Un destin hors du commun


Chapitre 4

UNE QUESTION DE CONFIANCE

Heureuse d’avoir gagné le soutien du fougueux Cody, Al se sent davantage soutenue au sein de cette équipe dont les membres sont si étroitement liés. Discrètement, elle les regarde vivre et se demande comment des personnalités aussi différentes, voire opposées, peuvent s’entendre et coexister ensemble. Rapidement, elle remarque que le Kid se comporte un peu comme un chef au sein de ce groupe de têtes brûlées et si pour les plus pacifistes, tels que Buck, Ike, Lou et Noah, cela importe peu, pour les teigneux, Hickok et Cody, il est beaucoup plus difficile de s’en accommoder et les disputes sont fréquentes entre eux. Il apparaît que Hickok a tout particulièrement du mal à accepter toute domination. Comme pour bousculer l’ordre qui est établi, les défis vont même bon train, pour savoir lequel sera le plus rapide sur une course, ou le plus habile avec une arme à feu. Cody semble d’ailleurs le plus friand de ces petites compétitions.

Au fil des jours, Al évite d’approcher Hickok, mais tente tout de même de discuter avec les autres cavaliers. Le premier à accepter de se prêter au jeu, c’est Cody, intarissable, qui ne cesse de lui raconter toutes sortes d’aventures rocambolesques où il tient très souvent le rôle du héros. Buck, plus discret, n’aime pas trop parler de sa vie, tout comme Ike dont il est le traducteur. Mais leurs conversations à trois ne sont pas stériles pour autant. Al ne s’arrête pas au sujet du Pony Express et sait faire la part des choses quand elle aborde des sujets qui n’apparaîtront pas dans son article. Grâce à ces entrevues, elle découvre une profonde gentillesse et une grande générosité chez le muet qui s’ouvre peu à peu à elle. Le Kid, très spontané et naturel, accepte de se dévoiler lors d’une longue conversation avec la journaliste. Rapidement ils dévient sur une comparaison amusante entre la vie des fermiers du Nebraska et ceux de Virginie. S’ensuivent de grands fous rires qui font chaud au cœur d’Al qui ne s’était pas trompée en voyant en lui un homme avenant et sympathique sur qui les autres peuvent compter.

Seulement ils s’arrêtent nets quand Lou rappelle à l’ordre le Virginien :
-"Kid !!! T’as pas autre chose à faire quand tu vois le nombre de poneys qu’il nous reste à débourrer ?"
Le ton de la remarque n’admet visiblement aucune contestation, et après s’être excusé auprès de son interlocutrice, docilement, le Kid rejoint Lou, qui le fusille du regard. Ike et Buck, restés dans l’enclos, suivent la scène en prenant soin de ne pas intervenir. Ils ont vraisemblablement l’habitude de cette intonation autoritaire. Pourtant Al s’étonne de découvrir le Kid aussi soumis, alors qu’elle le voit davantage comme un homme de tête. Les liens qui les unissent sont manifestement bien plus compliqués qu’il n’y paraît. Les quatre collègues s’occupent encore du mustang noir ébène. Ce dernier ne semble pas vouloir abandonner la partie aussi facilement et donne du fil à retordre aux pauvres cavaliers qui finissent bien souvent la journée avec un bon mal de dos.

Finalement la plupart des garçons sont assez spontanés avec Al et jouent le jeu sur le conseil de Teaspoon. Seuls Lou et Noah restent très en retrait sans véritable raison. Et Al ne sent pas en elle assez de courage pour leur forcer la main en allant vers eux la première : elle préfère leur laisser le temps de s’habituer à sa présence. Pour ce qui est de Hickok, tout est clair maintenant dans la tête de la journaliste qui ne prend plus trop le risque de se frotter à lui. Même si l’idée de faire le premier pas pour engager une conversation afin de lui prouver qu’elle ne l’a aucunement trahi, ni même utilisé, lui trotte dans la tête depuis un moment déjà, elle n’a pas encore trouvé la force d’affronter son regard agressif.

