Le Pony-Express


Chapitre 1

Le soleil venait de se lever. Le désert mexicain balayé par le vent, n'abritait aucune âme à des dizaines de kilomètres à la ronde. Sauf deux points noirs dans l'horizon baigné de lumière. Une jeune femme et son cheval, perdus dans la Sierra Madre, à une cinquantaine de kilomètres de Ciudad Juarez, sur le Rio Grande.
Ainsi pensait Victoria MacLaughlin, montée sur son cheval. Elle le laissa passer du galop au pas, elle était éreintée. Elle devait absolument rejoindre le Rio avant que l'armée mexicaine ne la pince. Elle était en plein territoire apache, et elle savait que la région n'était pas très sûre, selon les récits des habitants du coin. Bah ! Cochise ferait certainement preuve de plus de conscience que les enragés qu'elle essayait de semer. Elle avait déjà campé avec lui et il la connaissait bien. C'était un homme sur lequel on pouvait compter. La dernière fois que Vic l'avait vu, il avait établi son camp dans les Mimbres Montains.
En passant devant le canyon du Cheval Mort, elle s'arrêta devant une énorme pierre rouge où était inscrit le nom de David Oackley, son premier grand amour, tué par les Apaches Mescaleros dans une bataille entre les Chiricahuas et ces derniers. Il avait toujours soutenu les hommes rouges, et si elle avait la chance d'être encore en vie, c'était grâce à sa mémoire et à leur amour, gravé à jamais dans les esprits des Indiens du coin. Après sa mort, elle avait voulu abandonner la vie à son tour, mais Cochise lui avait redonné le goût de vivre en la persuadant de son importance au sein de la tribu. Depuis, elle avait à coeur de venger David, même s'il fallait qu'elle y laisse sa peau.

Soudain, des voix la tirèrent de ses pensées. Les Mexicains approchaient. Elle lança Summer Wind au grand galop et, alarmée, prit la direction des Mimbres plutôt que celle de la plaine menant à Ciudad Juarez. Des coups de feu éclatèrent. Elle fut touchée à l'avant-bras. Elle abattit l'homme le plus proche d'elle, mais les Mexicains approchaient de plus en plus. Elle n'avait plus de cartouches. Elle se croyait perdue, quand, de derrière les rochers, surgit une dizaine de guerriers apaches qui s'abattirent comme la foudre sur ses poursuivants, les transperçant de leurs flèches. Une fois les Mexicains morts, les Apaches s'emparèrent de leurs chevaux et firent signe à Vic de les suivre.
Les Indiens la conduisirent jusqu'à leur campement, où elle fut présentée à Cochise. Celui-ci était craint et respecté de ses hommes. Il était d'une taille supérieure à celle de ses braves, il était robuste et large d'épaules. Il avait les yeux et les cheveux noirs comme ses guerriers. Quand il prit la parole, le silence se fit, pesant :
- Pourquoi Scorpion Rouge était-elle poursuivie par les Mexicanos ?
- Parce que j'ai tué deux des leurs, qui m'avait attaquée.
A ces mots, les braves présents dans la tente acclamèrent Vic chaleureusement. Cochise secoua la tête.
- Regarde-les, ils rêvent tous de vengeance, de guerres contre les mexicanos ou les yankees. Alors que nous sommes traqués, recherchés partout, des villages entiers détruits, tu entends ? Des villages ! Des femmes et des enfants massacrés, pourquoi ? Parce que mes braves tuent, pillent, volent les fermiers blancs et mexicains ! Mais les Blancs ne disent pas qu'ils violent les femmes Apaches, assassinent des enfants Indiens. Et pourtant va voir tes amis des camps de l'Ouest. Tu ne trouveras plus que ruine et désolation. Des cadavres, partout. Ton ami Gothlay est mort, je l'ai enterré moi-même il y a trois jours. Tes frères l'ont scalpé, ils n'ont même pas eu le courage de l'achever. Je l'ai trouvé agonisant, serrant dans sa main un papier qu'il avait écrit avec son sang. Son sang ! C'est toi qui lui avais appris à lire et écrire, te rappelles-tu ? Et ton amie Mantoya, avec qui tu t'entendais si bien, elle s'est faite violer avant de mourir étranglée. Elle avait quinze ans ! Et Chiquito...
