San Theodor


Chapitre 8

Samantha Ridell

Dan et Richie chevauchaient côte à côte. Ils avaient attrapé un voleur de bétail, et l’avait enfermé à la prison, en attendant de savoir où le transférer. Heureux d’avoir accompli leur tâche, ils étaient partis pêcher dans la rivière qui passait non loin. Et ils rentraient à la vieille grange. Dan ralentit l’allure de sa monture, Richie s’en étonna ;
- Qu’est-ce qui se passe ?
Dan soupira ;
- Il y a qu’on se presse tout le temps ! On doit se dépêcher de remettre un prisonnier aux autorités, on doit se dépêcher de rentrer, être à l’heure, et on recommence ! C’est pas une vie ! On ne prend même plus le temps d’admirer le paysage !
Richie se mit à rire ;
- Tu te moques de qui ? Ca fait deux heures que tu perds ton temps à pêcher, sans rien prendre ! Et puis, on le connaît pas cœur ce paysage ! On passe ici des dizaines de fois par jour !
Dan le dévisagea ;
- Ah ! Oui ! Alors, est-ce que tu avais remarqué ce chêne ? il pointait le doigt vers l’arbre.
- Dan, il y a des milliers de chênes de par le monde. Un arbre reste un arbre ! Il n’y a pas de quoi s’extasier dessus !
- Celui-là est centenaire, Rich ! Il nous survivra !
- Et alors ?
- Alors, tu ne le savais même pas ! Tu ne remarques même plus la neige qui fond sur la montagne, ni la migration des oiseaux...
- Et alors ? répéta Richie en fronçant les sourcils.
- Alors, je trouve ça malheureux !
- Dan, merci pour cette envolée poétique, mais dépêchons-nous !
Dan leva les bras au ciel ;
- Et voilà, ça recommence ! Depuis qu’on est à San Theodor, tu ne fais que te dépêcher ! On ne profite plus du temps comme on le faisait avant ! Je pense qu’il est temps qu’on parte !
Richie tira violemment sur sa monture pour la faire stopper. Il se tourna vers son ami ;
- Tu as dit quoi ? Tu veux qu’on parte ?
Dan acquiesça ;
- Oui, je crois que c’est le moment d’aller voir ailleurs ce qu’il se passe !
- Et abandonner Ted, San Theodor, les autres...
- Avec Brad et Cris, Ted s’en sortira très bien ! se justifia Dan. Et puis, on n’avait pas dit qu’on s’installerait ici pour toujours !
Dan était reparti, laissant sur place son ami, songeur. Richie ne s’attendait pas à ça. Il ne lui était jamais venu à l’idée de partir, de s’éloigner de San Theodor, de la vieille grange et de...
Il se trouvait bien là, appréciait la compagnie d’autres que Dan, s’habituait à la routine, aux repas copieux, à son lit. Il se voyait mal repartir sur les chemins, dormir dehors, manger un jour sur deux, sauver Dan de ses excentricités. Mais Dan était son ami, son ami fidèle, et il ne le laisserait pas partir seul. Ou alors, peut-être qu’était arrivée l’heure où leurs chemins se séparaient... Il le rattrapa en un léger galop ;
- Je ne veux pas partir, Dan !
Des hurlements couvrirent la réponse de Dan, un bruit de galop et de coups de feu retentirent. Les deux hommes s’échangèrent un regard et prirent la direction de l’agitation. Ils virent un cavalier qui en poursuivait trois autres à deux bonnes longueurs d’avance !
- C’est peine perdue ! Il les rattrapera pas !
- Viens, on va voir ce que c’est ! engagea Dan.
Quand les deux hommes rejoignirent le cavalier, celui-ci avait abandonné sa poursuite ;
- Tout va bien ? cria Dan.
- Ca va ! répondit une voix féminine.
Richie et Dan s’échangèrent un regard. Ce cavalier fougueux était une femme ! Elle avait une longue natte brune, des yeux noirs et des traits fins. Dan sourit, en se présentant ;
- Je sais qui vous êtes ! Vous travaillez pour Ted ! Et justement, j’aimerais lui dire deux mots !
- Si vous nous disiez ce qu’il s’est passé ! proposa Richie.
