Les trois rivières


28 novembre 1860

L’école a repris dans la petite salle du saloon. Même ma courageuse Sara a répondu à l’appel. Son père continue seul à s’occuper des terres et Sara s’occupe de la maison. Cette enfant est un modèle. Shane n’a pas reparu. Il me fuit, je crois. La vie a repris le dessus. Les seules choses qui ont changé sont que les commérages à jamais tus de Mattie laisse notre ville un peu orpheline. Elle était notre âme. Cathy a changé d’opinion au sujet de Vera, et mes liens avec Vence se sont modifiés. Nous arrivons à discuter. Certes, je ne cautionne toujours pas la vente d’alcool, lorsque je vois les ravages que cela crée, chez Shane par exemple, mais comme il me dit "chacun est libre de ses actes". Je crois que j’ai trouvé en Vence un ami fidèle, et malgré nos disputes, nous nous apprécions.
Une nouvelle a ramené l’enthousiasme chez les villageois. Le trajet de la diligence a été prolongé jusqu’à Amnistia. Tout le monde est ravi. Nous ne sommes plus coupés du monde ! Vence pense déjà à sa future clientèle, Art envisage d’agrandir sa boutique. Art m’a d’ailleurs fait une remarque qui m’a laissée songeuse ;
- Vous devez être heureuse, petite institutrice ! Votre famille pourra vous rendre visite !
Et si c’était le cas ! Et si ils me retrouvaient ! Que diraient-ils de ma fuite, de ma cabane dans les bois ? Que penseraient-ils de mes élèves ? De mon école dans l’arrière salle d’un saloon ? De Vera qui met des pantalons ? J’espère sincèrement qu’ils ne me trouveront pas. Cela dit, la diligence est bien pratique. Cela évitera de longues chevauchées jusqu’à Red City. Et cela empêchera que d’autres, ne luttent pas comme moi, pour arriver à Amnistia ! Lorsque j’ai rappelé cet épisode à Art, il a éclaté de rire ;
- Je ne pensais plus à cela. Pour moi, vous avez toujours fait partie de la ville !
Il ne pouvait me faire de plus beaux compliments !


30 novembre 1860

Hier soir, j’étais installée sous la véranda du ranch. Vera et moi partagions la balancelle, et nous nous étions enroulées dans une couverture. Nous regardions la pluie tomber. Matt passa devant nous trempé jusqu’aux os, Vera s’était mise à sourire. Je lui demandais alors ;
- Est-ce que toi et Matt… ?
La question me brûlait les lèvres depuis longtemps, mais je n’osais être indiscrète. Leur relation était étrange. Il semblait que Matt était en adoration devant elle ; ils partageaient une grande complicité. Vera me sourit ;
- Je l’aime profondément, mais pas comme il le voudrait.
- Tu penses te remarier un jour ?
Elle se serra un peu plus contre moi. Son regard avait changé, elle était presque triste.
- Je n’en parle jamais, mais il faut que je te raconte quelque chose. J’habitais une ferme avec mes parents. Ils étaient pauvres, mais nous ne manquions jamais de rien. Mon père rêvait de s’enrichir, de s’agrandir. Edward Collins lui a donné 50 acres de plus, à une condition ; que je devienne sa femme. Mon père a accepté. Il avait un plus grand domaine, Edward avait une femme, tout le monde était content. Sauf moi. Edward était un homme horrible ; alcoolique et violent. Dés qu’il buvait, il me frappait. Tout était prétexte aux coups. J’ai supporté cela quatre mois, et je me suis enfuie. Je suis retournée chez mes parents. J’ai décrit tout ce qu’il m’a fait subir, leur dire qu’ils m’avaient unie à un monstre, mais mon père n’a pas vu les choses sous cet angle. C’était une honte qu’une femme quitte son mari, un déshonneur ! Si Edward me frappait, c’est qu’il avait des raisons. Et mon père m’a ramenée chez mon mari, qui a recommencé à cogner. J’étais malheureuse. Il a décidé alors d’acheter ce ranch. J’étais seule. Je suis tombée enceinte. Cet enfant était ma bouée de secours, ce qui me donnait la force. Mais un soir, Edward avait bu plus que de raison, il m’a battue. J’ai perdu le bébé. Cela l’a rendu fou ; ivre, il a voulu monter son cheval qui a rué. Il est tombé et s’est brisé la nuque, mort sur le coup. J’étais libre, mais seule au monde, sans bébé.
Par le plus grand des hasards, Matt est passé par là. Il m’a demandé du travail. J’aurais pu dire non, vendre le ranch, je n’avais nulle part où aller. Je ne pouvais pas le payer, mais il est resté. Il m’a aidée à reprendre le dessus, il m’a donné un peu de son enthousiasme, il m’a forcé à affronter la vie avec le sourire, comme il sait si bien le faire ! Matt a un cœur immense. Puis, Travis a surgi avec sa douceur, sa sagesse et ses conseils. Il m’a donné cet équilibre dont j’avais besoin. Ils m’ont offert une nouvelle vie, belle et riche. Ils m’ont rendue heureuse. Assez pour que je puisse venir en aide aux autres, comme James qui en avait tant besoin. Puis, tu connais la suite. Tu es arrivée, et j’ai reçu ton amitié comme un merveilleux présent. Mais me remarier Laurie, c’est trop tôt… peut-être un jour…

En ce soir de pluie, Vera venait de me raconter son passé. Elle avait été mariée de force, comme moi j’ai failli l’être. Mais moi, j’avais fui. J’aurais pu tout lui révéler, mais je ne l’ai pas fait. J’avais été trop loin dans mes silences, pour dire la vérité. Je ne savais que lui dire. Je lui ai serré la main.


