Le Pony-Express


Chapitre 5

Quand elle se réveilla, le lendemain matin, elle passa une robe blanche en songeant à tout ce qui s'était passé la veille. Ce garçon qui l'avait prise dans ses bras en la serrant si fort qu'elle en avait oublié tous ses soucis, comme si sa puissance pouvait la protéger contre tous les soucis du monde. Elle voulait encore le voir, parler avec lui... Il lui avait promis ce qu'elle désirait le plus au monde : retrouver la trace de son passé, ses souvenirs qui s'étaient échappés de sa mémoire comme des chevaux qui s'échappent de leur corral pour retrouver leur liberté.
Elle descendit les escaliers pieds nus, en essayant de faire le moins de bruit possible, persuadée que tous les habitants de la maison dormaient encore d'un sommeil profond. Mais quand elle ouvrit la porte principale, elle trouva Cody, Noah et Ike donnant leur avoine matinale aux chevaux. Buck, armé d'une fourche et d'une brouette, nettoyait les boxes des crottins et de la paille souillée amassée pendant la nuit. Elle observait ces tâches matinales, puis se retourna, et alla dans la cuisine. Ne voyant aucune tasse sale, elle en conclut qu'ils n'avaient pas encore mangé. Elle entreprit donc de faire du café, tout en mettant la table pour le petit déjeuner. Elle entendit soudain du bruit derrière elle et se retourna. Elle vit Teaspoon descendre en baillant les marches de l'escalier. Quand il vit les garçons dehors et le café prêt à être servi sur la table, il félicita Vic de son initiative et appela les travailleurs à venir déjeuner. Ils rentrèrent tous et s'assirent à table en laissant la porte grande ouverte. Vic put ainsi observer à loisir l'étalon palomino qui mangeait tranquillement son avoine. Ainsi, elle ne s'aperçut pas des nombreux regards posés sur elle qui la scrutait attentivement. Son esprit était ailleurs. Elle voulait pouvoir monter à cheval comme tous les cow-boys qu'elle avait vu passer à travers la fenêtre de sa chambre, chez le monsieur toujours habillé de blanc. Elle rêvait de galoper sur ce magnifique mustang à travers les prairies, libre... Mais on lui avait dit qu'elle ne remonterait pas avant que sa blessure soit guérie. Mais elle demanderait à Buck de lui apprendre, et alors, elle pourrait l'accompagner partout où il irait. Le seul voyage qu'elle avait fait à cheval, c'était dans les bras de Cody... Elle interrompit ses réflexions pour répondre à une question de Teaspoon :
- Quel âge as-tu exactement ?
- On m'a dit que j'avais 18 ans il y a trois jours. J'ai donc dix-huit ans et trois jours.
Personne ne rit. Tout le monde savait qu'elle ne plaisantait pas, qu'elle comptait sa vie depuis le jour où elle s'était réveillée du coma profond où elle était enlisée.
- Non, je crois que je dois avoir sept jours de plus. Je ne me souviens plus.
Le silence était retombé sur la pièce. Vic, gênée, demanda :
- A qui est le palomino dans le corral ?
- Pourquoi ? Tu le trouves beau ? demanda Teaspoon.
- Oui, mais j'ai l'impression de l'avoir déjà vu quelque part.
- Peut-être en ville. On l'a acheté au maréchal ferrant. Il ne savait pas quoi en faire. Ecoute, Victoria, quand les garçons travailleront, est-ce que tu pourras aller faire les lits et nettoyer la maison ?
- Oui, si vous voulez...
Elle regardait Buck soucieusement. Il vint à son secours en demandant :
- Teaspoon, on avait prévu d'aller en ville avec Lou, dès qu'elle sera rentrée. On emmènera Victoria avec nous...
- Non, pas question. Je ne veux pas qu'elle aille en ville. C'est trop dangereux pour elle. J'ai peur que, jolie comme elle est, des cow-boys mal élevés essayent de l'importuner.
Déçue, elle remercia Buck du regard, et entreprit de débarrasser la table. Elle sortit ensuite avec un seau pour aller chercher de l'eau à la rivière proche pour faire la vaisselle. Profitant de son absence, Buck demanda à Teaspoon :
- Tu mens. Tu sais bien qu'elle pourrait se défendre seule. Mais tu ne veux pas qu'elle retrouve des traces de son passé.
