Sur la frontière


Derrière les murs de Sainte Clothilde

SEPTEMBRE 1857

Voici les grands murs sombres de Sainte Clothilde. Ils s’élèvent toujours hauts vers le ciel, tels les remparts d’un donjon dont on ne peut s’évader. Ils n’ont pas changé. Ils ont toujours cet aspect lugubre et froid, et les quelques arbres qu’ils tiennent enfermés ne suffisent pas à leur donner un peu d’humanité.
La lourde porte se referme dans un grincement sinistre, l’emprisonnant une fois de plus. Miss Whittle l’attend. Elle gravit derrière elle les interminables marches menant aux chambres. Voici la sienne. Semblable à son souvenir. Une nouvelle année à passer dans ce cachot. Les grands arbres de la cour sont là, eux aussi. Elle aura toujours la consolation de les contempler, même s’ils ne sont pas près de surpasser ceux des forêts de Fort Laramie. Des pas dans le couloir, une petite silhouette dans l’encadrement de la porte. Tiens, ce n’est pas cette peste de Constance.
Emma Jordan, c’est bien ce qu’a dit miss Whittle. La jeune fille esquisse une révérence et un sourire coincé quand on lui présente sa compagne de chambre. Il est probable que toute nouvelle qu’elle soit, les autres l’ont déjà mise au courant. Elle entre dans la chambre, s’affaire autour de la table de travail, mais semble éviter le regard insistant de Fanny. "Quelque chose ne va pas ?" Elle s’empresse de démentir, d’un air gêné. Fanny hausse les épaules et s’étend sur le lit en fer qui se met à grincer. Les mains sous la nuque, les pieds croisés sur la barre du lit, elle ferme les yeux, comme pour oublier ce sinistre endroit. L’autre la regarde faire, partagée entre la méfiance et la curiosité. "Tu as raison de m’éviter, si tu veux avoir des amies, dit soudain Fanny. Le fait de partager cette chambre avec moi ne joue déjà pas en ta faveur.
– Mais, je ne t’évite pas, se récrie Emma. Qu’est ce qui te fait croire que … ?
– Allons, les autres ont dû t’affranchir à mon sujet. Je ne suis pas fréquentable. Je n’appartiens pas au même monde que ces sales pimbêches... Mais rassure-toi, je n’ai pas l’intention de t’embarrasser de ma présence très longtemps."
Emma la regarde se lever et s’approcher de la fenêtre, un sourire énigmatique sur les lèvres.
Comme elle hait cet endroit ! Jamais elle ne supportera d’y rester enfermée une année de plus. Mieux vaut les taudis de Boston, mais courir librement à travers les rues. Tout plutôt que cette cage qui n’est même pas dorée. Bizarrement, pendant les deux longs mois de vacances qui viennent de s’écouler, elle s’est surprise à regretter Sainte Clothilde. D’ailleurs, peut-on appeler ça des vacances ! Un mois entier à ne voir que sa chambre, la salle à manger et le jardin du vieux Barthelemy. Personne à qui parler hormis madame Pembleton. Des journées entières occupées par l’ennui, ne lui laissant que le temps de rêver à sa prairie perdue. De temps en temps une visite, une vieille douairière, son époux et leurs petits-enfants. "Oh, comme ils sont mignons, ces affreux petits monstres !" On la sort de sa boîte dans une robe neuve encombrée de rubans et de colifichets ; on l’exhibe comme sur un marché d’esclaves. "C’est une bien belle petite fille, monsieur Barthelemy. Comme vous devez être heureux de l’avoir auprès de vous !"
La suite est tout aussi atroce. Cape Cod, la maison sur la plage louée pour le mois. Cape Cod, résidence d’été de tous ceux qui se comptent en milliers de dollars. On y rencontre des robes à la dernière mode de Paris, des rivières de diamants, des cigares de Cuba, des cartes de visite débordant de titres ronflants. Et la comédie recommence. Tous les après midi, on prend le thé au milieu des dames au derrière plus ample que les cerceaux de leurs robes. Il y a aussi celles qui ont tellement serré leur corset qu’elles manquent de mourir asphyxiées à chaque inspiration, comme en témoigne leur figure rouge pivoine. Et tout ce petit monde s’extasie : "Quelle charmante enfant ! … Elle est encore un peu sauvage, mais ça passera… », « Quel âge a-t-elle ? Déjà treize ans ! Vous nous avez caché cette merveille bien longtemps, Maître !", "Ce sera une belle jeune fille. Il faudra bientôt songer à la marier…"