En milieu d’après-midi, Teaspoon qui a besoin de monde pour aller chez Tompkins demandent aux cavaliers de l’accompagner. Cody, Buck et Ike sautent sur l’occasion, afin de repousser leurs corvées. Le contremaître du Poney Express propose également à Al un petit tour en ville qu’elle s’empresse d’accepter pour sortir un peu du quotidien du relais. La journaliste suit donc les trois jeunes gens et le Marshall. Salué par toutes les personnes qu’il croise, ce dernier apparaît rapidement comme quelqu’un de très populaire. Elle l’a bien remarqué : il sait être attachant et attentif aux autres. Comment un homme de son expérience et d’une telle intégrité ne saurait pas se faire accepter dans une ville ? Il en profite pour présenter la journaliste à quelques connaissances, avant de s’arrêter à son bureau. Là, Al fait la connaissance de Barnett, son adjoint, qui n’a visiblement pas l’air d’un homme agité. Il contraste tellement avec les gars du relais, que la jeune femme se demande comment ils parviennent à travailler tous ensemble.

Puis, ils reprennent la visite de Rock Creek, en laissant Barnett à son affaire. Cody, le premier, se précipite dans le magasin général, en plein centre, pour découvrir ce que le patron a fait arriver récemment. Al, plus timide, reste un peu en retrait. Teaspoon et Ike la devancent pour suivre Cody. Seul Buck commence à regretter d’avoir voulu les accompagner et se tâte pour rejoindre ses amis à l’intérieur. Alyssa remarque vite son hésitation et s’approche de lui pour lui souffler à l’oreille :
-"Un problème, Buck ?
-Le propriétaire n’accepte pas très bien les Indiens...
- Qu’il essaie seulement de te faire une réflexion devant moi..."
Elle le prend alors silencieusement par le bras en tachant d’être attentive à toute réticence, mais il semble rassuré par le soutien de la belle journaliste et ils entrent tous les deux. A l’intérieur, elle découvre, derrière la caisse, un homme grand et solidement charpenté aux cheveux gris, portant un tablier blanc qui commence à virer au gris. Il a une mine assez renfrognée, mais ne semble pas vouloir faire d’ennuis à l’entrée de Buck, alors Al lâche son bras et fait son tour seule pour découvrir ce qu’offrent les étalages. Le gérant, attentif aux nouveaux visages, ne tarde pas à s’avancer vers la journaliste, au regard un peu perdu, pour lui demander :
-"Je peux vous renseigner, Madame ?"
Mais, comme s’il se sentait responsable d’elle, Teaspoon se met vite entre eux deux et bougonne au propriétaire :
-"T’inquiètes pas Tompkins ! Cette demoiselle n’est pas perdue, elle est avec nous !
- Ah... Teaspoon... Mais ce n’est pas la journée du réapprovisionnement du Pony Express ! Qu’est-ce que tu fais là avec tes garçons ?"
Demande le gérant sur un ton mélangeant la méfiance et la curiosité.

