San Theodor


Chapitre 13

Le tueur

Le silence régnait. Seul le chant d’un oiseau troublait le calme du petit matin. Les adjoints du shérif dormaient dans la vieille grange. Prenant garde à ne pas faire craquer les lames du parquet, Johnnie Parkinson sortit prudemment de la bâtisse. Il respira l’air frais à pleins poumons, jeta un bref regard vers la maison d’Elsa et n’y voyant aucune vie, se dirigea d’un pas décidé vers la ville.
Elsa venait de s’éveiller. Profitant du calme et de l’intimité de sa chambre, elle se mit à songer les yeux grand ouverts. Elle souriait. Richie avait embelli sa vie, qu’elle trouvait déjà merveilleuse. Elle l’aimait. Elle aimait jusqu’à son moindre défaut, et lui avait pardonné de tout cœur son ivresse passagère. La vie était trop courte pour garder rancune. Elle soupira de plaisir. Une nouvelle journée commençait.
Ted Hodson se débarbouilla rapidement, gratta son menton qu’une légère barbe blanche couvrait, et se ravisa. Il ne se raserait pas. Après tout, on n’était pas dimanche ! Et il avait un pressentiment, la journée serait longue. Il prit sa chemise qui reposait sur une chaise, fronça les sourcils en considérant la crasse qui noircissait le col, puis haussa les épaules, et l’enfila sans plus se poser de question. Une nouvelle journée commençait.
Richie s’était levé, et s’était immédiatement rendu chez Elsa. Quand il entra, il l’entendit chantonner. De l’encoignure de la porte, un instant, il l’espionna. Elle avait encore les cheveux défaits, et rechargeait le feu. Il eut l’insoutenable envie d’aller jusqu’à elle, et de glisser ses doigts dans sa chevelure soyeuse. Elsa se mit à sourire en sentant la caresse, et dit avec douceur ;
- Bonjour Richie !
- Bonjour.
Alors qu’elle l’embrassait, il prit son visage entre ses mains, et lui dit ;
- Je ne supporte plus de passer mes nuits loin de toi…
Elle sourit ;
- Nous ne sommes pas si éloignés que ça !
Richie prit une grande inspiration, et demanda ;
- Elsa, tu veux m’épouser ?
Les yeux de la jeune femme s’illuminèrent, et elle vint chuchoter à son oreille ;
- Avec grand plaisir !
La journée commençait bien.
A quelques distances de là, dans un grand domaine convoité, une jeune fille se levait. Samantha bénissait le chant du premier oiseau qui lui annonçait la naissance d’un nouveau jour. Elle ne supportait plus la nuit, car dans sa tête ne restait que le souvenir de cette nuit merveilleuse passée avec Bradley Thomas. Un rêve qui ne redeviendrait plus jamais réalité. Plus jamais, elle ne verrait le jeune homme à son réveil, ni ne pourrait le contempler alors qu’il dormait son masque si dur effacé. Samantha se sentait seule. Et la perspective d’un jour nouveau la tirerait de ses pensées quelques heures durant… jusqu’à la nuit prochaine…

Dan secoua Brad pour le réveiller ;
- Hé ! Brad !
- Quoi ? maugréa le jeune homme, sans ouvrir les yeux.
Dan le secoua plus fort, et dit d’une voix grave ;
- Johnnie n’est plus là !
Brad ouvrit les yeux et vit à son chevet Dan et Anthony. Il se passa une main dans ses cheveux dorés, et dit en étouffant un bâillement ;
- Il doit être à l’écurie !
- Je suis allé voir, il n’y est pas ! l’informa Anthony, qui semblait inquiet.
- Chez Elsa, alors !
- Richie en revient. Il ne l’a pas vu !
Brad se redressa, et s’assit dans son lit. Pourquoi ses amis avaient-ils l’air si inquiets ?
- Il ne doit pas être bien loin. A la rivière, sûrement !
Dan et Anthony s’échangèrent un regard entendu. Dan lui dit alors ;
- Il n’est nulle part ! Brad… Et il a dû prendre ton colt !
A ses mots, Brad sauta de son lit, et constata en effet la disparition de son arme. L’absence de l’enfant ne laissait qu’une solution ; Johnnie l’avait volée !
- Bon sang, il est pas vrai ce gamin ! bougonna Brad tout en s’habillant à la va-vite. Alors, qu’il sautait sur un pied pour enfiler ses bottes, il ordonna à Dan ;
- Va seller les chevaux !
Dan ne posa pas de question et quitta la pièce en courant. Lui aussi s’inquiétait. A l’intérieur, Brad dit à Anthony ;
- Va prévenir Ted. Je vais en ville !
- Tu crois qu’il y est ? interrogea Anthony, se demandant ce que diable pouvait aller faire Johnnie en ville de si bonne heure.
- Je l’espère pas pour lui ! File ! Que Ted me rejoigne en ville !
Anthony courut de toutes ses forces prévenir le shérif. Brad sortait déjà de la grange, se précipitait à l’écurie, et talonnait son cheval.
Brad avait un pressentiment, et il espérait de tout cœur qu’il se trompait. Si Johnnie avait pris son arme, c’est qu’il comptait s’en servir ! Et pas seulement pour tirer sur un tronc d’arbre dans la prairie ! Arriverait-il à temps ? Pourrait-il l’empêcher de commettre l’inévitable ? Et Brad filait, sans vraiment réaliser que, depuis des années, c’était la première fois, qu’il était ainsi désarmé.

