La dame de pique


Préambule

Sacramento, avril 1876

"Je suis si las...
Pourtant j’ai envie depuis quelques temps de tenir ce journal, à mon âge on a des tas de choses à raconter ! Bien sûr ce sont toujours les mêmes visages qui me reviennent en mémoire, comme si les autres avaient totalement disparus ; toujours les mêmes voix qui chantent dans ma tête... Comment aurais-je pu les oublier ? Mes chers amis... Mes enfants.
Le progrès a eu raison de cette famille chère à mon coeur... La ligne de télégraphe rejoignant l’Est et l’Ouest du pays a mit fin à la courte mais fantastique aventure du Poney Express. Et puis il y a eu la guerre..."

Hunter essuya ses yeux fatigués et repensa à un de ses cavaliers, le jeune William F Cody.
"Ce p’tit gars a bien mérité son surnom de Buffalo Bill poursuivit-il sur le papier jauni de son journal. Fin tireur, il a travaillé pour la Kansas Pacific, après avoir été éclaireur pour l’armée, et le voilà aujourd’hui à la tête d’un cirque ambulant ! Ah, sacré Cody ! Dire que tout le monde se moquait de lui à chaque fois qu’il nous parlait de ses idées saugrenues, il s’en est bien tiré ! En tout cas bien mieux que James Butler Hickok, qui s’est fait descendre dans un saloon pendant une partie de poker.
Le shérif James Buttler Hickok avait pris son poste à Abilène en 1871 et il était le type parfait pour ce travail, je n’en ai jamais douté une seconde. Il aura été à la hauteur, jusqu’au bout, j’en suis sûr... Mais malgré tous ses efforts Hickok n’avait pas vraiment changé, toujours fourré dans des endroits pas très recommandables avec des gens qui ne l’étaient pas moins ! J’ai appris la terrible nouvelle de sa mort la semaine dernière, et je pense que c’est un peu à cause de cela que je ressens le besoin de replonger dans le passé, un passé qui me semble aujourd’hui être le paradis.
Malgré tout, un rayon de soleil éclaire mon présent, Lou et Kid ont une ferme en Virginie et deux beaux enfants. Finalement malgré l’angoisse qui avait assailli Lou juste avant son mariage, elle était heureuse, comme jamais elle ne l’avait été. Louise m’écrit souvent pour me donner de leurs nouvelles, j’ai même reçu des photos de leur petite famille ; elle m’avait confié un jour dans l’un de ses longs courriers que la vie au relais de Sweetwater leur manquait, que les amis leur manquaient aussi. Mais s’ils savaient combien ils me manquent à moi ! Aujourd’hui, alors que je cherchais une bouteille de whisky irlandais qui devait me rester quelque part, je suis tombé sur cette photo que nous avions prise en 1861 il me semble, oui c’est bien ça, pendant l’été 1861. Je me souviens de cet été là, nous venions de nous installer à Rock Creek et le jeune Ike nous avait quitté tragiquement quelques semaines plus tôt."

Hunter s’arrêta de nouveau, soudain envahi par une profonde tristesse. La haine et le dégoût se mêlèrent à ce sentiment et le forcèrent à taper du poing sur la table à laquelle il était installé. Si seulement il pouvait revenir en arrière... Le vieil homme fixa le cliché jauni qui traînait sur la table, près de l’encrier, se forçant à penser aux bons moments du passé.

"Cody est fier comme un gardon sur la photo reprit-il en faisant crisser la plume sur le papier, il semble heureux ; je crois qu’il l’était à cette époque. Cette fille, Mary Jane, posait avec nous.
A cette époque, le jeune Cody voulait s’engager dans l’armée, il pressentait comme nous tous la fin du Poney Express et se cherchait un nouvel avenir ; sa prise de position pour la cause de l’Union s’affirmait de semaines en semaines, au fil des batailles qui naissaient dans les états voisins et l’armée lui semblait être le meilleur moyen de servir la cause et de s’assurer un bon avenir. Encore fallait-il rester en vie assez longtemps !
Seigneur... ! La guerre n’offre pas d’avenir ! Mais allez faire comprendre ça à cette tête de mule de Cody ! Personne, je dis bien personne n’aurait pu faire revenir William F Cody sur sa décision, à part peut-être cette Mary Jane.
Laissez-moi donc vous raconter ce qui s’est passé, une page de notre histoire s’est tournée cette année là, rien n’a plus jamais été pareil..."

Le vieil Hunter posa sa plume et s’adossant à sa chaise, il leva les yeux vers la fenêtre parsemée de milliers de petites gouttes de pluie qui brillaient à la lueur de sa lampe à pétrole. Il soupira et son esprit se mit à vagabonder, des détails, de ceux qu’il aurait dû oublier après tant d’années ressurgirent soudain. Hunter sourit, les yeux remplis de larmes...

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