Le soleil brille, la chaleur est étouffante, la mer étincelle, mais on reste là à s’abreuver de commérages, à rire de frivolités. Vers six heures, on rentre manger un morceau, puis le vieux Bart s’en va. Un soir au casino, l’autre au théâtre ou à une quelconque réception…
Alors, elle attend. Le lendemain n’est guère plus amusant. Comme tous les jours, il passe la matinée enfermé dans son bureau avec Lanxford qui redouble de courbettes et de sourires mielleux. Qu’est-ce qu’il espère, celui-là ? L’héritage ? Le cabinet d’avocat ? Si seulement il savait combien le vieux le méprise ! D’ailleurs, il méprise tous ceux qui sont au dessous de lui sur l’échelle sociale. Alors Simon Lanxford, son larbin... Il peut l’attendre longtemps, la reconnaissance de ses bons et loyaux services ! Fanny, quant à elle, se promène une heure sur la plage, sous l’œil vigilant de madame Pembleton. Après quoi elle s’enferme à nouveau dans sa chambre avec le précepteur. Encore un cas, celui-ci ! Un petit bonhomme rondouillard aux prunelles disparaissant derrière la fente étroite de son regard de myope, qui passe son temps à lisser sa moustache et fait les cent pas dans la pièce, un livre à la main. A chaque fois qu’il lit un passage ou qu’il cite un de ses auteurs favoris – invariablement Shakespeare ou Shelley – il accompagne sa voix pleine de trémolos de grands gestes emphatiques. Ce n’est pas possible, il a dû être acteur, étant jeune. Mais alors, c’était il y a très longtemps ! Et puis, il l’agace, à toujours regarder par-dessus son épaule en rajustant les binocles perchés sur le bout de son nez, à toujours prendre un ton paternaliste pour la rappeler à l’ordre : "Mon enfant, il vous faut faire plus d’efforts… Mon petit, ce n’est pas comme cela que vous arriverez à quelque chose… Chère enfant, comment voulez-vous que… ?" Ce qu’il peut être agaçant, quand il s’y met !
Les études laissent de nouveau place aux mondanités. Il faut affronter les sourires hypocrites et les louanges exagérées… Et les autres pestes. Car celles et ceux qu’elle côtoie toute l’année sont là aussi. Devant les adultes, ils font mille grâces, comme tout le monde. Jusqu’à ce que Madame les prie d’aller se promener au jardin. Ils s’exécutent en riant à l’avance. Ils la regardent de travers, se moquent d’elle, l’humilient. Et Fanny serre les poings, avale sa colère. Elle sait que tout ça finira un jour, alors à quoi bon leur répondre. Elle sait qu’elle vaut mieux qu’eux, qu’elle est plus forte qu’eux. Elle peut les battre à n’importe quel jeu, elle l’a déjà prouvé. D’ailleurs, ils ne relèvent plus ses défis depuis que l’un d’eux est resté coincé dans un arbre. Comme elle a ri, ce jour-là, en le voyant sur sa branche, incapable de redescendre ! Evidemment, ça lui a valu quelques coups de badine et trois jours de punition. Mais c’était si drôle !

Un après-midi, c’est le vieux Bart qui reçoit. Comme d’habitude, on la coiffe et on l’apprête comme une petite poupée. « Fanny, je vous présente Eloy T. Greetham. » Le jeune homme la salue de la tête. Visiblement, il n’a pas l’air ravi d’être là. Il la détaille du regard pendant un long moment. Sa mère sourit d’un air satisfait. Puis, il s’assoit à ses côtés. Fanny prend place sur une chaise, près de son grand-père, et attend que se passe la visite, espérant qu’on la priera bien vite de s’en aller. Mais il n’en est rien. De temps en temps, la dame secoue son éventail et lui pose une question : "Quelle est votre dernière lecture ? … Etes-vous bonne élève, au collège ? … Quelle est votre matière préférée ? … Comment, vous ne savez pas broder ? Il faudra apprendre, mon enfant..." Le jeune homme lui jette quelques regards insistants mais dépourvus d’expression. Agacée, Fanny soutient son regard. Il finit par détourner les yeux. L’incessant babillage de madame sa mère a l’air de l’ennuyer à mourir. Il se demande probablement ce qu’il fait là.
"Fanny, montrez donc le jardin à Eloy." Sans un mot, elle se lève. Le jeune homme pousse un soupir de résignation et lui emboîte le pas. Ils marchent côte à côte dans l’allée fleurie. Il semble aussi heureux d’être là qu’un poisson qu’on aurait sorti de l’eau. C’est drôle, elle n’a même pas regardé à quoi il ressemblait. En tout cas, il est bien plus vieux qu’elle !
"Quel âge avez-vous ? demande-t-il soudain, comme s’il avait lu dans ses pensées.
– Qu’est-ce que ça peut vous faire ?
– Si nous devons nous marier, j’aimerais autant le savoir."
Fanny s’arrête net et le dévisage, interdite. "Qui a dit qu’on allait se marier ?
– C’est l’arrangement que mes parents ont passé avec votre grand-père.
– Mais, je ne veux pas me marier !
– Si vous croyez que ça m’enchante ! Sans vouloir vous offenser, je me vois mal flanqué d’une gamine pour épouse. D’ailleurs, je fréquente déjà une jeune fille qui a une autre classe que vous.
– Alors épousez-la, dit Fanny avec un haussement d’épaules dédaigneux.
– Ce n’est pas si simple, et nous n’avons guère le choix. Ils sont en train de tout organiser. Les fiançailles l’année prochaine, puis le mariage dans quatre ans. Et nous n’avons rien à dire… Après tout, nous aurions tort de nous plaindre. Vous êtes un parti intéressant, malgré vos origines. Vous valez tout de même trois millions de dollars. Quant à ma famille, elle vous donne son nom et sa respectabilité. Moi-même serai bientôt diplômé de Harvard, et à la mort de mon père, je dirigerai les usines Greetham. Vous ne perdez pas au change."
Fanny le regarde avec horreur. Voilà donc comment le vieux compte se débarrasser d’elle après l’avoir arrachée aux siens. Il la vend à une bonne famille de Boston. Il la vend à un homme qu’elle ne connaît pas, qu’elle n’a pas choisi et qui la méprise. Ses yeux brillent de colère. Le vase de faïence vole en mille éclats. Elle ne s’est même pas rendu compte qu’elle l’avait poussé. Les mains dans les poches, Eloy la regarde s’enfuir vers la maison. Quelle drôle de petite fille !

