Un destin hors du commun


Chapitre 1 (suite)

Le cavalier, quant à lui, ne semble pas remarquer la soudaine gêne de la jeune femme et lui dit tout simplement :
-"Je vous remercie... J’ai passé une excellente soirée..." Paralysée par le sourire qui accompagne ces remerciements, Al ne trouve qu’à balbutier :
-"Moi aussi..."
Puis le cavalier s’éloigne, mais une fois au milieu des escaliers qui le ramènent au rez-de-chaussée, il relève les yeux vers Al qui n’est toujours pas rentrée dans sa chambre et lui dit :
-"Vous êtes vraiment une femme surprenante..."
Emue par un tel compliment, Alyssa souri radieusement au cow-boy qui s’est déjà retourné pour finir de détaler les marches.

Une fois couchée, Alyssa ne parvient pas à trouver le sommeil. Elle garde le regard fixé sur le plafond à peine éclairé par la lumière de la rue en se remémorant cette soirée. Ce jeune homme semble si simple et avenant envers elle... Comment pourrait-elle rester de marbre ? Seulement, lentement, elle essaie de se convaincre que cette attirance incontrôlable n’est que la conséquence de l’attrait d’une relation atypique, mais elle sait qu’elle ne pourrait pas aboutir dans le sens où le besoin d’indépendance des deux jeunes gens ne favoriserait aucune histoire. Après quelques minutes, elle se tourne sur le côté droit et une fois apaisée, elle trouve enfin le sommeil.

Le lendemain matin, elle quitte sa chambre avec une énergie débordante. En effet, sa rencontre avec Hickok lui apporte en réalité bien davantage qu’une soudaine impression de bien-être, dans la mesure où elle lui a fait prendre conscience qu’il doit exister quelque part un homme qui réussira à lui faire passer outre ses angoisses par rapport au mariage, puisque Hickok lui-même, en quelques heures, lui a donné le sentiment de pouvoir vivre simplement sans arrières-pensées, ni méfiance.

Après un petit déjeuner copieux, Al décide de commencer son investigation sur les attaques des Indiens renégats et se rend chez le maréchal-ferrant. Là, elle retrouve le magnifique cheval qui a déjà attiré son attention la veille. Elle se rapproche donc à nouveau de l’enclos, et, comme si la bête l’avait immédiatement reconnue, elle s’avance vers la jeune femme pour avoir une caresse. Pendant quelques minutes, la journaliste reste focalisée sur ce bel animal et ne prête plus aucune attention ni au monde qui passe derrière elle, ni aux bruits de la rue principale qui commence à s’éveiller en ce début de matinée.

Tout à coup, quelqu’un s’approche d’elle par derrière en traînant les talons sur le sol poussiéreux, elle demande alors sans même prendre la peine de tourner la tête, comme si la robe beige du palomino retenait toute son attention :
-"Ce serait combien pour louer ce cheval pour la journée ?
-Il n’est pas à louer, Madame..."
Lui répond-on l’air amusé. Ce ton chahuteur ne plait pas du tout à Al qui se retourne énergiquement pour voir son interlocuteur. Mais son animosité retombe instantanément quand elle découvre le souriant Hickok qui lui demande à son tour :
-"Vous montez ?"
Et comme pour tester sa réaction, elle lui répond l’air admirative et rêveuse devant le cheval :
-"J’adorerais... Les chevaux me fascinent... Il émane d’eux une si grande puissance qu’ils forcent le respect...
- C’est joliment dit... Mais c’est vrai que pour moi, ils sont avant tout un outil de travai...
- Je pense que c’est dommage : regardez celui-là, il est si gracieux. Il n’est pas brossé, mais il garde son instinct... Il est vif... Il est vraiment magnifique...
-Vous voulez le monter ?
-Non ! Je n’oserais pas... Je pourrais avoir des problèmes avec le maréchal-ferrant...
-J’en fais mon affaire...
-Dans ce cas..."
Comme s’il était chez lui, le cow-boy du Pony Express entre dans la sellerie et en ressort avec un tapis et une selle. Alyssa garde un regard admiratif posé sur lui quand il selle rapidement le cheval qu’il sort ensuite du corral pour l’attacher à quelques mètres d’Al qui ne peut s’empêcher de s’approcher à nouveau pour caresser l’animal et le laisser la sentir.