3 décembre 1860

Je dois avouer qu’avec les derniers évènements, j’ai un peu oublié ma déception avec James. Juste un peu. Travis, à qui je me suis confiée, me conseille de ne pas faire attention à lui. Mais ses visites me manquent, et Apache est triste. Je crois qu’il va falloir laisser le temps guérir mon cœur, et surtout me faire à l’idée que je dois oublier tous ces sentiments que j’ai pour lui.
Je me lie étrangement avec Vence. Il y a deux jours, il attendait près de la porte la fin de la classe. Quand tous mes élèves furent sortis, il entra en enlevant son chapeau. Je lançais ironique ;
- Je suis désolée, Vence, mais à votre âge, je ne peux plus rien pour vous !
Il rit ;
- Ne croyez pas cela. Il n’est jamais trop tard pour apprendre !
- Première phrase sensée que je vous entends dire ! Que puis-je pour vous ?
- Je me demandais… avec l’arrivée de la diligence, ma clientèle va augmenter…
- Les ivrognes aussi ! m’exclamai-je, sachant que cela le ferait sortir de ses gonds. Cela ne loupa pas ;
- Laurie !
- D’accord, d’accord ! Que voulez-vous ?
- Que vous m’appreniez certaines choses.
- Quoi donc ?
- Lire, écrire…
Cela lui avait coûté de me demander cela.
- D’accord ! acceptai-je.
- Merci Laurie. Ne le criez pas sur tous les toits, s’il vous plaît !
- C’est promis.
Donc, trois jours par semaine, j’ai un élève du soir. Un élève un peu indiscipliné, qui saisit toutes les occasions pour me saisir la main, me faire un compliment… Nous nous chamaillons comme des enfants, mais cela me donne beaucoup de plaisir de le voir apprendre.

Hier, je suis allée à la ferme Ludlow. J’y ai trouvé Shane amaigri, à bout de force. Mon cœur s’est serré. Depuis l’épidémie, je ne l’avais pas vu. Il ne s’était même pas manifesté pour l’enterrement de son père. Je ne peux plus rien pour lui ; Shane est un homme désormais. Sa fierté a refusé mon invitation à dîner. Quelle tête de mule !
- Que vas-tu faire maintenant ?
Il s’essuya le front, repoussa ses cheveux et mordit dans le pain que je lui avais amené.
- Je ne sais pas. Peut-être partir. Chercher du travail. On embauche pour le chemin de fer !
Partir ! Shane voulait partir !
- Oh ! Shane !
- Ne faites pas cette tête ! Beaucoup d’hommes partent ! Cela vaut mieux que de rester sur cette terre poussiéreuse ! Enfin, rien n’est décidé !
- Réfléchis bien Shane ! Et si tu as besoin de quoi que ce soit, préviens-moi !
Il me dévisagea quelques instants et me sourit ;
- Je vous aime bien Laurie. Jamais une institutrice, ni quelqu’un d’autre ne s’était autant soucié de moi. Vous n’êtes pas une institutrice comme les autres !
Je me mis à rire ;
- Peut-être parce que tu n’es pas un élève comme les autres !
- Si je pars, vous serez la seule que je regretterai !
Et il déposa un baiser sur ma main. Shane ! Il y a à peine trois années qui nous séparent ! Grand garçon fier et malheureux, qui a tant besoin que l’on se soucie de lui ! Ce garçon que je ne souhaitais jamais revoir lors de mon arrivée, me manquera énormément.