Seul le silence lui répondit. Cody sortit pour aider Vic qui n'en avait d'ailleurs pas tellement besoin. Mais au lieu de porter le seau plein à la cuisine, en passant près du corral, elle l'offrit au palomino qui y trempa ses lèvres avec délice. Quand il eut fini, elle proposa la même chose aux autres chevaux qui vidèrent le seau. Elle alla donc le remplir à nouveau, et le porta cette fois à la cuisine et y fit tremper les tasses et les assiettes du petit déjeuner.
- A propos du cheval à la robe de sable, je pourrais l'appeler Gringo ?
- Si tu veux. Pourquoi ?
- Je ne sais pas. Je sais qu'il s'appelle comme ça. C'est tout.
Teaspoon observa la jeune fille d'un air méfiant. Serait-elle en train de recouvrer la mémoire ? Redeviendrait-elle la tueuse sans foi ni loi qu'ils avaient connue avant ? Il avait demandé des détails aux Indiens de la région. Ils lui avaient dit qu'elle était très amie avec Cochise et Loup-Solitaire et qu'elle avait pu éviter des dizaines de guerres indiennes en invitant les jeunes braves au calme et à la patience. Elle était vénérée par ces derniers, qui s'inquiétaient de ne plus la voir au camp. C'est vrai que les Kiowas s'agitaient dans leurs terres, et avaient tendance à déborder de leur réserve où ils étaient contraints de rester, par respect du traité signé par Satanta et le général Schermann il y avait déja trois mois de cela. Il demanderait à Buck d'aller voir son frère et de rapporter des nouvelles fraîches de la réserve. Il ne voulait pas que les Indiens attaquent Wild City par surprise, car la ville ne pourrait pas se défendre toute seule, malgré le petit régiment installé ici pour "surveiller les sauvages" du coin.
Il se leva lourdement, sentant le poids de l'âge sur ses épaules et sortit. Il s'installa dans son fauteuil et ordonna à Ike :
- Va demander à quelqu'un de me seller Colorado. Et réparez la barrière du corral ! Elle a été fendue par l'orage de la semaine dernière.
Les ordres donnés, il se roula une cigarette et l'alluma. Ce n'étaient pas les Indiens qui l'inquiétaient le plus, mais Buck et Cody. Il n'avait rien perdu de la scène de la veille, où Buck serrait tendrement cette jeune fille dans ses bras sans qu'elle y oppose une quelconque résistance. Il avait remarqué aussi le regard furieux de Cody quand le métis l'avait raccompagnée dans sa chambre. Et à table, les deux hommes la regardaient avec le même désir. Il connaissait par coeur leurs différents et la crainte de Cody pour le métis. Il savait aussi les ravages que fait l'amour dans le coeur d'un homme, et le courage qu'il peut entraîner. "Les Indiens, et maintenant mes deux meilleurs coursiers... Qui d'autre après ? Moi ?..." Il interrompit ses réflexions en voyant Vic sortir Colorado, et Buck traînant derriere lui la lourde selle du shériff. Elle attacha le quater horse à la barrière et lui caressa longuement le chanfrein.
- Regarde, Victoria...Tu brosses la partie où on pose la selle, pour qu'il n'y ait pas de poussières qui pourraient le blesser. Après, tu poses le tapis devant, sur le garrot, et tu poses la selle dessus. Après tu serres la sangle... Comme ça...
La jeune fille l'écoutait et observait les gestes du jeune homme avec attention. Quand le cheval fut sellé, elle demanda :
- Pourquoi est ce qu'on lui met tout ça ? On peut le monter sans selle.
- Oui, on peut, mais il y en a qui ne savent pas, alors ils mettent une selle pour tenir sur leur cheval. Sinon ils tombent...
Il installa alors le filet sur la tête du paisible animal qui ne broncha pas, habitué à ces gestes familiers depuis sa plus tendre enfance.
- On est obligé de lui tirer sur la bouche pour le dirige r? Ca ne lui fait pas de mal ?
