San Theodor


Chapitre 7

Le culte du héros

Anthony, les mains douloureuses, rentrait à la vieille grange. Il avait passé les douze dernières heures avec Ted, à chevaucher à travers la région. Le shérif aimait bien l’emmener, et le confronter aux problèmes qu’un homme de loi pouvait rencontrer. Anthony avait déjà saisi les limites des propriétés, le problème de l’eau, les droits de passage, les haines de voisinage et les secrets de famille... Des problèmes à régler principalement avec la parole, et non des armes. Pour cela Ted pouvait compter sur Brad ou Richie, mais le calme, la réflexion, ça c’était pour lui ! Pour une fois, Anthony se sentait capable de quelque chose. Même si les habitants de San Theodor ne voyaient encore en lui qu’un gamin, il se disait qu’il pouvait réussir. Elsa avait bien tenté de le décourager ; elle voulait le protéger et il lui en était reconnaissant, mais il avait aussi besoin de quelqu’un comme Ted, qui lui donne sa chance… Il trouvait peu à peu son équilibre ; il ne lui manquait plus que cette force, cette prestance qui demandait le respect… Ses pas l’avaient mené au hasard à San Theodor, mais il ignorait encore de quoi serait fait le lendemain ; il n’avait pas encore de but. Il frotta ses mains l’une contre l’autre ;
- C’est le métier qui rentre ! lui avait dit Ted.
Il n’avait pas l’habitude de chevaucher autant ; ses pieds dans ses chaussures usées avaient été ses seuls guides. Sa vie changeait peut-être… Elle ne pouvait que s’améliorer…

Il entendit du bruit dans l’écurie. Il entra et découvrit, installé dans la paille, au milieu de la stalle de son cheval, Brad.
- Brad !
Bradley Thomas leva les yeux, et sembla soulagé de voir qu’il s’agissait d’Anthony. Cependant, il lui cria ;
- Fiche le camp !
Anthony allait obéir. Il n’était pas bon discuter avec Brad. Pourtant, il n’en fit rien. Il fronça les sourcils ; il venait d’apercevoir une tâche de sang sur la chemise de son ami.
- Tu es blessé ? demanda-t-il, inquiet.
- C’est rien. Va-t-en !
Mais au contraire, Anthony entra et vint jusqu’à lui ;
- Comment tu t’es fait ça ? en découvrant la plaie qu’il avait sur le côté droit.
- A Laramie. Je ramenais ce voleur de chevaux que Cris a arrêté hier…
- Et il a voulu s’enfuir ?
Brad fit une grimace de douleur en enlevant sa chemise qui avait collé à la plaie ;
- Non. C’est en rentrant. J’ai fait une ancienne rencontre !
- Tu devrais aller voir Elsa, elle te soignerait !
Brad refusa ;
- Et Ted l’apprendrait, et me renverrait ! Il attend que ça ! Et moi, j’ai besoin de travailler ! C’est rien. La balle m’a juste frôlé…
- Attends…
Anthony quitta l’écurie et revint quelques minutes plus tard, avec des linges propres et de l’eau. Il se pencha vers Brad…
- Laisse-moi faire ! Il faut nettoyer la plaie !
Avec délicatesse, Anthony nettoya la plaie, et la couvrit de linges propres.
- Tu es une vraie petite mère ! ne put s’empêcher de lui dire Brad. Anthony sourit ;
- Je croyais que c’était toi le meilleur tireur !
- Je le suis. Qu’est-ce que tu crois ? Ma balle ne l’a pas juste frôlé !
Anthony devint admiratif ;
- Toi, alors !
Brad le considéra grave. Il était temps qu’ils aient une conversation. Il n’oubliait pas qu’Elsa lui avait demandé de le protéger. Il avait refusé, mais en regardant le visage d’ange d’Anthony, il se refusait à ce qu’il connaisse la même vie que lui, et qu’un jour, il se prenne lui aussi une balle dans les côtes.