Mais cette fois, c’est fini. Elle ne se laissera plus manipuler de la sorte. Elle refuse d’être un vulgaire bibelot entre les mains du vieux. Envolées, les bonnes résolutions et les promesses faites au colonel. Elle est bien décidée à les oublier une fois pour toutes. Elle a fait de son mieux, elle s’est appliquée tant qu’elle a pu. Pour quel résultat ? Est-ce de ces murs que rêve son cœur ? Dire qu’il pourrait voler sur les sommets neigeux, aux côtés de l’aigle royal, le dieu des cieux… Et il va mourir étouffé entre les murs sinistres de Sainte Clothilde. Non, non et non ! Il n’en sera pas ainsi ! Elle est Petit-Renard ! Le moment est venu de le prouver…

Les nuages glissaient lentement dans l’azur. Elle les suivait du regard, mais son esprit rêveur percevait à peine leur avancée tranquille. Que leur importait le temps ? Ils avaient l’éternité devant eux. De temps à autre, l’un d’eux semblait accrocher son manteau cotonneux à la cime d’un arbre et laissait dans son sillage une mince traînée blanche. Puis, il étouffait un instant le disque lumineux du soleil qui ne tardait pas à reprendre l’avantage et chassait l’insolent de ses rayons brûlants. Fanny s’allongea en soupirant. Ici, on aurait presque pu oublier la ville et le collège. L’air était tranquille, la brise d’automne douce sur ses joues et le silence si pur… Quoique… Elle percevait bien une petite agitation dans la cour, mais fallait-il vraiment y prêter attention ? Pourquoi troubler le seul moment de sérénité qu’elle avait pu trouver en un an ?
Un petit oiseau au battement d’ailes rapide passa dans son champ de vision. Elle suivit son vol saccadé et le vit disparaître entre les branches d’un peuplier. Quelques feuilles se détachèrent de l’habit roux du grand arbre à son passage. Encore un mois, et l’arbre serait nu. Elle songea aux forêts des monts Laramie. Elles devaient revêtir leur manteau rouge et or, elles aussi. Les couleurs chatoyantes des feuillus devaient se mêler harmonieusement au vert des sapins et des mélèzes. C’était la plus belle saison pour se promener dans la montagne. Les ruisseaux murmuraient leurs dernières chansons avant le long sommeil sous la glace. Le sol se pavait de feuilles. Les buissons donnaient leurs dernières baies. Les petits animaux redoublaient d’activité pour compléter leurs réserves, tandis que le gibier courait la forêt, encore insouciant des froids à venir. Les petits avaient grandi durant le long été et se préparaient joyeusement à leur premier hiver. Le printemps nouveau les verrait adultes.

