bien, Johnnie !
L’enfant ignorait que Brad savait convoyer les bêtes, et peu à peu, il se calmait et se rassurait. Quand ils entrèrent sur le domaine de Samantha, il respira. Tout se passait bien. Brad poussa un énième hurlement. La jeune femme, alertée par le bruit, était sortie et avait vu la poussière du troupeau qui se dirigeait droit sur elle. Elle s’empressa d’aller ouvrir en grand les barrières de son enclos, les cow-boys et le troupeau y entrèrent sans encombre. Johnnie et Brad en sortirent indemnes et ce dernier salua Samantha ;
- Et voilà !
Elle ouvrit de grands yeux. Brad crut qu’elle allait manifester son admiration, mais il n’en fut rien ;
- Vous avez volé les voleurs ! Belle mentalité ! C’était qui ?
- Je n’ai pas à vous le dire ! Ca ne regarde que le shérif. Vous pourriez nous remercier, non ?
- Vous remercier ? Pourquoi ? Vous avez fait votre travail, rien de plus ! Et vous en avez mis du temps !
Elle se détourna d’eux, pour s’intéresser à l’état de ses bêtes ;
- Je pourrais l’étrangler ! assura Brad à Johnnie. Puis, il considéra l’enfant ;
- Tu as été très bien ! Tu as fait du bon travail !
Et Johnnie sourit, ravi de cette reconnaissance.

- Et alors, avec Brad, on a fait partir le troupeau et on l’a escorté jusque chez Samantha. C’était un troupeau énorme, la terre tremblait...
- N’en fais pas trop Johnnie ! le calma Brad.
Depuis le début du repas, l’enfant racontait son aventure à un auditoire indulgent. Il en oubliait de dire sa peur. A peine rentrés, Ted était parti appréhender les Miller. Il avait désapprouvé la façon de faire de Brad, mais les bêtes avaient été restituées, et les coupables arrêtés... Il ajouta quand même ;
- Je trouve que c’est de la folie de s’être chargé de ces bêtes seul.
- J’avais Johnnie avec moi ! Et croyez-moi, c’est un sacré cow-boy !
- Et s’il lui était arrivé quelque chose ?
Brad avait froncé les sourcils ;
- Je sais ce que je fais !
Toujours cette assurance ! Ted n’avait plus rien à dire. Johnnie était là, ravi, et tout était rentré dans l’ordre. Alors, pourquoi ne pas laisser l’enfant faire part de sa joie. D’autant que personne ne l’interrompait. Anthony, silencieux, n’avait pas touché à son assiette. Dan était perdu dans ses pensées. Il cherchait, et ce fut durant ce repas qu’il eut l’illumination. Il avait juste fallu qu’il s’attarde sur le regard de Richie qui se posait sur Elsa, sur sa main qui tentait d’effleurer celle de la jeune femme. Elsa. C’était donc Elsa, cette femme que son ami s’était pris à aimer. Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Ca s’était passé sous ses yeux, un attachement qui avait grandi de jour en jour, et il n’avait rien vu... Dan s’en voulait...
- Dan, tu es de garde cette nuit à l’office ! Il y a un peu trop de monde en cellule, aujourd’hui ! commanda Ted.
Dan acquiesça, sans avoir vraiment écouté, et Anthony en profita pour quitter la table avec un léger mot d’excuse.