- Sérieusement, Anthony, qu’est-ce que tu attends de ton travail ici ? C’est quoi ton but ?
Anthony aurait pu lui retourner la question, mais il savait à quel point Bradley Thomas ne parlait pas de sa vie ; alors il lui avoua ;
- Mon but, c’est de devenir quelqu’un !
- Tu es déjà quelqu’un ! Tu es Anthony !
Anthony baissa les yeux, et précisa ;
- Devenir quelqu’un d’autre ! Quelqu’un comme toi !
Brad soupira. Ainsi, Elsa avait vu juste.
- Et si moi, je te disais que je voudrais devenir comme toi !
- Tu plaisantes ? s’écria Anthony.
Brad eut un léger sourire ;
- Non. J’aimerais avoir ton innocence, cette confiance que tu inspires. Il n’y a que quelques années qui nous séparent, et j’ai l’impression en te regardant que ta vie débute, que tu en es encore à l’heure des choix, et je voudrais que tu prennes le bon chemin. Moi, j’ai dû prendre un raccourci, et ma vie peut s’arrêter à chaque instant.
- Dis pas ça, Brad ! Toi, tu es fort. On te respecte ! Toi, tu ne souffres pas de ne pas savoir qui tu es, ni de savoir où tu vas. Tu ne te demandes pas pourquoi tu vis ! La vie est simple pour toi ! Tu t’en sortiras toujours ! Tu es un héros !
La colère s’empara de Brad ;
- Tu dis n’importe quoi ! Moi, je suis un héros ? Tu parles ! Tu vois ce qu’il veut en faire du héros, Ted. Il veut me virer ! Et le maire aussi ! Et combien d’habitants de San Theodor préfèreraient me savoir loin… ou mort… S’il n’y avait pas eu Elsa, je ne saurais pas où aller ! Elle, elle me considère comme une personne, pas comme un héros, ni un hors-la-loi ! Alors que toi, tu es accepté ! Tu n’as rien à te reprocher, tu peux dormir tranquille sans avoir peur que quelqu’un vienne t’assassiner ! Et je suis comme toi ! Je souffre aussi ! Tu crois que je ne préfèrerais pas avoir une maison, un père, une mère, des souvenirs d’école, des amis d’enfance ! Je n’ai rien de tout ça ! Bradley Thomas, c’est comme ça que je m’appelle, mais je suis incapable de te dire lequel est mon nom ou mon prénom ! J’ignore qui je suis ! Moi aussi, j’aimerais être quelqu’un d’autre ! J’aimerais avoir la bonne humeur de Dan, le calme de Cris, ta jeunesse,… mais je suis moi. Je n’y peux rien, alors je fais avec, et j’essaie de tirer parti des meilleures choses qui m’arrivent. Tu devrais faire pareil. Reste toi-même ! N’essaie pas de me ressembler, surtout pas ! Ce serait gâcher ta vie, et tu as encore tellement d’années devant toi !
Anthony l’avait écouté dans un silence religieux, il lui répondit avec douceur ;
- Ta vie n’est pas gâchée. Toi aussi, tu as de belles années devant toi !
- Et j’essaie d’améliorer ce qui peut l’être. C’est peut-être trop tard pour moi, mais pas pour toi ! Anthony, ne cherche pas le risque, ne cherche pas à impressionner ni à accomplir d’acte héroïques ! Reste en dehors de tout ça !
Le regard du jeune garçon s’assombrit ;
- Tu essaies de me dire que je n’ai pas ma place à la vieille grange !
Brad soupira ;
- Peut-être.
- Laisse-moi te prouver que j’en suis capable !
- Tu n’as rien à me prouver Anthony ! Ta vie t’appartient, tu en fais ce que tu en veux. Je ne peux que te donner mon avis. Et mon avis, c’est qu’il faut que tu restes très prudent !
