Un destin hors du commun


Chapitre 2 (suite)

Quand elle jette un rapide coup d’oeil sur le Kiowa, elle le trouve dans un profond sommeil, alors elle en profite pour s’asseoir sur une chaise à ses côtés pour se reposer. Là, des questions lui viennent en tête en gardant son regard sur le jeune homme : aurait-elle dû se mêler de cette affaire dont elle ne connaît pas les éléments ? Ne prend-elle pas le mauvais parti sans le savoir en s’alliant automatiquement à celui qu’elle a tout de suite considéré comme la victime ? Ces interrogations auxquelles elle ne trouve pas de réponses ne tardent pas à l’assommer et elle s’endort pour ne se réveiller que quelques heures plus tard. Cette fois incapable de retrouver le sommeil, elle se lève et fait les cent pas devant la fenêtre en profitant tout particulièrement du silence que lui offre enfin la ville endormie. Il semble même que les poursuivants aient également mis de côté leurs recherches pour quelques heures, car elle ne voit plus personne du groupe des traqueurs arpenter les rues avec d’énormes torches pour éclairer chaque recoin sombre de la ville.

Quand l’aube approche enfin, elle revient vers le Kiowa et le réveille délicatement en lui chuchotant :
-"Il va être l’heure de partir..."
Puis elle lui tend sa chemise en ajoutant :
-"Il y avait un peu de vent, elle est presque sèche, mais elle est encore un peu moite...
-Il suffira de quelques heures au soleil et il n’y paraîtra plus... Je vous remercie... Vous avez pris sur votre nuit, vous n’avez pas dû beaucoup dormir...
-Non, effectivement... Je ne suis pas habituée à cette ambiance et je ne suis pas très tranquille... Je préfère mener une vie plus paisible, loin des tracas...
-Dites moi... Qui craignez-vous le plus ? Ces hommes à mes trousses ? Ou moi ?
-Je ne vous connais pas assez pour vous donner toute ma confiance, mais je crois vous avoir prouvé que j’ai pris votre parti dans cette histoire, où je n’avais aucun rôle à jouer...
-C’est sûr, et je crains de ne jamais pouvoir assez vous en remercier... Mais si un jour vous avez besoin de moi, vous me trouverez à Sweetwater, dans le Nebraska..."
Vient enfin le moment des présentations :
-"Vous êtes bien loin de chez vous... Moi, je suis de Pacific Springs, mais je vis maintenant à Denver pour mon métier de journaliste... Je m’appelle Alyssa Mac Cartie...
-Buck Cross... C’est étrange, mais je ne vous voyais pas journaliste...
-J’ai toujours eu une passion pour l’écriture, et on m’a donné ma chance. C’est très difficile de se faire une place dans cette société où les femmes doivent rester dans leur foyer pour leurs enfants..."
Puis, après quelques minutes de silence, Alyssa reprend pour demander au Kiowa :
-"Vous avez une femme, de la famille, des amis chez qui vous pourrez vous retirer pour votre convalescence ?
-Oui, mes amis se trouvent à Sweetwater, j’y retournerai dès que je pourrai supporter le voyage...
-Très bien, allons-y maintenant... Le soleil ne va pas tarder à se lever et il sera plus facile de se sauver discrètement si nous partons tout de suite...", finit-elle par ordonner au Kiowa qui lui emboîte le pas sans plus attendre. En se faufilant dans les couloirs et les escaliers de l’hôtel, elle apprend de la bouche de l’Indien qu’il a laissé son cheval devant le restaurant de la ville. La jeune journaliste lui propose donc d’aller récupérer sa monture et de se retrouver derrière l’hôtel dans quelques minutes. Elle lui confie alors son sac et se glisse dehors en toute discrétion pour filer dans la pénombre et monter un bel alezan racé toujours attaché devant le restaurant. Quelques minutes plus tard, les deux fuyards récupèrent le cheval de la jeune femme dans le paddock du maréchal-ferrant et filent au grand galop vers Pacific Springs.