- Il s’est passé qu’on veut s’approprier ma terre ! Et ces hommes m’ont volé des bêtes, et en ont dispersé une vingtaine dans la nature ! Je dois voir Ted !
Dan prit un sourire charmeur ;
- Excusez-moi, vous savez qui nous sommes, mais nous, nous ignorons tout de vous !
- Ridell. Samantha Ridell. Alors, où est Ted ?
- On va vous emmener, Samantha ! proposa Dan, sans se séparer de son sourire.
La cavalière passa devant, et Dan souffla à Richie ;
- Tu as raison. Je crois qu’on va rester encore un peu !

Brad regarda l’enfant qui dormait encore. Il avait fait travailler dur Johnnie, et il s’était laissé tomber sur son lit comme une épave. Anthony conseilla à son ami avant de quitter la grange ;
- Le réveille pas ! Tu as été dur avec lui !
Brad ne répondit pas, mais attendit qu’il fut sortit de la pièce, pour aller chercher un colt dans ses affaires, qu’il chargea et arma. Puis, il sortit le sien qu’il arma aussi. Johnnie n’avait toujours pas bougé. Alors, il posa le canon sur la tempe de l’enfant et ordonna ;
- Debout !
Dans son sommeil, Johnnie perçut le contact métallique et froid près de son front. Il ouvrit les yeux, et vit que c’était Brad qui tenait l’arme ;
- Brad ??
- Debout ! hurla ce dernier.
Johnnie, un peu décontenancé, obéit ;
- Brad, qu’est-ce que tu fais ?
- Tais-toi, et avance !
L’arme entre ses omoplates, Johnnie sortit de la grange, sans savoir ce que lui voulait Brad. L’homme lui fit face, et lui tendit une arme. Johnnie la prit sans savoir qu’en faire, son ami le tenait toujours en joue ;
- Brad, qu’est-ce qui te prend ?
Johnnie avait peur. Il ne décelait aucune expression dans le regard de son ami. Et celui-ci le prenait pour cible...
- Maintenant, c’est toi ou moi, Johnnie !
- Quoi ? cria l’enfant, la voix déformée par la peur. Brad lui proposait un duel, Brad voulait le tuer...
- Brad, je comprends pas...
- C’est toi ou moi, je t’ai dit ! Tire-moi dessus !
- Non ! protesta Johnnie. Je peux pas ! Tu es mon ami !
Alors, Brad visa les pieds de l’enfant et tira. Johnnie fit un bond de côté. C’était passé près !
- Tire ! ordonna Brad.
Johnnie regarda de toutes parts, cherchant de l’aide. Il vit Anthony, Richie et Dan qui assistaient au spectacle, mais ne réagissaient pas.
- Tire !
- Non ! T’es mon ami ! Je te faisais confiance ! Qu’est-ce que tu fais ?
Les larmes coulaient sur le visage de l’enfant terrorisé. Brad brandit son colt au-dessus de sa tête et vida son chargeur en l’air. A chaque coups tirés, Johnnie sursauta ; il finit par lâcher l’arme et tomber à genoux dans la poussière, et se boucha les oreilles avec ses mains.
Brad rengaina son arme, s’approcha de l’enfant, et tendit la main pour l’aider à se relever ;
- Première leçon, Johnnie ; ne jamais faire confiance. Toujours se méfier. Même de ses amis !
Johnnie leva les yeux vers Brad. Le jeune homme vit les larmes inonder le visage de l’enfant, qui sans prendre sa main se releva seul !
- Merci, Brad. J’oublierai jamais !
A cet instant, un applaudissement retentit. Brad fronça les sourcils et regarda vers les spectateurs. Il vit que c’était une femme qui battait des mains. Elle s’exclama ;
- Jolie démonstration !
- Vous êtes qui, vous ? demanda-t-il, légèrement agressif.
- Samantha Ridell. Et vous, pas besoin de vous présenter, vous êtes Bradley Thomas, le Tueur ! Laissez-moi vous dire que vous êtes à la hauteur de votre réputation. Tirer sur un enfant ! Bravo ! Ted serait heureux d’apprendre ça !
- Il est pas là ! Et puis, de quoi je me mêle ?