Buck rit en comparant la femme qu'il avait connu avant son accident, qui ne se souciait sûrement pas d'une balle transperçant le coeur d'un homme et cette femme-ci, qui s'inquiétait pour la bouche d'un vieux routier comme le paisible Colorado. Comme c'est étrange ! se disait-il. C'est la mémoire qui fait l'homme et forge son caractère. Sans souvenirs, il n'est rien.
- Bien sûr que non, mais je t'apprendrai à monter à cheval, tu verras, c'est facile...
- Je pourrai aussi monter Gringo ?, fit-elle en désignant le cheval qui s'approchait calmement d'eux.
- Je pense que oui. Si Teaspoon est d'accord...
Sur ces paroles, le cheval attrapa la manche de la chemise du jeune homme et en arracha une partie. Buck s'exclama :
- Non ! Sale bête ! Une chemise toute neuve !...
Victoria riait aux larmes en caressant le chanfrein de Gringo qui mâchait tranquillement le morceau de tissu noir. Buck pensa :"Si tu savais à quel point je m'en fiche de cette chemise... Je donnerais tout ce que je possède pour te voir enfin heureuse..."
Cody observait cette scène attentivement et relevait tous les moindres détails, de la moindre souillure sur la robe blanche de Vic, aux doux reflets de ses cheveux. Il ne comprenait pas. Elle riait. Oui, il la voyait rire aux larmes, d'un rire si frais, si éclatant, avec ce métis qu'il méprisait, mais dont, secrètement, il avait une peur bleue. Tandis qu'avec lui, elle n'ouvrait pas même la bouche pour parler. Il eut brusquement envie de tuer cet Indien et d'avouer son amour à celle qu'il adorait. Il souffrait en silence de les voir rire ensemble.
Quand Colorado fut prêt, Vic le mena vers Teaspoon, qui monta et partit au galop vers Wild City. Elle rejoignit ensuite Buck, assis sur la terrasse.
- Parle moi de toi, lui demanda-t-elle J'ai envie de tout savoir de toi.
- Il n'y a rien à dire...
- Bien sûr que si ! Tout le monde a quelque chose à dire... Sauf moi...
Voyant le visage de la jeune fille s'assombrir, il décida :
- O.K ! Je vais faire un effort..."pour toi" pensa-t-il.
Elle leva la tête d'un air intéressé.
Ils discutèrent ensemble pendant longtemps, Buck racontant à la jeune fille son enfance chez les Kiowas et ses souvenirs les plus lointains. Ils ne voyaient pas passer le temps, et c'est à 11 heures que Vic se rendit compte qu'elle devait encore faire le ménage dans la maison. Elle se leva.
- Victoria, où vas-tu ?
Elle le regarda étrangement, puis dit :
- Tu es sûr que je m'appelle comme ça ? Je n'aime pas ce nom.
Cette réaction fit rire Buck. Il réfléchit, et dit :
- Alors on t'appellera Vic. Ca te va ?
- Très bien. Qui est ce qui m'a appelé comme ça ?
- Tes parents, je suppose.
- Alors ils ont mauvais goût.
Après avoir prononcé ces paroles rapides, elle éclata de rire. Puis elle rentra dans la chambre de Teaspoon et commença à faire son lit soigneusement.

