Sur la frontière


Boston

SEPTEMBRE 1856

La diligence venant de Wesport passait deux fois par mois à Fort Esperanza. On y changeait les chevaux et elle déposait les journaux de l’Est, le courrier et, à intervalles très irréguliers, la solde de la garnison. Parfois, quelques passagers en route pour Santa Fe y avaient pris place. Des habitants de la grande ville du Nouveau Mexique ou des marchands faisant commerce avec les villes mexicaines frontalières. Mais la plupart de ceux qui empruntaient la piste voyageaient en convois pour parer aux attaques d’aventuriers de tous bords qui surgissaient soudain sur la route puis se réfugiaient au-delà du Pecos une fois leur forfait accompli. L’armée ne pouvait pas grand-chose face à ces bandes armées qui connaissaient les moindres recoins de la Sierra. Elle ne pouvait qu’offrir aux voyageurs des refuges sûrs grâce aux forts disséminés tout le long du trajet.

Par une belle matinée, un vieil homme de haute stature, élégamment vêtu à la mode de l’Est, descendit de la diligence à la halte de Fort Esperanza. Il épousseta soigneusement son costume et son chapeau, prit appui sur sa canne à pommeau d’ivoire et jeta un regard fortement désapprobateur au cocher qui venait de jeter sans ménagement une sacoche de cuir à bas de la galerie. Comme personne ne semblait lui prêter attention, il héla un soldat qui s’affairait près de la voiture, d’un air hautain, comme il se serait adressé à son valet : "Vous, là ! Conduisez-moi auprès de votre commandant."
Le vaguemestre dévisagea avec curiosité cet homme aux cheveux blancs comme neige, engoncé dans son riche costume en velours et soie, droit comme un canon de fusil. On n’avait guère l’habitude de croiser ce genre de voyageurs au fort. Qui se serait risqué à faire une telle route en étalant ainsi sa fortune ? Même les riches marchands prenaient des allures de mauvais camelots lorsqu’ils empruntaient la piste. De plus, le visiteur ne semblait ni patient ni accommodant. Outré par l’attitude du soldat, il se raidit et s’écria plus rudement : "Qu’attendez-vous donc ? Je n’ai pas tout mon temps !"
Le soldat laissa tomber le sac de courrier avec un imperceptible soupir et lui fit signe de le suivre.

Depuis la veille, le colonel MacLand épluchait les rapports des dernières patrouilles le long de la piste de Santa Fe. Même si depuis sa prise de commandement il avait réussi à maintenir la paix avec les indiens, il n’avait pas écarté tout danger pour les immigrants. A vrai dire, les commanches l’inquiétaient à présent bien moins que les pillards, toujours plus nombreux, surtout depuis que des bandes mexicaines traversaient le Rio Grande pour opérer au Texas et au Nouveau Mexique. Ces « bandidos » poussaient l’audace jusqu’à s’enfoncer dans les terres pour s’en prendre aux villes. Une de ces bandes était signalée dans la région depuis plusieurs semaines, mais il savait qu’il n’en viendrait pas à bout tant qu’on ne lui enverrait pas de nouveaux effectifs. Il avait déjà écrit plusieurs fois au ministère de la guerre pour réclamer des renforts. Chaque fois on les lui avait promis, jamais il ne les avait eus. En attendant, les rapports s’entassaient sur son bureau, toujours plus alarmants.
Le colonel leva les yeux vers la fenêtre et soupira. A quand remontait donc la dernière fois où lui-même avait conduit la patrouille ? Il ne sortait plus guère du fort, à présent. Trop de travail, trop de responsabilités. Etait-ce pour en arriver là, à ce travail de gratte-papier qu’il avait choisi la cavalerie après West Point ? Il était bien loin le temps de l’expédition dans les Rocheuses avec Frémont, Karl Preub et Kit Carson. Quatorze ans déjà qu’ils avaient ouvert la route à travers les montagnes ; quatorze ans qu’ils avaient dit à ce jeune peuple : « Va vers l’Ouest ! Va vers ces terres nouvelles qui sauront te donner bien plus que tu ne pourras jamais leur demander. » Quelle confiance avait-il alors en la nature humaine ! Quel naïf avait-il été ! L’homme demande toujours plus. Il ne sait pas s’arrêter. Pourquoi n’avaient-ils pas laissé croire qu’il n’y avait rien au-delà des montagnes ? Rien qu’un grand désert, une terre stérile. Il savait maintenant que croyant bien faire, Frémont avait signé l’arrêt de mort de ces terres et de leurs habitants en présentant le fameux rapport qui avait stupéfait le congrès.