Après avoir posé un regard complice sur Alyssa, Teaspoon se tourne à nouveau vers l’homme. L’oeil droit à moitié fermé, sur un ton désintéressé, mais qui flatte habilement ce Monsieur Tompkins, il répond :
-"Je fais visiter notre sympathique ville à notre amie, Alyssa, et comme tu peux le voir, je commence par ton magasin !"
Ce dernier, remarquant l’attention qu’Al porte à un de ses articles reprend :
-"Vous me semblez intéressée par ce chapeau... C’est un très bon choix, il vient directement de Saint Louis... Peu de femmes peuvent se permettre de le porter ici… Il fait très habillé...
-C’est vrai qu’il me plait beaucoup… Combien coûte-t-il ?
-15$..."
Mais Tompkins ne tarde pas à détacher son regard de sa cliente pour épier les gestes de Buck qui fait un tour de reconnaissance sans porter un quelconque intérêt à ce qu’on lui présente. Et quand le Kiowa passe derrière un étalage dans la pénombre, à l’opposé de lui, Tompkins ne peut s’empêcher de hurler, malgré les bagarres précédentes qui n’ont servies de leçon à personne :
-"Hè ! L’Indien ! Reste où je peux te surveiller !"
Outrée par une telle remarque, Alyssa repose le chapeau convoité d’un air de dégoût. Quand elle voit Buck exécuter son ordre, docilement, et revenir dans la lumière du magasin, elle ne peut que demander à ce Tompkins :
-"Pardon ?
-J’aime pas ces petits fouineurs !"
Répond-il à la journaliste, oubliant qu’il les a vus entrer ensemble.
-"Je crois que je n’ai rien à vous acheter dans ce cas..."
Devant le conflit qui va éclater, Buck préfère se faufiler rapidement dehors, trop avisé pour, encore une fois, répondre aux attaques du vieil épicier, même s’il supporte très mal ses affronts répétitifs. Tompkins retourne alors d’un pas rapide derrière sa caisse, trop surpris par le soutien que cette étrangère apporte à un Indien. Et quand il appelle ses gars de l’arrière boutique pour faire évacuer ces "clients amateurs de Peaux Rouges", Alyssa anticipe leur arrivée dans le magasin, attrape par la manche Cody, déjà tout excité à l’idée de se servir de ses poings, et le tire dehors. Ike, plus sage, emboîte le pas de ses amis sans demander son reste. Seul Teaspoon reste à l’intérieur pour parlementer avec Tompkins et essayer d’arrondir les angles, comme il sait si bien le faire.

Rapidement, Alyssa rejoint Buck, devant le restaurant de Jarvis, de l’autre côté de la rue. Elle pose sa main sur son épaule pour le retenir, mais à son regard, elle la retire immédiatement et le laisse repartir vers le relais. Restée au milieu de la rue principale, silencieuse, Al regarde son ami s’éloigner. Cody et Ike sont restés derrière elle. Ces derniers sont habitués à ce genre de provocations de la part des habitants de Rock Creek, même si cela ne signifie pas qu’ils restent passifs devant ces attaques. Les cavaliers sont toujours prêts à défendre l’un de leurs collègues rejeté, mais les bagarres régulières n’améliorent pas les relations entre les deux clans et Teaspoon doit souvent jouer de tout son savoir-faire pour excuser ses gars auprès de leurs concitoyens. Mais Al, malgré les coups qu’elle a pu prendre à Denver, ne peut toujours pas accepter la méchanceté gratuite et, accompagnée des deux cavaliers, elle retourne, elle aussi, au relais. Le balade du retour est nettement moins enjouée que celle de l’aller : Al ne desserre pas les dents et garde un regard grave, jusqu’à ce qu’elle rejoigne Buck, appuyé contre la barrière de l’enclos.

Lentement, elle pose sa main sur le bras du Kiowa et lui murmure :
-"Je comprends maintenant ce que tu me disais à mon arrivée sur le fait que les gens n’acceptent pas les différences...
-Je suis désolé que tu aies assisté à ça...
-Pourquoi ? Ce n’est pas de ta faute ! C’est moi qui n’aurais pas dû te forcer à entrer !
-Non... J’avais envie d’y aller avec toi, mais je remarque que même en laissant faire le temps, les mentalités ne changent pas... Je risque ma vie tous les jours pour faire passer leur courrier et ils me méprisent...
-Non, je ne pense pas que tous les habitants de Rock Creek aient l’opinion de cet épicier...
-Et toi, tu n’aurais pas dû prendre ma défense… Il va te refuser l’entrée de son magasin maintenant...
-Je ne regrette pas et si c’était à refaire, je referais la même chose... Je n’ai aucun mérite... Par contre, toi, tu es persévérant si ce n’est pas la première fois que ça arrive...
-Aucun mérite ? Tu as réussi à retenir Cody ! C’est un miracle ! Une fois, avec Hickok et Lou, à eux trois, ils ont mis le magasin sans dessus-dessous... Et Tompkins ne voulait plus nous ravitailler à cause de ça… Cette fois-ci, ça ne se termine pas trop mal...
-A part pour ton amour propre..."