- STOP ! Je ne veux plus rien entendre !
Vic ne pouvait plus supporter ces paroles qu'elle savait pourtant vraies. Elle était face à face avec Cochise et lui tenait tête en plongeant son regard dans ses yeux noirs. Le silence était revenu, plus lourd que jamais.
- Je partirai vers l'Ouest pour savoir qui exactement a commis ces meurtres. Je ne suis pas responsable de la folie des hommes blancs. Je vengerai Gothlay, Mantoya et Chiquito, ainsi que leurs frères et soeurs et tout leur village. Je n'ai pas honte de ma couleur de peau, mais j'aimerais que tu arrêtes de m'accuser de meurtres que je n'ai pas commis. J'ai tué des hommes blancs aussi bien que des hommes rouges ou des mexicanos. Je ne fais pas de différences. Un homme est un homme, s'il mérite de mourir, il crève. Je partirai demain à l'aube. Du sang s'écoulait lentement de la chemise de la jeune femme et tombait sur le sol en un miroir écarlate qui reflétait son image. Cochise s'en aperçut :
- Tu partiras quand tu seras guérie de tes blessures. C'est un ordre.
Vic sortit de la tente et courut vers le corral, elle aimait s'y arrêter pour penser et réfléchir. Elle remarqua un magnifique étalon, la fleur de l'élevage de Cochise. Elle l'observa longuement, galopant dans le corral et essayant d'imposer son autorité aux autres chevaux. Il avait, comme eux, du sang sauvage dans les veines, mais mélangé au sang des pasos d'Amérique latine. Sa robe couleur de sable étincelait au soleil couchant, ses crins clairs flottaient au gré du vent capricieux de la Sierra Madre. Ses yeux se posèrent soudain sur son cheval. Summer Wind avait trébuché dans le chemin abrupt qui menait au campement et sa robe d'ébène était maculée de sang. Vic s'approcha de lui et l'entraîna hors du corral. Elle alla chercher de l'aide auprès d'Alope, une jeune fille de quatorze ans pour laquelle Vic avait une grande amitié. Un jour où Alope ramassait de l'avoine, des guerriers Mescaleros avaient voulu la capturer. Vic avait alors quinze ans et les Mescaleros et les Chiricahuas se battaient sans pitié. Leur technique favorite étant d'enlever les jeunes gens contre une rançon, Alope s'était vue garder comme monnaie d'échange contre six chevaux et dix sacs d'avoine. Vic tua les voleurs et ramena l'enfant au camp, ce qui lui avait valu l'amitié d'Alope et des membres de la tribu.
Quelques jours après, elle passait des épreuves pour pouvoir faire partie de la tribu, et elle passa une nuit seule dans le désert, sans armes, sans eau, sans cheval. Elle revint au petit matin, portant un scorpion rouge, une espèce très rare et vénérée des Apaches, qui la suivait dans chacun de ses déplacements. Elle tua avec son aide plusieurs mexicains qui avaient voulu la fouiller lorsqu'elle traversait la frontière pour contacter Geronimo. Il mourut, écrasé lors d'une bataille, par un cheval yankee.
Alope alla chercher des morceaux de peau de bison imbibés d'eau fraîche et de pulque, ainsi que des lanières de peau pour faire tenir ce pansement précaire. Après avoir soigné son cheval, Vic lui dit :
- Summer devient trop vieux pour m'accompagner. Crois-tu que ton père accepterait de me donner un autre cheval en échange ?
Alope secoua la tête :
- Scorpion Rouge sait bien que Natchez, mon frère et bras droit de Cochise veut l'épouser. Pourquoi ne veut-elle pas se marier avec lui, avoir un enfant et faire partie de la tribu, au lieu de sans cesse partir, revenir, repartir... ? Mon frère ne serait-il pas à son goût ?
Vic éclata de rire. Bien sûr, Natchez était très beau, courageux et intelligent, mais elle tenait trop à sa liberté. Elle ne voulait pas devenir esclave d'un homme à dix-neuf ans, elle voulait poursuivre son rêve, parcourir d'un bout à l'autre le continent sur lequel elle vivait.
- Alope, tu sais bien que je ne veux pas me marier, je l'ai déjà dit à ton frère. Plus tard, peut-être...