10 décembre 1860

Qui aurait pu prévoir cela ? Cette journée a frôlé le cauchemar ! Pourtant, tout avait bien commencé. La ville était à la fête pour fêter la venue de la première diligence. Tout le monde s’était rassemblé devant le relais, prêt à acclamer le progrès. Des banderoles avaient été accrochées un peu partout et le révérend avait rassemblé un orchestre pour saluer l’arrivée tant attendue ! Mes élèves avaient chacun écrit un texte sur le sujet et le meilleur devrait être lu en public. Le comité composé d’Art, du docteur et du révérend choisirent le vainqueur : Samuel-le-ronfleur. Il était tellement nerveux qu’il n’en avait pas dormi depuis trois nuits. Je me suis vue sollicitée par Lewis le postier, pour corriger le discours officiel. Une soirée dansante était prévue, pour laquelle j’avais accepté l’invitation de Vence. Je me demande ce qu’il y aura de plus quand le train viendra jusqu’ici !
Même Vera avait été contaminée par l’effervescence. Elle venait de passer un accord avec la compagnie pour fournir les chevaux du relais. Elle était ravie !
A l’heure prévue, nous étions tous prêts sur le seuil du relais. Même James était là, assis sur la barrière, tout près de Matt. Nous attendions. Samuel ne cessait ses aller-retours jusqu’aux toilettes ;
- Elle est pas arrivée ?
Non. Car comme toujours, la diligence est en retard. Sellington, parti en éclaireur, arriva au galop ;
- Elle arrive, elle arrive !
Quelques minutes plus tard, la diligence apparut. Un tonnerre d’acclamations résonna jusqu’à l’arrêt complet du véhicule. Tout le monde a applaudi la sortie des premiers voyageurs ; un couple qui faisait la route jusqu’à la Nouvelle-Orléans, et là, je crus défaillir… un autre voyageur venait de sortir et regardait autour de lui… Davis Greywood en personne… le fiancé que j’avais fui avait surgi comme un diable de sa boîte. J’en restai abasourdie. Puis, j’eus le réflexe de me cacher, je me glissai derrière les enfants. Qu’était-il venu faire ici ? Savait-il que j’étais là ? Certainement, et il venait me chercher ! Je fus prise de panique et je me suis enfuie. Je me suis réfugiée dans ma classe, à l’arrière du saloon. Que pouvais-je faire ? Sauter sur un cheval et fuir loin, très loin ? Je ne pouvais pas. Je ne voulais pas quitter Amnistia. J’allais éclater en sanglot quand une voix retentit ;
- Laurie… ça va ?
James se tenait devant moi. Lui, qui ne m’adressait plus la parole depuis…
- Je vous ai vue partir en courant. Tout va bien ?
Il m’avait vue, il me regardait. Je fus convaincue que je ne pouvais quitter Amnistia. James était là, je ne devais plus avoir peur. Je devais avoir la force d’affronter Davis.
- Tout va bien.
Il m’offrit son bras, comme si tous ces moments où il m’évitait s’étaient envolés. Il m’a ramenée dans la foule. Heureusement, car Samuel avait besoin de soutien. Je n’ai cessé de jeter des regards vers Davis, mais il ne sembla pas m’avoir vue. D’ailleurs, comment pouvait-il me reconnaître ? J’étais vêtue simplement, je ne portais pas de chapeau, mes cheveux détachés et mon visage était couvert de taches de rousseur. Une fois le discours terminé, je retournais dans la classe, laissant les enfants profiter des réjouissances. J’ai attendu. J’imaginais Davis faire son enquête ;
- Excusez-moi, je cherche Julie Williams.
- Désolé, je ne connais personne de ce nom ! répondrait le docteur.
Le révérend approuverait ;
- Je connais bien ma congrégation, et il n’y a pas de Julie Williams !
- C’est une jeune femme. Elle vient de Chicago. Elle a dû arriver en juin ! insisterait Davis.
- La seule qui vienne de Chicago est notre petite institutrice ! l’informerait Art. Mais elle s’appelle Laurie Boulter.
- Où puis-je la trouver ?
- Au saloon.
- Quoi ? s’écrierait Davis atterré. Le bon docteur le rassurerait ;
- L’école a été détruite et une classe a été aménagée dans l’arrière salle du saloon.
Et Davis était parti à la recherche de Julie Williams. A peine j’entendis ses pas que je dis ;
- Bonjour Davis.
Il était silencieux. Sûrement déçu de ma tenue, déçu de me trouver dans un saloon.
- Que faites-vous ici ? lui demandai-je.
Très froid, il me répondit ;
- Je suis venu chercher une explication.
- Je n’ai aucune explication à donner.
- Vous êtes partie comme une voleuse, Julie ! Vous avez renié votre nom !
- Je ne voulais pas que l’on me retrouve. Expliquai-je.
- Pourquoi ?
- Je ne voulais pas rester à Chicago.
- Regardez où vous êtes ! Chez des fermiers !
Je soupirai ;
- Cela peut vous surprendre, mais je suis heureuse ici ! J’ai un travail, des amis…
Il s’énerva ;
- Bon, fini de jouer les petites filles capricieuses ! Vous rentrez avec moi. La diligence repart dans deux jours.
- Non Davis.
- Je vous jure que vous allez venir !
Exaspérée, je quittais la classe, sautais sur ma jument et quittais le village. Le bruit courait déjà que j’avais emprunté une fausse identité. Je me suis réfugiée dans ma cabane. J’espérais l’avoir semé, mais c’était sans compter la bonne volonté des villageois qui lui indiquèrent ma maison. Un jeune homme si distingué ! Il arriva chez moi, je dus le faire entrer. Il regarda ma maison avec mépris ;