Ce n’est qu’à la nuit tombée, alors qu’il cherchait ses amis, qu’Anthony tomba sur Brad, devant le corral. Cris et Richie étaient introuvables. Ce n’était pas plus mal. Il pouvait faire confiance à Brad.
- Dis, tu garderais un secret ?
- Euh... oui...
- Alors, viens avec moi !
Brad le suivit à l’écurie, ils sellèrent leurs chevaux.
- Je peux venir ?
Johnnie venait de pénétrer dans l’écurie. Anthony l’attira à eux ;
- Chut ! Tu viens si tu tiens ta langue !
Johnnie promit de toute son âme. Mais Brad fit remarquer ;
- Je peux savoir quand même où on va ?
Anthony ne répondit pas et ils partirent vers la ville. Il alla directement au bureau du shérif, et surprit Dan dans un demi-sommeil ;
- Qu’est-ce que vous faites là, les gars ?
Anthony lui répondit de façon évidente ;
- On vient faire évader mon père !
Brad ouvrit de grands yeux, Johnnie riait ; l’aventure continuait, mais Dan protesta ;
- T’es malade, il en est hors de question !
Anthony soupira en jetant un regard à Ed Harris ;
- Dan, j’ai pas envie de me battre avec toi ! Si tu ne veux pas me donner les clefs, je vais être obligé de t’assommer !
Brad se retourna pour ne pas éclater de rire devant les menaces que venaient de proférer son ami. Anthony ne ferait de mal à personne ! Surtout pas à ses amis ! Mais il se reprit ;
- Et comment tu comptes expliquer ça à Ted ?
- Je trouverai.
Dan raisonna ;
- On t’a dit que tu pouvais lui parler, pas le faire évader ! Et puis, je croyais que le détestais !
- Ca me ferait mal d’être responsable de sa perte ! Je suis pas comme lui !
Dan secoua la tête ;
- C’est pas une bonne idée ! Tu risques ta place !
- Je m’en fiche ! C’est ça ou rien ! les clefs !
Anthony tendait la main ; Dan réfléchissait ;
- D’accord, mais une évasion, ça se fait rarement sans dégâts ! Tu devrais m’assommer !
- Tu es sûr ? demanda Anthony.
- Oui. J’ai pas envie que Ted pense que je suis un incapable ! Vas-y frappe !
Dan s’offrait au garçon qui ne put obéir. Dan était son ami.
- Je peux pas...
Dan se tourna alors vers Brad ;
- Je crois que tu peux, toi...
Brad allongea une droite qui assomma Dan. Anthony s’empara des clefs, ouvrit la cellule, et fit sortir Harris ;
- Va-t-en, avant que je change d’avis !
Johnnie lui avait avancé un cheval ;
- Pourquoi tu fais ça ?
- On n’a qu’un seul père ! Considère que c’est ton ultime chance !
- Tu ne seras pas déçu !
Anthony frappa le cheval, et Ed Harris disparut dans la nuit.

Richie n’avait cessé d’observer Elsa. Toute la soirée, il avait guetté son regard, tenté de le capter, frôlé sa main, cherché tout ce qui pourrait lui montrer son attachement. La jeune femme n’avait en aucun cas tourné les yeux, ni refoulé ses approches, c’était plutôt comme si elle était indifférente. Et pour la première fois, Richie sentait son estomac se nouer. Il ne pouvait s’imaginer poursuivre sa route, alors qu’il laisserait derrière lui, la suédoise qui lui avait pris son cœur. La présence de Dan à ses côté ne serait pas suffisante pour combler le manque que laisserait l’absence d’Elsa. Elle était sa lumière, le but à atteindre, l’accomplissement de toute une vie d’errance afin de trouver l’endroit où il serait heureux. Et il était heureux. Heureux tout simplement de la voir, d’entendre sa voix chantante, d’écouter ses histoires. Mais elle ne l’aimait pas. Et lui, savait à quel point sa route serait longue sans elle. Il était prêt à rester pour elle, pour avoir ne serait-ce que son amitié... Est-ce que Dan le voudrait ?
Il avait entendu la jeune femme appeler Cris, qui avait immédiatement accouru. Elle l’avait fait rentrer dans sa maison. Qu’allait-il faire ainsi le soir chez elle ? Chez Elsa ? Celle chez qui il aurait bien aimé être ainsi invité. Mais c’était Cris ! Richie se mordit les lèvres. Il ne devait pas être jaloux ! Elsa ne l’aimait pas...
L’âme en peine, il retourna dans la vieille grange, et fut surpris de s’y retrouver seul. Dan était à l’office, mais les autres ??
Il se coucha et ne s’en occupa plus. Il ferma les yeux et songea à Elsa.