La chevauchée est longue et le soleil ne tarde pas à taper en ce début de matinée. Heureusement, Buck ne semble pas trop souffrir et suit docilement la jeune femme qui connaît le chemin par coeur. Tout à coup, elle ralentit la cadence de sa jument et paraît s’inquiéter de ce qu’elle va trouver au détour d’une forêt juchée sur un plateau rocheux. Curieux, Buck lui demande :
-"Qu’est-ce qu’il y a ? Un problème ?
- J’ai le sentiment qu’un groupe a passé la nuit dans la forêt... Vous sentez cette odeur de feu à peine éteint ? Je n’ai pas envie de me retrouver en contre-bas si ce sont ceux qui vous recherchent..."
Etonné devant une telle anticipation, Buck ose à peine la contredire en murmurant :
-"Mais je crois savoir que c’est le seul chemin pour rejoindre Pacific Springs...
-Non, c’est le seul officiel sur les cartes, mais vous pouvez me faire confiance, j’ai passé mon enfance dans ces plaines et ces forêts, il n’y pas un fourré que je ne connaisse... A moins que tout ait beaucoup changé depuis mon départ... Je préfère contourner le plateau par le Nord...
-Mais ça va nous rallonger de plusieurs heures !!
-Vous semblez connaître le coin ! Mais je peux vous assurer qu’il existe un raccourci qui nous amènera directement chez mon frère sans prendre de risques par rapport à ce qu’on pourrait trouver sur le plateau..."
Décidé à se laisser guider par la jeune femme qui semble convaincue de connaître l’itinéraire le plus sûr pour atteindre leur but, l’Indien préfère céder sans essayer de la contredire davantage.

Ils grimpent donc par un chemin accidenté, peu utilisé vus les buissons qui obstruent le passage. Et en quelques minutes, ils ont rejoint la partie nord du plateau moins connue et surtout moins empruntée au vu de l’état de la piste qui a à moitié disparu sous la végétation. Mais de là, ils aperçoivent les cavaliers que la journaliste avait pressentis : au nombre d’une dizaine, ils sont regroupés autour d’un tas de cendres et commencent à peine à se réveiller. Ils ont choisi la position stratégique du coin pour passer la nuit sans être surpris. En effet, il suffit de laisser un guetteur à l’extrémité du plateau pour qu’il ait une vue d’ensemble sur toute la plaine, mais surtout sur l’itinéraire principal : une piste qui la traverse juste à ses pieds. Au premier regard, Buck et Al sont d’accord pour dire qu’il ne s’agit pas de leurs poursuivants, mais plutôt d’une bande de hors-la-loi qui a établi son campement pour quelques jours.

Les deux complices se faufilent donc discrètement et parviennent à rejoindre la plaine qui les mène directement aux premières maisons de Pacific Springs sans se faire repérer par les bandits plus attentifs à scruter la piste qu’à prêter attention à ce qui pourrait être dans leur dos, croyant contrôler l’unique accès au plateau. Mais une fois dans la rue principale, Al a du mal à reconnaître l’endroit de son enfance : l’effervescence qui s’en dégage ne lui rappelle en rien la tranquillité à laquelle elle était habituée. En quelques minutes, elle passe la porte du cabinet de son frère et fait signe à Buck de s’asseoir dans le couloir qui sert de salle d’attente.

Là, comme une habituée des lieux, elle colle son oreille sur la troisième porte à droite et esquisse un sourire en reconnaissant les plaintes décidément incessantes de Mme Jackson... Elle fait un signe à Buck pour lui faire comprendre que le médecin est en train de consulter, puis ne peut s’empêcher de faire les cent pas dans le couloir. Mélange d’impatience pour serrer son frère dans ses bras et de frustration par rapport à la situation dans laquelle elle s’est mise toute seule.