Anthony avait levé ses yeux vers son aîné ;
- Comprends que c’est la chance de ma vie ! J’en ai assez d’aller mendier de porte en porte pour manger…
Brad hocha la tête ;
- Moi, j’en ai assez d’être affamé, et de ne pouvoir aller frapper à une porte, parce que je sais qu’on me renverra à coups de carabine… Réfléchis bien à ce qu’il vaut mieux pour toi !
Richie passa la tête par la grande porte, et s’exclama ;
- Je me disais bien que j’avais entendu des voix ! Jolie blessure, Brad ! Et Richie continua son chemin vers la vieille grange. Anthony se releva, et murmura ;
- Merci quand même !

Assis sur une marche du perron de la maison d’Elsa, Dan jouait de l’harmonica. Richie s’arrêta quelques secondes à sa hauteur ;
- Alors, quoi de neuf ?
Dan repoussa d’un coup de tête ses cheveux, et répondit ;
- Rien de spécial ! Un duel en ville ! J’aurais dû les laisser s’entretuer, ça aurait fait au moins une brute en moins à San Theodor ! Et toi, c’était quoi le problème chez Millton ?
Richie relata en quelques mots son intervention de la matinée ;
- Il déteste son voisin, et son voisin le déteste ! Alors, à longueur de journée, ils se font des farces stupides ! Très stupides car ils en sont quand même venus à utiliser de la dynamite !
- Pourquoi ils se détestent ?
- Une femme ! L’un l’a épousée, pas l’autre !
Dan prit une grande inspiration ;
- Ah ! Les femmes !
Sans plus s’attarder, Richie frappa à la porte, et attendit l’invitation d’Elsa pour entrer. Richie cria alors ;
- Elsa, Brad est blessé !
- Quoi ? s’exclama-t-elle, soudain effrayée. Et la voix grave de Ted lui fit écho ;
- Brad est blessé ?
- Oui, approuva Richie. Je viens de le voir dans l’écurie. Il a dû se prendre une balle !
Elsa s’apprêtait déjà à aller voir le garçon, mais Ted la retint ;
- Non. Laisse-le !
- Ted, il est blessé !
- S’il n’a pas jugé bon de nous le dire, c’est que cela ne doit pas être si grave ! Laisse-le !
Elsa allait protester, mais Ted continua ;
- … Pour l’instant…
La jeune femme comprit. Une fois encore, le shérif allait tenter de sermonner le jeune garçon, mais il n’allait pas l’abandonner à son sort. Elle s’occuperait de Brad plus tard. Le déjeuner était prêt. Elle savait qu’Anthony était rentré, elle entendait Dan jouer de l’harmonica devant sa porte, mais elle interrogea Richie ;
- Cris est rentré ?
- Aucune idée !
Elle sortit sur le pas de la porte et réitéra sa question auprès de Dan. Il désigna le grand cèdre ;
- L’écureuil est dans son arbre !
La jeune femme s’y dirigea et arrivée au pied, appela ;
- Cris, Cris !
Il se pencha et sourit en la voyant. Il s’apprêtait à dégringoler de sa branche, quand il vit la jeune femme se lancer à l’assaut de l’arbre. Lorsqu’elle arriva à lui, et qu’elle s’installa tout près ; il s’écria ;
- Elsa, vous grimpez aux arbres !!?!
Elle sourit, ravie d’avoir provoqué sa surprise ;
- Il y a beaucoup de forêts en Suède !
- Vous ne cessez de me surprendre, Elsa !
Elle sourit, et le regarda presque avec tendresse ;
- Et toi, si tu me disais tout ?
- Vous dire quoi ? dit-il sans comprendre.
- Pourquoi, tu t’isoles ? Pourquoi tu rentres au milieu de la nuit ? Il y a une femme, n’est-ce pas ?
- Comment vous le savez ?
Elle rit ;
- L’intuition. Tu veux m’en parler ?