Un bruit de pas précipités dans les escaliers dérangea sa rêverie. Elle entendit la voix de plus en plus proche de miss Norton donner quelques ordres. Une porte grinça et le visage rougeaud de la surveillante apparut dans l’encadrement de la fenêtre. Fanny se leva d’un bon. Une surveillante poussa un cri de frayeur, mais Norton la fit taire d’un geste autoritaire. Sans quitter la fillette des yeux, elle s’éclaircit la voix : « Barthelemy ! Redescendez immédiatement ! » Fanny la défia du regard et lui adressa un sourire frondeur. "C’est vraiment ce que vous voulez, miss Norton ?" répondit-elle en faisant quelques pas sur les tuiles noires.
Lentement, elle se rapprocha du bord du toit et jeta un coup d’œil dans la cour, quatre étages plus bas. Les pensionnaires s’étaient rassemblées et tous les yeux se levaient vers elle. Au milieu du troupeau d’où s’élevait une clameur indistincte, elle remarqua la silhouette noire et sèche de miss Whittle. A la fenêtre, Norton et son assistante s’agitaient toujours. "Cessez donc vos pitreries, Barthelemy. Si vous croyez que c’est comme ça que vous échapperez à la punition ! Revenez !
– Venez donc me chercher, rétorqua la fillette en éclatant de rire au nez de la surveillante."
Le visage épais de la demoiselle vira au cramoisi. Fanny remonta prudemment le long du toit et atteignit le faîte. Elle fit une pirouette et avança sur l’arête. "Je vous en prie, Fanny, gémit l’autre surveillante en la voyant jouer les équilibristes. Vous allez finir par tomber."
Elle n’avait certes pas les chaussures idéales pour ce genre d’exercice. Et puis… Etait ce un effet de son imagination, ou Norton était-elle en train d’enjamber l’appui de la fenêtre ? Elle regarda l’horizon en soupirant. Le soleil descendait lentement vers l’Ouest. Son Ouest. En trois enjambées, elle rejoignit la surveillante qui s’agrippait encore au rebord. "Ma fille, vous allez regretter cette petite excursion", grogna Norton en pénétrant dans le grenier. Elle l’attrapa brutalement par le bras et la traîna jusqu’au bureau de miss Whittle. La vieille surveillante en chef les attendait. Son visage sévère demeura impassible, mais Fanny savait qu’elle devait redouter le pire. Elle tenait une longue badine en noisetier qu’elle tapotait nerveusement contre la paume de sa main. Elle tourna autour de la fillette, puis se dressa devant elle : "Mademoiselle Barthelemy, je pense qu’il est inutile de vous rappeler vos torts, dit elle d’un ton sec. Veuillez relever vos jupes, je vous prie."
La fillette la regarda droit dans les yeux, pour lui montrer qu’elle ne la craignait pas, et s’exécuta d’un geste franc. Le premier coup la surprit, mais elle serra les dents. Elle ne lui ferait pas le plaisir de pleurer. "Mademoiselle Barthelemy, vous êtes consignée dans votre chambre jusqu’à jeudi prochain, au pain et à l’eau. Bien entendu, vous aurez le double de travail de vos camarades durant cette période."

Une goutte s’écrasa sur sa joue. Fanny leva les yeux et aperçut le manteau noir de nuages qui s’était formé pendant l’office. Un groupe de jeunes garçons passa en courant dans la flaque et éclaboussa le bas de sa robe. Encore un coup à se faire punir. Elle dépassa le groupe des surveillantes qui la suivirent un instant des yeux avec méfiance et s’avança dans le parc en direction de la statue. Avec un peu de chance, elle y trouverait Harry et ils auraient le temps de discuter un peu avant qu’il se remette à pleuvoir.
"Tiens, je ne savais pas qu’il y avait une nouvelle bonne au collège !"
Richard Ambrose ! Nul besoin de se retourner pour savoir à qui appartenaient ce ton sarcastique et les quelques rires qui l’accompagnaient. Tous les dimanches, c’était pareil. "J’espère qu’elle ne s’occupe pas de la blanchisserie, renchérit Constance Parker. Qu’elle est sale !"
Fanny accéléra le pas, mais les six jeunes gens l’entourèrent bientôt. "Voyons, ça n’a rien d’étonnant, ma chère dit un autre. Il paraît que les sauvages adorent se vautrer dans la boue.
– Quelle horreur !
– Et bien, Davy Crockett, toi qui as la langue si bien pendue, tu ne réponds rien ?
– Si je m’écoutais, c’est toi que je pendrais, Ambrose. Quant à la boue, il paraît que c’est excellent pour le teint. Constance devrait essayer.
– Tu ne manques pas de toupet ! s’exclama le jeune homme, irrité. Fais-lui des excuses, immédiatement.
– Pourquoi faire ?
– Sale métèque ! Tu…"
Richard Ambrose n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Un coup de poing vengeur s’écrasa brusquement sur son nez. Ce vigoureux garçon de quinze ans alla s’affaler dans la boue, les narines en sang, en se demandant ce qui lui arrivait. Il la dévisagea, consterné, pendant que les autres faisaient cercle autour d’eux, encourageant le jeune homme à laver l’affront. Fanny, impassible, attendait qu’il se relève pour lui infliger une bonne correction. Attirés par les cris, les surveillants accoururent et dispersèrent le groupe. Ils relevèrent le blessé encore étourdi, et la fillette se retrouva une fois de plus dans le bureau de miss Whittle.
Les punitions se succédèrent encore. Pour un travail oublié, une insolence ou un coup de poing, l’issue était invariablement la même : la badine de Whittle et des tonnes de devoirs. Fanny s’obstinait. La surveillante ne la mettrait pas au pas. Mike disait toujours qu’elle était plus têtue qu’une mule et elle semblait s’employer à le prouver. Les corrections pleuvaient, mais elle redoublait d’insolence. De toute façon, elle n’avait pas l’intention de rester beaucoup plus longtemps dans cet horrible endroit. Son plan était déjà arrêté et elle avait réussi à réunir le minimum nécessaire à la réussite de son projet : une corde et un vieil habit de garçon qui avait dû appartenir à l’apprenti du jardinier. Elle attendit donc une nuit pluvieuse pour se glisser sans bruit hors de sa chambre. Elle tenait ses bottines à la main et avait dissimulé ses longs cheveux sous la casquette complétant son déguisement. Elle descendit le grand escalier en frôlant les murs, traversa le réfectoire jusqu’aux cuisines et poussa prudemment la porte donnant sur la cour attenante. Elle connaissait bien le haut mur de pierre. Elle savait qu’il n’y avait qu’une façon de le passer. Elle lança la corde par-dessus l’une des branches du chêne qui le côtoyait, l’arrima par un noeud coulant, et grimpa. Après avoir pris pied sur le mur, elle laissa tomber la corde dans Franklin Street, quatre mètres plus bas, et se laissa glisser.