Brad avançait lentement vers elle. Anthony recula. Il semblait que Brad n’était pas de bonne humeur. Dan était curieux de voir comment cela allait se terminer. Rares étaient les personnes qui résistaient à Bradley Thomas. Seul Richie tenta d’apaiser son ami ;
- Brad...
Mais il ne le voyait pas, il ne l’entendait même pas. Il avançait vers cette femme qui s’était permise de l’appeler "Tueur". Samantha semblait également ne plus se rendre compte qu’ils n’étaient pas seuls. Avec ironie, elle lança ;
- Vous allez faire quoi, là ? Me tuer ?
Il secoua la tête ;
- Je ne tue que les gens qui en valent la peine ! Les autres, je les ignore !
Samantha éclata de rire ;
- J’ignorais que les tueurs à gage avaient de la répartie !
Brad se dressa devant elle ;
- Mais vous voulez quoi à la fin ?
- De vous ? Rien. D’ailleurs je doute qu’à part me donner des cartouches ou de la poudre à canon, vous puissiez faire quelque chose pour moi ! Je veux voir Ted.
- Il est pas là ! Passez votre chemin !
- Où il est ? demanda Dan.
- Parti en ville avec Cris et Elsa ! répondit brièvement Brad sans quitter des yeux la jeune fille. Elle répondit de même ;
- Alors, je vais attendre son retour. Il sera heureux d’apprendre ce qui se passe ici en son absence !
Brad haussa les épaules, et passa son chemin ;
- Si vous n’avez rien de mieux à faire...
Johnnie, remis, arriva en courant et s’arrêta devant Samantha ;
- Le cherchez pas trop ! C’est le meilleur tireur !
Et il partit à la suite de son héros. Samantha ouvrait de grands yeux ;
- Charmant, cet enfant !
Dan jugea bon de détourner la conversation. Il éclata d’un grand rire ;
- Ah ! Les enfants ! Et Brad, ne faites pas attention à lui ! Entrez plutôt prendre un café !
Une main sur l’épaule de la jeune fille, il l’entraîna dans la maison d’Elsa et commanda ;
- Anthony, tu nous fais du café ?
Le garçon qui, avec Richie, les avait suivis, répondit ;
- T’as qu’à le faire toi-même ! Et il quitta la maison, ne supportant plus d’être ainsi sans cesse commandé. Et il était fier d’avoir planté Dan ainsi, qui plus est devant une jeune fille qu’il semblait vouloir séduire. Quelques semaines auparavant, il se serait empressé d’accéder aux désirs de Dan, mais aujourd’hui, il savait dire non. Et Dan ne l’avait pas poursuivi, ni battu pour avoir imposé son refus. Anthony s’étonnait lui-même de jour en jour.
Dan eut un sourire gêné devant Samantha. Richie prit les devants ;
- Je vais faire le café.
Et Dan expliqua ;
- Ah ! Anthony ! Il prend un peu trop modèle sur Brad, parfois !

Devant la maison, les rires fusaient. Samantha occupait la fauteuil à bascule d’Elsa, et Brad voyait cela d’un mauvais œil ! Que venait faire cette fille dans le coin ? Et pourquoi Dan la traitait-il comme une déesse ? Il la regardait en coin. Elle était vêtue comme un homme, avait des bottes aussi crottées que celle de Cris quand il avait chevauché la journée durant. Elle était brune, et portait une longue natte qui pendait dans son dos. Elle avait des yeux noirs, moqueurs, ironiques. Franchement, qu’est-ce que Dan lui trouvait ? Il glissa à Anthony qui travaillait près de lui ;
- Pour une fois, je suis pressé que Ted rentre ! Qu’elle débarrasse le plancher !
Brad avait été vexé. Cette fille, qu’il ne connaissait pas, l’avait jugé et traité de tueur ! Il n’était pas un tueur. Combien d’années faudrait-il pour que sa réputation soit lavée ? Elle avait désapprouvé son travail avec Johnnie. Il savait qu’il avait été fort, mais désormais, l’enfant se méfierait et n’aurait de confiance aveugle en personne. Même pas en lui ! C’était tout ce qui lui importait ; que Johnnie ne se fasse pas avoir par de pseudo-amitié ! Cette Samantha n’avait rien compris. Jamais il n’aurait fait de mal à l’enfant ! Jamais ! Cette fille croyait être plus forte que lui... Elle l’avait traité de tueur ! Il la détestait !

