Le Poney Express


Parties 16 à 18

16

L'indienne avait donc presque fini, lorsque Mag se mit au travail. Elle avait, elle, une selle magnifique que son père lui avait offerte pour ses dix huit ans. A la mort de sa mère, elle s'était mise à se comporter comme un vrai garçon, comme ses frères avec qui elle passait tout son temps. Son père fut, au départ, désespéré. Il aurait voulu que sa fille ressemble à sa femme, belle, élégante et toujours soignée.

Mais Mag n'en fit qu'à sa tête et troqua ses robes contre des pantalons. Elle en possédait plusieurs tout à fait coquets. Leur toile, assez rêche lorsque l'on n'était pas habitué, était solide et confortable. La jeune blanche les aimait beaucoup. Elle se sentait très à l'aise avec et pouvait suivre ses frères partout. Pour son grand voyage, elle avait pris ses trois préférés. Celui qu'elle avait sur elle ce jour-là était marron foncé et elle en conservait deux autres bien rangés dans ses affaires, l'un marron clair et l'autre bleu. Par contre, pour tout ce qui était chemisier, son père avait été plutôt content car elle avait hérité du bon goût de sa mère. Mag avait une préférence pour les blancs souvent décorés de fines broderies discrètes. Elle en avait une quantité innombrable. C'était ce qu'elle regrettait le plus de ne pas pouvoir emmener. Mais elle s'était promis de s'en racheter dès qu'elles auraient trouvé un endroit pour se fixer. Et en attendant, elle avait choisi dans sa garde robe, quatre de ses favoris, tous aussi jolis et élégants. Par-dessus le chemisier qu'elle portait actuellement, elle avait une veste qui avait appartenue à sa mère. Son père la lui avait donnée pour son départ. Elle était de couleur ocre très jolie, avec une doublure plutôt chaude qui pouvait s'enlever lorsqu'il faisait beau. Elle était brodée avec des petits dessins marrons. La plupart représentait des losanges et des triangles associés de façon à former une sorte de forêt de sapins. Mag adorait cette veste parce qu'elle avait appartenue à sa mère, et elle la trouvait très élégante.

La jeune femme avait fini de décharger ses affaires du dos de son cheval et vint s'asseoir près de son amie indienne. Celle-ci était en train de penser que le bain qu'elle se préparait à prendre dans la rivière était bien compromis. Mais, si la carte du père de Mag était juste, elles devraient suivre ce cours d'eau jusqu'à Fort Brymes. Peut-être qu'une autre occasion se présenterait. En attendant, elles se mirent à se restaurer. D'un commun accord, elles ne firent pas de feu. Elles étaient suffisamment bien cachées pour ne pas être vues durant la nuit, et elles auraient pris des risques inutiles en faisant un feu. La lueur produite par celui-ci pourrait être aperçue et attirer les autres groupes. Ce fut un morceau de viande séchée, avec un bout de pain qui leur restait de leur dernier arrêt dans une ville, qu'elles avalèrent ce soir là.

P.V. avait l'habitude de ce type de nourriture. En hiver, c'était le plat principal de la tribu. Il faisait trop froid pour trouver de petites proies à tuer aussi, ils se contentaient des provisions qu'ils avaient faites durant l'été. La viande se conservant mieux séchée, ils la préparaient ainsi pour pouvoir la consommer durant la saison froide. Mag, elle, n'y était pas habituée, et elle n'aimait pas cela. Elle préférait de loin un souper chaud et cuisiné du jour, mais elle se contentait de ce qu'elle avait. Sans rechigner, elle mangea donc ce semblant de repas.

Lorsqu'elles eurent fini, P.V. se leva et alla tenir compagnie à Chasseur quelques instants. Mag resta près des affaires et la regarda s'éloigner en silence. P.V. avait besoin de ces moments de solitude avec ses compagnons. Elle savait aussi que lorsque l'indienne reviendrait, elle s'occuperait d'Esprit Sauvage. Elle le brosserait longuement avant de venir s'asseoir enfin avec elle. Mag comprenait parfaitement ce désir. Ils étaient à présent la seule famille qui lui restait.


17

A l'approche de P.V., Chasseur se redressa et la regarda arriver. Celle-ci s'approcha en silence et s'accroupit à ses côtés. L'animal resta sage et se contenta de reprendre son observation des deux parties. L'indienne voulait passer un moment avec son compagnon. Elle en profita pour observer elle aussi. Ce fut les soldats qui attirèrent son attention en premier. Elle ne les portait pas dans son coeur. Le massacre de son village était encore trop frais dans sa mémoire pour leur pardonner. Elle ignorait si elle pourrait surmonter sa colère et son désir de vengeance, mais elle se promit d'essayer. D'une part, pour honorer la mémoire de Vent Sage qui disait qu'il fallait savoir oublier et d'autre part pour Mag qui avait été jusque là si gentille avec elle.