Cris sembla hésiter, puis mis en confiance, il se laissa aller ;
- C’est Amalia. Elle vit à la mission. Je veux… je veux l’épouser, alors je travaille. Et lorsque j’aurai mis assez d’argent de côté, je lui demanderai de m’épouser… Je construirai une maison…
Son regard s’arrêta sur Elsa ;
- Vous trouvez ça stupide ?
- Non, Cris, au contraire ! C’est bien ! Tu as un but dans la vie ! Et je peux te dire qu’elle a beaucoup de chance ! Tu es quelqu’un de bien ! C’est sûr, je serai triste que tu nous quittes, mais je suis heureuse pour toi !
- Merci, Elsa. Dites…Vous ne direz rien aux autres ! Vous savez comment ils sont ! Dan…
Elle le coupa ;
- Mes lèvres resteront scellées ! Mais en attendant, tu devrais peut-être redescendre sur terre !
- J’arrive !
Et Elsa débutait sa descente quand Cris la rappela ;
- Elsa, c’est bien d’avoir quelqu’un à qui parler ! Merci !
- Je serai toujours là pour toi !
Il la regarda regagner la terre ferme, et soupira de bien-être. Il n’était pas encore parti. Il en faudrait du temps avant de pouvoir être digne d’Amalia, mais il savait déjà qu’il regretterait la douceur d’Elsa, et la vie de San Theodor, parfois dure, mais si douce à la vieille grange !

Tous étaient attablés pour le déjeuner. Ted n’avait regardé que d’un œil Brad, qui s’était installé en se tenant la côte. Il était blessé, c’était sûr, mais pourquoi diable n’avait-il rien dit ? Ce garçon était incompréhensible ! Dan soufflait sans répit dans son instrument. Ted le fit cesser d’un regard. Cris arriva en dernier, et s’installa discrètement. Le shérif jugea le temps venu de mettre Brad à l’épreuve. D’un ton détaché, il lança ;
- On va manquer de bois ! Brad, tu veux bien aller en couper un peu ? Bradley ouvrit de grands yeux ;
- Mais c’est à Richie de le faire aujourd’hui !
- Peut-être, mais c’est à toi que je le demande !
Anthony perçut que la situation était critique. Son ami ne pourrait pas cacher sa blessure plus longtemps. Il prit sur lui en se levant ;
- Laisse, j’y vais !
- Anthony, assieds-toi ! hurla Ted. J’ai demandé à Brad, et c’est Brad qui ira ! Personne d’autre !
Brad vit qu’il ne pourrait y échapper, il se leva péniblement et sortit, sous le regard surpris de Ted qui ne pensait pas qu’il s’exécuterait. Il jeta un regard à ses employés et leur dit, avant de se lever ;
- Ce garçon est fou !
Le shérif sortit à sa suite, et alla assister au spectacle d’un garçon blessé qui, se tenant les côtes, tentait de couper du bois. Il secoua la tête ;
- Tu comptais me cacher comment ta blessure ?
Brad se sentit pris en faute ;
- Anthony a trop parlé…
- Je n’ai pas besoin d’Anthony ou qui que ce soit pour voir que tu es blessé. Pourquoi n’as tu rien dit ?
Bradley le regarda avec fierté ;
- Vous me renvoyez, c’est ça ?
Ted avança jusqu’au garçon et le fit s’asseoir sur le perron ;
- Réfléchis, si tu ne dis rien alors que tes capacités sont réduites, tu mets en danger tout le monde ! Tu devais me le dire ! Si tu veux que j’ai confiance en toi, alors aie confiance en moi !
- Ce n’est pas une blessure grave ! La balle est ressortie !
- Tant mieux, mais tu vas laisser Elsa te soigner. Ne joue pas au héros !