Le va-et-vient incessant des charrettes la réveilla à l’aube. Elle déplia ses membres endoloris, quitta le porche qui l’avait abritée et remonta la ruelle dans le petit matin gris et froid. Les pavés étaient luisants d’humidité et l’air sentait la neige. Elle souffla sur ses doigts engourdis et se frictionna vigoureusement. Elle était trempée jusqu’aux os. Son estomac la rappela bientôt à l’ordre. Elle n’avait pas un sou en poche. Il était interdit de posséder de l’argent, au collège. Tant pis. Elle se débrouillerait autrement. Les rues du vieux quartier étaient très animées, malgré l’heure matinale. Des chariots, des chars à bras, des brouettes se bousculaient dans un fracas épouvantable. Les sabots des chevaux résonnaient sur les pavés, les bidons et les caisses s’entrechoquaient, les hommes criaient. Ils ne connaissaient donc pas le silence, dans cette maudite ville ? Fanny déboucha bientôt sur la place où s’installait le marché, autour de la halle de Quincy Market. Les maraîchers, les volaillers, les camelots déchargeaient leurs marchandises. Après un rapide tour d’horizon, elle s’avança au-devant d’une imposante fermière qui, tout en se démenant au milieu de ses cageots, ne cessait de houspiller une fillette bâillant à fendre l’âme.
"Je peux vous aider, si vous avez besoin", proposa Fanny d’une voix assez forte pour attirer l’attention de la femme.
Celle-ci se retourna, surprise, et la dévisagea. "C’est-y des sous qu’tu veux, toi ? demanda-t-elle rudement.
– En échange de mon travail.
– T’as pas l’air bien costaud, mon gars, dit la femme, méfiante.
– Je le suis plus que votre fille, en tout cas.
– Si tu travailles plus vite que c’te feignasse, t’auras 25 cents… Mais t’avise pas de chaparder dans mes caisses, ou c’est mon pied, qu’tu connaîtras !
– Marché conclu."
Fanny se mit au travail sans attendre et charria courageusement les lourds cageots de légumes. Elle avait perdu l’habitude des travaux de force, mais elle le fit avec un certain plaisir. Après l’avoir surveillée du coin de l’œil pendant un moment, la marchande se consacra à son étal. Il était sept heures et demie et les clients commençaient à arriver. « T’as fait du bon travail, mon gars, dit la grosse femme. D’habitude, c’est tout des vauriens qui pensent qu’à barboter. V’là tes 25 cents, tu les as bien mérités. » Fanny la remercia en souriant, ce qui la surprit plus encore, et disparut dans la foule. "Drôle de p’tit gars", marmonna la femme.