Ted sellait son cheval en maugréant à Dan, Anthony et Richie qui faisaient de même ;
- Bon sang, il pouvait pas se tenir tranquille, ce mioche ! Et Brad ! Avait-il besoin de partir ainsi ?
- Remarquez qu’il vous a fait prévenir ! dit Anthony.
- C’est justement ce qui m’inquiète ! Si Brad fait appel à moi, c’est que ça va mal se terminer !
Elsa entra à son tour dans l’écurie, et commença à seller une monture ;
- Je viens aussi ! informa-t-elle.
Ted hocha la tête, mais Richie avait froncé les sourcils ;
- Non ! Tu restes ici ! On ne sait pas ce qui va se passer ! Ca peut être dangereux !
Elsa fit comme si elle n’avait rien entendu. Le shérif dit à son adjoint ;
- Richie, tu apprendras qu’on ne peut rien refuser à Elsa ! Si elle a décidé de venir, tu ne pourras pas l’empêcher ! N’est-ce pas toi qui un jour m’a dit que j’avais trouvé à qui parler ? Je te retourne la remarque !
Elsa continua ;
- Il n’y a rien que tu puisses dire pour me faire rester ici, alors que deux de mes garçons risquent leurs vies ailleurs !
Richie se rendit compte qu’il ne pourrait pas convaincre la jeune femme. Il soupira. Il devrait la tenir à l’œil ! Et prier pour que rien de fâcheux n’arrive ! Il s’inquiétait déjà pour Brad et Johnnie, maintenant, il devait aussi surveiller la femme qu’il aimait. Il leva les yeux au ciel, et fit une silencieuse et rapide prière.
Dan, en se mettant à cheval, ne put s’empêcher de dire ;
- Je me demande de Brad ou de Johnnie, lequel est le pire ?
- Ils se valent bien ! répondit Ted. Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre !
Anthony, en selle, sentait son cœur se serrer. Pourquoi Brad avait-il l’air si inquiet ? Il espérait que ce n’était que la colère de s’être fait dérober son colt pendant son sommeil, et non la crainte que Johnnie provoque une fusillade comme cela avait déjà failli se passer. Tous quittèrent la vieille grange au grand galop, avec l’espoir secret d’arriver avant qu’une catastrophe n’éclate !