Hickok commence donc à expliquer à la jeune femme comment se tenir et quel comportement adopter pour montrer à la bête que seul le cavalier commande. Attentive, elle écoute patiemment les consignes et attend qu’il lui propose enfin de monter... Presque instinctivement, elle se dirige du côté gauche du cheval et après un petit regard au jeune homme, elle met son pied gauche dans l’étrier, attrape le pommeau dans la main gauche et pose la droite sur le troussequin, avant de donner une grande impulsion avec la jambe droite pour la passer aussi vite que possible de l’autre côté du cheval et s’installer confortablement au fond de la selle. Un peu encombrée au départ par son large pantalon pourtant dessiné pour monter à cheval, elle le remet bien en place de chaque côté de la selle, pour éviter de choquer le cavalier déjà très étonné devant le naturel de la jeune femme.

Hickok attrape ensuite les rennes et fait tourner le cheval en rond pour habituer Al à la cadence de son pas. Très impatiente, cette dernière lui demande presque aussitôt :
-"On pourrait aller faire un tour ?"
Surpris, le cavalier écarquille de grands yeux et ne peut s’empêcher de lui répondre :
-"Déjà ? Vous ne pensez pas que c’est encore un peu tôt ?"
Mais, sûre d’elle, Al lui répond avec un grand sourire :
-"Mais non ! Qu’est-ce que je risque après tout ? Une bonne chute ? Et alors ? C’est avec des chutes qu’on devient un bon cavalier, je suppose...
-Je ne tiens pas à ce qu’il vous arrive quelque chose, c’est tout.
-Ne vous inquiétez pas pour moi... Et sellez votre cheval...
-C’est que... vous êtes en train de le monter..."
Confuse, Al s’apprête à descendre en disant :
-"Oh... Je suis désolée... Il fallait me le dire...
-Ce n’est pas important, je vais en prendre un autre."
Dit-il en l’empêchant de descendre en posant sa main sur son genou. Saisie par ce contact spontané et familier auquel elle n’est pas habituée, Al fixe sa main qu’il retire immédiatement pour retourner dans la sellerie.

En quelques minutes, ils se retrouvent donc à chevaucher dans la plaine ouest des alentours de Chimney Rock. Il ne faut alors pas longtemps à Al pour demander à son professeur :
-"On peut essayer le galop ?
-Je pense qu’il est encore un peu tôt... Vous vous débrouillez très bien, mais...
-C’est que... j’en ai très envie..."
Finit-elle par dire en lui coupant la parole. Elle lui lance alors un petit regard taquin et talonne énergiquement le palomino qui réagit immédiatement et part au galop. Hickok regarde s’éloigner son cheval avec soulagement quand il remarque que l’assiette d’Al est digne d’un cavalier qui monte depuis des années. Il relève donc le défi de cette course et la suit pendant plusieurs minutes.

Quand elle s’arrête enfin, il ne trouve pas tout de suite les mots pour lui exprimer son petit sentiment de trahison, et finit par lui demander simplement :
-"Vous montez depuis longtemps ?
-Il y a toujours eu des chevaux à la ferme de mes parents... Disons que dès que j’ai su marcher, mes frères et soeurs m’ont mise sur le dos d’un cheval...
-Pourquoi m’avoir menti ?
-Je ne vous ai pas menti ! C’est vous qui avez tiré des conclusions trop attives...
-C’est vrai... Mais j’ai eu très peur quand je vous ai vue talonner mon cheval... Il est très fougueux et il aurait pu vous désarçonner...
-On prend un risque à chaque fois qu’on monte un nouveau cheval. Mais il faut savoir le prendre, sinon, on ne progresse jamais..."
Hickok garde quelques secondes le regard fixé sur le large sourire de la jeune femme qui se réjouit de l’avoir trompé avec autant de facilité. Sensible au charme de cette personne surprenante, il sent qu’il peut partager ses impressions avec elle, dans la mesure où son ouverture d’esprit semble pouvoir comprendre sa personnalité si controversée. Il reste cependant encore sur la défensive devant cette femme si différente des autres et dont il apprécie tout particulièrement le naturel.