- C’est pour cela que vous êtes partie ?
J’approuvais en riant, car Apache mordillait son pantalon et Davis ne pouvait s’en débarrasser. Bon chien ! Apache n’était affectueux qu’avec moi et James.
- Une cabane, chez des paysans ! Une école dans un saloon ! Votre père serait fier de vous !
Son ton moqueur ne m’atteignit pas ;
- Je me soucie bien de ce que pensera mon père.
A cet instant, on frappa à ma porte. J’étais ravie de cet intermède, mais Davis sembla ne pas trop apprécier. J’allais ouvrir et je tombais sur Vence, tout endimanché. Cela me revint à l’esprit ; le bal, son invitation, j’avais oublié !
- Vous êtes prête ? demanda-t-il en lançant un regard méfiant à Davis.
- Vence, je suis désolée, j’ai oublié !
Il avait l’air vexé mais semblait s’y attendre. Je continuais ;
- Je n’ai pas trop le cœur d’aller à cette fête !
Davis crut bon d’intervenir ;
- Si Julie doit aller quelque part, ce sera avec moi, son fiancé !
Davis m’a sidéré. Il lui semblait normal de prendre le contrôle de ma vie. Vence devint très froid ;
- Je vois… Soit… Bonne soirée… Julie !
Il s’éloigna d’un pas rapide. J’en voulais à Davis ;
- De quel droit agissez-vous ainsi ! Je vois qui je veux, je vais où je veux ! Qui êtes-vous pour entrer ainsi dans ma vie et y semer la pagaille !
- Je suis votre fiancé. Vous me devez obéissance et respect. Il n’est pas correct pour une dame de sortir avec des hommes ! Un tenancier de saloon… Vous devez garder votre rang !
Pour la première fois, je défendis Vence ;
- Je préfère cent fois sortir avec un tenancier de saloon qu’avec un avocat milliardaire qui me juge comme sa propriété ! Vence est un ami fidèle et il me respecte, lui ! Et mettez-vous dans la tête que je ne vous dois rien ! Je ne vous appartiens pas !
- Plus pour longtemps, Julie. Dès notre retour à Chicago, nous nous marions !
Il décidait et je devais obéir. Ce qui me semblait normal il y a quelques mois, me scandalise aujourd’hui !
- Je n’ai jamais dit que je vous suivrai !
On frappa à ma porte. Encore ! Cela exaspérait Davis. J’ouvris. Shane était sur le pas de ma porte. Il s’était lavé, rasé et portait un sac de toile qui devait contenir tous ses trésors.
- Shane !?
- Bonsoir. Je m’en vais.
- Quoi ?
- Je pars chercher du travail.
- Oh ! Shane ! As-tu bien réfléchi ?
- Oui. A part les dettes de mon père, je n’ai plus rien ici. Je suis venu vous dire au revoir.
Je devinais Davis qui s’impatientait derrière mon dos, mais cela m’était bien égal. Shane partait. Il allait me manquer. Je le pris dans mes bras et embrassais sa joue humide.
- Bonne chance à toi.
Il se dégagea de mon étreinte, mais me prit la main ;
- Vous me manquerez aussi, Laurie. Vous avez été si gentille avec moi. Merci.
- Tâche de prendre soin de toi !
- J’essaierai. Au revoir Laurie !
Il m’appelait pas mon prénom. Il ne pouvait en être autrement. Ce n’était plus mon élève, c’était un homme qui partait dans le soir tombant. Je lui criais ;
- Tu reviendras ?
- J’essaierai.
Il disparut. Les larmes perlaient au coin de mes yeux. Pauvre Shane, il serait bien seul désormais ! La voix énervée de Davis me ramena sur terre ;
- Je vous jure que vous me suivrez demain !
- Oh ! Davis ! Taisez-vous un peu ! Shane vient de partir !
- Qui est-ce ? s’enquit-il méfiant, menaçant.
- Un de mes élèves.
- Curieuse façon de se conduire avec son institutrice !
- Davis, taisez-vous !
Apache se mit alors à gratter à la porte, trois coups discrets furent frappés et James parut. Je crus que Davis allait exploser. James venait d’entrer, mon chien lui faisant fête. Il vit Davis, et recula sur le seuil. James respectait mon intimité. Cela faisait si longtemps qu’il n’était pas venu, et il fallait que Davis soit là ! Il me dit ;
- J’ai croisé Shane. Il s’en va.
Davis poussa James dehors ;
- Oui, il s’en va et vous allez en faire autant !
James revint à la charge ;
- Tout va bien, Laurie ?
- Ma fiancée va bien. Au revoir.
Le visage de James se ferma ;
- Désolé d’avoir dérangé.
Il partit. J’ai hurlé à Davis ;
- Je vous déteste !
J’ai couru pour rattraper James.
- James, attendez !
Je le retins par le bras. Il se dégagea et me dit froidement ;
- Rentrez. Rentrez vite. Votre fiancé vous attend !
Il bondit sur son cheval et disparut. Je rentrais dans ma maison. J’étais furieuse ! Davis avait fait fuir James ! Je claquais la porte derrière moi.
- Davis ! Je vous déteste ! Vous arrivez ici, et vous réduisez ma vie à néant. Vous me brouillez avec Vence, je ne peux pas dire au revoir à Shane et vous mettez à la porte une des personnes qui compte le plus pour moi ! Mais je suis ici chez moi !
- Julie, vous vous comportez comme une petite fille capricieuse, et maintenant vous compromettez votre rang avec des taverniers et des cow-boys qui ne savent pas que le savon existe ! Ce type était armé et il entre chez vous comme dans un moulin. Comprenez que je défends votre honneur et votre réputation. Vous me décevez beaucoup Julie.