Le relais du Pony Express se composait de deux corrals où étaient enfermés des chevaux essentiellement sélectionnés pour leur rapidité et leur endurance, d'une écurie immense, d'une grange, et de l'autre côté d'une cour sillonnée de traces de fers à cheval et de chariots, d'une maison à un étage où résidait Teaspoon et Vic, et où les membres de l'équipe prenaient leur déjeuner, et d'une autre maison où étaient installées les chambres des garçons. Jimmy, Ike et Cody s'acharnaient à réparer une barrière du deuxième corral qui avait été arrachée par l'orage qui avait éclaté il y avait une semaine. Buck montait un jeune poulain, et Noah s'entraînait à tirer dans la grange. Vic traversa la cour et rentra pour la première fois dans la "maison des garçons", comme elle aimait à l'appeler. Elle ouvrit la fenêtre pour aérer la pièce principale de la maison. Elle était meublée par un miroir, qui, situé juste en face de la porte, reflétait l'image du corral, et par une petite table où traînaient quelques vieux papiers et une arme rouillée. Elle entra dans la pièce de gauche et vit trois lits en bois massif avec une armoire immense qui, à en juger par sa taille, devait contenir les affaires de tous les occupants de cette pièce. Sur le premier était posé une veste noire, un chapeau noir et un foulard de la même couleur. Sur l'étagère au-dessus du lit étaient rangés quelques livres. Elle en conclut que cet espace devait appartenir à Ike, vu qu'il ne portait ni chapeau ni veste, mais un bandana semblable à celui posé sur le lit en ce moment. Au-dessus du deuxième lit, une vieille photo jaunie représentant une famille réunie de Noirs, parmi laquelle elle reconnut Noah. Plus loin, de l'autre côté de la fenêtre qui donnait sur le corral, se trouvait celui de Buck, qu'elle reconnut grâce à un bandeau rouge vif traînant à côté d'une plume d'aigle. A ses pieds, un tapis bleu et jaune. Elle reconnut ici le lit de Buck, et cette pensée la troubla. Pourquoi ? Elle ne pouvait pas se l'expliquer. Elle tira les couvertures des trois lits. Ensuite, elle sortit et entra dans la pièce de droite. Semblable à la première, trois autres lits se côtoyaient. Elle en fit le tour et reconnut celui de Jimmy, et celui de Cody. Elle s'attarda sur ce dernier, car elle aperçut au-dessous une veste de peau décorée de perles jaunes, blanches, noires et bleues. Séduite, elle l'essaya. Elle lui allait parfaitement, comme si elle avait été cousue uniquement pour elle. Elle se demanda pourquoi Cody cachait un si beau vêtement sous son lit. Le troisième lit était occupé par une personne qu'elle ne connaissait pas, qu'elle n'avait sûrement pas encore vu. Elle sortit de cette seconde pièce et avisa la troisième porte, qu'elle ouvrit avec précaution, comme si la poignée pouvait lui rester entre les mains. Elle entra et vit un lit, seul, qui avait déjà été fait. Elle fit le tour de la pièce, meublée d'une armoire plus petite que les deux autres, d'un miroir plus petit que celui de l'entrée, et sur le sol, d'un tapis semblable à celui qu'elle avait vu au pied du lit de Buck, mais de couleurs différentes. Elle ressortit de la pièce, intriguée. A qui pouvait bien appartenir cette pièce ? Pas à Teaspoon, étant donné qu'il avait sa chambre en face de la sienne. Pourquoi cette personne ne dormait pas avec les autres garçons ?
Elle prit le tas de vêtements sales qu'elle vit dans le coin de la pièce principale et regagna la maison où elle prit un morceau de savon. Elle se dirigea ensuite vers la rivière proche pour en faire la lessive. Le soleil tapait sur les plaines de l'Oklahoma en ce mois d'août 1871. L'eau était fraîche et claire. Elle resta un moment indécise à regarder l'onde transparente. Elle posa le tas qu'elle portait sous son bras à l'ombre d'un vieil arbre, et regarda derrière elle. Les garçons travaillaient dur à réparer cette barrière, Noah s'entraînait au tir, et Buck travaillait un jeune poulain. Son regard s'attarda sur ce dernier. Il était si imposant à cheval, il semblait être en si totale harmonie avec sa monture, qu'elle l'admira pendant un long moment. Puis, elle revint à ses premières intentions et, cachée aux yeux des autres par un bosquet d'arbres, elle enleva sa robe, dénoua ses cheveux et plongea dans l'eau claire.

Cody n'en pouvait plus. Cette maudite barrière l'avait épuisé. Il alla se rafraîchir à la rivière. Arrivé sur les rives, il entendit une voix magnifique, claire et forte, qui chantait un vieil air indien. Il s'approcha de l'endroit d'où venait la voix et reconnut les cheveux d'or de sa bien-aimée. Il la vit, nue, son corps bronzé par le soleil. Il vit des traces de cicatrices, plus ou moins anciennes, une sur le bras droit, une autre sur la hanche gauche, un impact de balle sur la cuisse droite. Il resta immobile à la regarder pendant un long moment et décida qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que cette femme soit sienne. Quand il vit qu'elle sortait de l'eau, il observa ses cuisses musclées et puissantes qui soutenaient ce corps qui semblait si frêle, se retourna et partit.

Suite

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