Les deux jeunes gens passent donc la matinée à chevaucher à travers la plaine qui sépare Chimney Rock de Courthouse Rock où ils déjeunent à midi. Sur le chemin du retour, Hickok ralentit la cadence de son cheval à hauteur d’une grange incendiée peu de temps auparavant. Silencieusement, il fait contourner à sa monture l’obstacle de cendres, prêt à s’écrouler, et se rapproche de la maison, rescapée de l’incendie, mais apparemment abandonnée. De plus en plus mal à l’aise dans cet endroit où il a dû se dérouler un drame, Al ne peut s’empêcher de se rapprocher d’Hickok, comme pour se sentir en sécurité. A son tour, elle descend de cheval et, une fois à ses côtés, elle pose une main moite de sueur sur l’avant-bras du cavalier en demandant :
-"Qu’est-ce qu’on attend ici ? Cet endroit me donne la chair de poule...
-Vous savez ce qui s’y est passé ?
-Non... Pourquoi ?
-Ce que vous voyez autour de vous, ce sont les restes du relais du Pony Express de Chimney Rock...
-Et les cavaliers ?
-La moitié a été tuée par les renégats... Les autres sont en train de reconstruire un relais aux limites de la ville pour être moins isolés... C’est pour les aider que j’ai été envoyé ici...
-Je ne comprends pas... Pourquoi les Indiens s’attaquent au Pony Express ?
-Ils nous reprochent de chevaucher sur leurs terres et de faire passer la parole de l’homme blanc...
-Le conflit commence à toucher de plus en plus de monde et ça m’inquiète vraiment..."
Devant le regard déconcerté du cow-boy, Al essaie de partager sa peine et lui demande d’un ton compatissant :
-"Vous étiez proche de ceux qui sont décédés ?
-Pas particulièrement... Mais cette guerre se généralise et un jour, c’est mon relais qui se fera incendier et mes amis prendront de plus en plus de risques pour transporter le courrier..."

Soudain, il se tourne vers elle et lui demande :
-"Et vous ? Vous avez des signes de troubles dans votre région ?
-Je suis originaire de Pacific Springs... Là-bas, les Pawnees étaient encore relativement pacifiques quand je suis partie... Aujourd’hui, je vis à Denver où nous n’avons aucun trouble. Les Indiens ne s’attaquent jamais aux grandes villes des Blancs...
-Méfiez-vous quand même : le jour où le conflit éclatera, plus personne ne sera à l’abri... Même pas les habitants des grandes villes..."
Et comme si le cavalier avait décidé que la conversation était terminée, il remonte à cheval et repart sur Chimney Rock. Al, quant à elle, reste encore quelques minutes face à cette grange écroulée et se surprend à avoir des frissons dans le dos en réalisant les horreurs que ce peuple bafoué est obligé de perpétrer pour attirer l’attention sur lui et acquérir un semblant de poids dans un dialogue où on lui accorde bien peu la parole.

Une fois arrivés aux abords du nouveau relais en construction, Al préfère laisser Hickok aider ses collègues et, après avoir ramené le palomino chez le maréchal-ferrant, se retire dans sa chambre pour mettre sur papier une première ébauche de l’attaque du relais isolé du Pony Express. En écrivant ces quelques notes, elle se sent particulièrement proche de ce drame par le témoignage touchant de ce cavalier qui, derrière une façade qui ne veut montrer aucune émotion, cache une très grande sensibilité.

La journaliste préfère donc passer la fin de journée en ville, estimant qu’elle a suffisamment chevauché durant la matinée. Elle file donc au journal, installé à côté de l’hôtel. Là, elle fait la connaissance d’une étrange jeune femme. Grande, fine, les cheveux roux en chignon, elle semble frêle au premier regard, alors qu’elle extériorise pourtant une assurance peu commune aux femmes de l’époque. En quelques mots échangés, Al se retrouve rapidement en elle. En effet, elle a la volonté de tenir un journal, le Chimney Rock’s Voice, seule, sans assistance masculine. Elle parvient à faire face à l’hostilité de quelques uns avec une ténacité et une volonté qui ne peuvent que susciter l'admiration de la jeune journaliste, qui préfère cependant lui cacher sa profession.

De retour à l’hôtel où elle prend un petit dîner, Alyssa repense à cette rencontre qu’elle qualifie de bénéfique, dans le sens où cette femme l’encourage dans son point de vue sur l’indépendance, si contestée par les hommes, et pourtant si réalisable. Plus apaisée que la veille, elle trouve rapidement le sommeil, comme si le fait d’avoir quelques contacts en ville la stabilisait et la rassurait.

Le lendemain, Al retourne chez le maréchal-ferrant et lui loue pour la journée une belle jument docile. Non sans regretter de ne pouvoir monter le palomino d’Hickok encore dans l’enclos. Et comme si sa ballade de la veille lui suffisait pour se repérer, elle souhaite ce jour-là découvrir la région Ficklins, dans la direction inverse, plus au nord. Son cahier de notes à portée de main, elle arpente les collines qui surplombent Chimney Rock en prenant garde à tout ce qui l’entoure. Elle sait que davantage de fermes ont été attaquées sur le plateau proche du territoire Sioux qui s’étend presque sur l’ensemble du Territoire du Nebraska.