Le vaguemestre frappa à la porte du bureau et le tira de sa rêverie. Quand le visiteur entra dans la pièce, John MacLand eut un choc. Ces traits durs et figés dans un visage long et sec, ce regard d’un bleu glacial, cette moustache et ce bouc d’un blanc presque immaculé, ce maintien raide et méprisant. Le soldat se leva et tendit la main à l’homme dont il avait gardé le souvenir sans arriver à l’identifier.
"Colonel MacLand, je présume, dit l’inconnu en ignorant la main tendue. Peut-être vous souvenez-vous de moi. Nous nous sommes vus il y a seize ans, lors de la remise des diplômes à West Point... Je suis Edward Barthelemy II... Le père de Maxime."
Le geste du colonel resta en suspens. Il dévisagea son interlocuteur avec une stupéfaction qui se changea bientôt en méfiance. "Je suis ravi de vous revoir, monsieur, dit le soldat d’un ton neutre qui démentait ses paroles. Quelle affaire vous amène si loin de chez vous ?
– Vous devez vous en douter, répondit le vieil homme avec un regard froid en prenant le siège qu’on lui désignait, tandis que l’officier se renfonçait dans son fauteuil. Je n’ai pas fait tout ce voyage pour avoir de vos nouvelles.
– Vous venez pour Fanny, n’est-ce pas ?
– En effet. Je suis venu chercher ma petite-fille pour la ramener à Boston.
– Pourquoi maintenant ? demanda le colonel en s’assombrissant.
– Je pourrais vous répondre que cela ne vous regarde pas, mais je serai bon prince. Il est temps que cette enfant reçoive la meilleure éducation qui soit afin de pouvoir honorer le nom qu’elle porte. Elle est mon unique héritière. A ma mort, je lui laisserai tous mes biens, ce qui est loin d’être négligeable, un nom respecté et une place dans la société.
– A moins que vous ne la déshéritiez, comme vous avez déshérité votre fils," lâcha le colonel d’un ton amer.
Le vieil homme, choqué, se redressa vivement sur son siège et toisa l’officier. "Mesurez vos paroles, colonel. Je ne me laisserai pas insulter impunément. D’ailleurs, ce sont là des affaires de famille qui ne vous regardent pas.
– Permettez-moi de vous contredire, monsieur Barthelemy", répliqua MacLand en se levant brusquement, comme pour donner plus de poids à ses paroles. Penché en avant au-dessus du bureau sur lequel il s’appuyait, il lança un regard accusateur au vieil homme qui le soutint avec une parfaite maîtrise de soi.
"Nous sommes en train de parler de mon meilleur ami et de l’avenir de sa fille, qu’il m’a confiée, continua MacLand, perdant visiblement patience. Vous avez renié Maxime pour son mariage. Vous ne vous êtes jamais préoccupé de son sort ni de celui de sa famille. Avez?vous seulement cherché à aider Fanny lorsque ses parents sont morts ? Vous l’avez ignorée douze années durant et pendant tout ce temps, elle a trouvé ici ce que vous lui aviez refusé : l’amour d’une famille. Et vous voudriez nous l’enlever sous prétexte d’assurer la pérennité de la famille Barthelemy ? Je ne vous laisserai pas faire.
– Votre affection pour cette enfant vous égare, colonel. Dites-vous bien que j’ai plus de droits sur elle que vous n’en aurez jamais. Je suis son grand-père. Que vous le vouliez ou non, je l’emmènerai. Je vous prie donc de faire préparer ses affaires. Je souhaite partir par la prochaine diligence dans quatre jours."
Le colonel le considéra d’un air écœuré. Il n’en croyait pas ses oreilles. Il lui semblait que tout ceci n’était qu’un cauchemar et qu’il tardait seulement à se réveiller. Mais non. Le vieil homme était bien là, et il lui réclamait sa fille.
"Comment pouvez-vous croire que je vous laisserai l’emmener ?
– Tout simplement parce que vous n’avez pas le choix, répliqua Barthelemy, agacé. Cette enfant m’appartient.
– Fanny n’appartient à personne, monsieur ! Ce n’est pas un animal de compagnie… Et elle ne quittera pas Fort Esperanza ! déclara John MacLand en tapant du poing sur la table.
– Ne me sous-estimez pas, colonel, avertit Barthelemy d’une voix sourde en le regardant dans les yeux. J’ai beaucoup de relations et d’amis influents, et je n’ai qu’un mot à dire pour que vous ne soyez plus rien.
– Vous n’espérez tout de même pas m’intimider avec ce genre de menaces ! s’exclama le soldat, frémissant de colère.
– Je vous crois sensé, MacLand. Je sais que vous ne ferez rien qui puisse nuire à votre famille… Vous savez que vous ne gagnerez pas. Je vous rappelle que j’ai la loi pour moi. Maintenant, assez discuté. Veuillez vous occuper des préparatifs et me faire conduire à mes appartements." Les poings de l’officiers se crispèrent. A cet instant, il aurait pu lui sauter à la gorge. Mais cela n’aurait fait qu’aggraver la situation.
"Ellis !" tonna-t-il, sans quitter le vieil homme des yeux.
L’ordonnance, surpris par le ton inhabituel de la voix, entra précipitamment, persuadé qu’il était arrivé un accident. De stupéfaction, il s’arrêta net sur la pas de la porte. Jamais il n’avait vu son supérieur dans un tel état. Son visage était crispé de fureur contenue. Une veine palpitait à son front, prête à éclater. Tout son corps était tendu à l’extrême, comme s’il se tenait prêt à bondir à tout instant. Sa voix même avait changé. Elle exprimait une telle haine qu’il n’en revint pas. Le soldat se mit au garde à vous, inquiet, et attendit les ordres.
"Veuillez conduire monsieur Barthelemy au quartier des… invités", finit-il par articuler. Le soldat Ellis salua sans un mot et entraîna le visiteur à sa suite. A peine eut-il refermé la porte, qu’un grand fracas le fit sursauter. De rage, le colonel avait empoigné la lampe et l’avait projetée contre le mur, avant de balayer le plateau de son bureau d’un geste violent. L’encrier de verre éclata en tombant sur le plancher, éclaboussant les lames usées d’encre violette. Emporté par sa colère, John se retourna vers la fenêtre et s’arc-bouta contre le montant de bois. Il fallait qu’il se calme. Il fallait absolument qu’il se calme. Il devait maintenant affronter Carol et Fanny. Il savait qu’il ne pouvait pas lutter. Malgré tout son désir et sa volonté de garder sa fille auprès de lui, il ne pouvait que se soumettre aux arguments du vieil avocat. Il finirait donc par l’emmener loin d’eux, mais serait-il capable de l’aimer, de lui donner toute la tendresse qu’elle avait trouvé en adoptant cette famille ? Comment l’imaginer dans cette grande ville au ciel triste et aux rues sales ? Comment imaginer que ce petit animal sauvage puisse survivre sans l’immensité de la plaine, la démesure des montagnes, le mystère des forêts ?