Soudain, en entendant du mouvement dans le cabinet, Al attrape Buck par la main et le pousse dans la première pièce pour lui refermer la porte presque sur le nez avant que la patiente ne fasse son apparition dans le couloir, non sans se ravir du retour de la jeune Mac Cartie au bercail. Bien qu’Al sache combien cette commère est hypocrite, elle adopte avec elle le même comportement faux et sourit béatement à ses remarques sans intérêt. Puis, une fois mise dehors, Al se tourne vers son frère, le regard grave. En un geste, il la serre dans ses bras en lui demandant :
-"Qu’est-ce qui se passe ? Tu es blessée ?
-Non ! Pas moi...", dit-elle en entrebâillant la porte pour laisser sortir Buck.
-"Comment fais-tu pour toujours te mettre dans les pires situations ?", lui demande-t-il, comme agacé par son inconscience face au danger, puis en se tournant vers Buck, il continue :
-"Je m’appelle Edan, entrez... On va regarder tout ça."
Comme pour ne gêner ni l’un, ni l’autre, Al se tourne vers la fenêtre pour parler à son frère qui la questionne déjà :
-"Tu es passée à la maison ?
-Non, je suis venue directement ici... Nous venons de South Pass où Buck a été victime d’une chasse à l’homme cette nuit. C’est pour ça que je me suis faite discrète en ville. Je suis passée par derrière, mais j’ai cru voir qu’il y a du changement ici...
-Tout le monde s’affaire à préparer l’inauguration de notre banque...
-Oui, c’est pour ça que mon patron m’a envoyée ici... Il veut que je couvre l’évènement...
-L’information est remontée jusqu’à Denver ? Tu as entendu parler de cet homme assez puissant qui s’est installé dans les parages ? Matthew Halliwell ? Il fait des placements un peu partout...
-Oui, c’est lui que je suis venue voir pour le journal. J’ai eu cette mission assez facilement : je voulais venir vous voir, sinon, mon patron ne me laisse jamais un jour à moi...
-Tu regrettes ?
-Non, c’est une chance pour moi de pouvoir écrire, et surtout d’être lue. Mais je ne te cache pas que parfois, c’est très dur toute seule là-haut, sans vous tous..."

Al tourne la tête vers son frère pour que leurs regards se croisent et retrouve alors leur grande complicité. Buck, toujours couché sur la table d’auscultation, ne dit pas un mot, intimidé devant le médecin qui l’examine longuement et panse soigneusement ses plaies apparentes. Puis, Edan reprend en demandant à sa soeur :
-"Qu’est-ce que tu comptes faire maintenant ? Tu sais très bien qu’un Indien ne passera jamais inaperçu ici... Les habitants sont trop étroits d’esprit pour faire la part des choses alors que le conflit prend de l’ampleur...
-Je n’y ai pas encore réfléchi... J’ai déjà essayé de le sortir de South Pass... Mais il n’est pas en état de rentrer à Sweetwater..."
C’est alors que Buck prend la parole :
-"Vous en avez déjà fait beaucoup pour moi... Ne vous inquiétez pas... Je vais trouver quelque chose en attendant de pouvoir faire le voyage...
-Mais personne ne vous aidera à surmonter cette épreuve... Vous n’aurez aucun soutien des gens du coin si vous en avez besoin... Et puis, de toute façon, vous avez déjà eu du mal à tenir sur votre cheval pour venir jusqu’ici... Attendez un peu de cicatriser avant de penser à repartir..."
Buck reste silencieux devant Al et il perd un moment son regard dans le sien, comme hypnotisé par une telle générosité de la part d’une inconnue. Mais Edan les sort bientôt de leurs pensées :
-"OK ! On est d’accord ! Il ne peut pas bouger pour le moment, mais ça ne nous dit pas où le loger en attendant...
-Tu crois que les parents nous aideraient ?"
Cette simple question lance un froid dans la salle... Le silence du médecin fait peur à Al qui s’emballe immédiatement en s’inquiétant pour les siens...
-"Qu’est-ce qui se passe là bas ?
-Rien de nouveau... Les temps sont durs... Les parents travaillent beaucoup, mais les bêtes se vendent mal... En plus, Sherry a été malade pendant quelques semaines et elle reste très fatiguée... Mais je pense que si ton ami participe en fonction de ses capacités, il sera bien accepté..."