Elle ne pourra jamais recueillir l’avis des renégats pour obtenir un papier objectif avec les arguments des deux bords, c’est pourquoi elle décide de rendre tout d’abord visite aux fermiers qui ont subi ces attaques. Selon Emerson, c’est sur ce plateau que se sont déroulées la majorité des attaques. Ne sachant pas par où commencer, elle se laisse bercer par la cadence du pas de son cheval tout en prêtant une attention particulière au décor dans lequel elle se trouve : une vaste plaine à découvert avec à quelques mètres quelques hectares de bois dense.

Tout à coup, son regard se porte sur une dizaine de silhouettes montées sur des chevaux à l’horizon. Craignant que ce soient des membres de la tribu Sioux, elle ne cherche pas davantage à les distinguer et, en un geste, ouvre son bras pour faire faire demi-tour à sa jument et aller se cacher au milieu de la forêt qu’elle a aperçue. Les quelques secondes qu’il lui faut pour atteindre les premiers arbres lui semblent une éternité, mais quelle n’est pas son angoisse quand, en jetant un bref regard derrière elle, elle voit avec effroi les chevaux lui emboîter le pas en avançant paisiblement au trot vers elle, comme si la jeune femme n’avait pas de moyen pour s’échapper...

Prise de panique devant cette situation dangereuse qu’elle ne s’était absolument pas préparée à vivre, elle regarde furtivement autour d’elle, mais ne trouve aucune cachette ; elle ne peut donc choisir que la fuite, n’étant même pas armée. Pour la première fois de sa vie, elle regrette de ne pas avoir un revolver sur elle, car même si elle n’est pas sûre d’arriver à s’en servir sur des êtres humains, elle se sentirait à cet instant précis un peu plus en sécurité. Couchée sur l’encolure de sa jument pour se faufiler au milieu des arbres, elle rejoint bientôt une petite piste qui contourne un haut rocher. Pour ne pas se cogner la tête, elle reste couchée sur l’encolure de son cheval et l’accompagne dans ses gestes sur ce terrain accidenté.

Soudain, plus attentive aux sons de ses poursuivants qu’à regarder devant elle, la jeune femme sent un bras passer autour de sa taille et la tirer vers le bas pour la désarçonner. La rapidité du mouvement effraie le cheval qui, pris de panique, rue, quitte la piste et s’enfuit à travers le bois. Quant à Al, elle n’a même pas le temps de hurler que des doigts gantés se plaquent sur sa bouche. En quelques secondes, elle se retrouve enlacée contre le torse d’un homme qui la maintient serrée contre lui pour l’empêcher de bouger. Complètement terrorisée, Al ne résiste même pas, elle n’ose même pas esquisser un geste et attend quelques secondes, ses grands yeux verts écarquillés, de savoir ce qui va se passer pour elle.

Les deux corps, tapis, immobiles dans les fourrés passent inaperçus quand les Sioux défilent devant eux... Et bien qu’ils se soient éloignés, celui qui semble être son sauveur ne lâche pas pour autant Al en lui disant simplement :
-"Il y en a toujours un qui ferme la marche..."
Al est tout de suite rassurée quand elle croit reconnaître le ton protecteur de Hickok. Elle attend donc plus sereinement que le dernier Sioux ne soit plus dans son champ de vision pour se retourner vers lui. Mais, comme gêné par cette longue étreinte, le jeune homme se dégage immédiatement pour se lever et, tout en évitant de croiser son regard, tendre une main charitable à la jeune journaliste, qui n’a jamais été aussi heureuse d’être aidée par un homme. Encore sous le choc, Al ne trouve qu’à lui dire :
-"Je vous remercie..."