"Non !"
Ce mot résonna dans les oreilles du colonel longtemps après que la porte eût claqué. Il lui avait déjà été assez pénible de lui expliquer la situation. Il s’attendait pourtant à ce genre de réaction, mais elle lui fit plus mal qu’il n’aurait cru. Il revoyait encore les yeux de la fillette, s’agrandissant de stupeur, puis s’embuant. Elle avait pourtant refoulé ses larmes, et son regard s’était tout à coup chargé de colère. "Non !"
C’est le seul mot qu’elle avait prononcé. Plus que cela, elle l’avait hurlé, et dans un élan de révolte, s’était enfuie. Il était presque persuadé qu’elle allait quitter le fort, bien qu’elle ne l’ai pas fait depuis plusieurs mois. Ou alors, elle irait se terrer dans un coin à ruminer. Elle avait besoin de solitude et il la laisserait en paix, malgré les humeurs de l’avocat.

Les mains dans les poches, John contemplait encore la porte qui s’était refermée sur elle. Il n’osait pas la quitter des yeux. Pourtant, il sentait le regard accusateur de Carol qui le transperçait plus sûrement qu’une flèche. Il sentait ses yeux gris qui avaient dû se plisser en une mince fente. Ce regard dur et impitoyable qu’elle prenait lorsqu’elle était en colère, ce regard qui ressemblait si peu à sa Carol.
"Comment peux-tu faire ça ?" lâcha-t-elle dans un souffle, encore sous le choc. Elle se tenait debout derrière lui, droite et rigide dans sa robe de calicot bleu, les mains crispées sur son tablier blanc. Elle fit un pas vers lui qui lui tournait toujours le dos. "Comment peux-tu faire ça ? !" hurla-t-elle enfin à ses oreilles.
"John ! Comment oses-tu ? Comment peux-tu être aussi cruel ?" MacLand se retourna mais évita son regard. D’un pas nerveux, il se dirigea vers l’autre bout de la petite pièce plongée dans l’obscurité en lui assénant un "Je t’en prie, Carol, ce n’est pas le moment." qui la fit bouillir.
"Pas le moment ? s’exclama-t-elle en le retenant par le bras. Regarde-moi quand je te parle John MacLand ! Es-tu fier de ce que tu as fait ? Tu as vendu ta fille !
– Je n’ai vendu personne, Carol ! Il est son plus proche parent, et contre ça je ne peux rien faire. Et tu le sais très bien.
– Mais tu ne peux pas la laisser partir, s’indigna-t-elle. Tu ne peux pas. C’est notre fille, bon sang !" Ne le voyant pas réagir, Carol fusilla son mari du regard et lâcha son tablier. Puisque lui ne ferait rien, elle était bien résolue à prendre les choses en main. D’un geste nerveux, elle défit son tablier et mit la main sur la poignée de la porte. La main de John se posa dessus pour la retenir. "S’il te plaît, ne rend pas les choses plus compliquées qu’elles ne le sont." Elle voulut passer outre, mais il emprisonna ses poignets pour l’empêcher de faire quoi que ce soit que tous regretteraient. "Non ! finit-elle par hurler. Non ! Je ne veux pas." Ses cris moururent dans un sanglot, tandis qu’elle se blottissait entre ses bras. John la garda serrée contre lui un long moment. Il aperçut alors la frimousse sillonnée de larmes de Madeleine qui, silencieuse, les observait, à moitié dissimulée derrière la porte de la cuisine. Elle avait suivi toute la scène. Elle savait tout. Il lui fit signe de les rejoindre. La fillette hésita, puis finalement vint se jeter dans leur bras et donna libre cours à ses larmes.

