San Theodor


Chapitre 1

San Theodor

Le jour se levait à peine sur San Theodor. Le soleil allait commençait à tirer de la nuit la ville encore empreinte des effluves d’alcool. La ville allait se réveiller, le saloon allait fermer ses portes, les filles allaient rentrer se coucher et les honnêtes gens se lever. San Theodor était une petite ville qui aurait pu être agréable si, ce que les politiciens appelaient le Progrès n’était pas venu s’en mêler. Le télégraphe était apparu, le train arrivait presque au centre de la ville, et avec lui toutes sortes d’individus plus ou moins respectables. La ville se tenait à l’orée du désert d’Arizona, et elle attirait truands en cavale et chasseurs de prime. Des fusillades avaient lieu chaque jour dans la rue principale, des bagarres d’ivrognes et la banque était régulièrement cambriolée. Et on appelait ça le progrès ! Le shérif avait fort à faire et ne s’en sortait pas vraiment.
Ce matin-là, alors que tout semblait pour une fois calme et tranquille, un petit homme aux yeux noirs enfoncés dans leurs orbites, à la barbe mal rasée, à la propreté douteuse, s’activait. Ses chevaux grisonnaient sur les tempes, et ses narines se retroussaient alors qu’il respirait à pleins poumons. Il faisait de grands gestes ;
- Non ! Cela ne peut pas continuer ainsi ! Une autre semaine comme celle-là, et je démissionne ! annonça-t-il à son camarade, nonchalamment assis dans un fauteuil.
- Voyons, Ted, tu ne peux pas démissionner ! Tu ne laisserais pas la ville sans shérif ! Ce serait un désastre !
- Ce serait un désastre pour toi ! Moi, je m’en irai me la couler douce en Californie !
- Ted !
- Alors, trouve une solution, Wilson, au lieu de rester avachi dans ton fauteuil ! Il faut rétablir l’ordre, et moi, tout ce que je vais réussir, c’est me faire descendre !
Wilson soupira ;
- Tu pourrais prendre un adjoint, mais personne ne voudra se frotter à ses ivrognes et …
Les yeux du shérif brillèrent ;
- Attends, attends ! Un adjoint, ce n’est pas une mauvaise idée !
Wilson parut surpris ;
- Et où vas-tu le trouver cet adjoint ? Tous les honnêtes gens de cette ville n’ont qu’une seule idée, fuir. Alors ?
- Pas cet adjoint, Wilson. Ces adjoints. Imagine une équipe d’hommes assez nombreux pour rétablir l’ordre et faire régner la loi…
- Des mercenaires en quelque sorte.
Wilson fronçait les sourcils. Ted sourit ;
- Si on veut.
- Et où vas-tu les trouver ces hommes ?
- Il y a une quantité d’hommes jeunes dans le pays qui cherchent un emploi et un logement. Il suffit de passer une annonce.
- Et où les logeras-tu ?
- Dans la vieille grange de Millton. Elle est assez grande pour abriter un régiment !
- On n’est pas en guerre, Ted ! Et puis, la grange de Millton est en ruine. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle "la vieille grange".
- Tu m’aideras à la remettre en état ! triompha Ted.
- Et avec quoi vas-tu les payer ? renchérit Wilson.
Le raisonnement de son ami commençait à agacer Ted ;
- Tu me casses les pieds, Wilson ! Tu fais partie du conseil municipal, alors arrange ça !
Wilson leva les bras au ciel ;
- Ted Hodson, ton projet est une pure folie et surtout irréalisable, mais à quoi bon raisonner un vieux fou ! Je vais voir ce que je peux faire !
- Merci.
Ils se serrèrent chaleureusement la main et se séparèrent. Bartholomew Wilson était le banquier de San Theodor. Il avait souvent songé à quitter la ville, par dépit. Mais il s’y était attaché malgré tout, et ne savait où aller. C’était un homme grand et élancé, toujours tiré à quatre épingles, des cheveux bruns bien peignés et une petite moustache qui le rendait distingué. Tout le séparait de Ted, et pourtant une grande amitié les unissait. Wilson était reconnaissant au shérif de vouloir tirer San Theodor de la débâcle dans laquelle elle était tombée. De nombreuses familles souhaitaient quitter la ville et Wilson ne souhaitait qu’une chose ; que le calme et la sérénité qui régnaient avant l’arrivée du train, reviennent.