Et comme si cette phrase assurait à Al de trouver le soutien dont elle a besoin auprès de sa famille, elle quitte le cabinet de son frère et file discrètement à la ferme familiale, accompagnée de Buck. Là, elle est accueillie à bras ouverts par son jeune frère, Jérémy, affairé aux champs avec leur père qui reste, comme à son habitude, froid avec elle. Il n’a jamais su lui exprimer ce qu’il ressentait, mais Al ne lui en tient pas rigueur pour autant. Elle rejoint ensuite la ferme avec son invité. Elle retrouve ainsi sa mère et sa soeur Sherry alitée, car elle ne se remet pas de cette fièvre qu’elle a eu il y a maintenant deux semaines. Toutes deux affichent un sourire radieux devant ce retour surprise et sa mère lui demande alors :
-"Tu viens nous présenter ton fiancé ?"
Cette phrase met très mal à l’aise Buck qui est resté dans la pénombre, au fond de la cuisine. Tandis que Al en sourit et répond tout simplement :
-"Non, Maman... Buck n’est pas mon fiancé... Je l’ai rencontré à South Pass... Il a été victime d’un lynchage à cause de ses origines..."
C’est seulement à ce moment que Buck s’avance dans la lumière et laisse entrevoir à Madame Mac Cartie le teint halé de son visage. Comme gêné de s’imposer ainsi dans une famille pacifiste, il baisse les yeux quand la femme reprend la parole pour s’adresser à sa fille :
-"Et avec ton idéal de justice, tu n’as pas pu t’empêcher de t’en mêler...
-Ils l’auraient tué...
-Oui, je n’en doute pas... Mais c’est pour toi que je m’inquiète, parce qu’à force de te mêler des affaires des autres, tu vas t’attirer des ennuis..."
Puis, s’adressant à Buck, elle ajoute :
-"Vous êtes blessé ?"
Le sang mêlé tourne alors la tête vers Al comme pour savoir s’il peut parler de leur visite chez Edan. Mais après un regard rassurant, il prend la parole pour raconter les faits à cette femme de poigne. Un accord est vite trouvé dès le retour du père Mac Cartie : Buck restera à la ferme le temps qu’il lui faudra pour se rétablir et aidera aux tâches de la ferme. Et comme il ne reste plus de chambres de disponibles dans la maison, Al l’aidera à s’installer dans le haut de la grange.

Au repas, Buck trouve sa place aux côtés de Al comme si sa présence le rassurait au milieu de ces inconnus. A vrai dire, il ne la connaît pas bien davantage que le reste de la famille, mais sa spontanéité à lui venir en aide et sa détermination pour le faire sortir de South Pass lui ont permis de gagner sa confiance. Mais quand Monsieur Mac Cartie s’adresse à sa fille, Buck préfère rester en dehors de la conversation :
-"Vous avez des signes de troubles par chez vous ?
-A Denver, pas vraiment, mais j’ai couvert un sujet à Chimney Rock et là-bas, les conflits sont assez graves. Des Indiens renégats s’attaquent à des fermes isolées. Il y a déjà eu beaucoup de morts... Et le pire, c’est que tout le monde croit que ce n’est que le début..."
C’est alors que Madame Mac Cartie ne peut s’empêcher de conseiller à sa fille :
-"J’espère que tu fais attention ! J’ai pas envie de te perdre parce que ton patron t’aura envoyée couvrir un sujet trop dangereux...
-Oui, je sais... Mais les Indiens ne sont pas les seuls dangers. Je pourrais aussi bien perdre la vie à cause de hors-la-loi blancs... Dans ce pays, dès qu’on est un peu sur les routes, on se rend compte que rien n’est sûr... On ne peut compter que sur soi..."
Elle hésite, puis baisse les yeux en rougissant légèrement en revoyant le visage de Hickok, avant de reprendre :
-"Et quelques aides inattendues..."
Au fil des jours, Alyssa se rend en ville recueillir des avis sur l’arrivée de ce Halliwell. Elle prépare des témoignages avant l’inauguration de dimanche. Tout le monde semble ravi que cet investisseur ait choisi Pacific Springs. En quelques temps, il a réussi à séduire toute une population et à la mettre en ébullition. Al est heureuse de ce pas en avant pour sa ville qui est longtemps restée fermée aux étrangers. Elle en profite aussi pour aller rendre visite à ses deux soeurs et revoir ses amies d’enfance. Quand elle fait la connaissance de leurs bébés, elle sent son coeur se serrer. Elle ressent alors un grand vide en elle, comme si sa passion de l’écriture et son amour de la liberté la privaient de ce bonheur si simple qu’il y aurait à construire une vie de famille. En croisant les regards innocents et attentifs de ces enfants, elle s’attendrit et se demande si un jour, elle saura s’attacher à quelqu’un au point de faire le choix d’unir sa vie à lui pour toujours. De leur côté, Annabelle et Rachel, ses soeurs, ainsi que ses amies lui envient sa renommée, son indépendance et sa force de caractère. Alyssa a toujours su se distinguer des autres enfants de son âge. A l’inverse des autres fillettes, elle n’acceptait jamais d’être mise en retrait par les garçons : avec son tempérament de feu, elle ne se laissait dominer par personne et encore moins par ses camarades masculins. Elle respectait sa famille, ses aînés et ses instituteurs, mais n’avait pu supporter cette discrimination envers le sexe féminin...