Ils sont brusquement interrompus par Hickok qui arrive en trombe vers eux. Il s’adresse directement à Buck sans même prêter attention à Al, pourtant assise aux côtés du Kiowa sur la barrière de l’enclos :
-"Qu’est-ce qui s’est passé en ville ? Ike a essayé de m’expliquer, mais j’ai pas tout compris !
-J’ai encore eu une réflexion de Tompkins… Mais cette fois-ci, on a évité la bagarre générale grâce à Al...
-Bah... Ce vieux grincheux ne sait pas quoi faire pour occuper ses journées... Si j’avais été là, il ne s’en serait pas sorti aussi facilement...
-Justement Hickok, c’est parfois bon de ne pas se servir de ses poings... Ca ne le fera pas changer d’avis... Tu te souviens des complications suite à la dernière bagarre chez lui ?"
Jimmy soulève légèrement une épaule en hochant la tête comme pour acquiescer, mais ne le dit pas ouvertement et sans davantage de compassion, il retourne dans la salle commune.

L’ambiance au souper est assez tendue, car les cavaliers sont agacés par les réflexions continuelles de Tompkins. Dans la région, on commence à entendre parler des conflits qui se multiplient là sur le territoire, et ces évènements ne sont pas faits pour favoriser l’intégration de Buck. Fort heureusement, Teaspoon ne tient aucunement rigueur à l’équipe de ce débordement, il est même surpris que la journaliste ait pris le parti de Buck aussi spontanément. Au fil des jours, Teaspoon regarde l’évolution de la jeune femme et se demande encore pourquoi elle est venue en aide au Kiowa à South Pass. Tellement de Blancs l’auraient repoussée… Cette jeune femme, d’apparence fragile, sait visiblement assumer ses idées quel qu’en soit le prix. Peu à peu, le Marshall la voit sortir de sa réserve et découvre une présence peu commune et surtout, une force de caractère qui lui permet d’avancer la tête haute dans ce monde d’hommes.

Contrariée, Al ne parvient pas à trouver le sommeil et se relève au milieu de la nuit. Elle descend alors dans l’écurie, comme si le contact des chevaux la rassurait et la calmait. Elle remarque soudain une jument qu’elle n’a encore jamais vue montée par les cavaliers, bien qu’elle ne soit pas avec les chevaux en cours de dressage. D’un œil attentif, l’animal suit calmement la jeune femme. Al joue du bout des doigts avec les lèvres du cheval quand il veut l’attraper et se laisse sentir par l’animal. Elle empoigne ensuite une brosse et commence à nettoyer son pelage baie, couvert de terre. Patiemment, elle brosse chacune des courbes de la jument qui garde les oreilles pointées au ciel, signe de son attention.

Soudain, Alyssa sursaute en entendant la grande porte claquer et découvre Cody, encore à moitié endormi en cette heure matinale. Mais le simple fait de voir Al dans le box de la jument baie lui fait immédiatement ouvrir les yeux en grand et s’approcher d’elle pour l’empoigner et l’en sortir, en demandant :
-"Qu’est ce qui vous prend de rentrer dans les box des chevaux sans les connaître ?
-Arrêtez ! William ! C’est pas un mustang sauvage quand même !
-Ne rigolez pas ! Cette jument est une vraie teigne quand il s’agit de travailler...
-Peut-être, mais elle n’est pas méchante...
-On en reparlera ! Là, j’ai un relais à prendre... Rentrez et dormez un peu..."
Alyssa n’essaie même pas de discuter avec le cavalier qui dort encore debout et lui lance un simple "bon courage !" avant de retourner se coucher.

Une fois le soleil levé, la journaliste rejoint Rachel dans sa cuisine et, à deux, elles préparent le petit-déjeuner des cavaliers. Au fil des jours, Al a abandonné le besoin de retenir leurs roulements et préfère avoir la surprise tous les matins des visages qu’elle va découvrir à table. Ce jour-là, presque tous sont partis en course. Seuls, Jimmy, Lou, Jesse et Teaspoon sont présents. Le repas se passe dans un silence religieux, comme si chacun avait besoin de temps et de tranquillité pour se réveiller. Alyssa le respecte bien que, chez elle, elle ait pris l’habitude de profiter de chaque repas pour discuter avec sa famille. Rapidement, les tâches de la journée sont distribuées : Rachel réquisitionne Lou pour aller en ville et Teaspoon invite Jesse à l’accompagner à la prison, tandis que Jimmy doit s’occuper du box de son cheval délaissé depuis quelques jours.