La lune pointait à peine derrière le canyon de l’Homme Mort. Une légère brume était descendue sur le fortin qui s’endormait dans la nuit encore chaude de septembre. Les lumières des bâtiments de briques séchées s’éteignaient les unes après les autres, seul le poste de garde veillait jalousement sur la flamme vacillante de sa lampe. D’un pas presque silencieux, la relève monta sur le mur d’enceinte. Les saluts et les ordres s’échangèrent, comme tous les soirs, sans troubler le calme de la nuit. Puis les sentinelles descendirent du même pas et regagnèrent leurs quartiers. Epuisé par sa garde, le caporal Davis jeta négligemment son chapeau sur la table et s’assit lourdement sur sa paillasse. Un léger soupir le mit pourtant aux aguets. Il scruta les ténèbres de la pièce pour découvrir bientôt la fillette assise à la tête du lit, recroquevillée sur elle-même, la tête enfouie dans ses genoux. Le jeune homme s’approcha et l’observa un instant avec indulgence. « Qu’est-ce qui ne va pas ? » finit-il par demander. Fanny détourna la tête d’un air sombre qui ne lui appartenait pas. Devant son obstination, Davis résolut d’employer les grands moyens. Il s’assit à ses côtés d’un air innocent, puis, surprenant ses défenses, se mit à la chatouiller. La fillette serra tout d’abord les dents sous l’attaque, mais finit par sourire.
"Alors, Petit-Renard. Je croyais qu’on pouvait tout se dire. Qu’est-ce qui t’arrive ?
– Je veux pas partir", répondit-elle avec amertume.
Davis comprit que la chose était plus grave qu’il ne l’avait imaginé. "C’est le vieux bonhomme qui est arrivé ce matin, n’est-ce pas ?
– Il dit qu’il est mon grand-père. Il veut m’emmener à Boston. Mais je veux pas y aller. C’est ici que j’habite. Et j’ai déjà un grand-père : c’est Grand-Père Teddy. L’autre, je le connais pas... Papa... Il dit que je dois partir. Pourquoi il me garde pas ici ?
– Probablement parce qu’il veut ce qu’il y a de mieux pour toi. Tu as bien de la chance d’avoir deux familles. Beaucoup de gens n’en ont même pas une seule.
– Alors toi aussi, tu veux que je m’en aille ? s’exclama Fanny en ouvrant de grands yeux désespérés. Je croyais que tu étais mon ami !"
Le jeune homme laissa son regard courir sur son joli petit visage faiblement éclairé par la lueur de la lune. Il devinait ses traits butés, son menton volontaire et sa mâchoire crispée. Il sentait toute sa révolte prête à exploser. Ou peut-être était-elle seulement en train de se changer en détresse, un sentiment qu’il ne lui connaissait pas jusqu’à présent. Il ne l’avait jamais vue baisser les bras devant l’adversité. Délicatement, il remit une mèche de ses longs cheveux échappée de sa tresse derrière son oreille et soupira :
"Je suis ton ami. Et je ne tiens pas te voir partir. Pas plus que tes parents. Seulement s’ils le font, c’est qu’ils n’ont pas le choix. Puisqu’il est ton grand-père, cet homme a le droit de t’emmener avec lui... Et qui sait ? Tu seras peut-être très heureuse."
Mike se voulait rassurant, mais le cœur n’y était pas. Il prit la fillette dans ses bras et la serra contre lui, comme gage de son amitié éternelle.