Elle s’attache tout de même à être présente à la ferme pour soutenir Buck qui a du mal à se sentir à son aise au sein du clan des Mac Cartie malgré leur accueil chaleureux. Et lorsqu’un jour, l’Indien se retrouve seul avec Al dans la cuisine pour éplucher les légumes, pendant que Madame Mac Cartie est partie en ville, ils entament la conversation avec un naturel qui étonne toujours les deux jeunes gens. Car malgré leurs différences de croyances et de cultures, ils se sentent très proches et se comprennent à la perfection. Contre toute attente, Al trouve chez lui un grand confident qui fait preuve de beaucoup de tact et de gentillesse à l’écoute de ses tracas de femme de caractère en marge de la société. De son côté, il se confie à son amie : il est un peu perdu au milieu de cette famille solidaire, car il n’a jamais connu cet état d’esprit, puisque dans la tribu où il a été élevé, il a toujours été considéré comme un Blanc, rabaissé et mis à l’écart parce que son père n’était pas Kiowa, mais Blanc. Et quand il a rejoint les Blancs, inversement, il a été rejeté pour son sang Indien. Les seuls qu’il a toujours considérés comme des amis fidèles qui ne s’arrêtent pas à la couleur de la peau des gens, ce sont ses collègues de Sweetwater. Et ces derniers commencent à lui manquer terriblement. C’est pourquoi, ensemble, ils décident de leur écrire une lettre pour les rassurer sur son sort.

Un soir, après le repas, Al file à la grange. En quelques secondes, elle attrape son harnachement et selle sa monture. Sans un mot, Buck quitte sa paillasse installée en hauteur, au-dessus des ballots de foin, pour descendre la rejoindre et la trouve à cheval prête à partir. Resté à terre, il s’avance vers elle et lui demande s’il peut l’accompagner. Un large sourire illumine le visage de la jeune femme, heureuse de trouver un compagnon pour ses ballades nocturnes.

Au fil des jours, Al découvre chez Buck une générosité qui lui fait chaud au coeur. Elle sait qu’il est très reconnaissant à sa famille pour leur aide et il le leur prouve en travaillant d’arrache pieds avec Monsieur Mac Cartie qui ne le ménage pas, heureux d’avoir une aide plus endurante que celle du jeune Jérémy, qui bien qu’il fasse de son mieux est encore un peu frêle pour ce travail d’homme. Buck, quant à lui, est d’autant plus satisfait de trouver une réelle reconnaissance dans le regard de ce paysan peu causant, mais qui sait le voir indépendamment de ses origines.

Tous les habitants de Pacific Springs ont pris beaucoup de temps pour que ce dimanche d’inauguration reste à jamais gravé dans les esprits. La ville a été décorée telle un 4 juillet : des grandes banderoles tricolores ornent les poutres de chaque bâtisse et certaines traversent même la rue principale de part en part. Chacun a sorti ses plus beaux habits pour faire honneur à ce grand jour. Un photographe est même venu spécialement de Cheyenne pour immortaliser le moment où Halliwell coupera le fameux ruban. L’excitation qui emplit chacun est à son comble quand toute la foule est rassemblée face à la banque. Alyssa doit bien être une des seules, avec Buck, sorti exceptionnellement en ville avec son amie, à prendre un certain recul face à cet engouement général. Bien qu’elle ait presque toujours vécu dans cette ville, elle parvient à vivre l’événement comme une spectatrice extérieure et est même touchée devant l’ampleur de l’émotion que ressentent les gens. Si elle était restée ici, elle ressentirait certainement la même chose. Or, après avoir vu ce que des grandes villes comme Denver peuvent offrir, cette inauguration semble bien moins grandiose.