- Viens ! invita Elsa.
Cris hésitait. Il se trouvait au pied de l’escalier qui menait à la chambre de la jeune femme, et elle l’engageait à y monter.
- Elsa... Je ne sais pas...
Elle rit ; - Allons, de quoi as-tu peur ? Viens, je voudrais te montrer quelque chose !
Elle lui prit la main, et l’entraîna à sa suite dans l’escalier. Elle poussa la porte de sa chambre et l’y fit entrer. Cris eut l’impression de violer un territoire sacré. La chambre d’Elsa, son lit, son édredon, son miroir où elle devait se regarder le matin, sa brosse à cheveux... Il était dans l’intimité d’Elsa, cette femme qu’il jugeait comme une mère, une sœur, un être sacré...
Elle alla à sa commode, ouvrit un tiroir et sortit un petit coffret de bois qu’elle lui donna ; Il le prit, mais ne sut qu’en faire ;
- Ouvre-le !
Il obéit, et dans un écrin, il découvrit une bague finement ciselée, ornée d’une pierre fine aux couleurs de l’océan. Il s’exclama ;
- C’est magnifique !
- C’est mon alliance. Elle a été fabriquée en Suède par un joaillier.
- Elle est très jolie.
Très simplement, alors qu’il allait refermer la boîte, elle dit ;
- Elle est à toi !
- Quoi ? Cris ne comprenait pas.
Elsa répéta ;
- Elle est à toi ! Je sais que tu mets de l’argent de côté pour épouser Amalia, et si tu ne dépenses pas d’argent pour la bague, tu l’épouseras plus vite !
Cris déposa la boîte sur la commode et refusa ;
- Je ne peux pas !
Elsa reprit l’écrin, la glissa dans la main de Cris et la referma dessus.
- Cris, je n’aurai plus l’occasion de porter cette alliance. Je préfère qu’elle serve à une personne que j’apprècie ! Je ne sais pas si je pourrai te faire un cadeau un jour, alors je te prie d’accepter celui-ci. Il est dommage que ce bijou ne soit pas porté, qu’il soit oublié...
- Mais c’est un souvenir !
- Le souvenir d’un mort, oui. Toi, tu es vivant. J’ai des souvenirs pleins le cœur ; je n’ai pas besoin de cette bague pour me rappeler mon mari. Prends-la ! Tu ne pourrais me faire plus plaisir...
Cris entoura la jeune femme de ses bras puissants ;
- Merci ! Merci ! Je... Merci !
- Allez, file avant de faire jaser parce que tu passes trop de temps dans ma chambre !
Cris sortit, serrant entre ses doigts le coffret de bois. Cela voulait dire qu’il pouvait déjà demander Amalia en mariage, se fiancer... Elsa ne pouvait lui faire de plus beau cadeau !