Brad posa un regard sincère sur son employeur ;
- Je ne joue pas au héros ! Je veux juste garder ce travail, et vu que vous cherchez n’importe quelle excuse pour me renvoyer…
- Je t’arrête, Brad ! Si j’avais voulu te virer, crois-moi que toute la persuasion d’Elsa n’y aurait pas suffit ! Au contraire ! Je veux juste que tu apprennes à te contrôler, à changer. Je veux que tu arrêtes de croire que tu es ce Bradley Thomas invincible, fort, dur ; j’aimerais que tu ne te crois pas une légende !
Brad baissa les yeux, se leva et avant de rentrer dans la maison, il lança amer ;
- Et moi, j’aimerais que vous arrêtiez de me prendre pour ce que je ne suis pas !
Et la porte claqua.
- Et vlan ! Tu l’as pas volée celle-là ! se dit Ted.
Il était vrai qu’il n’avait pas vraiment cherché à savoir qui était Bradley Thomas. Après tout, ce garçon était peut-être comme tous les autres ; il cherchait à survivre. La seule différence était qu’il avait un passé. Ted soupira. Tout cela n’allait pas être facile !

Un nuage de poussière s’envola lorsqu’Anthony donna un coup de balai dans l’office du shérif ;
- J’ai du mal à croire que Ted ait pu vivre ici ! s’étonna-t-il.
- Et moi, j’ai du mal à croire qu’il m’ait demandé de faire le ménage ! ajouta Brad, un peu morose.
Elsa, s’étant inquiétée de la plaie qui s’ouvrait sur sa côte, l’avait envoyé chez le médecin. Brad avait résisté, rechigné, protesté, mais il ne pouvait que céder devant la jeune femme. Et méfiant, il s’était rendu chez le médecin de San Theodor. Ce dernier avait préconisé du repos et plus de chevauchées. Ted avait trouvé la bonne idée d’envoyer le garçon faire le ménage dans l’office. Au moins, il ne perdrait pas son temps ! Il lui avait confié la garde d’Anthony, dans l’attente que Cris vienne le remplacer. Le shérif avait prévenu Brad qu’il ne voulait en aucun cas que ce dernier se retrouve dehors à faire régner l’ordre avant la venue de Cris. Brad lui avait fait remarquer que ce n’était pas une égratignure qui allait l’empêcher d’être efficace, mais Ted lui avait confié que s’il apprenait par le plus grand des hasards qu’il avait mis un pied hors de l’office ou sorti la pointe de son colt, ce ne serait pas une égratignure qu’il aurait. Brad s’y était résolu bon gré, mal gré !
Il souleva une couverture usée et rapiécée qui empestait ;
- Qu’est-ce que c’est que ça ?
- Ca doit être la couverture dont se sert le shérif, l’hiver ! risqua Anthony.
Brad lui fit un clin d’œil ;
- Je ne suis pas vraiment regardant au confort, mais je ne suis pas fâché qu’Elsa s’occupe de la vieille grange !
Et il ponctua sa phrase en donnant un coup de pied dans une souris qu’il venait de déloger de sa cachette. Anthony avait ouvert la porte, et faisait sortir la poussière. Le bruit d’une fusillade retentit. Immédiatement, Brad sortit son arme et allait sortir quand Anthony le retint ;
- Ted ne veut pas que tu interviennes !
- Ted ne veut pas, Ted ne veut pas !! On est là pour faire régner l’ordre, non ?
- Justement, je suis là ! J’y vais !
Brad fronça les sourcils ;
- Si tu veux y aller, tu devrais attendre Cris !
Anthony le considéra, fier ;
- Cris n’est pas là, tu es blessé, c’est à moi d’y aller. Arrête de croire que je suis un incapable !
Anthony sortit et prit la direction du saloon d’où les coups de feu venaient. Brad s’était précipité à la fenêtre, et derrière le rideau crasseux suivait la progression de son protégé. Il se murmura à lui-même ; - T’as pas intérêt à te faire descendre, Petit, sinon je te tue !