Après presque une heure d’attente, Halliwell prononce enfin un long discours, mais très élogieux pour les habitants de Pacific Springs, ce qui ne fait qu’accroître l’engouement à l’égard de l’étranger qui s’avance enfin pour couper le ruban devant la grande porte de la banque. S’ensuit la traditionnelle course de chevaux. Buck aurait bien voulu y participer, mais préfère rester discret pour ne pas attirer l’attention. Al, quant à elle, a toujours fait partie des concurrents depuis son plus jeune âge, bien que cette course ne soit pas ouverte aux femmes. Les premières années, elle se faisait passer pour un garçon, mais personne n’a été dupe longtemps et depuis, elle a gagné le droit pour qui le veut de concourir. Elle se retrouve donc sur la ligne de départ avec ses frères et ses amis d’enfance. Peu de femmes osent encore défier l’ordre des choses, Al se fait donc un plaisir de prouver, en toute occasion, à qui en doute, qu’elle monte aussi bien à cheval qu’un homme. Un coup de feu retentit dans l’excitation générale et les chevaux s’élancent au grand galop. Le parcours, Al le connaît les yeux fermés depuis le temps, pourtant elle n’a encore jamais gagné cette course. Peut-être parce que les concurrents ne sont pas toujours corrects et les abandons sont fréquents après des chutes souvent provoquées. Mais Al reste bonne joueuse en sachant que le jour où une femme passera la première cette ligne d’arrivée tant espérée, ce sera une très grande victoire pour elle, non pas parce qu’elle est une féministe acharnée, mais plutôt pour la reconnaissance. Cette fois ci encore, ce ne sera pas elle la gagnante, mais le jeune Andrews. Cependant, elle est fière de terminer pour la première fois troisième.

La dégustation de tartes et le détour au saloon pour les hommes sont ensuite les étapes incontournables d’un tel évènement. Alyssa éprouve beaucoup de plaisir à revoir ses amis d’enfance, mais ressent vite un décalage quand elle n’a rien d’autre à raconter que ses enquêtes. Oui, contrairement à ses amies, elle a été égoïste et a fait passer sa carrière avant tout, mais aujourd’hui elle se sent seule. D’autres sont dévouées à leurs maris et ont une famille. Buck aussi se sent en marge et rase les murs pour se faire discret au milieu de cette foule dense. Les deux amis ne tardent donc pas à vouloir rentrer et se retrouvent sur le chemin de la ferme pour filer ensemble à travers la plaine au grand galop. Une fois arrivés, ils s’occupent de leurs chevaux, remettent de l’avoine dans leurs râteliers et de l’eau dans les abreuvoirs. La jument du père Mac Cartie a bien couru pendant la course, mais elle commence à se faire vieille pour un effort aussi intense, alors Al prend encore plus de temps pour s’occuper d’elle.

Puis, au coucher du soleil, le reste de la famille les rejoint pour le souper. La journée a été riche en émotions et tout le monde ne tarde pas à se coucher, sauf Al qui préfère profiter de la nuit tiède pour ressortir. Elle reste un moment sous le porche, bercée dans son rocking-chair. Un vent sec s’engouffre dans ses longs cheveux qu’elle a dénoués. Elle apprécie tout particulièrement ce moment de calme, interrompu tout à coup par la musique qui s’échappe de la petite salle des fêtes, portée par le vent. Elle a oublié que la journée se terminait par un bal. Elle adore danser, et pourtant elle ne bouge pas. Chacune de ces soirées, elle les a vécues comme de véritables supplices : d’une part à la vision de tous ces couples dansant entre eux et, d’autre part, à cause de ces célibataires qui tentent de l’approcher par le biais d’une danse.