Les soldats discutaient beaucoup, elle pouvait les apercevoir grâce à un rayon de lune qui filtrait entre les feuilles des arbres. Il était assez faible, mais il était suffisamment clair pour lui permettre de les voir et pour se rendre compte qu'ils étaient en grande discussion. Chacun avait l'air de donner de sa version ou de son idée. P.V. aurait bien aimé savoir ce qu'ils pouvaient se dire. Même si elle n'entendait rien, elle était certaine qu'ils préparaient un mauvais coup. Le cavalier transportant le courrier aurait encore beaucoup d'embûches sur son chemin avec ces soldats. Elle tourna la tête vers lui. Il était dans son coin. Il n'était pas à l'abri des arbres de sorte que la lumière lunaire l'éclairait bien. Il s'était servi une tasse de café qu'il buvait par petites gorgées. P.V. remarqua sa carabine posée près de lui et son incessant va-et-vient des yeux qui scrutaient la broussaille. Il avait l'air d'avoir compris le message. Il était sur ses gardes, mais l'indienne se demanda s'il en serait de même lorsqu'il irait se coucher.

A ce moment comme pour répondre à ses questions silencieuses, il posa sa tasse à terre et sortit de ses affaires une couverture qu'il déplia. Il quitta alors son chapeau qu'il posa au sol à côté de lui. Ses cheveux blonds tombaient sur ses épaules. Il s'enroula dans sa couverture et s'allongea au pied de l'arbre. Son fusil n'était pas loin et il s'assura qu'il pouvait l'attraper rapidement. Il chercha une position qui lui sembla confortable, fixant toujours les buissons. Jugeant alors qu'elle pouvait le laisser seul, P.V. se leva et sans un bruit rejoignit Mag. Chasseur se recoucha et se mit à veiller. Il faisait encore assez clair et pas un seul nuage ne semblait vouloir passer devant la lune cette nuit là. Aussi, l'indienne s'assit quelques instants avec son amie, se disant qu'elle aurait le temps de s'occuper d'Esprit Sauvage un peu plus tard. Elle n'avait pas très envie de dormir et pensait pouvoir profiter du calme de la nuit. Un hibou poussa son hululement. Mag sortit de ses pensées, et en voyant son amie assise près d'elle, ouvrit la conversation la première :
"Alors que se passe-t-il là bas ?
- L'homme qui transporte le courrier vient de s'allonger pour dormir et les soldats sont en grande discussion. Je crois que l'on a gâché leur plan. Mais je suis certaine qu'ils en préparent un autre, ils n'abandonneront pas !
- Je voudrais bien savoir ce que contient cette lettre. Ce doit être important pour que cet homme risque sa vie.
- Si tu le savais, ta vie serait probablement en danger aussi. Je pense que ces soldats sont prêts à tout pour qu'il n'arrive pas à sa destination et je pense que quiconque en saurait de trop risquerait de devenir une proie. Je ne comprends pas les blancs. Pourquoi ont-ils besoin de se sentir supérieurs aux autres ? Pourquoi pensent-ils avoir le droit de vie ou de mort sur les autres ?"

Disant cela, P.V. repensa au massacre de son village, à cet homme, Joe Blouder, qui avait tenté d'abuser d'elle, mais surtout elle revit ce chasseur de primes qui tua Vent-De-Lune et Petit-Aigle sans qu'elle puisse agir. L'indienne fit un gros effort pour retenir ses larmes. Mag ne l'aperçut pas et lui répondit :
"Je ne suis pas d'accord avec toi ! Tous ne sont pas pareils. Il y a des gens bien parmi les blancs. Tu es injuste de les traiter ainsi."

Elle haussa un peu la voix et P.V. la regarda le visage baissé à terre, mais les yeux levés vers elle. Elle regardait souvent les gens comme cela, les jaugeant comme si elle essayait de lire dans leur coeur et dans leurs pensées. Son regard sombre et légèrement humide posé sur son amie, l'indienne finit par répliquer :
"Si j'ai tord, explique-moi pourquoi cet homme dans ta ville a-t-il tué Vent-De-Lune et Petit-Aigle ?"