Dan racontait gaiement les aventures qu’il avait vécues avec Richie à travers le pays. Et si Brad, Anthony, Richie et même Dan lui-même savaient que rien de tout cela n’avait existé, Samantha semblait y croire et avait les yeux empreints d’admiration. Brad préféra se détourner de ce spectacle et se mit en œuvre avec Anthony de charger le tas de fumier. Et s’il se forçait à faire abstraction de ce qui se passait devant la maison, il ne put s’empêcher d’entendre cette phrase criée assez fort pour attirer son attention ;
- Si je ne l’avais pas vu, je ne l’aurais jamais cru ! Bradley Thomas le Tueur chargeant du fumier ! Ce n’est pas ce qu’on s’imagine d’une telle légende ! Remarquez, du fumier, un tueur, ça va bien ensemble ! C’est même indissociable !
Anthony s’était arrêté, guettant la réaction de son ami ; Johnnie s’éloignait discrètement. Dan ne savait plus comment changer la conversation ;
- Je vous ai raconté quand on était en Arkansas ?
- Non, vas-y ! tenta de relancer Richie.
Mais c’était peine perdue. Samantha n’écoutait plus. Elle aussi, guettait la réaction de Brad, qui ne se fit pas attendre. La fourche pleine de fumier, il avança vers la jeune femme ;
- Vous savez, il n’y a pas que des tueurs que le fumier est indissociable. Il est aussi indissociable des pestes dans votre genre !
Et il lâcha le contenu de sa fourche sur la jeune femme qui hurla. Anthony et Johnnie éclatèrent de rire, Richie eut du mal à se contenir, mais Dan s’empressa auprès de Samantha ;
- Samantha, vous allez bien ? Brad, t’es malade ou quoi ?
Brad eut un léger rire, ravi d’avoir eu le dernier mot ;
- Le fumier n’a jamais tué personne !
Samantha repoussa l’aide de Dan et se débarrassa elle-même de la paille et de la terre qui restait dans ses cheveux et salissait ses vêtements. Elle s’approcha menaçante de Brad ;
- Vous...
- Qu’est-ce qu’il se passe ici ?
Ils se retournèrent et virent Ted, Elsa et Cris qui les observaient intrigués. Samantha fut la première à réagir, elle désigna Brad du doigt ;
- Ted, cet homme vient de me couvrir de fumier !
Le shérif fut surpris de la voir ;
- Samantha ? C’est rare de te voir dans le coin ! Excuse-moi, je ne t’embrasse pas, mais le cœur y est !
A ces mots-là, Brad, Anthony et Johnnie éclatèrent de rire. Samantha répéta ;
- C’est lui ! C’est de sa faute !
Ted regarda Brad ;
- Aurais-tu oublié tes manières avec une dame ?
- Encore faudrait-il qu’elle se comporte comme telle ! répondit Brad.
- Bon, on éclaircira ça plus tard ! Sam, viens te nettoyer un peu !
Il entraîna la jeune fille à l’intérieur, Elsa les suivit. Elle jeta un étrange regard à Brad, avant de disparaître à son tour. Cris rejoignit ses amis ;
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ici ?
Dan prit la parole ;
- Brad est tombé sur la tête. Il a jeté du fumier sur cette jeune fille ! Ca va pas la tête ! C’est une dame !
- Elle l’avait cherché ! justifia Brad.
- Ouais ! confirma Johnnie. Elle avait pas à dire ça !
- Elle l’avait insulté ! confirma Anthony.
- Mais c’est pas une raison ! Ce ne sont pas des choses qui se font ! Déjà, tu lui avais très mal parlé avant ! Et on ne parle pas comme ça aux gens !
Richie glissa ;
- Avoue qu’elle n’a pas été tendre avec lui !
- J’y crois pas ! cria Dan. Vous êtes tous contre elle ! La pauvre ! C’est une jeune femme innocente qui venait de se faire attaquer, et toi, Brad, tu ne trouves rien de mieux que de la barbouiller de fumier !