Soudain, il lui prend l’envie de se rendre dans la petite écurie. Là, elle attrape une brosse et panse lentement la paisible jument de son père. Cet animal doux a souvent été le confident le plus fidèle de la jeune femme et elle éprouve toujours beaucoup de plaisir à s’occuper de lui. Il ne faut que quelques minutes à Buck, alerté par des bruits, pour descendre la rejoindre. Il scrute silencieusement la jeune femme pendant quelques secondes jusqu’à ce qu’elle dise sans pour autant se tourner :
-"Excuse moi si je t’ai réveillé...
-Je ne dormais pas... Il fait trop chaud..."
Al pose alors sa brosse et s’assoie sur le rebord de la mangeoire tout en continuant à caresser les naseaux de la jument.
-"Tu n’as pas eu d’ennuis en ville ?
-Non... Rassure toi, je me suis fait discret...
-T’as pas dû passer une bonne journée...
- Vivre comme un paria, j’y ai été habitué, mais comme un fugitif, c’est encore pire."
Mais en entendant un de ses airs préférés, elle fait un bond en avant et s’avance vers Buck en lui tendant ses mains :
-"Tu danses avec moi ?"
Comme tétanisé, il écarquille de grands yeux et recule en bredouillant :
-"Heu... Non... Non, merci... Je ne... Heu... Je ne sais pas danser...
-Ah ! C’est l’occasion pour apprendre ! Pas de regards moqueurs derrière ton dos ! La meilleure prof du territoire ! Allez ! Viens ! Tout le monde passe par là !!!"
Devant l’humour et l’entrain de la jeune femme, Buck se laisse convaincre et tend timidement ses mains vers elle. Quand leurs doigts se frôlent, il tressaille légèrement intérieurement, peu habitué à un tel contact avec une femme. Lentement Al place la main droite du sang mêlé dans son dos et garde la seconde dans la sienne. Puis, elle commence à compter à haute voix jusqu’à trois tout en l’aidant à se déplacer en tournant sur lui-même. Tendu au début, Buck se laisse peu à peu bercer par le rythme de la musique et Al esquisse un sourire devant le visage radieux que son ami lui offre. Tantôt il baisse la tête pour regarder ses pieds qui savent finalement suivre la musique, tantôt il la lève pour admirer cette femme qui lui donne tant. Ils dansent des minutes durant, sans même écouter la fatigue de leurs jambes. Les fous rires qui suivent les faux pas du cavalier quand il se prend les pieds dans la robe de sa cavalière sont sans retenue. Puis lentement, les pas du Kiowa deviennent plus lents et bientôt il s’arrête, cherche ses mots et finit par dire tout simplement :
-"Merci...
-Non ! C’est à moi de te remercier !
-Non ! Je te remercie pour la danse, mais aussi pour avoir pris le temps de me montrer... Personne n’avait jamais fait ça pour moi...
-C’est sûr que tu n’as pas dû apprendre ça dans ta tribu, mais tu sais beaucoup de choses vitales que j’ignore..."
Al se détache alors brusquement et fait quelques pas pour se retourner face à Buck :
-"Est-ce que tu es guérisseur ?
Surpris par cette question sans rapport avec le reste de la conversation, il répond modestement :
-"Un petit peu, mais je ne suis pas "homme médecine". Pourquoi ?
-Je m’inquiète pour ma soeur... Ce n’est pas que je n’ai plus confiance en notre médecine, mais elle ne la soulage pas vraiment et son état ne s’améliore pas non plus. Est-ce que tu me conseillerais quelque chose ?"
Une telle marque de confiance touche profondément Buck : il reste un moment sans voix, comme si tant de sentiments le pétrifiaient, mais il se reprend vite en suggérant simplement de partir dès le lendemain pour trouver les plantes qui lui permettraient de concocter un tisane pour la jeune Sherry.