Quant à Alyssa, elle s’est mis en tête de faire un peu de ménage et de rangement dans sa chambre, dont elle ne s’occupe pas assez puisqu’elle passe tout son temps dehors avec les garçons ou Rachel. Ce genre de tâches domestiques l’a toujours rebutée farouchement, c’est peut-être une des raisons pour lesquelles elle ne se sent pas encore la force de les faire pour un homme. Ou bien, tout simplement, elle n’a pas encore trouvé l’homme qui lui permettra de passer au-dessus de ces petits désagréments de la vie quotidienne. Patiemment, elle s’affaire à rendre la pièce aussi propre que possible, car elle estime que ce n’est pas à Rachel de s’occuper de sa chambre, bien qu’elle ait en charge le ménage de tout le relais.

Seul dans l’écurie, Jimmy rechigne un peu à sa corvée, mais il sait que chacun est responsable du box de son cheval… Il empoigne donc la fourche, décidé à classer la besogne le plus rapidement possible, mais une silhouette féminine marchant vers le relais ne tarde pas à attirer son attention et lui fait oublier ses bonnes résolutions. Pour travailler, il a abandonné sa veste et son chapeau sur un ballot de foin, c’est donc en chemise bleue passée qui vire au gris, qu’il s’avance, en traînant les talons de ses bottes noires dans la poussière de la cour. La visiteuse, dont le charme touche Jimmy au premier regard, ne semble même pas encombrée par sa grande robe, alors qu’on voit rarement de telles tenues dans les petites villes. Arrivée à quelques mètres du relais, elle s’avance vers Jimmy et lui adresse un poli :
-"Bonjour Monsieur...
-Madame... Je peux vous renseigner ?
-Je suis bien au relais du Pony Express de Rock Creek ?
-Oui, Madame...
-Je cherche Alyssa Mac Cartie… Est-elle toujours avec vous ?"
En entendant le nom de la journaliste, le visage de Hickok se durcit et il répond :
-"Oui, je vais vous la chercher...
- Merci...", est-elle obligée de répondre au dos du cavalier déjà parti vers la grande maison blanche de Rachel. Elle le suit donc pour le rejoindre sous le préau et l’entendre hurler dans la maison sans même prendre le temps d’entrer :
-"Hè ! Mac Cartie ! Une visite pour vous !"
Surprise par un tel ton, la belle brune regarde le jeune homme s’éloigner comme il est venu, sans un mot, sans un regard accueillant. Mais quand elle se retourne à nouveau vers la maison, elle découvre le visage émerveillé d’Al qui prend son amie Sam dans ses bras, comme si sa venue dans cette contrée sauvage était une bouffée d’oxygène pour elle. Surprise par ce débordement, Sam serre Al à son tour contre elle, peu habituée à avoir d’aussi chaleureuses embrassades… gratuites, qui plus est.