Le train les déposa en gare de Boston dans les premiers jours d’octobre. L’homme de confiance d’Edward Barthelemy, prévenu par télégraphe de leur arrivée, les accueillit sur le quai. Pendant qu’un bagagiste se chargeait de la malle achetée à Saint-Louis, les deux hommes et l’enfant gagnèrent le coche qui les attendait. Le premier contact de Fanny avec Boston fut atroce. Perdue au milieu des maisons brunes serrées les unes contre les autres, des étroites fenêtres aux vitres sales et des rues encombrées de fiacres et de gens, elle fut soudain prise d’un sentiment d’étouffement qu’elle eut le plus grand mal à dissimuler. Mais à quoi bon, puisque son grand-père, trop occupé à recevoir les dernières nouvelles de ses affaires, ne lui prêtait pas attention. Fanny monta dans la voiture, prenant bien garde à ne pas coincer dans la portière les encombrants jupons dont on l’avait affublée et à garder bien droit sur sa tête le ridicule bonnet orné de plumes d’autruche.
Le coche s’ébranla. Au bout de quelques minutes, il quitta les rues bruyantes pour s’engager dans une longue avenue bordée de maisons plus grandes, aux façades cossues. Certaines s’entouraient de petits jardins, rappelant en cela la belle maison de Grand-Mère Sarah, à Saint-Louis. Mais toutes étaient bien sombres, en comparaison de la demeure coloniale aux murs éclatants de blancheur. Ou peut-être était-ce le ciel gris et froid qui les faisait paraître ainsi. La voiture gravit la colline par une rue pavée bordée d’arbres et s’arrêta finalement devant le porche d’une immense bâtisse de briques rouges devant laquelle s’avançait un jardinet minuscule. Monsieur Lanxford descendit le premier et tendit la main à Fanny. La fillette leva les yeux vers la maison et réprima un frisson. Mais déjà, Barthelemy la pressait d’entrer. Une vieille femme à la mine sévère vint saluer le maître des lieux d’une révérence rigide puis étudia l’enfant du regard. Finalement elle s’empara de son manteau et le tendit à une domestique qui venait à sa suite. "Voici madame Pembleton, la gouvernante de la maison, dit Barthelemy. Elle s’occupera de vous pendant votre séjour ici. Vous devez lui obéir.
– Ben, ça promet", marmonna Fanny.
Le vieil homme, qui avait l’oreille fine, lui adressa un regard intraitable et Fanny baissa les yeux en murmurant des excuses qu’elle ne pensait pas. Elle était prête à faire des efforts, comme le lui avait demandé le colonel, mais cela s’annonçait plus difficile que prévu. La gouvernante releva le menton, ce qui accentua son air guindé, croisa les mains sur son tablier et ordonna plus qu’elle ne demanda à la fillette de la suivre. Ensemble, elles montèrent le grand escalier puis suivirent un couloir où l’abondance de tapis colorés parvenait à faire oublier le froid et la tristesse de la maison. Madame Pembleton poussa une porte et Fanny découvrit une pièce joliment décorée de tapis et de rideaux. Le grand lit à colonnade était habillé de draps et de couvertures sentant bon le propre, et dans la cheminée à manteau de marbre, crépitait un bon feu.
"Déshabillez-vous, ordonna la gouvernante.
– Pourquoi faire ?
– Parce que je vous le demande, rétorqua la vieille dame. Dépêchez-vous un peu, sinon c’est moi qui m’en chargerai.
– Essayez donc ! Si vous croyez que je vais me laisser faire !
– Taisez-vous et ôtez vos vêtements, dit la gouvernante d’un ton sec. Vous allez vous laver et vous habiller pour le souper."
Fanny aurait bien désobéi, mais le voyage lui avait ouvert l’appétit et elle se doutait bien qu’un refus d’obtempérer pouvait la priver de souper. Une domestique venait d’amener un bac en zinc et y versait des brocs d’eau fumante. Fanny trempa un orteil pour tester la température, puis entra dans la bassine. Madame Pembleton s’empara de la brosse en crin et commença à la frotter vigoureusement. "Je suis capable de le faire moi-même, grommela la fillette, humiliée.
– Vous n’êtes plus chez les sauvages, ici. Il ne faut rien négliger si vous voulez avoir l’air d’une jeune fille convenable.
– Moi, j’ai rien demandé. Et puis, c’est pas parce qu’on vit sur la Frontière qu’on sait pas se laver."
La gouvernante lui versa sans ménagement un broc d’eau sur les épaules puis l’enroula dans un grand linge blanc et la frictionna. Avant de sortir, elle désigna une robe turquoise étalée sur le lit. "Habillez-vous, Mademoiselle. Monsieur vous attend en bas pour le souper."

Autant Fanny aurait pu s’habituer à vivre dans la grande maison et à porter des robes, autant elle ne put supporter l’attitude de son grand-père à son égard. Elle ne le voyait qu’au moment des repas, et encore ne lui adressait-il pas la parole. Lorsque enfin elle trouvait à dire quelque chose qui eut pu l’intéresser, le vieil homme brisait son entreprise par des règles absurdes de bonne conduite.
"Un enfant ne parle que lorsqu’il y est invité." De toute façon, il ne l’invitait jamais à parler. Encore moins à donner son avis. Fanny aurait pu supporter le taciturne monsieur si, ne serait-ce qu’une fois dans la journée, il lui avait demandé de ses nouvelles, ou s’il lui avait seulement dit bonjour. Mais il installait entre eux une distance qu’elle n’acceptait pas.
Ainsi qu’elle l’avait pressenti, la vie à Boston lui pesait lourdement. Elle ne sortait pas, ne voyait personne, hormis les domestiques et surtout madame Pembleton. Les relations avec la vieille dame étaient d’ailleurs moins difficiles que les prémices l’avaient laissé penser. Fanny la respectait pour sa franchise et sa droiture. De plus, ce n’était pas le genre de femme à s’en laisser compter. Quoiqu’il advienne, elle était toujours d’un calme olympien et savait être sévère sans être injuste. Une relation de confiance s’était établie avec la vieille gouvernante qui devinait chez l’enfant une peine infinie d’avoir été arrachée à ceux qu’elle aimait, mais aussi une farouche volonté de n’en rien laisser voir et de s’adapter à la nouvelle situation.