- Je vous déçois ! Mais vous devriez être fier au contraire. Je m’en suis sortie seule. J’ai un travail, je me suis construit une nouvelle vie. Je me suis intégrée dans cette ville où je compte pour ce que je suis ! Si cela vous déçoit, sortez de chez moi !
- Julie…
- Dehors !
Je l’ai poussé dehors et j’ai refermé la porte. Je me suis écroulée en larmes. Des larmes sur Davis qui me rappelait Chicago et tout ce que j’ai fui, des larmes sur la peur d’y retourner, des larmes sur Shane, et James… Pourquoi la vie est-elle si compliquée ? J’ai pleuré une bonne heure, Apache léchant mes joues. Puis, j’ai sellé Sally et j’ai galopé jusqu’au ranch. Mes amis étaient les seuls à pouvoir me comprendre vraiment. Ils étaient tous là, revenus de la fête. Matt buvait du café à la table, et James astiquait son arme. Travis était captivé par la lueur des flammes, Vera était installée dans son fauteuil, reprisant une chemise de Matt.
- Je crois qu’il est temps que je vous explique.
Vera me coupa ;
- Ne te sens obligée de rien !
- Vous avez le droit de savoir. Vous êtes les personnes à qui je tiens le plus. Je ne peux vous cacher mon secret plus longtemps. Vous avez vu cet homme aujourd’hui qui est sorti de la diligence. Il dit vrai quand il déclare qu’il est mon fiancé.
- Alors, tu es vraiment fiancée !
- Oui, Vera. Davis est avocat. Il travaille avec mon père et mes parents ont décidé que je devais l’épouser. Je ne l’aime pas, je le méprise même ! Alors, je suis partie ! J’ai quitté Chicago et je suis venue ici où une institutrice était demandée. J’ai changé mon nom pour que l’on ne me retrouve pas, et j’ai essayé de me construire une nouvelle vie. Mais Davis m’a retrouvée.
Je m’attendais à toute sorte de réaction, mais la question de Matt me surprit ;
- C’est quoi ton vrai nom ?
- Julie Williams.
- Tu veux qu’on t’appelle comme ça maintenant ?
- Je ne sais pas. Comme vous voulez. Je préfèrerais rester Laurie pour vous. Matt approuva ;
- Je préfère aussi.
Travis me demanda sortant de sa contemplation des flammes ;
- Qu’est-ce qu’il veut ton fiancé ? Te ramener à Chicago ?
- Je le crains.
- Et tu vas partir ? demanda Vera anxieuse. Je m’étais installée à ses pieds, elle posa une main sur mon épaule.
- Je ne sais pas. Je suis bien ici. Je ne veux pas vous quitter. Il veut qu’on parte demain.
Travis suggéra ;
- N’oublie pas pourquoi tu t’es enfuie. Pour ne pas l’épouser. Ne pars pas si ce n’est pas lui que tu aimes !
Mon regard s’arrêta sur James. Il n’avait pas bronché, il s’était lancé dans l’étude minutieuse de la table. Matt lança ;
- Il ne faut pas que tu retournes là-bas ! Ta vie est ici, maintenant.
James réagit alors. Il lança froidement ;
- Tu peux donner des conseils, toi ! Tu ne restes pas en place ! Laissons-la partir si elle en a envie ! Un riche fiancé n’attend que ça ! Qu’elle parte !
Il s’était levé et allait quitter la maison sans m’accorder un regard quand Vera l’appela ;
- Ne dis pas ça, Jimmy !
- Je dis ce que je veux, Vera. Ce qui ne vous plaît pas, c’est que j’ai raison. On ne va pas en faire toute une histoire. Qu’elle parte ! Quand elle sera mariée, riche et dans une grande maison, elle rira bien de vous tous !
- C’est pas vrai ! criai-je. Les paroles de James m’avaient blessées. Etait-ce vraiment ce qu’il pensait de moi ? Ses mots me touchaient en plein coeur. Il sortit en claquant la porte. Je regardais mes amis ;
- Ce n’est pas vrai, vous le savez, hein ?
Matt me rassura ;
- Ne t’occupe pas de ce que dit Jimmy. Moi, je veux que tu restes !
Vera me dit alors ;
- C’est à toi de décider ce qu’il y a de mieux pour toi !
- Je veux rester. Affirmai-je.
- Bien.
Vera m’avait conviée à passer la nuit chez elle. Elle ne voulait pas me savoir seule. Mais je ne pouvais aller me coucher sans avoir vu James. Il était à l’écurie, une lampe y brûlait. J’entrais et je le vis en train de brosser énergiquement sa jument. Il jeta un coup d’oeil dans ma direction ;
- Qu’est-ce que vous voulez ?
- Vous parler, vous expliquer…
- Expliquer quoi ? Que vous êtes une bourgeoise capricieuse, que vous vous êtes bien amusée et moquée de nous ! Et un jour, à vos amis bourgeoises, vous raconterez comment un cow-boy crasseux vous a embrassée, croyant que c’était ce que vous attendiez !
- Vous ne comprenez rien !
- Je comprends que vous êtes fiancée ! Vous auriez pu me le dire avant que… Il s’était arrêté brusquement.
- Avant que quoi ?
Il tourna les yeux ;
- Qu’importe ! Rentrez chez vous Julie Williams. Mariez-vous, faites des enfants et laissez-nous en paix !
- Franchement, James, je ne comprends pas pourquoi vous êtes en colère. Qu’est-ce que cela peut vous faire qui je suis ?
- Vous m’avez menti !
- J’ai caché certaines choses, c’est tout. Vous aussi !
- Je ne cache pas de fiancée, moi !
- Alors, c’est Davis qui vous gêne ! Pourquoi ? Je ne suis qu’une erreur pour vous !
Il me regarda étrangement ;
- C’est ça. Une erreur.
Il talonna son cheval et disparut dans la nuit.