Cris avait pris son temps pour rejoindre l’office. Après tout, avec Brad aux commandes, la ville ne risquait rien, et le Mexicain doutait de la faculté de Brad à obéir aux ordres de Ted. Il retrouverait sûrement Bradley Thomas dans la rue à tenir en joue un soûlard, et Anthony à l’office, affairé au ménage. Rien ne pressait. Cris s’arrêta chez le maréchal ferrant et y laissa son cheval. Il fallait lui changer un fer. Et les mains dans les poches, il marchait tranquillement à travers les rues de San Theodor. Quand les hurlements de l’épicier retentirent ;
- Au voleur, au voleur !
Un gamin se cogna violemment dans les jambes de Cris, il le retint et reconnut le petit Johnnie Parkinson. L’épicier arriva à son tour essoufflé ;
- A vous tombez bien, vous ! Pour une fois, les adjoints du shérif vont pouvoir se rendre utile ! Ce gamin m’a volé !
Cris regarda Johnnie ;
- C’est vrai ?
Johnnie se rebella avec violence ;
- Oui... Mais c’était qu’une vieille pomme toute ridée ! Elle était tombée par terre !
Cris sourit, et dit à l’épicier, ironique ;
- Ouf ! J’avais cru à vous entendre hurler ainsi qu’il vous avait volé une vache, un lustre en cristal, une montre d’argent,…
- Faites pas le malin ! Que ce soit une montre ou une pomme, c’est quand même un voleur !
Cris se dressa devant l’homme ;
- Qu’on soit bien d’accord, c’est un gamin qui vous a pris une pomme pourrie ! Il n’y a pas mort d’homme ! Lorsqu’un fait important se déroulera, vous pourrez faire appel à mes services, d’ici là, je vous conseille de laisser courir !
L’épicier le considéra, vexé et agressif ;
- Tous pareils, ces Mexicains !
Cris répliqua ;
- Mexicain et fier de l’être !
Le marchand s’éloigna en montrant du poing à Johnnie ;
- Toi, je t’ai à l’œil !
L’enfant allait filer en douce, mais Cris le retint de ses bras puissants ;
- Où tu vas comme ça ? J’en ai pas fini avec toi !
Il le traîna vers l’office du shérif ;
- Tu m’emmènes où ? Tu n’as pas le droit ?
- Je t’emmène là où tu ne feras pas de bêtises… pour le reste de la journée du moins !
Cris arriva dans la rue principale et vit l’agitation qui régnait devant un des saloons. Un petit attroupement s’était formé ; Brad devait déjà être sur place. Il se renseignerait auprès d’Anthony. Cris poussa Johnnie devant lui, et découvrit avec surprise, posté à la fenêtre, Brad.
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Des ivrognes ! l’informa Brad, brièvement, les yeux rivés à travers la vitre.
- Et tu n’y es pas allé ?
- Non. Anthony m’en a empêché ! lâcha Brad, se rendant compte à cet instant, qu’Anthony, ce gamin innocent l’avait dissuadé d’intervenir. Cela étonna également Cris ;
- Anthony t’en a empêché? J’aurais bien aimé voir ça ! Et il est où ?
- Là-bas ! indiqua Brad en montrant la direction du saloon.
Cris n’en revenait pas ;
- Seul ? J’y vais…
- Cris ? appela Brad.
Le Mexicain arrêta son élan, Brad lui conseilla ;
- N’interviens que si nécessaire ! Il a quand même une fierté ce gamin, il peut s’en sortir !
Cris approuva, et se souvenant de la présence de Johnnie, ajouta ;
- Tu me gardes un œil sur Johnnie ?
Brad venait de se rendre compte de la présence de l’enfant.
- Qu’est-ce qu’il a fait ?
- Volé, informa Cris avant de courir vers le saloon.
Brad jeta un regard rapide à l’enfant qui s’était jeté sur l’autre fenêtre pour ne pas louper une miette du spectacle ;
- Voler ? répéta-t-il.