- Alors tu vas encore t'en aller. Mon frère pleure à chaque fois qu'il te voit partir, il ne veut pas que je le vois, il ne veut pas le montrer, mais je sais bien qu'il t'aime tellement qu'il ne supporte pas l'idée que tu partes pour peut-être ne plus revenir. Moi aussi j'ai peur que tu ne reviennes plus nous voir, que tu meures, tuée par des Mescaleros ou des blancs.
Des larmes coulaient sur les joues de l'adolescente. Vic la prit tendrement dans ses bras :
- Alope, Alope, je n'ai pas peur ni des Mescaleros ni des Blancs. Ce sont mes frères, ils ne me feront pas de mal.
- Mais Chaali le sorcier dit que tu mourras dans peu de temps.
- Il m'enterre un peu vite, celui-là. De toutes façons, je te promets que je ne mourrai pas avant de t'avoir revue. D'accord ? Ne pleure plus maintenant, c'est fini.
L'adolescente ravala ses larmes pour faire plaisir à son amie, mais au fond d'elle, elle était très inquiète pour celle qu'elle avait toujours considérée comme sa grande soeur.
Au même moment, dans sa tente, Cochise réfléchissait. Il avait parlé durement à Scorpion Rouge, il le savait. Ce qu'il craignait par-dessus tout, c'était la rancune de la jeune femme, derrière la façade de ses yeux bleus qu'il n'osait pas regarder de peur de se noyer dans cette immensité couleur de nuit, où l'on pouvait apercevoir des étincelles dorées, semblables aux étoiles dans le ciel d'été. Ses cheveux d'or qui retombaient en mèches indisciplinées sur ses épaules fines et ces yeux de rêve ne laissaient aucun homme du camp indifférent. Oui, Victoria MacLaughlin était la plus belle femme que cette Terre ait portée. Quand elle avait élu David Oackley le roi de son coeur, nombreux étaient ceux qui furent jaloux et souhaitèrent la mort de cet homme blanc, trop bon et généreux à leur goût. Même lui, Cochise, priait le ciel de le porter loin de la femme qu'il aimait. Mais voilà, ils avaient peut-être trop prié, leurs voeux furent exaucés et David mourut, transpercé par la flèche d'un Mescaleros habile. Ils le regrettaient tous, à travers Scorpion Rouge, qui voulut le rejoindre dans l'autre monde.
Il se leva de son siège et sortit de sa tente. Il aperçut Alope pleurant dans les bras de la jeune fille et marcha jusqu'à elles.
L'apercevant, Vic se leva et lui fit face. Sa chemise était maintenant rouge de son sang et de celui de son cheval.
- Scorpion Rouge ne quittera pas le camp avant que son cheval et elle ne soient remis sur pied.
Les yeux de la jeune femme lançaient des éclairs. Elle ne pouvait pas supporter que quelqu'un lui donne des ordres. Elle estimait qu'elle était libre d'aller où bon lui semblait, quand elle voulait.
- Je partirai quand je voudrai. Et tu ne pourras pas m'en empêcher.
Tous les membres de la tribu s'étaient réunis en silence et observaient tristement la scène. Parmi eux, Natchez, Alope. Tous savaient l'amour que leur chef portait à Vic.
- Je sais que je ne pourrai pas te retenir, mais je voulais t'avouer quelque chose.
Cochise s'approcha, lui prit la main et embrassa la jeune femme. Celle-ci se dégagea de son étreinte puissante en le frappant à la figure. Surpris, il tomba et resta à terre le temps que trois des braves de la tribu, dévoués à leur chef, retiennent Vic qui se laissa faire, trop faible pour tenter quoi que ce soit. Cochise se releva et ordonna à ses guerriers de la lâcher. Elle tomba à genoux, poussés par les trois hommes, et leva vers Cochise des yeux emplis de regrets et d'incompréhension.
- Je t'ai avoué mon amour. Je ne peux pas t'obliger à m'aimer, mais je te promets que si tu acceptes de m'épouser, tu auras tout ce que tu désires ici.
- Non, je suis désolée, non.
- Alors tant pis. Je te donne mon plus beau cheval pour que tu puisses partir sans rancune ni haine contre moi. Je n'assisterai pas à ton départ demain. Adieu.
Cochise fit demi-tour et, pour la première fois, il pleura.

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