Elle erra tout le jour, observant avec curiosité les rues, les bâtiments, les gens qu’elle croisait. L’étourdissant spectacle de la ville et du port, pour autant qu’il fut intéressant, confortait sa préférence pour la prairie. Mais au moins, elle était libre... Libre de mourir de faim, oui ! Voilà le genre de petit détail auquel elle n’avait pas réfléchi avant de se lancer à l’aventure. Dans les collines, elle savait comment se nourrir. Il lui suffisait de trouver un trou de lièvre et de poser un collet, ou de l’accueillir avec sa fronde. Mais ici ? Faudrait-il tous les jours décharger ces maudits cageots pour une misérable pièce ? Les mains dans les poches, elle soupira et tapa dans un caillou qui alla rouler sous les pieds d’un passant. Comment allait-elle gagner l’argent dont elle avait besoin pour retourner dans l’Ouest ? Chaparder des pommes, voler des bourses, comme elle avait vu tant de gamins en guenilles le faire ? Le colonel n’apprécierait probablement pas. Elle tourna au coin de la rue et reconnut l’avenue qui menait à la gare. Les fiacres remplaçaient déjà les misérables charrettes, les beaux messieurs et les belles dames se promenaient tranquillement. Les deux visages de Boston se rencontraient et se mêlaient sur cette avenue bordée de beaux immeubles et de grilles ouvragées. Soudain, elle se retourna, attirée par des cris montant de la ruelle. Trois garçons sales et dépenaillés en avaient acculé un quatrième contre le mur. Des journaux gisaient dans une flaque. D’autres dépassaient de la sacoche que le jeune vendeur tenait serrée contre lui. Il avait peur, mais il s’efforçait de tenir tête à ses agresseurs. L’un d’eux tenta de le frapper. Il l’évita de justesse et fonça, tête baissée, dans l’estomac du second. Le troisième larron, le plus âgé, lui barra la route en brandissant un couteau. Il le fit reculer contre la muraille et lui ordonna de nouveau de leur donner son argent. Fanny s’abattit soudain sur son dos en hurlant le cri de guerre des sioux. Ils roulèrent au sol et elle le mordit comme une furie. Le jeune vaurien essaya de se dégager, mais la fillette lui fit rapidement lâcher le couteau dont elle s’empara. Assise à califourchon sur son adversaire, elle appuya la pointe du couteau sur sa gorge. Voyant leur chef en mauvaise posture, ses deux complices détalèrent sans demander leur reste.
"Merci, dit le jeune garçon en ramassant ses affaires. Sans toi, monsieur Morley m’aurait certainement renvoyé.
– Qui c’est ?
– Mon patron, le directeur du «"Boston Tribune". Je suis vendeur de journaux… Je m’appelle Samuel Weidenobpf, mais tu peux m’appeler Sam. Et toi, c’est comment ?
– Fanny.
– Tu te bats drôlement bien, pour une fille… Comment je peux te remercier ?
– C’est pas la peine…
– Si, j’y tiens. C’est ce qu’on appelle une dette d’honneur."
Il parlait avec un tel enthousiasme, que Fanny sourit. Elle avait peut-être fini par trouver un ami, dans cette grande ville. Ça lui faisait tellement de bien de parler enfin avec quelqu’un d’amical. Elle accompagna donc Sam jusqu’au journal où il déposa sa recette et reçut sa paye en échange. Puis, il la guida à travers les petites rues du quartier de North End jusqu’au vieil immeuble qui abritait sa famille. Madame Weidenobpf, une grande femme d’environ trente-cinq ans, mais qui en paraissait dix de plus, leva les yeux de sa marmite en les entendant entrer. Elle sourit chaleureusement à son fils, mais ses joues creuses, ses yeux fiévreux et ses mèches ternes s’échappant de son chignon démentaient cette gaieté. Matthias et Hannah, quatre et six ans jouaient sur le plancher pendant que Gertie, l’aînée, nourrissait le bébé. Quand Sam eut expliqué comment Fanny l’avait tiré d’affaire, sa mère la remercia chaleureusement, mélangeant allègrement les quelques mots d’anglais qu’elle connaissait à ceux de sa langue maternelle. Gertie traduisit son invitation à dîner et joignit ses remerciements à ceux de sa mère. Fanny eut beau protester, Sam et sa sœur se montrèrent inflexibles. Elle se résigna donc à partager leur repas, mais se jura bien de faire tout ce qu’elle pourrait pour les aider en retour.
Une fois à table, Sam raconta de nouveau son histoire pour son père et son jeune frère, qui ne se priva de se moquer de son aîné. "J’aurais bien aimé te voir à sa place, Ernst, lança Gertie.
– Moi, je me suis jamais fait défendre par une fille.
– Oui, nous savons tous que tu es le plus costaud de la famille, intervint le père en riant.
– Il se moque de moi parce qu’on l’a pris aux entrepôts et pas moi, glissa Sam à son amie. Mais vendre des journaux, ça rapporte souvent plus.
– Vous travaillez tous ? demanda Fanny, étonnée.
– Gertie et Frida travaillent à la filature, et Ernst et moi sur les docks, répondit le père. Et toi, tu cherches du travail, peut-être ?"
Fanny ne répondit pas. Ses yeux fixaient le vide. Sa bouche entrouverte avait oublié sa cuillère en suspend au-dessus de son assiette. Elle n’avait même pas entendu la question d’Heinrich Weidenobpf tant la situation lui paraissait saugrenue. Cinq salaires et même pas de quoi faire vivre convenablement une famille de huit personnes. Alors qu’à quelques pâtés de maisons, le vieux Barthelemy cherchait un héritier pour ses dollars. Penser au vieil avocat la tira brutalement de ses réflexions et la cuillère retomba bruyamment dans l’assiette.

Elle resta songeuse tout le lendemain. Comment des gens pouvaient-ils vivre de cette façon et supporter une telle misère ? Ils étaient venus en Amérique pour recommencer une nouvelle vie et offrir une chance à leurs enfants. Et voilà ce qu’ils avaient trouvé : des travaux pénibles pour quelques malheureuses pièces, du bouillon au pain noir tous les jours que Dieu faisait, et un logis miteux dans un immeuble délabré. Une vie misérable. Il y avait pourtant une solution. Pour des gens pleins de bonne volonté comme Frida et Heinrich Weidenobpf, il y avait forcément une solution.