Puis, naturellement, elles s’assoient toutes les deux sur le banc sous le préau en ce milieu de matinée où l’air n’est pas encore trop étouffant. Les questions de la bannie de Denver pleuvent les unes après les autres, comme si elle était partie depuis un an et Sam se fait un plaisir de raconter les dernières aventures de leur entourage. Al, quant à elle, fait un rapide résumé sur les relations qu’elle entretient avec chacun et rassure Sam sur le comportement froid de Hickok. Après quelques minutes, elle finit même par lui avouer que ce cavalier taciturne est le même que celui qui avait su la séduire à Chimney Rock. Intriguée par la coïncidence, Sam est heureuse de mettre un visage sur l’inconnu qui a su amadouer Al au premier regard, bien qu’elle ne comprenne pas comment il peut être aussi froid avec elle aujourd’hui. Les longues minutes que les deux jeunes femmes passent à discuter sont un vrai moment de bonheur pour Al qui s’échappe un moment de son quotidien assez inégal à Rock Creek. Mais, tout à coup, une question jette un froid :
-"Et William ? Tu as des nouvelles ? Moi, je n’ai rien reçu depuis mon arrivée ici..."
En une seconde, le sourire de Sam s’efface. L’inquiétude prend Al qui redemande :
-"Sam ? Qu’est-ce qui se passe ? Il est arrivé quelque chose ?
-C’est pour ça que je suis venue… J’ai reçu une lettre il y a 10 jours...
-Et alors ?
-Il est décédé..."
Le sang de Al ne fait qu’un tour sous le coup de l’émotion, mais elle arrive à bredouiller :
-"Comment est-ce arrivé ?
-Une bagarre dans le saloon d’après ce que nous avons appris..."
Ne se sentant pas la force de se retenir, Al s’effondre dans les bras de son amie et pleure à chaudes larmes. Hickok, alerté par les sanglots, remet le nez dehors en quelques secondes et s’étonne de voir la jeune femme extérioriser sa peine avec si peu de pudeur. Tenté d’aller vers elle, il ne parvient pas à s’y résoudre et garde ses distances même s’il semble ressentir la peine de la jeune femme. Debout au milieu de la cour, la fourche à la main, il regarde Al dans les bras de Sam qui caresse calmement ses cheveux en lui murmurant des mots doux pour la réconforter. Mais Al n’entend plus rien. Sur le moment, elle est tiraillée entre deux réactions opposées : s’affaler au calme et pleurer ou faire payer à Emerson le prix fort pour avoir abusé de son autorité et éloigné son ami d’elle dans le but de la faire céder... Finalement, tout est la faute d’Al, elle en est enfin consciente.

Le sentiment de culpabilité est si intense que Al demande bientôt à son amie de la laisser seule et retourne s’effondrer sur son lit. Samantha, restée debout devant la porte ne sait pas quelle attitude adopter pour atténuer le chagrin de son amie. Quand elle repasse devant l’enclos, elle est retenue par Hickok, visiblement inquiet :
-"Vous lui avez apporté une mauvaise nouvelle ?
-Oui... J’ai fait le voyage pour la lui annoncer de vive voix, parce que je savais comment elle allait réagir... Une lettre, ça aurait été impossible à écrire...
- Un décès ?", demande-t-il avec une soudaine compassion que remarque aussitôt Sam :
-"Oui, un de nos collègues… On formait un bon trio, mais il n’est pas revenu d’une mission... Ceux qui s’imaginent que notre métier est facile se trompent lourdement... Ils n’ont aucune idée de ce que nous avons à endurer... D’autant plus quand on est une femme, il faut être deux fois plus forte..."
Jimmy préfère garder le silence devant cette dernière remarque, car il sait qu’il n’a pas particulièrement contribué à la bonne intégration d’Al au sein du relais. Comme si elle lisait dans ses yeux, Samantha devine une sorte de culpabilité derrière cette façade dure. Puis, avant de repartir en ville, elle se retourne vers Hickok et ne peut s’empêcher de lui lancer simplement :
-"Je ne vais pas rester longtemps... J’espère qu’elle trouvera un soutien ici pour surmonter sa douleur..."
Le regard perdu sur la silhouette de cette femme qui s’éloigne, Hickok se sent désemparé de voir la journaliste dans un tel état.

Dans sa chambre, Alyssa ne retient plus ses sanglots. Elle n’arrive pas à s’enlever de l’esprit que si elle n’avait pas tenu tête à Emerson, il n’aurait probablement jamais envoyé William à Cripple Creek et il serait encore en vie à ce jour. Elle a été égoïste de penser qu’elle pouvait faire sa vie seule, sans tenir compte des conséquences de ses choix. Aujourd’hui, la perte de cet être cher est irrécupérable et elle devra vivre avec sa culpabilité. Elle ne sait même pas à qui elle en veut le plus : à elle, de n’avoir pas su protéger William des représailles de leur patron en ne dissimulant pas assez son sentiment de bien-être et l’équilibre que lui apportait son ami, ou bien à Emerson, de ne jamais avoir admis qu’il ne pouvait pas toujours contrôler les gens ou leurs sentiments.