Le lendemain, j’ai assisté au départ de la diligence. Je regardai de loin, à l’abri des marches de la boutique d’Art. J’ai vu Davis donner ses bagages au conducteur. Tout le village s’était rassemblé. Je ne sais si c’est le spectacle de la diligence qui les attirait ou le mien. Davis a regardé dans ma direction, puis est venu vers moi. Il me prit à part ;
- Julie, j’espère que vous avez retrouvé la raison.
- Je ne rentre pas à Chicago, si c’est ce que vous voulez dire !
- Je vous emmène que vous le vouliez ou non ! m’ordonna-t-il.
Je n’ai pas eu le temps de protester qu’il m’avait saisie par le bras. Vence surgit alors de nulle part ;
- Un problème, Laurie ?
- Mêlez-vous de vos affaires ! lui intima Davis. Julie, vous allez monter dans cette diligence, de gré ou de force !
- Je ne veux pas, Davis. J’ai dit non !
- Et moi, je vous dis que vous allez partir avec moi !
Vence crut bon d’intervenir ;
- Je crois qu’elle a été claire. Elle a dit non.
Davis me lâcha le bras et devint menaçant ;
- Qui êtes-vous ? Je vous ai dit de nous laisser tranquille !
- Je suis son ami…
- Vous voulez qu’on règle ça en combat singulier ? proposa Davis. Un duel ! Pour moi ! Il ne manquait plus que cela !
- Arrêtez ! Arrêtez tous les deux ! Et comprenez-moi bien ; je suis la seule à pouvoir dire ce que je veux et ce que je vais faire de ma vie. Davis, lorsque je vous dis que je ne viens pas avec vous, il faut me croire. Vous êtes le passé. Vous êtes sorti de ma vie ! Alors partez sans moi ! Et vous, Vence. Vous êtes un ami fidèle, mais je ne vous ai pas encore fait entrer dans ma vie. Pas encore ! Alors, laissez-moi tous les deux ! Laissez-moi ma vie !
Vence avait baissé les yeux. Davis ne répondit rien, il retourna à la diligence. En y montant, il jeta un dernier regard vers moi, puis referma la portière. Le convoi s’ébranla sous les acclamations des enfants. Je me tournais vers Vence et lui sourit. Il me rendit mon sourire. Je me sentais seule et triste. Art vint vers moi et me déposa un baiser sur la joue ;
- Content que vous restiez, petite institutrice !