18

La voix de P.V. trembla légèrement à l'évocation de ce souvenir douloureux. Vent-De-Lune avait été sa meilleure amie. Recueillie par les indiens, la jeune femme avait très vite compris que pour survivre, il fallait s'adapter rapidement à la vie du camp. P.V. l'avait aidée du mieux qu'elle le pouvait et toutes les deux s'étaient liées d'amitié. L'indienne lui avait appris tout ce qu'il fallait savoir de la vie de tous les jours au sein du village et la blanche en contrepartie lui avait appris le parlé de son peuple à elle. Vent-De-Lune était devenue la femme d'un indien qui avait perdu l'amour de sa vie. Le bébé qu'elle portait était né mais elle n'avait pas survécu à l'accouchement.
Vent-De-Lune s'était beaucoup attaché à ce jeune garçon âgé de deux ans lors de son arrivée au village. Et le père de celui-ci avait été si gentil pour elle, qu'elle était parvenue à l'aimer comme son mari.

Durant l'attaque du campement, Vent-De-Lune avait réussi non seulement à se mettre l'abri des balles qui fusaient autour d'elle, mais elle avait aussi sauvé P.V. qui était blessée et Petit-Aigle, l'enfant qu'elle considérait comme son fils. Il venait d'avoir ses cinq printemps. En ville, l'enfant fut très mal accueilli, souvent bousculé et insulté. Cependant, Vent-De-Lune avait toujours pris sa défense et avait refusé de s'en séparer, jusqu'au jour où, un chasseur de primes avait tenté de tuer l'enfant. La jeune femme s'était interposée et avait été tuée d'une balle dans le dos. Petit-Aigle suivit le même sort que sa mère adoptive. P.V. avait assisté à la scène, mais elle n'avait rien pu faire. Elle enrageait au fond d'elle et se reprochait de ne pas avoir pu être assez forte pour intervenir et sauver les deux êtres qu'elle avait tant aimés. Ce fut pénible pour elle de se remémorer ces images, et elle se mordit les lèvres pour retenir ses larmes. Mag ne vit rien de cette détresse et poursuivit :
"Lui, c'était un chasseur de primes. Son métier et certainement son seul plaisir sont de tuer.
- Mais il est censé tuer les criminels. Vent-De-Lune et Petit-Aigle n'avaient rien fait de mal. Il n'avait donc aucune raison de leur tirer dessus et surtout pas dans le dos..."

P.V. s'énervait et ne put retenir ses larmes plus longtemps. Mag savait à quel point cette tuerie l'avait marquée. Elle était encore assez faible lorsque cela s'était passé. Elle n'avait pas pu réagir et lorsqu'elle avait pris conscience de ce qui se passait, il était trop tard. Matt et James ne furent pas de trop pour la retenir. Elle voulait se venger de ce chasseur de primes et son état ne semblait pas pouvoir l'arrêter. L'indienne tenait à peine sur ses jambes, mais elle était prête à lui montrer ce dont elle était capable. Mag et ses deux frères durent la ramener au ranch de force. P.V. finit par se calmer, mais sa colère reprit le dessus lorsqu'elle apprit que cet homme qui avait tué Vent-De-Lune et son fils avait pu reprendre la route sans être inquiété par la justice. Personne n'avait tenté de l'arrêter et personne n'avait considéré son action comme un crime. Cela avait aussi mis en colère Mag. Elle ne comprenait pas que rien ne soit tenté pour l'arrêter. En ville tout le monde considérait qu'il avait fait du bon travail en éliminant ces deux sauvages et beaucoup regrettaient que P.V. ne soit pas du nombre. Mag se rendit compte de la nervosité de son amie et essaya de la calmer :
"C'est sa haine des indiens qui l'a fait agir !"

P.V. ne répondit pas. Au fond d'elle, elle savait qu'elle n'oublierait jamais le visage de cet homme et un jour elle le retrouverait et vengerait sa meilleure amie. Elle s'en était fait la promesse sur la tombe même des deux personnes qu'elle n'avait pu sauver. Ses larmes ruisselaient sur son visage sans qu'elle puisse les arrêter. Sans un mot de plus, elle se leva pour chercher quelque chose dans ses affaires. Mag se rendit compte qu'elle n'aurait peut-être pas dû lui rappeler ces souvenirs encore trop frais dans son esprit. Elle avait parfois du mal à se taire et elle s'en voulait toujours. James, le plus sage de ses frères et l'aîné de la famille, lui avait souvent dit qu'elle devrait tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Pendant ce temps, elle pourrait réfléchir aux conséquences de ses paroles. Mais Mag était incorrigible et ne pouvait s'empêcher de commettre ce genre de gaffes. P.V. avait trouvé ce qu'elle cherchait dans son sac. Elle en sortit une brosse et se dirigea vers Esprit Sauvage. Mag savait qu'elle allait s'occuper de lui. Elle le faisait chaque soir, et ce soir-là elle en avait particulièrement besoin. Elle la regarda s'éloigner sans un mot et se replongea dans ses pensées se jurant d'essayer d'être un peu moins impétueuse et de réfléchir à ses paroles avant de les laisser franchir ses lèvres.

Suite

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