- Ouais, confirma l’enfant sans le regarder. Une pomme ! J’avais faim !
Brad se rendit alors compte que l’enfant errait dans la ville, qu’il n’avait sûrement nulle part où dormir, ni pris un vrai repas depuis des jours. Il faudrait remédier à ça !
- Comment il a fait Anthony pour t’empêcher d’y aller à sa place ? demanda l’enfant.
- A dire vrai, je sais pas ! Il m’a convaincu…
De leur poste, ils voyaient Anthony qui faisait face à deux hommes. Il leur parlait. Cris était tout proche. Les hommes ne semblaient pas trop agressifs, plutôt calmes,…
- Pourquoi tu laisses Anthony faire, et moi, tu veux pas m’apprendre ??
Voilà que Johnnie remettait ça. Brad, énervé par la perspective du danger que courait Anthony, son impuissance à agir et l’insistance de l’enfant, lança ;
- On parlera de ça un autre jour !
Il était captivé par ce qui se passait dehors. Quelque chose n’allait pas. Il semblait que l’attroupement se dispersait, et les deux hommes se dirigèrent l’un vers l’autre, et se serrèrent la main, avant de s’éloigner. Anthony tourna les talons, et repoussa d’un doigt son chapeau qui montra à tous son visage d’ange. Brad n’en croyait pas ses yeux ! Anthony avait réussi à réconcilier ces deux hommes au point de leur faire se serrer la main !!! Il avait rêvé ! Il voulut s’en assurer ;
- Dis, Johnnie, tu as vu comme moi ?
La bouche grande ouverte de surprise, Johnnie répondit ;
- J’aurais jamais cru Anthony capable de ça !
- Moi non plus, lui confia Brad.
Anthony rentra dans l’office, heureux, souriant, avec Cris qui avait glissé une main sur l’épaule du garçon ;
- T’as vu ça, Brad ? T’as vu ce qu’à réussi ce gamin ? Pas un coup de feu, pas un mot plus haut que l’autre ! Oh ! C’était pas gagné ! Mais il a réussi !
Anthony guettait l’approbation, la fierté dans le regard de Brad. Il la trouva ;
- J’ai vu… T’es un sacré gamin !
Le sourire illumina le visage d’Anthony ;
- Je t’avais dit que je n’étais pas un incapable !
Pour détourner l’attention, Brad désigna du menton Johnnie ;
- Maintenant, qu’est-ce qu’on fait de lui ?
Cris suggéra ;
- Je me disais qu’une nuit en cellule lui remettrait les idées en place ! Johnnie affolé se tourna vers Brad ;
- Tu vas pas le laisser faire ?
Brad prit un air désolé ;
- C’est Cris qui t’a attrapé. Je n’ai pas à interférer dans ses décisions ! Une nuit en cellule, tu vas pas en mourir ! Tu es un homme !
Cris traînait déjà l’enfant qui se débattait. Il l’avait enfermé quand Brad lança ;
- Attends ! Si tu l’enfermes, ça veut dire que l’un d’entre nous va devoir rester cette nuit ! J’ai pas trop envie, moi !
- Moi non plus, dit Anthony en faisant une grimace.
Cris sembla réfléchir, puis ouvrit la cellule ;
- Vous avez raison. Vous avez une idée de ce qu’on peut faire de lui ?
Brad sourit ;
- Moi, j’en ai une ! Peut-être pire qu’une nuit en prison ! Il dévisagea Johnnie, paniqué…

Brad prit sur lui, et entra d’un pas volontaire dans la maison d’Elsa. Il savait qu’il y trouverait Ted et la jeune femme. Inévitablement, ils tournèrent la tête à son entrée ;
- Brad ? Qu’est-ce que je peux pour toi ?
- J’ai une requête.
Ted fronça les sourcils, et posa sa tasse sur la table ;
- Quoi encore ?