Johnnie se tenait au milieu de la rue principale. Face à lui, un homme aux moustaches brunes, hilare, de se trouver impliqué dans un duel contre un enfant. Johnnie était revenu le provoquer, la veille ! Il lui avait à nouveau réclamé ses gains. Benton trouvait le sang froid du garçon surprenant, mais ne comptait pas se faire dicter sa conduite par un gamin, fusse t’il protégé par les adjoints du shérif. D’ailleurs, ce n’était pas Benton qui avait eu l’idée de ce duel, mais Johnnie lui-même qui avait fixé le rendez-vous. Benton était venu, doutant que l’enfant se montre. Et pourtant, il était là. Et armé ! Il avait un colt !
- Alors, le "grand" Johnnie est venu ! le salua-t-il.
- Vous me rendez mon argent ? demanda l’enfant d’une voix glaciale.
L’homme aux moustaches éclata de rire.
- Allez, Petit ! Fais une croix sur tes quelques dollars, et rentre chez toi ! Ca ne vaut pas la peine de se faire tuer pour si peu !
- Hors de question ! Si je dois vous tuer pour les avoir, je n’hésiterai pas !
- Ne t’obstine pas ! Je ne crois pas que tu ais envie de mourir aujourd’hui !
Et c’est la voix pleine d’arrogance, que Johnnie lança ;
- Peut-être que vous avez peur de vous battre en duel avec moi ! En fait, vous parlez fort, mais vous mouillez votre pantalon quand il faut agir ! Vous êtes une poule mouillée !
Benton hocha la tête ;
- Puisque tu le prends comme ça !
Il se prépara au duel, et se posta au milieu de la rue, face à Johnnie. Il voulait un duel, il l’aurait. Il s’en repentirait, et ferait moins le malin lorsqu’il aurait la poitrine transpercée d’une balle ! On ne provoquait pas ainsi Benton ! Ses mains s’agitaient déjà au-dessus de son ceinturon ! Mais un cheval surgit d’il ne savait où, arriva dans un galop effréné et s’arrêta devant son adversaire. Un homme en descendit d’un bond, et envoya un violent coup de poing dans le visage de l’enfant qui s’écroula dans la poussière. Benton reconnut Bradley Thomas, un des adjoints.
Johnnie s’était relevé vivement ;
- T’es malade de me frapper ? hurla-t-il.
Brad hurla encore plus fort ;
- Moi ? Moi, je suis malade ! Moi, je ne me tiens pas au milieu d’une rue, prêt à livrer un duel ! Tu as de la chance que je ne t’ai que frappé ! J’aurais pu t’étrangler !
- Je sais ce que je fais ! Je veux récupérer mon argent !
- Tout ce que tu réussiras, c’est à te faire descendre ! Et crois-moi, moi, vivant, ça n’arrivera pas !!
Johnnie le repoussa avec violence ;
- C’était avant qu’il fallait agir ! maintenant, c’est trop tard ! Je ferai ce duel !
- J’aimerais bien voir ça ! Rends-moi mon arme, et rentre à la maison !
Brad tendait la main. La colère redoubla chez Johnnie ;
- C’est pour ça que t’es venu ? Pour ton foutu colt !
Benton, surpris du spectacle qui se tenait devant lui, les interrompit ;
- Euh… Excusez-moi, ce n’est pas que je m’ennuie…
- Toi, boucle-la, espèce d’assassin ! Tu n’aurais pas hésité à tuer un enfant ! lui dit Brad, en le menaçant du poing.
- JE SUIS PAS UN ENFANT !! hurla Johnnie, des larmes roulant sur ses joues.
- Si ! le contredit Brad. Et tu es un sacré sale gosse !! rends-moi mon arme !
Benton, d’une voix calme, se manifesta à nouveau ;
- Je suis là pour un duel ! J’aimerais ne pas m’être levé pour rien !
- Tu vas l’avoir ton duel ! lui cria Brad, arrachant d’un coup sec, son colt des mains de Johnnie, avant de le repousser. Mais l’enfant revint à la charge, comprenant que Brad s’apprêtait à affronter Benton à sa place ;
- T’as pas le droit ! C’est mon duel !
Brad le repoussa à nouveau, en lui disant ;
- Excuse-moi de te sauver la vie !
Il rengaina son arme, et fit face à Benton ;
- Crois-moi, tu vas regretter de t’être levé ce matin !
C’est à cet instant que Ted et les autres arrivèrent, et surprirent Johnnie en larmes, et Brad au milieu de la rue, prêt à dégainer. Ils restèrent sans voix. Pendant tout ce temps, Brad avait réussi à échapper aux provocations, et voilà qu’il livrait un combat. Elsa tremblait. Anthony retint sa respiration. Il voyait déjà la fin de son séjour à la Vieille Grange… il lança un regard désespéré vers Ted. Lui seul pouvait arrêter ça. Le shérif tenta ;
- Brad ?… Fais pas ça !
Bradley Thomas avait entendu la voix de Ted derrière lui, mais il était trop tard. Il était concentré sur la main de Benton dont les doigts s’agitaient. Brad ne voulait pas être le premier à tirer.