Seul au milieu de la cour, sa fourche à la main, Hickok reste quelques minutes tourné vers la silhouette de Sam qui s’éloigne lentement. Oui, il se souvient bien de la jeune femme pleine d’entrain de Chimney Rock … Il admet même en secouant la tête silencieusement qu’elle a su le toucher par son large sourire, son naturel et sa franchise. Il revoit sans difficulté Al chevaucher son palomino dans la plaine… Ses mèches tombant de son chignon après leur folle chevauchée... Son esprit taquin lui cachant qu’elle montait en réalité depuis toujours… Son insouciance face au danger, qui suggère qu’elle a besoin d’être protégée alors qu’elle affirme haut et fort sa volonté d’indépendance. Finalement ce caractère si entier qui a su si bien s’accorder avec le sien a rendu ces quelques jours de mission moins ternes… Lui si farouche d’habitude au premier abord n’a pas ressenti la nécessité de montrer cette facette de sa personnalité à cette femme qui lui ressemble tant. Pourtant derrière cette façade si ouverte, elle a bien pris garde de ne pas tout lui dévoiler sur sa vie, alors que lui ne s’est pas inventé une histoire quand il était avec elle.

Une grimace se dessine tout à coup sur le visage du cow-boy qui fronce les sourcils : il a décidément beaucoup de mal à admettre ce mensonge. Fou de rage de réaliser soudain combien il peut être touché par la peine de la jeune femme qu’il voudrait à nouveau pouvoir protéger comme à Chimney Rock, il jette la fourche contre la barrière de l’enclos. L’outil de travail tombe sèchement sur le sol de terre battue. Désemparé Hickok tourne alors la tête vers la maison de Rachel et lève les yeux vers la fenêtre de la chambre de la journaliste. Non, cette fois-ci, il ne suffit pas de voler à son secours… La tâche est plus difficile, car la perte d’un être cher paraît souvent insurmontable pour la personne qui reste. Tout à coup, il se décide à avancer, marque une hésitation devant le jardinet, puis, d’un seul coup, de peur de reculer, passe la barrière. Mais ne se résolvant pas à entrer dans la maison, il s’assoit sur les trois marches qui la devancent. Enfin, mettant pour la première fois son orgueil blessé de côté, il se lève d’un bond et franchit le seuil de la porte, bien décidé à ne pas renoncer. Il se risque donc à faire un pas vers elle, car au fond, même s’il ne l’admettra jamais devant les autres, il est touché par son malheur. Les marches de l’escalier et le couloir qui le mène à la chambre de la journaliste lui semblent interminables. C’est donc un noeud au ventre et la main hésitante qu’il frappe à sa porte.

Comme aucune réponse ne se fait entendre, il décide d’entrer et fait un premier pas timide pour se glisser à l’intérieur. Al, qui l’a reconnu à sa démarche, sans même se retourner, articule difficilement d’une voix rauque entrecoupée de sanglots :
-"Me ridiculiser à longueur de journée ne vous suffit plus ? Il faut encore que vous vous fassiez le plaisir de me voir au plus bas ?
-Je ne viens pas en ennemi...
-Vous êtes la dernière personne que j’ai envie de voir en ce moment, alors sortez !", rétorque-t-elle sèchement, estimant que le moment est mal choisi pour avoir des remords et essayer de se faire pardonner, comme si elle pouvait, d’un seul coup, oublier les regards méprisants et les mots blessants que le jeune homme enchaîne sans répit depuis son arrivée. Son soutien ne lui serait d’aucune aide cette fois-ci.

Sans insister davantage devant l’hostilité de la jeune femme, Hickok redescend s’asseoir sur les trois marches devant la maison. Lentement, comme assommé par un tel rejet, ses grands yeux verts se promènent sur les objets sans les voir. Sur le coup, il ne comprend pas qu’elle ne veuille pas d’une aide extérieure, mais en même temps, il réagirait certainement de la même manière en s’isolant pour surmonter sa peine.

Suite

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