Le Pony-Express


Chapitre 3

Elle s'éveilla un beau matin d'été dans un lit de bois massif, entourée d'une jeune femme brune vêtue de blanc. Qui est cette femme ? Que me veut-elle ? L'infirmière à ses côtés était réellement inquiète. Cette jeune femme ne se souvenait plus de la signification d'un sourire et semblait effrayée par sa présence. Elle sortit de la pièce et appela le docteur. Il arriva entouré de trois spécialistes de la mémoire et du cerveau humain, qui arrivèrent, après deux heures d'examens, à cette conclusion :
"Cette jeune femme a perdu la mémoire. Elle ne sait plus qui elle est, ni où elle est."

Quand Cody rentra dans la pièce qui servait de salle d'attente une semaine plus tard, le docteur, l'air soucieux, lui dit :
- Elle est vivante. Mais la balle qu'elle a reçue dans la poitrine est passée près du coeur. Elle a eu de la chance. Seulement, il se trouve qu'elle en gardera de graves séquelles.
- Elle ne pourra plus marcher ? Plus monter à cheval ?
- Marcher, si. Monter à cheval, quand l'état de sa blessure le permettra. Non, elle a perdu la mémoire. Je ne pourrai pas vous l'expliquer, je n'y comprends rien moi-même. Elle a oublié son identité, ses souvenirs...
- On voulait l'emmener avec nous au relais.
- Ce sera toujours mieux que la prison...
Cody entra dans la chambre. Vic était debout et regardait autour d'elle. Cody tendit la main vers elle :
- Viens Victoria. Tu vas venir avec moi. Je t'emmène là où tu vas habiter maintenant.
Voyant qu'elle hésitait à le suivre, il s'approcha d'elle et lui prit la main. Il l'emmena hors de l'infirmerie de Wild City et la fit grimper devant lui, sur le pommeau de sa selle. Ils partirent au galop vers le relais du Pony-Express.
En faisant route vers le relais, Cody parlait avec entrain à Vic qu'il tenait vigoureusement dans ses bras. Il était heureux que cette femme vienne habiter au ranch avec lui. Il la trouvait très belle, et sa taille fine dans ses bras serrés l'excitait. Il aurait tant aimé l'embrasser durant ce trajet ! Mais elle ne comprendrait pas. Il la voyait déjà dans une magnifique robe blanche, sa chevelure blonde enfermée dans un filet comme mettent toutes les femmes le dimanche. Il interrompit ses rêveries. La jeune femme venait de parler. Elle parlait d'une voix claire comme l'eau d'une source. Elle tournait son visage aux traits fins vers celui du jeune homme. Ses yeux profonds le fixaient intensément, cherchant une réponse à la question qu'elle venait de poser. Mais il ne répondait pas, abandonné à ses pensées. Elle soupira et se remit à chuchoter à l'oreille du cheval qui la menait vers un endroit qu'elle ne connaissait pas.

Buck surveillait la plaine aux alentours. Debout sur ses étriers, il observait l'horizon. Ne voyant personne, il remit Eagle Eye au galop. Il regarda patiemment le ciel. Une nuée de corbeaux planait au-dessus du canyon Mesquales. Il décida d'aller voir : autant de corbeaux, ça n'anno nçait rien de bon.
Après une heure de route, il découvrit ce qui attirait les charognards : trois Kiowas gisaient, la poitrine déchirée de coups de fusils. L'odeur de la mort flottait sur ces trois cadavres. Buck, écoeuré, repensa alors aux paroles du prisonnier. Elles l'avaient blessé au plus profond de lui-même, car il savait bien qu'elles étaient justes. Il se mit à repenser à Fort Navajo et à la tuerie des Apaches qu'il n'avait pu éviter. Et pourquoi cette femme l'avait-il condamné ? Il repensa au massacre qui s'était déroulé il y avait environ un mois de cela. Et cet homme qui l'avait laissé en vie après avoir brûlé vif des dizaines de femmes et d'enfants sauf deux, les deux plus courageux et les deux plus bornés. Pourquoi ? Mais en regardant ces corps, il savait qu'il ne pourrait plus désormais se battre contre ses amis, ni contre les Blancs en général, ils ne lui pardonneraient jamais. Il repensa à ses débuts, quand Cody le haïssait à cause de sa couleur de peau. Il avait passé la nuit au saloon où deux hommes l'avaient insulté. La nuit suivante, il les avait guettés et avait suspendu l'un à une branche d'arbre au-dessus de crotales qu'il avait attrapés la veille, et avait attaché l'autre à un cactus dans un endroit où personne ne pourrait entendre ses appels, et qu'il savait situé en plein soleil, et l'avait laissé attaché pendant dix heures sans boire ni manger. Mais quand il voulut les libérer le lendemain, le premier avait été mordu par un crotale plus malin que les autres, et le deuxième était mort de soif, la tequila qu'il avait ingurgitée ne lui suffisant pas pour tenir tout ce temps. Il souriait amèrement en repensant à son arrivée au relais : il était parti de la tribu suite à une violente dispute avec son frère, et avait cherché du travail chez les Blancs. Teaspoon l'avait accueilli au relais comme un des leurs, mais Cody, qui en ce temps-là se considérait comme le membre le plus important du groupe, l'avait rejeté comme un intrus après qu'il ait réussi à passer les lignes Comanches en guerre avec le sac de courrier dès son arrivée. Mais depuis ces meurtres involontaires, il avait préféré devenir son ami plutôt que son ennemi. Maintenant encore, il savait qu'il le craignait comme chacun à Wild City. Il repensa à cette fille qui lui avait parlé de son frère. Elle était si belle ! Est-ce qu'elle connaissait les Kiowas ? Si c'était le cas, s'ils savaient qu'elle était morte, il n'y aurait pas d'autres solutions que de faire évacuer la ville. Ils se vengeraient au centuple. Son regard se tourna vers les corps allongés à terre. Il descendit de cheval et les recouvrit de pierres pour que les charognards ne les dévorent pas. Il savait que, pour un Indien, être laissé en pâture à ces animaux étaient la pire des punitions car l'âme ne reposerait pas en paix dans les plaines de l'au-delà. Il remonta sur son cheval et repartit...

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