Mais comme s’il ne l’avait pas écoutée, il ne peut pas s’empêcher de lui demander comme agacé par une telle prise de risque :
-"Vous avez décidé de mourir ???
-Bien sûr que non !!!
-Alors vous êtes inconsciente ou quoi ? Vous pensez bien qu’ils n’allaient pas vous laisser passer... Pourquoi vous aventurer seule sur leurs terres ?
-Je fais mon travail ! C’est tout !!!
-Et bien, s’il consiste à risquer votre vie, il serait peut-être temps que vous pensiez à en changer...
-Vous ? Vous me conseillez de prendre un métier plus calme ? Je vous trouve bien mal placé !!! Vous risquez aussi votre vie tous les jours !
-Oui, mais moi, je sais me défendre ! Votre place n’est pas sur le terrain. Vous devriez être chez vous et vous occuper de votre mari et de vos enfants...
-Je n’ai ni mari, ni enfants. Ma vie, c’est mon travail : je l’adore.... Je ne pensais pas avoir ce genre de réflexions de votre part, monsieur Hickok... Je croyais que nous avions au moins en commun ce même besoin de liberté et de ne rendre de compte à personne..."

Al s’éloigne de quelques pas avant qu’Hickok ne la rattrape par le bras. Pendant quelques minutes, ils se trouvent face à face, un peu troublés tous les deux. Une force inconnue fait se rencontrer leurs yeux qu’ils lèvent au même moment, comme si une affinité les avaient avertis. Car entre eux flotte vraisemblablement cette subtile tendresse qui naît si vite entre deux jeunes gens qui ont des points en commun. Malgré les évènements et la tension qui s’est rapidement installée dans la conversation, ils se sentent heureux l’un près de l’autre, peut-être parce qu’ils ont passé ce début de matinée à penser l’un à l’autre. Il lui demande alors :
-"Vous allez où comme ça ?"
Néanmoins vexée que lui aussi s’étonne de sa situation familiale, Al lui rétorque :
-"Je rentre en ville !
-A pied, vous n’êtes pas arrivée, et en plus vous partez dans la mauvaise direction !"

Al esquisse alors un sourire devant le ridicule de la situation qu’Hickok, heureux de l’avoir déridée, lui rend :
-"Vous voulez que je vous dépose ?
-Je vous dois vraiment beaucoup..."
Peu habitué aux compliments et aux remerciements, Hickok pose un regard reconnaissant sur Al qui a su lui dire des mots qu’il n’entend que trop rarement...
-"Très bien ! Suivez moi... Mon cheval est un peu plus bas... Faites attention : le terrain est accidenté..."
Lui dit-il en lui tendant son bras qu’elle est heureuse de pouvoir prendre pour ne pas perdre l’équilibre. Précautionneusement, elle avance au milieu des ronces, surprise de découvrir combien Hickok est patient. Il ne lui reproche en effet pas de prendre son temps pour trouver son chemin, alors qu’il irait beaucoup plus vite seul.

Quand ils rejoignent enfin le palomino, Al ne peut s’empêcher de regretter :
-"Ah... Evidemment, il n’y a qu’un cheval..."
Amusé par la réflexion, le cow-boy ne peut s’empêcher de lui répondre :
-"Désolé... Je n’avais pas prévu que vous vous feriez attaquer..."
Puis plus sérieusement, il ajoute :
-"Je vous ai juste aperçue quand vous avez quitté la ville et je me suis douté que vous auriez des ennuis quand j’ai vu la direction que vous preniez...
-Oui, excusez-moi, je suis encore sous le choc...
-Ce n’est pas grave..."
Conclut-il en se mettant en selle, puis il enlève son pied gauche de l’étrier et lui tend la main en disant :
-"Allez ! Montez en croupe... Nous serons en ville dans un moment..."

Pressée de se sentir à nouveau en sécurité, Al grimpe derrière Hickok et serre ses bras autour de lui. Un peu tendue au début d’être à nouveau à découvert au milieu de cette vaste plaine, elle ne cesse de lancer des coups d’oeil furtifs de toutes parts pour vérifier qu’ils ne sont pas suivis et c’est seulement quand le cavalier la dépose devant l’hôtel, pour retourner aider ses collègues à reconstruire le relais, qu’elle se sent protégée comme si les habitants de Chimney Rock lui apportaient un soutien sans même en être conscients...