Le lendemain, les deux jeunes gens partent donc avant l’aube. Buck, guidé par Al qui connaît le terrain mieux que personne, parvient à trouver tout ce dont il a besoin et ils rejoignent la ferme avant que les parents Mac Cartie ne se lèvent. Aussi discrètement que possible, il filent à l’écurie pour desseller les chevaux. C’est là qu’Alyssa demande la plus grande discrétion à son ami quant à ce petit remède, car elle pressent que le reste de la famille désapprouverait. Le Kiowa lui sourit simplement, habitué par ce genre de réticences que les Blancs ont à l’égard des croyances Indiennes.

Alyssa profite de l’occasion trop belle qu’Emerson lui a donnée pour approfondir volontairement son enquête afin de justifier les jours supplémentaires de présence chez elle. Elle parvient non sans mal à obtenir une entrevue avec Halliwell. Mais une fois devant la journaliste, l’homme d’affaires se sent particulièrement intéressé en découvrant une femme rayonnante et étonnamment épanouie et essaie même de profiter de la situation, croyant avoir affaire à une intrigante prête à un écart de conduite pour grimper dans l’échelle sociale. Grâce à toute sa diplomatie, Al parvient à maîtriser le déroulement de l’interview sans lui laisser entrevoir un autre intérêt en lui. Elle ne se sent aucunement flattée de cet inattendu sourire narquois chez son interlocuteur, mais y reconnaît simplement celui d’Emerson qu’elle avait un peu oublié depuis son retour chez elle. Elle remarque alors que les hommes qui ont du pouvoir ont la fâcheuse tendance de croire qu’ils peuvent en abuser en toutes circonstances, et qu’ils sont toujours étonnés, voire très frustrés, de rencontrer quelqu’un avec la force de caractère d’Al qui n’a aucunement besoin d’un appui extérieur pour avancer dans sa voie.

La belle journaliste, de plus en plus rayonnante grâce à ce retour aux sources, passe du temps avec les membres de sa famille et commence à apprécier tout particulièrement la présence de Buck à ses côtés pour toutes les connaissances qu’il lui apporte. Al découvre que les Indiens sont élevés dans un profond respect des autres. Et même si leurs moeurs sont différentes des siennes, Al comprend vite qu’il est très exagéré de les traiter de sauvages. A ses côtés, elle boit ses paroles et se cultive pour élargir sa vision des choses.

Mais la première préoccupation d’Al, durant les derniers jours avant son retour à Denver, est surtout de faire boire les breuvages de Buck à Sherry. Cette dernière est ravie de partager ce petit secret avec sa grande soeur. Buck prie aussi les esprits aux côtés de la petite, intriguée par ces mots inconnus qui lui écorchent les oreilles et par les gestes bizarres que Buck leur associe. Alyssa n’a jamais vu un Indien pratiquer ses croyances devant elle et, même si elle n’est pas certaine que ces incantations apportent un réel soulagement à sa soeur, elle sait au moins qu’elles ne peuvent pas avoir d’effets néfastes sur sa santé déjà frêle. Au fil des jours, à son grand soulagement, la journaliste voit la petite dernière reprendre des couleurs et des forces... Elle a peut-être émis une once d’incrédulité face aux méthodes de son ami auxquelles elle n’est pas habituée, mais elle sait maintenant que la médecine des Indiens dépasse parfois celle des Blancs et qu’elle mérite qu’on lui accorde de l’intérêt.

Aucune explication n’est nécessaire au jeune Kiowa pour comprendre que son amie va bientôt repartir. Il décide donc de quitter la ferme des Mac Cartie en même temps qu’elle. Ils arrêtent un lundi matin pour profiter encore du dimanche en famille. Ils ne font le chemin ensemble que jusqu’à mi-chemin entre Pacific Springs et South Pass où Al rendra le cheval qu’elle a emprunté à l’aller au maréchal-ferrant. Buck, quant à lui, préfère contourner les villes pour éviter de tomber sur un de ses poursuivants. C’est donc au milieu de la piste qu’ils se séparent... Une fois dans la diligence pour Denver, le coeur gros, elle revoit Buck resté debout au milieu du chemin qui l’amenait à South Pass, son alezan à bout de bras. Elle sent que des liens très forts se sont créés entre eux au cours de cette cohabitation forcée, cependant elle sait qu’elle doit laisser faire le destin et accepter que chacun reprenne ses activités, quitte, peut-être, à ne plus jamais se revoir...

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