Brad rectifia ;
- Innocente ? Elle a la langue aussi acérée que mon couteau !
Cris les coupa ;
- Arrêtez ! Laissez-moi comprendre ! Cette fille a insulté Brad...
- Elle l’a traité de tueur ! précisa Johnnie.
Cris continua ;
- Et toi, Brad, tu n’as rien trouvé de mieux que de lui jeter du fumier à la figure !
Brad acquiesça. Alors Cris éclata de rire.
- Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?
Cris riait à s’en tenir les côtes.
- J’avais que du fumier à disposition ! J’allais pas la tuer quand même !
La crise de Cris redoubla. Il tapa l’épaule de Brad...
- J’aurais bien aimé voir ça !
Il riait toujours. Quand il se calma, il dit ;
- Bradley Thomas, la légende, l’homme au sang froid incomparable, a perdu son calme devant une femme qui l’a traité de tueur ! Et il l’a attaqué avec du fumier ! Franchement, Brad, tu t’es surpassé !! Brad, vaincu par une femme !
- C’est moi qui ai eu le dernier mot ! protesta Brad, ce qui acheva de raviver le fou rire du Mexicain.

Samantha Ridell s’était changée et avait revêtu une robe d’Elsa. A peine eut-elle rejoint Ted et Elsa qu’elle s’écria ;
- Cet homme s’est montré d’une grossièreté incomparable avec moi !
Le shérif sourit ;
- Telle que je te connais, tu n’as pas dû y aller de main morte avec lui !
- Tu le défends ??
Elle se tenait face à lui, les poings sur les hanches, menaçante.
- Brad n’a pas besoin de moi pour le défendre !
- Alors, renvoie-le !
Ted jeta un coup d’œil à Elsa qui invitait la jeune fille à s’asseoir, et répondit ;
- Ce n’est pas si facile que ça de renvoyer Brad !
- Allons, allons, calma Elsa. Il n’y a pas eu grand mal. Certes, il n’aurait pas du agir ainsi, mais vous n’êtes pas blessée, c’est le principal !
Samantha sentit qu’elle n’aurait pas gain de cause. Brad allait s’en sortir et ne paierait pas pour l’humiliation qu’il lui avait fait subir. Elle dit d’une traite ;
- Ce Bradley Thomas voulait tuer ce gamin là-dehors !
Elsa et Ted s’arrêtèrent immédiatement et la regardèrent ;
- Johnnie ? demanda Elsa, pour être sûre.
Ted secoua la tête ;
- Tu as dû te tromper, Sam !
- Me tromper ? Il lui tirait dessus, je crois qu’il n’y a pas trop de confusion à faire ! J’ai voulu défendre l’enfant, et ça n’a pas plu à ce tueur ! Maintenant, tu vas le renvoyer...
Ted se gratta le menton ;
- Ben... Johnnie est sous la responsabilité de Brad. J’ai promis de ne pas m’en mêler, alors...
- Brad ne fera jamais de mal à Johnnie !assura Elsa, avec fermeté.
- Alors, il va s’en sortir comme ça ?
- Non. Je vais aller lui parler !
Ted prit son chapeau et quitta la maison pour aller affronter Bradley Thomas.

Il le trouva entouré de ses collègues. Ted entendit Cris rire. Anthony, Johnnie et Richie ne semblaient pas en reste. Seul, Dan tentait de faire entendre ses arguments. Ils se turent en le voyant approcher ;
- Brad, je peux te voir ?
Brad, sûr de lui, la conscience tranquille, persuadé qu’il n’avait fait que défendre son honneur, rejoignit le shérif. Que risquait-il ? Un énième renvoi ? Il serait justifié cette fois, à la différence que cette fille avait été encore plus grossière que lui ne l’avait été !
- Bonne chance ! cria Anthony.
Ted, posa paternellement une main sur l’ épaule de Brad et l’entraîna là où des oreilles indiscrètes ne les entendraient pas.
- Qu’est-ce qu’il t’a pris, mon garçon ?
- Elle m’a insulté !
- Et alors ? Ce n’est pas une raison. Il fallait la traiter en invitée ! Et si tu t’en sentais incapable, il fallait te tenir loin d’elle !