Au bout d’une semaine de ce régime, madame Pembleton entra un matin dans la chambre et ouvrit les rideaux d’un grand geste, comme à son habitude. Mais au lieu de ressortir pour laisser Fanny faire sa toilette, elle tira la malle de l’armoire et commença à y ranger quelques affaires. Comme la fillette la regardait d’un air étonné, elle la pressa de s’habiller et de rejoindre Monsieur dans son bureau.
Edward Barthelemy était assis dans son grand fauteuil de cuir, le cigare à la bouche, le lorgnon sur le nez, et consultait des papiers que lui remettait Lanxford. Fanny frappa à la porte et attendit qu’on veuille bien lui ouvrir. Puis elle entra dans le sanctuaire du vieil avocat. Elle n’avait encore jamais été autorisée à voir le bureau où son grand-père passait la quasi totalité de son temps. Impressionnée par la grandeur du lieu et le nombre incalculable de livres entassés le long des murs, elle ne prit pas garde au tapis étalé à ses pieds, trébucha, se prit les pieds dans le cerceau de sa robe et réussit finalement à retrouver son équilibre dans une nuée de jurons à moitié étouffés.
"Je ne vous ai pas demandé de venir pour que vous nous gratifiiez du bas langage des troupes, déclara la voix pleine de reproches de l’homme de loi. D’ailleurs, il est temps de reprendre votre éducation en main. J’ai réussi, grâce à des amis influents, à vous faire admettre au collège Sainte Clothilde. Nous partons dans une demi-heure.
– Mais Grand-Père… voulut protester Fanny.
– Quand donc apprendrez-vous à vous taire lorsqu’on ne vous demande rien ?" s’emporta le vieil homme.
La fillette baissa les yeux, la rage au coeur, et sortit sans le saluer.

Fanny suivait en silence la surveillante dont les semelles claquaient sur le dallage froid de l’interminable couloir. Après un bref entretien au cours duquel elle avait été présentée à madame Hillman, la directrice de l’établissement, on l’avait emmenée dans le labyrinthe. Docilement, elle suivait la femme à la robe noire et au chignon sévère qui la guidait dans sa nouvelle demeure. Et déjà, elle sentait une profonde tristesse l’assaillir à la vue des grands bâtiments de pierre sombre et des murs froids et impersonnels. Elles entrèrent tout d’abord dans une petite pièce garnie d’étagères sur lesquelles s’empilaient vêtements, couvertures et diverses fournitures. La femme lui remit la robe bleu marine et la cravate blanche qui constituaient l’uniforme des jeunes filles de Sainte Clothilde, ainsi qu’une paire de bas, des chaussures et une pèlerine. Elle plia tout ce linge sur une couverture et déposa le paquet dans les bras de la nouvelle pensionnaire. Puis toutes deux se remirent en route. Elles retraversèrent le bâtiment, passèrent devant plusieurs salles de classe, longèrent une cour et atteignirent enfin les dortoirs. Après avoir gravi un grand escalier de pierre, la surveillante s’arrêta devant une porte et fit signe à Fanny d’y entrer. "Changez-vous et rangez vos affaires. Je viendrai vous chercher dans un quart d’heure pour vous conduire en classe."

La pièce n’était pas bien grande et suffisait à peine à contenir les deux lits, la table de travail et les deux placards qui la meublaient. Au milieu, trônait la malle de Saint-Louis. Fanny jeta son paquet sur le lit vide et se précipita vers la minuscule fenêtre pour l’ouvrir. Un courant d’air froid et humide envahit la pièce et lui rendit un peu de couleurs. Elle se pencha pour observer la vue. On était au troisième étage du bâtiment. Jamais encore elle n’avait vu de maison si haute. D’ici, pensa-t-elle, elle pourrait certainement apercevoir toute la ville, le fleuve, et peut?être même les forêts qui les entouraient. Malheureusement, elle ne trouva en face d’elle que les quelques arbres de la cour et le mur du bâtiment voisin. Le froid commençant à la gagner, elle ferma la fenêtre et se changea. Elle se démenait encore avec les boutons minuscules de la robe lorsque la surveillante revint. La femme fronça les sourcils devant tant de maladresse et boutonna la fillette d’un geste nerveux. "Vous auriez au moins pu vous coiffer", lâcha-t-elle en désignant la chevelure éparse dont une mèche retombait devant ses yeux.
Fanny rassembla rapidement ses cheveux et les attacha à l’aide d’une lanière de cuir, comme elle avait l’habitude de le faire. Mais cela ne sembla pas convenir à la surveillante qui prit une brosse dans la malle et se mit à la coiffer vigoureusement. Puis, tirant sur les mèches au point d’en faire grimacer la fillette, elle fit deux tresses bien serrées qui tombèrent bientôt, rigides, derrière ses oreilles. La femme l’attrapa alors par la main et la traîna dans les couloirs en l’assommant d’avertissements sur la conduite à tenir à partir de ce jour. Elle ne la lâcha qu’une fois arrivée devant la porte d’une salle de classe. Une dizaine de filles de son âge toutes habillées comme elle et coiffées strictement écoutaient, assises derrière des pupitres, un homme qui leur faisait la lecture en se retournant de temps à autre pour écrire quelque chose au tableau. Quand la surveillante entra, l’homme s’arrêta et les examina par-dessus son lorgnon. Les élèves se levèrent en silence et tous les regards convergèrent vers la porte. Fanny soutint les regards curieux sans manifester la moindre crainte.
"Mesdemoiselles, je vous présente votre nouvelle camarade, dit la femme. Mademoiselle Barthelemy.
– MacLand", corrigea la fillette, d’une voix claire et pleine d’assurance.
La surveillante sursauta et le professeur fronça les sourcils. Fanny eut droit à un "Allez vous asseoir et taisez-vous !" nerveux qui lui fit comprendre qu’elle n’aurait aucun mal à faire sortir mademoiselle la surveillante en chef de ses gonds.