Elle est heureuse de se retrouver au milieu des siens. Pourtant, elle a seulement besoin de solitude. Alors, comme par réflexe pour se cacher, elle se blottit au fond de son lit et tire bien les couvertures comme pour se sentir en sécurité... Chose qu’elle n’aurait jamais osé faire à la ferme familiale quand elle savait que les autres étaient au travail... Mais devant le désarroi qui s’empare peu à peu d’elle, elle se sent incapable d’agir comme si rien ne s’était passé... La boule dans la gorge et sur l’estomac, elle revoit l’image terrifiante de ces chevaux s’avançant vers elle, mais rapidement, comme pour effacer cette image de sa tête, elle préfère focaliser son souvenir sur les quelques instants qu’elle a partagés avec Hickok... Et en quelques secondes, elle prend la décision de rentrer sur Denver... Peu importe la réaction d’Emerson qui la voyait absente un mois au moins, elle tissera un papier sur son expérience et sur celle des cavaliers du Pony Express en s’appuyant également sur les récits du Chimney Rock’s Voice si toutefois la rédactrice le lui permet. Une chose est claire pour elle : il n’est absolument pas question de risquer sa vie pour que finalement personne ne sache ce qui se passe réellement au Nebraska. Elle était motivée pour relever ce défi, mais elle vient de prendre conscience que celui-là est au-dessus de ses capacités devant les dangers qu’elle court. Mais surtout, elle réalise trop tard que le pays est au bord du gouffre en se remémorant ces Sioux la poursuivant, elle, une femme totalement inoffensive et pacifique envers leur peuple... Elle comprend alors que les Indiens arrivent à être contraints de multiplier les attaques pour attirer l’attention du Gouvernement qui ne semble pas vouloir admettre que les traités qu’il leur impose sont largement inéquitables envers ce peuple encore prêt à se battre pour garder leurs terres.

Blottie comme une boule de nerfs au fond de son lit depuis presque trois heures, elle trouve enfin le courage de se relever pour descendre dans la rue et aller consulter les archives de la ville pour terminer le papier qui lui a été demandé... L’accueil chaleureux de la propriétaire du Chimney Rock’s Voice lui réchauffe le coeur dans ce moment de doute envers sa passion pour sa profession... Sans même prendre le temps de déjeuner, elle préfère s’atteler à sa recherche pour en terminer au plus vite et retourner à Denver. Par chance, le style de la rédactrice se rapproche fortement du sien, et elle parvient à déceler les sentiments et les peurs des habitants de Chimney Rock qui pressentent un gigantesque conflit quand ils supportent des petites attaques en guise de représailles.

Puis, une fois ses recherches terminées, elle retourne voir le maréchal-ferrant qui va certainement lui faire payer le cheval qu’elle a perdu dans la forêt. Mais à son grand étonnement, elle le découvre tranquille dans le corral, comme si rien ne s’était passé. Le propriétaire des lieux s’adresse alors à elle avec une compassion qui surprend la journaliste : -"Quand je l’ai vu rentrer sans vous, je ne m’attendais pas à vous revoir...
-Pardon ?
-Vous avez été attaquée par des Indiens, non ?
-C’est si fréquent ici pour que vous le deviniez ?
-Vous êtes une des rares étrangères qui soit revenue de la plaine... Nous, nous avons appris à éviter les Sioux, à contourner les abords de leurs campements, à esquiver leurs attaques parce que nous connaissons le terrain, mais vous, vous avez eu beaucoup de chance...
-Ce n’est pas de la chance : c’est un homme qui m’a sauvé la vie...
-Ah... Je comprends mieux..."
Conclut ce quadragénaire barbu. Au fond de son regard, Al décèle les atrocités qu’il a endurées. Des Indiens ? Des Blancs ? Elle ne sait pas vraiment, et l’homme ne semble pas avoir envie de se confier, mais il semble qu’une partie de lui soit morte pendant que l’autre attend le conflit comme une échéance inévitable.

Le lendemain matin, elle passe au relais du Poney Express en construction à l’extrémité est de la ville pour dire au revoir à Hickok et encore le remercier de son intuition de la veille. Mais, elle ne trouve que ses collègues qui lui expliquent qu’il est parti à Courthouse Rock acheter du bois. Elle se sent un instant tiraillée : elle revoit l’oeil vert marron bienveillant du cow-boy se poser sur elle avec simplicité. Une seconde, son rythme cardiaque s’accélère. Pourtant, elle se ressaisit immédiatement, décidée à rentrer à Denver au plus vite, et prend quand même la diligence du matin, non sans regretter de ne pas avoir pu croiser Hickok. Le voyage lui paraît une éternité, car elle sait maintenant que les groupes isolés de voyageurs sont une proie facile pour les Indiens. Ses parents lui ont appris qu’il ne fallait pas avoir d’a priori sur les gens en fonction de la couleur de leur peau, mais depuis les derniers événements, elle ne peut plus agir envers les Indiens avec la même tolérance qu’auparavant, même si elle comprend leurs motivations dans ce conflit.

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