- Allons, elle va pas en faire une maladie ! Elle n’était pas plus sale que si elle avait changé la paille des chevaux !
- Ce n’est pas la question. Je sais que Samantha n’a pas la manière de dire les choses, mais toi, tu es un homme, et un homme ne traite pas ainsi une femme !
- Elle m’a appelé "Tueur" !
- Et alors ? Ce n’est certainement pas la première à l’avoir fait, et ce ne sera pas la dernière ! Tu n’es plus un gamin ! Je te croyais plus intelligent que ça ! Contrôle-toi que diable !
Brad ne répondait pas. Ted continua ;
- Elle va rester avec nous pour le repas ! Et tu vas aller lui présenter des excuses !
Brad réagit violemment ;
- Vous plaisantez !! M’excuser !? Vous êtes pas mon père, alors arrêtez de me traiter en gamin !
- J’arrêterai de te traiter en gamin, quand tu te conduiras comme un homme ! C’est clair ?
Brad le quitta sans un mot, ruminant sa colère.

Le shérif trônait à la table. Il promena son regard autour de lui. Elsa venait de s’asseoir et avait échangé un sourire avec Richie. Dan parlait avec volubilité à Samantha assise près de lui, et cette dernière semblait sous le charme. Brad était arrivé le dernier pour ce repas, et Ted le soupçonnait d’avoir longuement hésité avant de venir. Il préférait se priver de manger que de faire des excuses ! Mais il était venu, avait maugréé quelques mots à l’attention de Samantha, qui semblait s’en être accommodée, car ils avaient tous deux tourné la tête pour ne plus se regarder. Ted n’en demandait pas plus ! Il connaissait le caractère bien trempé de Samantha, et celui à vif de Bradley Thomas. Cela devait faire des étincelles... Le principal était de maintenir l’incendie à distance. Samantha Ridell s’occupait seule de son domaine, depuis la mort de son père. Elle possédait un considérable troupeau qui attirait les convoitises. Déjà, avant la disparition de John Ridell, les grands propriétaires s’intéressaient à ce grand domaine, à ces bêtes de qualité, mais l’homme n’avait jamais voulu céder... Ted avait souvent dû intervenir suite à des vols, ou des manœuvres d’intimidation qui n’avaient jamais découragé John. Ted avait vu grandir Samantha ; il était présent ce jour où John était mort. Son décès n’avait jamais été élucidé. Ted s’était senti la responsabilité de veiller sur la jeune fille, mais Samantha s’était sentie assez forte pour reprendre le domaine et lutter contre ses ennemis. Elle s’était endurcie et menait une vie plus dure que les filles de son âge. Ceci expliquait cet incroyable caractère, cette agressivité et cette volonté d’arriver à ses fins.
Anthony discutait avec Cris. Le mexicain l’impressionnait chaque jour un peu plus. Droit, honnête, obéissant, serviable, Cris était l’adjoint idéal, celui sur qui tous pouvaient compter. Et un excellent cavalier ! Ted sourit en regardant Anthony. Il n’était déjà plus ce garçon timide et sauvage des premiers jours. Il prenait même son indépendance par rapport à Ted, pour se rapprocher de Cris, Brad et les autres. Il avait trouvé sa place. Ted se félicitait de lui avoir donné une chance. Johnnie ne quittait pas des yeux le plat posé devant lui. Il avait dû rarement manger à sa faim. Elsa souriait. Un instant, il se demanda ce que devenait Alan, l’Irlandais, mais il était satisfait de son départ. La vieille grange trouvait son équilibre.
- Bon, les gars, je vais avoir besoin de deux d’entre vous !
Ils levèrent tous la tête vers le shérif, qui continua ;
- Samantha a perdu des bêtes. On lui en a volé, et d’autres ont été dispersées ! Il faut retrouver les voleurs, et les bêtes bien sûr !
- Moi, je veux bien! proposa Dan.
- Non, ce sera Cris et Brad ! décida Ted.
- Vous plaisantez ! s’exclama Brad. Il est hors de question que je fasse ça pour elle !