Pendant tout le temps que dura le cours, les autres filles ne cessèrent de se retourner sur elle et de faire des commentaires à voix basse. A tel point que le brave professeur, n’arrivant plus à intéresser son auditoire, jugea plus sage de faire connaissance avec sa nouvelle élève. "Mademoiselle Barthelemy, demanda-t-il, après avoir fermé son livre d’histoire. Présentez-vous donc à la classe.
– Miss Whittle a dit tout ce qu’il y avait à dire.
– … Pour commencer, mademoiselle, je vous prierais de vous tenir droite… Ensuite, miss Whittle n’a dit que votre nom. Nous aimerions savoir quel âge vous avez, d’où vous venez, quels sont vos passe-temps, le genre de chose qui aiderait vos camarades à mieux vous connaître."
Fanny s’apprêtait à répondre effrontément quand la promesse faite à son père lui revint en mémoire. Elle se redressa donc sur sa chaise en soupirant, jeta un regard à ses congénères et se résigna à répondre aux questions : "Je m’appelle Fanny MacLand, j’ai douze ans et je suis née à Laredo au Texas. Après cela, j’ai vécu dans le territoire du Nebraska puis au Nouveau Mexique. J’aime monter à cheval et chasser.
– Mon père aussi chasse, dit alors une des fillettes. Pratiquez-vous la chasse à courre ?"
Fanny ouvrit de grands yeux surpris et esquissa un sourire moqueur. "Ces contrées dont vous avez parlé doivent être terriblement sauvages, dit une autre d’un air emprunté. N’avez-vous jamais eu peur, là-bas ?
– De quoi ? demanda-t-elle, innocemment.
– Je ne sais pas… des bêtes sauvages, par exemple…
– … Ou des indiens, intervint une autre avec une mine de dégoût."
Fanny comprit alors qu’elle avait là l’opportunité de s’amuser un peu, et elle ne se priva pas du plaisir d’horrifier ces jeunes pimbêches : "Evidemment, ces contrées sont affreusement dangereuses, répondit-elle en imitant la fillette. Il y a des loups dans les forêts qui dévorent les voyageurs imprudents. Des grizzlys aussi. Ce sont des animaux gigantesques qui se dressent sur leurs pattes de derrière quand ils attaquent. Ils sont alors aussi grands qu’une maison de deux étages. Et puis il y a des serpents dans le désert, aussi longs que la pièce et gros comme un poing. Ils s’enroulent autour de leur proie et l’étouffent avant de la dévorer. Une fois, j’ai vu un homme se battre avec un couteau contre l’un d’eux. Mais le serpent l’a vaincu, et lorsqu’il l’a eu dévoré tout entier, il a fait tinter la sonnette au bout de sa queue."
Les fillettes gémirent d’horreur, certaines poussèrent des cris, d’autres se masquèrent le visage. Fanny souriait malicieusement, satisfaite de l’effet qu’elle venait de produire.
"Hem… Où en êtes-vous dans vos études ? demanda alors le professeur, préférant détourner la conversation.
– Je sais pas. Qu’est-ce que vous voulez dire ?
– Je suppose que vous avez appris à lire et à compter... Qui vous faisait la classe ?
– Je ne savais pas qu’on apprenait à lire aux sauvages", ricana une élève dans son dos.
Fanny fit mine de ne pas entendre la remarque désobligeante, mais se promit d’avoir une explication ultérieure avec l’arrogante demoiselle. "Ma mère me faisait la classe. Elle m’a fait lire "Ivanhoé", "le Dernier des Mohicans", et "Voyages de Gulliver".
– Bien, bien... Et dans les autres matières ? Connaissez-vous un peu l’Histoire ?
– Quand je suis partie, nous abordions la Guerre d’Indépendance... J’ai aussi fait de la géographie, de l’orthographe, du calcul et de la botanique.
– Et bien je crois, mademoiselle, que vous n’aurez aucun mal à suivre dans cette classe, s’exclama le professeur, agréablement surpris. J’espère même que vous pourrez aider certaines de vos camarades qui sont en difficulté... Avez-vous fait du latin ?
– Du latin ?
– Vous faites de la botanique, vous devez connaître le nom scientifique des plantes.
– Je connais leur nom indien et leurs propriétés, ça suffit", répondit Fanny en haussant les épaules.