27 décembre 1860

Noël. Je n’avais pas imaginé que je passerais Noël à Amnistia. Huit mois que je suis là déjà, et Noël… Je me demande comment mes parents vont passer cette fête. En parlant de moi et en me maudissant sûrement. C’est ce que j’ai pensé en me levant. J’eus à peine le temps de m’habiller que dehors, retentit un cri ;
- Laurie ! Laurie !
Apache s’était mis à aboyer. Il avait reconnu la voix de Vera. A peine, avais-je ouvert la porte que je reçus un projectile humide et froid en plein visage. Vera, dans un grand rire, venait de me lancer une boule de neige.
- Il a neigé, Laurie !
J’en fus émerveillée. J’avais bien sûr vu de la neige à Chicago, mais elle était souillée par les passants et les voitures. Cela n’avait rien à voir avec le tapis immaculé qui s’étendait devant moi, il allait jusqu’au ruisseau qui riait sous la glace. Ma cabane était enfouie sous une couverture blanche, et les arbres avaient revêtu une belle parure. Le ciel bleu azur n’était troublé que par le vol des corbeaux.
- Il a neigé, répétai-je.
Vera m’envoya une autre boule de neige, je répliquais et nous nous sommes lancées dans une joyeuse bataille. Elle riait à gorge déployée. Quand elle se fut calmée, elle me prévint ;
- Je suis venue te chercher. Matt et Travis sont partis chasser une dinde. Tu vas fêter Noël avec nous !
- Vera, j’en serais ravie, mais je devais aller chez Art et Cathy !
J’avais promis à Cathy de célébrer la fête avec eux. Ils étaient un peu comme ma famille. C’était vers eux que je me retournais en cas de problème, et Art s’amusait à dire que j’étais comme sa fille ! Je ne pouvais leur faire faux-bond.
- Je sais ! triompha mon amie. Je suis passée voir Cathy. Elle a dit que tu devrais passer le réveillon avec tes amis plutôt qu’avec de vieux radoteurs comme eux !
- Elle a dit ça ?
- Oui. Et il faut lui promettre d’aller déjeuner chez eux demain ! J’ai promis pour toi ! Et elle te souhaite un joyeux Noël !
Je n’aurais jamais cru possible qu’un tel lien se crée entre Cathy et Vera. C’était un peu grâce à moi.
- Alors, tu viens ?
- Je crois que je n’ai pas le choix ! Laisse-moi mettre mon manteau !
Je m’habillais puis grimpais à côté d’elle. Elle me glissa une écharpe rouge et or autour du cou ;
- Cadeau de Cathy !
Chère Cathy. Je remarquais que Vera avait la même posée sur ses cheveux couleur des blés. La vieille dame avait une âme généreuse. L’air nous fouetta les tempes tout le trajet. Je fus heureuse d’arriver au ranch, car il faisait vraiment très froid. J’ai aidé Vera à mettre les chevaux à l’écurie, et là, j’ai vu la jument de James. Cela me serra le coeur. Depuis qu’il était parti comme une furie au milieu de la nuit, il n’avait pas reparu. Je caressais l’animal. Vera me sourit gentiment.
- Il reviendra.
- Tu as de ses nouvelles ?
- Non. Mais il reviendra.
Elle m’entraîna dans la maison blanche. James me manquait. Où pouvait-il être ? C’était Noël et il est seul quelque part. Je l’aimais. C’était sûr. - Et si on faisait un gâteau ! proposa Vera.
Nous avons sortis les ingrédients, les plats. En me voyant battre la pâte, Vera se mit à rire ;
- Si c’est ainsi que tu fais le pain, je comprends qu’il ne soit toujours pas mangeable !
Elle se moquait de moi. Je lui envoyais un peu de farine pour la faire taire. Elle riposta et cassa un oeuf sur ma robe. Nous nous sommes poursuivies tout autour de la table, lançant farine, oeufs, pâte. Le sol était aussi blanc que nous. Nous riions comme des folles. C’est au plus beau de la bataille que surgit Matt. Nous avons été stoppées dans notre élan, comme deux fillettes prises en faute, inquiètes d’avoir été surprises dans un tel moment de folie. Matt nous détailla des pieds à la tête, jeta un coup d’œil à la cuisine et déclara ;
- Je ne veux pas savoir ce qu’il s’est passé ici !
Travis s’est mis à rire ;
- Je crois que Laurie a voulu faire la cuisine !
Nous avons éclaté de rire.
- Tu as une dinde ?
Travis la brandit, Vera battit des mains comme une petite fille ;
- Quelle bête monstrueuse !
Le repas fut délicieux. L’après-midi, nous sommes partis faire de la luge. Nous avons dévalé les pentes, joué dans la neige, puis nous sommes rentrés dans la chaleur rassurante du ranch. Dans la soirée, nous sommes partis à l’église, où le village se rassemblait pour la veillée. Les enfants ont accouru pour me souhaiter un joyeux Noël, Art m’a soulevée dans ses bras et m’a fait deux gros baisers sur la joue ;
- Joyeux Noël !
J’allais saluer le père de la petite Sara endormie dans ses bras, le docteur et divers fermiers. J’allais embrasser Cathy et sourit à Vence. J’ai alors été convaincue que j’avais bien fait de rester.

Le lendemain, j’ai déjeuné chez Art et Cathy. J’ai offert à Emily une paire de boucles d’oreille. Elle était ravie. Cathy lui permit de les mettre. Depuis qu’elle avait failli la perdre, la vieille dame était plus conciliante. Je ne me souviens pas d’avoir passé de si belles fêtes. Pourtant un peu de moi s’angoissait en imaginant Shane fêtant Noël seul… et James… quelque part…


4 janvier 1861

Après les fêtes, nous avons intégré la nouvelle école. Toute neuve, elle sentait encore la peinture. C’était une petite maison, placée non loin de l’église, une maison rouge. Il y avait des pupitres, des chaises et tout ce dont j’avais besoin. Et un luxe que je n’aurais jamais cru possible ; nous avons un poêle. Il marche à plein régime. Lorsque nous avons déménagé de l’arrière-salle du saloon, Vence semblait triste ;
- Ce ne sera plus pareil sans vous de l’autre côté du mur !
- Vous nous avez été d’un grand secours, Vence. Merci mille fois.
- Vous allez me manquer ! avoua-t-il à mi-voix.
Je me suis mise à rire ;
- Nous ne partons pas à l’autre bout du monde. Juste dans la nouvelle école. Je crois que je vous verrai souvent traîner dans mes pattes !
- Quand je travaillais, je savais que vous étiez de l’autre côté. J’entendais les enfants, je les voyais jouer. Ca va faire vide sans vous.
Je lui ai pris la main ;
- Merci.