- Brad…
Ted savait que c’était peine perdue. Il connaissait assez bien son adjoint pour savoir qu’il irait jusqu’au bout ; qu’à cet instant, rien ne le ramènerait plus à la raison. C’était l’instinct du jeune homme qui avait pris le dessus, cet instinct de survie et de rage qui l’habitait depuis si longtemps. Dan et Richie eurent la même pensée ; dans quelques secondes, il y aurait un mort. Ils n’avaient plus qu’à prier pour que Brad fut aussi bon qu’ils le pensaient. Elsa, une main devant sa bouche, se désolait. Non ! Pas d’autres morts ! Pas encore !
- Brad…
La main de Benton se posa alors sur sa crosse. Aussi vite que l’éclair, Brad dégaina, visa, tira et la masse imposante de Benton s’effondra dans la poussière.
Avec le corps qui retombait lourdement, Anthony vit se refermer devant lui les portes de la Vieille Grange. Son aventure se terminerait dans le sang. Johnnie avait sursauté ; Brad n’avait pas hésité à tuer pour lui !
Brad se retourna vers Ted. Le vieil homme fut saisi par le regard impassible de son adjoint. Brad avait tué à nouveau, il avait penché du côté meurtrier de son passé. Ted avait le regard posé sur la main qui tenait encore l’arme ; les doigts n’avaient pas encore relâché leur prise et restaient crispés sur la crosse. Il avançait pas à pas vers eux. Brad avait eu conscience de son acte, et il savait les conséquences que cela aurait. Ted l’arrêterait sûrement, et le ferait juger. Il serait sûrement pendu…Ca devait arriver… Dire qu’il était sensé faire règner la loi, et bannir les duels de la ville. Une voix éclata derrière lui ;
- Hé !
Instinctivement, un réflexe le fit se retourner et tirer ! Un autre corps s’écroula à quelques pas de celui de Benton. Immédiatement, un hurlement de femme troubla le silence, et il vit Elsa courir et se jeter près de sa nouvelle victime. Et tout se mit à danser devant ses yeux. Il avait reconnu le corps frêle sur lequel Elsa s’était penchée. Il poussa un hurlement de bête blessée ;
- NON !
Il courut, et se jeta à genoux dans la poussière. Il prit le cadavre dans ses bras, et le secoua ;
- Johnnie, non, Johnnie !
Une tâche de sang commençait à teinter la chemise de l’enfant. Il avait les yeux grand ouverts dans lesquels Brad put lire la surprise d’avoir été fauché par une de ses balles fatales. Elsa pleurait, ne cessant de répéter ;
- Il est mort, il est mort, il est mort…
- Non ! refusait Brad. Il va se réveiller ! Johnnie, réveille-toi, Johnnie, parle ! Bon sang Johnnie ! Johnnie !
Il secouait le corps inerte de l’enfant. Il ne voyait rien d’autre que ses yeux. Les autres s’étaient approchés doucement, il sentit à peine la main de Ted se poser sur son épaule ;
- Un docteur ! Il faut un docteur ! Il faut le sauver ! Johnnie !
- Brad… C’est trop tard…
- Non ! Johnnie, tu vas te réveiller, hein ? Allez Johnnie, bouge, dis quelque chose ! Johnnie, je t’en prie !
- Il est mort.
Les mots lui firent mal aux oreilles.
- NON !
Il se leva brusquement, et vida tout le chargeur de son colt en l’air avant de le lancer loin de lui, puis il fit face à ses amis ;
- Pourquoi ? Pourquoi j’ai fait ça ? Je l’ai tué !
Ils ne surent quoi dire. Tous étaient choqués par ce qui venait de se passer. Elsa pleurait toujours, un bras de Richie autour des épaules. Pourquoi Brad avait-il tiré ? Dan non plus n’aurait su le dire. Par habitude, par auto-défense ? Le résultat était là. Johnnie était mort. Anthony se mordait les lèvres pour ne pas laisser sortir les sanglots qui commençaient à l’étouffer. Il ne comprenait pas. Ted, fit un pas vers Brad ;
- C’est un accident…
- Non ! réfuta Brad, avec violence. C’était tout sauf un accident ! J’ai tiré ! Je savais pas que c’était lui ! Vous le saviez, vous, qu’un jour ça arriverait ! Vous me l’avez dit, et j’ai pas voulu vous croire ! Et c’est Johnnie que j’ai tué ! Johnnie ! Je suis un tueur, un assassin ! Je suis un tueur !
Et Brad se laissa retomber à genoux, et pour la première fois de sa vie, se mit à pleurer. Personne n’osa venir à lui. Ils l’entendirent seulement dire entre ses larmes ;
- Et je lui avais dit que je lui sauvais la vie !

Chapitre 14

Retour à la page des fan fictions

Retour à la page d'accueil