Elle se fit embaucher ce jour-là comme crieur de journaux et comme Sam, rapporta sa paye aux Weidenobpf qui l’hébergeaient. Quand Ernst et son père furent rentrés, Frida déposa les écuelles pleines devant eux. Gertie dit les grâces, puis le père donna à chacun sa tranche de pain. Tout le monde était souriant autour de la table, malgré le maigre repas et la misère qui les entourait. Ils semblaient vouloir conjurer le malheur par leurs rires et leurs chants. Fanny regarda, pensive, les croûtons flottant dans sa soupe. "Tu n’as pas faim ?" demanda Ernst qui lorgnait déjà sur l’assiette fumante. L’ordinaire suffisait à peine à ce vigoureux garçon qui, à douze ans, semblait plus âgé que Samuel. Elle leva la tête, son regard glissa sur les membres de la famille qui l’observaient dans un silence inquiet. "Vous n’avez jamais pensé à partir vers l’Ouest ?"
Les adultes se regardèrent, déconcertés. "Tu veux dire… la Californie ? demanda Gertie, hésitante.
– Pas forcément si loin, répondit Fanny. Le Minnesota, le Missouri, le Kansas… Il y a pleins d’endroits au-delà du Mississippi où on peut vivre certainement mieux qu’ici. Je ne dis pas que c’est facile. Ce sont des terres encore sauvages. Mais pour quelqu’un de déterminé, avec du courage, de la volonté et de la patience, il y a de l’avenir.
– C’est dangereux, non ? intervint Frida.
– A mon avis, pas plus que les coupe-gorge de Boston… Ni que le travail dans une usine. Le voyage est long, bien sûr, mais je crois qu’il en vaut la peine."

Après coup, Fanny se demanda si elle n’avait pas fait une erreur en leur parlant de l’Ouest. Maintenant, ils se posaient probablement des questions à son sujet... Et puis que savait-elle de ce voyage, de la vie des pionniers ? Elle n’avait fait que les voir passer, à Fort Laramie. La plupart étaient marqués par l’épuisement. Beaucoup étaient morts en route et nombre d’entre eux se demandaient s’ils auraient la force d’aller jusqu’en Oregon. C’était si loin l’Oregon… Le Kansas, par contre… Emma Jordan était du Kansas. Elle trouvait le pays agréable - petite confidence qu’elle n’avait faite qu’à Fanny. Des fermiers commençaient à s’y installer, quelques éleveurs aussi, comme son père. Des petites villes naissaient où l’on avait besoin de bonnes volontés. Le Kansas était probablement un endroit pour les Weidenobpf.

Heinrich Weidenobpf garda longtemps les yeux ouverts, ce soir-là, après s’être allongé sur la paillasse inconfortable. Sa femme se retourna et il lui prit la main. "Frida, dit-il au bout d’un moment, dans sa langue maternelle. Si c’était la solution ?
– De quoi parles-tu, Heinz ? demanda-t-elle, à moitié endormie.
– L’Ouest. Peut-être que Fanny a raison. Peut-être que nous devrions partir. Nous sommes venus en Amérique parce qu’il n’y avait aucun avenir pour nous en Allemagne. Mais qu’avons-nous trouvé de plus, ici ? Rien. Il n’y a rien de plus à Boston qu’à Düsseldorf. Je ne suis pas venu pour y faire le même genre de travail pour le même salaire de misère.
– C’est un long et dangereux voyage, fit remarquer sa femme.
– Mais ça en vaut peut-être la peine.
– … Et il faudra de l’argent."
Heinrich soupira. Il songea aux maigres économies qui restaient de leur voyage, quatre ans plus tôt. Frida avait jalousement veillé dessus pour un cas d’urgence. Il en faudrait bien plus, s’ils décidaient de faire le voyage. Mais pouvaient-ils continuer à vivre ainsi ? Qu’était devenu leur rêve ?