Ted avait déjà traversé la ville au pas de course et avait tiré Mme Halley la postière de son lit, pour pouvoir passer son annonce. A peine eut-elle acquiescé que le shérif était déjà chez Georges Millton, le maréchal ferrant ;
- Vous voulez ma grange ? s’étonna celui-ci.
- Oui. Je te l’achète. Combien en veux-tu ?
- La vendre ! Mais je ne peux pas la vendre ! C’est une ruine ! Elle est infestée de rats et elle n’a pas servi depuis une bonne dizaine d’années.
- J’en ai besoin, Millton ! supplia presque Ted.
- Le toit est arraché, elle est en partie brûlée…
- On peut arranger tout ça !
Georges haussa les épaules ;
- Eh ! Bien ! Ted, prenez-la si cela vous fait plaisir ! Je vous la donne de bonne grâce !
Ted n’en revenait pas d’avoir été si rapidement exaucé ;
- Merci mille fois, Georges. Merci.
- Sans indiscrétion, qu’est-ce que vous comptez faire de ce tas de planches ?
- Sauver l’avenir de San Theodor ! déclara Ted solennel.

Le maire, Art Mackensie, pianotait nerveusement sur son bureau.
- Il n’en est pas question, Wilson !
- Donnez-moi une bonne raison de refuser !
- Nous n’avons pas d’argent à dépenser dans les élucubrations d’un vieux fou ! Voilà une bonne raison !
Wilson avait eu énormément de mal à décrocher un rendez-vous de si bon matin, et maintenant qu’il était dans ce grand bureau décoré luxueusement, il n’allait pas se faire mettre à la porte si facilement. Il insista ;
- Avouez que cela vaut le coup d’essayer !
- Wilson, vous ne trouvez pas qu’il y a déjà assez de monde et de problèmes à San Theodor ? On ne va pas faire venir des étrangers !
- Essayez au moins Mackensie ! Cela ne peut être pire que maintenant, et imaginez que cela marche ; votre ville prospérera à nouveau.
Mackensie se leva, tourna en rond, se servit un whisky qu’il vida d’un trait et répondit ;
- Non.
- Mackensie ! protesta Wilson.
- Non, Wilson. Ce qui me fait peur, c’est de faire venir des étrangers ! Cela va attirer toutes les gâchettes du coin, on ne saura pas qui ils sont et ce qu’ils ont fait, et…
- Vous connaissez Ted ! Il n’acceptera jamais quelqu’un qui n’a pas sa conscience pour lui ! Si vous refusez, il va démissionner. Et là,…
Le maire soupira et capitula ;
- Bon, d’accord. Mais à l’essai ! Je vous laisse un mois. Si, au bout d’un mois il n’y a aucun résultat, chacun rentre chez soi et on oublie tout !
- Vous ne le regretterez pas ! lança Wilson, ravi.
- Je le regrette déjà !

Quelques heures plus tard, Wilson retrouva Ted devant la grange de Millton. Elle était située à l’entrée de la ville et proche du bureau du shérif, un endroit stratégique. Ted avait retroussé ses manches et s’apprêtait à inspecter la "vieille grange" de fond en comble. A l’approche de son ami, Ted sourit ;
- Millton m’a donné la grange, et j’ai envoyé plusieurs annonces…
- Tu aurais pu attendre que Mackensie ait donné son accord !
Ted se mit à rire ;
- J’étais sûr que tu obtiendrais satisfaction. Je n’ai jamais douté de ton talent de persuasion !
Et pour ponctuer sa phrase, il donna un grand coup de pied dans la porte bloquée par l’humidité et le temps. Elle s’écroula dans un nuage de poussière qui les fit tousser. D’une main, Ted écarta les toiles d’araignée et pénétra dans la grange abandonnée, Wilson sur ses pas.
- Pfff ! Quel taudis ! soupira ce dernier.
- Oh ! Un bon coup de balai et de la peinture, et on n’y verra plus rien !
Ted ouvrit le volet de bois et l’air frais entra à flot. Wilson prit un ton nostalgique ;
- Cette grange existait déjà quand j’allais à l’école. J’y ai fait des folies avec quelques filles…
- Je peux compter sur ton coup de main ?
- Je n’ai pas vraiment le choix, répondit le banquier en souriant.
A cet instant, des coups de feu, des cris et des hennissements retentirent. Wilson crut bon d’ajouter ;
- On te réclame, Shérif !
Ted soupira, sortit son arme et se prépara à essayer de rétablir l’ordre de sa petite ville.

Chapitre 2

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