Tous les matins, toutes les journées, tous les soirs étaient un éternel recommencement. Les surveillantes réveillaient les élèves à cinq heures, les accompagnaient aux lavabos pour la toilette, puis toutes se retrouvaient au réfectoire pour le repas du matin, suivi d’une demi-heure de prière. A sept heures, les cours commençaient : morale et récitation, orthographe ou grammaire, géographie, entrecoupés par une récréation dans la petite cour sombre au milieu des bâtiments. Après le déjeuner, elles retrouvaient les salles de classe : littérature ou histoire, calcul, latin, sauf lorsque ce cours était remplacé par un cours de chant. A quatre heures, les élèves disposaient d’une heure de loisir puis d’une heure d’étude avant le repas, puis elles retrouvaient de nouveau les salles d’étude pour travailler leurs leçons du lendemain. A huit heures du soir, toutes les lumières du collège Sainte Clothilde s’éteignaient, et seul le pas des surveillantes pouvait encore troubler le silence des immenses couloirs. Le samedi était consacré aux cours de danse, de musique, de maintien ou de broderie, selon la demande des parents, ou parfois aux sorties hors de l’enceinte sacrée du collège. Puis venait le dimanche. Après une heure de catéchisme, suivie de l’office dans la chapelle commune avec le collège des garçons, certaines jeunes filles retrouvaient leur famille pour la journée. Les autres avaient tout loisir de se promener dans le petit parc séparant les deux établissements, sous la haute surveillance de miss Whittle et de sa troupe. Leur vigilance permettait ainsi aux pensionnaires de se rencontrer et de converser une fois la semaine.
Pour Fanny, le dimanche était sans doute la pire journée de la semaine. Malgré son peu d’attrait pour le travail scolaire, tous les jours, elle s’appliquait à ses études, oubliant ainsi sa triste situation. Mais le dimanche, elle se retrouvait seule face aux autres, sans aucun refuge. Son attitude, le jour de son arrivée, avait choqué ses condisciples. Mais plus encore, c’est sa peau hâlée par le soleil et le secret de ses origines révélé par on ne sait quel mauvais plaisantin, qui l’avaient fait mettre au banc du collège. "Comment ! chuchotait-on dans son dos. Une fille de la campagne, une fille de soudard qui n’a vécu qu’avec des sauvages ! Et elle vit parmi nous !
– En plus, il parait qu’elle est à moitié mexicaine !
– Une métisse ! Elle n’est pas de notre monde !"
A présent, la fillette se moquait bien de tout ce qu’on pouvait dire d’elle. Elle ne se sentait rien de commun avec ces filles et fils de la haute bourgeoisie bostonienne. Après tout, ils avaient raison. Elle n’appartenait pas et n’appartiendrait jamais à leur monde. Alors que les jeunes pensionnaires s’abreuvaient des derniers potins ou commentaient le dernier match de cricket ou la dernière réception au cours de laquelle Monsieur le Sénateur avait reçu tout le gratin, Fanny rêvait du désert brûlant, de courses dans la Sierra, de forêts giboyeuses et d’un bivouac dans la prairie. Les lettres qui arrivaient de loin en loin de Fort Esperanza ne lui apportaient pas le réconfort dont elle avait besoin, mais elles constituaient le seul lien qui la rattachait encore à ceux qu’elle aimait... et qu’elle ne voulait pas faire souffrir. Elle répondait à toutes les lettres de sa mère. Elle imaginait le sourire mélancolique mais rassuré de Carol quand elle lirait la description enthousiaste de la grande maison de monsieur Barthelemy, puis celle du collège Sainte Clothilde, de Boston et de ses habitants. Il n’était pas question de lui dire la vérité. Ils avaient fait ce qu’ils croyaient le mieux pour elle. Ils voulaient en faire une vrai jeune fille, avec un nom respecté et un avenir radieux...
Fanny regarda encore une fois l’enveloppe abîmée portant le cachet de Wesport et sentit une larme couler sur ses joues. D’un geste rageur, elle l’essuya du revers de la main se réprimandant silencieusement. Seules les mauviettes pleuraient ainsi. C’était bon pour les sottes qui l’entouraient. Elle, elle était un soldat. Et un soldat ne pleurait pas.

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