Le lendemain matin, au petit déjeuner, Anthony bâillait à s’en décrocher la mâchoire. Ted laissa échapper un sourire. Il avait croisé Dan à son retour de l’office, et avait vu le bleu qui marbrait son visage. Ce dernier lui avait avoué l’évasion d’Harris et avait décrit dans de vagues détails l’agression dont il avait été victime. Anthony avait joué la surprise, et Brad ne s’en inquiéta nullement. Elsa, voyant l’état de Dan qui entrait accourut vers lui ;
- Mon Dieu, qu’est-ce qui s’est passé ?
Et Dan répéta son histoire ;
- Ils étaient deux ! Des géants ! J’ai rien pu faire ! Ils m’ont assommé !
- Tu les connaissais ? demanda innocemment Richie, mis dans la confidence.
- Non.
Le sourire de Ted s’élargit. Elsa le nota immédiatement ;
- Cela vous réjouit que vos adjoints se fassent agresser !
Ted eut un léger rire ;
- Dis-moi, Elsa, ne trouves-tu pas étrange que deux hommes inconnus à la ville, fassent évader un prisonnier que l’un de ses adjoints connaît, avec un de mes chevaux ! Et qu’en plus, ils n’assomment que l’adjoint du shérif !
Elsa commença à comprendre ce qui avait dû se passer la nuit précédente. Elle se doutait même des coupables ; Anthony, Brad et Johnnie. Ce ne pouvait être qu’eux.
- En effet, c’est curieux !
Anthony se rengorgea comme pris en faute, Johnnie baissa les yeux ; pour Ted, leurs expressions étaient encore plus expressives que des aveux. Sans regarder Anthony, il lança ;
- Mon garçon, la prochaine fois que tu fais évader quelqu’un, fais attention à ce qu’il n’y ait pas de témoins comme les Miller, et ne le fais pas avec un de nos chevaux si tu ne veux pas que l’on retrouve ta trace ! Et, dernière chose, n’assomme pas l’adjoint du shériff, tue-le ! Sinon, ça fait amateur ! Qu’est-ce que tu en penses, Dan ?
- Euh...
Dan se frotta la joue meurtrie, déçu de n’avoir pas pensé à tous ces détails, mais peu enclin à avouer son méfait. Brad avait une mine si impassible qu’il était impossible de dire s’il avait participé à cette épopée ou non. Anthony adressa un regard si pitoyable à Ted que celui-ci sourit ;
- Mais on va dire que je ne sais rien ! Ok, les gars !
Alors la reconnaissance prit le pas dans l’esprit d’Anthony, et il sut qu’il avait l’assentiment de Ted. Il avait fait évadé Ed Harris, ce n’était peut-être pas une bonne idée, mais c’était la part d’humanité qui restait en lui qui avait ressurgi, et donner une chance à ce père qui n’en était pas un.

Ce ne fut qu’une fois dehors, loin des oreilles de Ted que Brad demanda ;
- Ote-moi un doute, Johnnie, c’est toi qui t’es occupé de voler le cheval.
- Oui, avoua l’enfant d’une voix faible.
- Et tu n’as rien trouvé de mieux que de prendre celui du shérif  ? demanda Dan, sur le même ton moqueur que Brad.
- Ben...
- Ca valait bien la peine que je me fasse assommer ! Laisse-moi te dire, Brad, que ton élève a encore beaucoup à apprendre !
Et ils plantèrent tous deux Johnnie derrière eux qui leur courut après ;
- Eh ! Attendez ! Je recommencerai pas ! Dan, Brad ! J’ai pas fait exprès ! Attendez ! Ecoutez-moi !
De son côté, Anthony tendit la main à Ted ;
- Merci, Shérif !
Ted la prit et la serra avec vigueur. Anthony était un bon garçon.

- Holà Cris ! cria Dan
Cris lui répondit d’un geste de la main, et alla directement voir Ted chez Elsa. Il revenait de la Ville et avait un télégramme urgent qu’il déposa en mains propres au vieil homme qui se tenait sur le perron près d’Elsa ;
- Merci Cris !
Il leur dédia un sourire, et rejoignit ses amis qui autour de Dan l’écoutaient jouer de l’harmonica. Le son de l’instrument faisait désormais partie du leur quotidien. Anthony et Richie crièrent ;
- Holà Cris !
Ted avait ouvert l’enveloppe et fronçait les sourcils ;
- Un problème ? demanda Elsa.
Les yeux du vieil homme se posèrent sur Anthony, qui discutait avec assurance à quelques distances d’eux. Il expliqua ;
- Ed Harris a été arrêté. Il cambriolait une banque dans le Missouri.
- Mon Dieu ! Comment Anthony va-t-il prendre ça ?
Les yeux de Ted n’avaient pas quitté le garçon qui riait à présent. Il avait cru bien faire, et il devait avoir raison dés le début. Il y a des fautes qu’on ne pardonne pas. Anthony ne méritait pas un père pareil. Ted s’éclaircit la gorge ;
- Il ne l’apprendra pas ! Ce gamin est persuadé que la dernière chance qu’il a donné à son père était la bonne ! Je ne veux pas briser ses illusions !
Anthony souriait en écoutant Dan qui s’était remis à jouer. Un gamin au visage d’ange.
- C’est un bon garçon !

Chapitre 10

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