Brad se tourna vers la jeune femme ;
- Elsa, vous êtes bonne, vous êtes charitable, vous n’êtes pas de ces gens qui laissent des innocents souffrir ?
Ted coupa ;
- Viens-en au fait !
- Vous ne refuseriez pas un repas à une personne affamée ?
- Si cette personne, c’est toi, ça donne à réflexion…
- Allons, Ted, laissez-le finir, dit Elsa amusée par la soudaine éloquence de Brad, pourtant si souvent avare de paroles.
- Ce n’est pas moi, je vous rassure. C’est Johnnie Parkinson.
- Il est encore dans le coin, lui ?
- Oui. Et il est obligé de voler pour se nourrir. Cris l’a attrapé cet après-midi !
Dans un élan, Elsa s’écria ;
- Bien sûr, qu’il peut avoir un repas ! Il peut même venir manger tous les jours ici. Il y aura toujours quelque chose pour lui !
Brad sourit ;
- Je ne doutais pas de votre générosité. Seulement,… Johnnie n’a nulle part où dormir aussi ! Alors, depuis que Len et Alan ne sont plus là, il y a un lit de libre…
- C’est d’accord ! accéda Ted sans le laisser finir. A une condition !
- Laquelle ?
- Je ne réponds pas de lui. Il sera sous ta responsabilité !
- Sans problème…
Brad allait partir, heureux d’avoir au moins sauvé de la faim l’enfant, mais il se retourna ;
- Merci pour lui !
Ted reprit sa tasse, et laissa libre cours à sa surprise ;
- Bradley Thomas qui prend à cœur le sort d’un autre ! J’aurai tout vu !
- Dire qu’un jour, il m’a déclaré qu’il n’avait pas l’âme d’un Saint-Bernard ! Ted, c’est bien que vous ayez accepté…
Le shérif poussa un soupir ;
- Tu sais pourquoi j’ai accepté ? Bien sûr, pour ne pas laisser ce gamin mourir de faim, mais surtout parce que pour Brad, prendre soin de quelqu’un est la meilleure chose qui puisse lui arriver !
Une fois dehors, Brad se rendit compte que, lui si solitaire, si peu sociable, il venait de prendre en charge la vie d’un gamin, qu’il se souciait de ce qu’il pouvait arriver à lui comme à Anthony… Qu’est-ce qu’il lui prenait ?

Johnnie vint rejoindre Brad sur le seuil de la vieille grange. De l’intérieur leur parvenait la musique de Dan. Pour Johnnie, une partie de son rêve se concrétisait. Il était à la vieille grange, près de Brad qu’il admirait.
- Brad, merci !
- Ne me remercie pas ! Tu ne sais pas ce qui t’attend !
- Non ! Merci pour ne pas me laisser dormir dehors ! Merci de ne pas me laisser mourir à petits feux ! Merci de me donner une chance…
Brad ne répondit pas. Que dire ? Il ne le regarda même pas. Il se coucha sur le sol et plongea ses yeux dans les étoiles. Johnnie continua ;
- Je sais que je suis trop jeune, que je parle trop, que je suis énervant… Je sais que j’ai plein de défauts, que je vole,… Mais je te promets que je vais me corriger ! Et peu importe que tu m’aimes ou pas, tu m’as donné aujourd’hui la seule marque d’affection que j’aie jamais eue, et je te jure que je te serai reconnaissant toute ma vie ! Tu es mon héros !
Brad tourna légèrement la tête vers lui, et le vit qui l’imitait les yeux plantés dans les étoiles. Il n’y avait pas que les fusillades, les trophées de chasse ou les fables qui faisaient les héros. Il y avait des actes, comme celui de donner une chance à un gamin qui n’en avait jamais eu. Brad n’avait jamais eu de héros dans sa vie, et ce soir, il était heureux d’être celui de Johnnie Parkinson.

Chapitre 8

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