Noël passé, mes enfants regorgeaient de bonne humeur. Leurs joues et leurs nez étaient rougis par le froid ; j’aimais entendre claquer leurs sabots sur le plancher pour les débarrasser de la neige. Les parties de base-ball ont laissé leur place aux batailles de boules de neige et à l’édifice de bonshommes, et une partie de la population retrouva sur les êtres éphémères leurs pipes ou chapeaux disparus mystérieusement. En classe, ils redoublaient d’ardeur ; même Samuel ne dormait plus. Eux, qui ne savaient presque rien à mon arrivée, lisent et écrivent de mieux en mieux. Ils m’étonnent de jour en jour. Emily et Elisa sont mes deux meilleures élèves. Tom ne se défend pas mal non plus. Jason, lui, a gagné le prix des meilleures farces en tous genres. Quelle imagination a ce garnement !
Je les ai retrouvés avec une joie non feinte.

1861. J’ai du mal à réaliser que je vais passer cette année 1861 à Amnistia. La nouvelle année a amené de nouveaux arrivants ; une famille de prêcheurs. Etrange idée d’arriver ici en plein hiver. Ils ont une fille, Alice. Elle a intégré ma classe et s’est trouvé des affinités avec Emily. Elles sont inséparables. Cela fait plaisir de voir Emily aussi vivante ! Je me suis retrouvée à présenter sa mère Ellie Boyle aux villageois. Cela fait plaisir de ne plus être la nouvelle. 10 janvier 1861

Lewis, le postier, est venu me trouver dans la rue principale, alors que je discutais avec le révérend Marsh.
- Miss Laurie, j’ai un colis pour vous.
- Un colis ?
J’étais surprise, je ne recevais jamais de courrier.
- Un colis, je dirais même des caisses !
J’ai suivi Lewis, le révérend sur nos traces. Il me montra une grosse caisse, qui prenait de la place dans son petit bureau ;
- Vous pouvez l’ouvrir ? demandai-je.
Il fit sauter deux planches qui fermaient la caisse, et je vis qu’elle était pleine de livres. Une lettre l’accompagnait. Une lettre du comité, qui pour nous venir en aide suite à l’incendie de l’école, nous envoyait des livres scolaires et d’autres fournitures.
- Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Je n’y comprenais rien. Le révérend souriait ;
- C’est moi, Laurie. J’avais écrit pour demander de l’aide. Je ne pensais pas avoir de réponse !
J’étais agréablement surprise.
- Des livres de grammaire, de calcul. C’est merveilleux ! Adieu le jeu de poker ! Oh ! "Roméo et Juliette", c’est magnifique !
Lewis demanda ;
- Qu’allez-vous faire de tous ces livres ?
- Quelle question, Lewis ! Utiliser pour ma classe les manuels scolaires, et les autres… j’ai bien une idée…
- Dites ! m’invita le révérend.
- Une bibliothèque pour le village.
- C’est une bonne idée, mais où ?
Vence passa alors devant la porte, il nous vit et entra ;
- Où quoi ? s’intéressa-t-il.
Je souris, car je venais d’avoir une idée ;
- Vous tombez bien, Vence !
- J’en suis ravi ! répondit-il avec un sourire enjôleur.
- Dites-moi, l’arrière salle du saloon est toujours disponible ?
- Pour vous, toujours !
- Est-ce que vous verriez une objection à y installer une bibliothèque ? Comme ça, tout Amnistia pourra y venir pour lire !
Le sourire de Vence s’était évanoui.
- Une bibliothèque. Laurie, je vous ai permis de pendre ma salle pour l’école, parce que vous n’aviez pas le choix. Mais une bibliothèque ! Cela condamne cet endroit ! Cette arrière-salle est à moi, et je m’en priverais pour vous faire plaisir ! Non. A moins… que vous ne payez un loyer !
Le révérend raisonna ;
- Vous savez que nous ne pouvons pas payer.
Je fus moins diplomate ;
- Vous devenez désagréable, Vence !
Sans plus se préoccuper du révérend, Vence continua ;
- Et vous, vous êtes une profiteuse ! Il suffit que l’on vous donne un doigt pour que vous déclariez comme acquis le bras tout entier ! Je vous ai rendu service, il ne faudrait pas me prendre pour un pigeon !
- Ce n’est pas la générosité qui vous étouffe !
- Allons, allons ! tenta de nous calmer le révérend. Mais Vence ne l’écoutait pas.
- Je vous croyais plus reconnaissante. Ne croyez pas que je vais servir votre cause les yeux fermés ! Je ne suis pas si stupide !
- Alors, allez-vous en !
- Je vous rappelle que c’est vous…
Il me mettait hors de moi. Je le coupais ;
- De vous arrêtez ! Jamais ! Vous vous êtes une fois de plus invité dans la conversation ! Allez-vous en !
- Avec plaisir ! Et au diable, votre bibliothèque !
Il est parti furieux. Une de nos innombrables disputes ! Le révérend n’en revenait pas. Moi, j’avais l’habitude. Je lui dis ;
- On va les mettre à l’école. On verra plus tard.
Je pris une caisse et le révérend la deuxième. Nous avons traversé la rue, et on m’a déchargée de mon fardeau. Vence venait de me la prendre des mains ;
- C’est trop lourd pour vous, Laurie ! Hé, révérend, où allez-vous ? Le saloon, c’est par là… enfin, la nouvelle bibliothèque ! Nous avons fondé la première bibliothèque d’Amnistia.


Partie 6

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