Le silence s’était abattu sur la table, comme à chaque fois que Brad et Ted s’affrontaient. Samantha avait plissé les yeux et semblait vouloir jeter des éclairs vers Brad. Ted demanda calmement ;
- Depuis quand contestes-tu mes ordres ?
- Depuis que vos ordres sont stupides !
Ted croisa les bras sur la table ;
- Brad, je serai tenté de te dire soit tu obéis, soit tu t’en vas, mais tel que je te connais, tu prendrais la porte sans te retourner et clamerais ensuite l’injustice de ta vie. Alors, je ne te donnerai pas ce plaisir ! Ce sera Cris et toi. Il n’y a rien à ajouter !
Sur le coup, Brad ne répondit rien. Il avait les yeux rivés sur son assiette. Tous attendaient sa réaction. Il leva enfin la tête, dévisagea Samantha et posa sa serviette sur la table. Il se leva ;
- Excusez-moi, j’ai l’appétit coupé !
Et il sortit. Alors, éclata le rire bruyant de Cris, qui ne pouvait plus se retenir.

A la nuit tombée, Elsa profita du calme revenu pour s’installer dans son fauteuil et respirer l’air de la nuit. Ted était parti raccompagner Samantha, Dan jouait de l’harmonica dans la grange, seul. Il était un peu vexé que Ted ne l’ait pas choisi pour porter assistance à Samantha Ridell. Cris et Anthony riaient, sous l’auvent de la vieille grange, au souvenir de cette étrange journée ; Brad et Johnnie s’étaient isolés dans l’écurie pour une leçon sur l’art de nettoyer une arme. Elsa n’était pas d’accord , mais Brad savait ce qu’il faisait et ils avaient fait la promesse de ne pas interférer. Mais elle ne pouvait s’empêcher de se dire que si Brad ne mettait qu’un dixième du temps qu’il consacrait au nettoyage de son colt, à ranger la grange, l’humanité en serait changée !
Richie vint s’asseoir près d’elle.
- Belle soirée !
Elle lui sourit. Il lui apportait une couverture ; elle l’ajusta sur ses épaules. Il avait toujours l’attention qu’il fallait.
- Tu es un gentleman, Richie !
Il sourit ;
- A côté de Brad, c’est sûr !
Elle rit ;
- Tu peux me croire, on va souvent entendre parler d’eux et de leurs disputes ! Aurais-tu agi pareil ?
Richie rit ;
- Non ! Mais elle l’a un peu poussé à bout ! Je n’aurais jamais fait ça, mais je crois que je l’aurais regretté !!
Elsa rit ;
- Richie, voyons !
Le jeune homme s’étira tel un chat, et laissa parler son cœur ;
- Je suis bien ici.
- Tant mieux.
Il la regarda ;
- Je suis bien, mais... Dan veut partir...
- Oh ! La déception se lisait sur le visage de la Suèdoise. Quand ça ?
- Je ne sais pas... Pas encore... Je crois qu’il voudrait séduire Samantha Ridell avant. Mais une fois qu’il aura réussi, ou qu’elle l’aura repoussé, il voudra partir...
- Et toi ?
Elsa s’était redressée, soudain concernée. Mais Richie ne la regardait pas ; il avait les yeux perdus dans l’immensité de la nuit.
- Moi ? Moi, je ne veux pas partir... Il y a trop de choses auxquelles je me suis attaché ici !
- Alors, dis-lui. Et laisse-le partir s’il le souhaite ! Je sais que Dan n’est pas de ces personnes qu’on peut retenir !
Richie tourna la tête vers elle ;
- Je ne peux pas le laisser seul. On a toujours tout fait ensemble ! Tout !
- Alors, il est peut-être temps que vos routes se séparent ! Ne sacrifie pas ce que tu as ici pour lui !
Richie soupira ;
- Du travail, on en trouve toujours...
Elsa se cala bien dans son fauteuil, et ferma les yeux. Elle dit, amère ;
- Si ce n’est que du travail que tu cherches...
Elle était déçue que Richie ne se soit attaché qu’à son travail, qu’il n’y avait que ça qu’il pourrait regretter, parce que, elle, elle savait qu’il lui manquerait. Quand elle rouvrit les yeux, il était parti...

Chapitre 9

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