Trois jours avaient passé et personne n’avait plus reparlé du voyage. Pourtant, cette idée avait enflammé l’imagination de Samuel. Il se gardait bien d’y faire allusion devant ses parents, mais avec Fanny, c’était différent. Ils étaient amis. Elle lui avait tout raconté : Fort Laramie, Petit-Lynx, le Nouveau Mexique… Sainte Clothilde… Il la harcelait de questions sur ce qu’elle avait vu, l’armée, les indiens, les trappeurs, les bisons… Elle n’avait vu les bisons qu’une fois, de loin. Elle n’avait pas eu le droit de participer à la chasse. Mais Ecoute-Avec-Le-Coeur, le vieux sage, leur racontait souvent les grandes chasses du peuple cheyenne, là-bas dans la prairie. "Ce que tu as crié, l’autre jour, qu’est-ce que ça voulait dire ?
– Hooka-Hey ! C’est un cri de guerre indien. Ca veut dire "C’est un beau jour pour mourir."
– Tu parles leur langue ? s’écria Sam, émerveillé.
– Un peu le sioux, mais surtout le cheyenne. En fait, ça se ressemble assez. Ecoute-Avec-Le-Coeur dit que toutes les Nations ont la même origine. Elles sont nées de la Terre, leur mère nourricière. C’est pour ça que leurs langues et leurs légendes sont souvent très proches.
– Tu aurais aimé être indienne ?
– Si j’avais été un garçon, oui… Mais, je le suis quand même un peu, répondit-elle en caressant machinalement la cicatrice qui barrait la paume de sa main gauche. La tribu m’a adoptée et Petit-Lynx est devenu…"
Fanny s’arrêta brusquement, ses yeux perçants braqués sur un point à une cinquantaine de mètres devant elle. Intrigué, Sam regarda dans la même direction et ne tarda pas à les remarquer. Deux hommes solidement bâtis, portant un costume sombre impeccable, un nœud de cravate sur une chemise amidonnée et un chapeau haut de forme. Ils avançaient d’un pas tranquille, fouillant la foule du regard.
Fanny attrapa son ami par le bras et lui fit signe de faire discrètement demi-tour. Mais soudain, elle le poussa devant elle et prit le pas de course. "Ils nous ont vus ! cria-t-elle, pendant que les deux géants se lançaient à leurs trousses.
– C’est qui, ces types ?
– Les cerbères du collège des garçons. Avec leurs costumes de croque-morts, je les reconnaîtrais entre mille."
Les deux enfants filèrent dans le dédale des rues, mettant à profit les connaissances de Samuel. Il se dirigeait dans North End avec une aisance déconcertante. Il pensait pouvoir facilement semer leurs poursuivants en les perdant dans le labyrinthe des ruelles étroites. Il évitait soigneusement les impasses mais n’hésitait pas à tourner et retourner pour les déboussoler. Finalement, les deux fuyards rejoignirent une rue passante et se noyèrent dans la foule. Mais, comme ils pensaient s’être débarrassés de leurs poursuivants, ceux-ci resurgirent bientôt derrière eux. Sam et Fanny détalèrent, bousculant au passage quelques piétons afin de créer la confusion qui retarderait les deux hommes. Mais ils avaient beau faire, ils ne parvenaient pas à les distancer. Ils se retrouvèrent bientôt pris au piège dans une impasse. Les deux hommes apparurent à l’angle. "Cette fois, tu es coincée, Barthelemy, lança l’un d’eux. Pas de bêtise, tiens-toi tranquille."
"De bêtise ?" Ils la connaissaient décidément très mal. La fillette bondit vers la palissade qui bloquait la rue, agrippa le sommet et l’enjamba. Elle aida Sam à en faire autant et ils sautèrent de l’autre côté au moment où les deux hommes les rejoignaient. Impossible de lâcher ces deux pots de colle ! Ils eurent beau ruser, rien n’y fit. Ils s’accrochaient toujours. Finalement, Fanny avisa une échelle de secours le long de la muraille. "Encore des acrobaties ? dit Sam, haletant.
– Fais-moi la courte échelle. On va essayer de passer par les toits.
– T’es complètement folle, Fanny.
– Je sais."
Une fois le premier barreau atteint, elle aida le jeune garçon à se hisser et tous deux gravirent l’escalier jusqu’au toit en terrasse. Ils s’arrêtèrent quelques secondes pour reprendre leur souffle. Les pas des deux hommes retentirent bientôt sur la ferraille de l’escalier. Fanny attrapa le jeune garçon par le bras et l’entraîna parmi les cheminées. Ils passèrent ainsi de toit en toit, montant et descendant de petites échelles, s’aventurant sur les pentes glissantes, avant de retrouver la sécurité d’une terrasse, jusqu’à ce qu’ils découvrent une ruelle s’ouvrant à leurs pieds. Deux mètres les séparaient de l’autre immeuble. Sam recula, essoufflé. "Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?
– On saute… Qu’est-ce qu’il y a, Sam ?
– J’y arriverai jamais.
– Me dis pas que t’as la trouille ! C’est rien du tout à sauter.
– Je suis pas aussi fort que toi, Fanny. Je… je sais que j’y arriverai pas. T’as qu’à continuer sans moi.
– J’ai jamais abandonné un ami, c’est pas aujourd’hui que je vais commencer, dit-elle d’un ton brusque. Maintenant, arrête de pleurnicher et regarde. Il suffit de prendre de l’élan."
Fanny recula, mais comme elle entamait sa course, elle vit deux autres costumes noirs apparaître en face. Sam cria et elle se retourna juste à temps pour esquiver l’assaut de ses deux poursuivants. Les inconnus les rejoignirent d’un bon et ils furent bientôt quatre à encercler les enfants. Il n’y avait plus d’échappatoire. Fanny voulut les feinter, elle les fit encore courir, mais cela ne servit à rien. Une fois qu’ils l’eurent attrapée, ils ne la lâchèrent plus malgré l’énergie qu’elle déployait à se débattre et à distribuer des coups.

Quand Samuel rentra, ce soir-là, les vêtements déchirés et des traces de coups sur le visage, sa mère se précipita vers lui, inquiète. Le jeune garçon s’assit, dit simplement que Fanny ne reviendrait pas et pleura en silence.

Chapitre suivant

Retour à la page des fan fictions

Retour à la page d'accueil