La dame de pique


Chapitre 1

Rock Creek, 1861

Cet été là, le Marshall Teaspoon Hunter fut mandaté par le Colonel Ulysse S. Grant de l’armée de l’Union pour escorter le fameux voleur "à la Dame de Pique" de St Joseph - où il avait été arrêté par le Shérif Pikes - jusqu’à Fort Laramie afin qu’il y soit jugé pour ses délits. "La Dame de Pique" était le surnom donné par la presse à ce cambrioleur émérite qui glaçait le sang des tous les conservateurs de l’Est du pays en dérobant les oeuvres d’art des plus grands musées et salles d’expositions de Boston et New York. De ses vols, de nombreuses histoires avaient vu le jour, toutes romancées, racontant sa vie solitaire et mystérieuse pour qui tout le monde se passionnait depuis des mois. Il faisait la Une des journaux au même titre que les Généraux et les notables, s’accaparant tous les esprits, alimentant toutes les discussions dans les salons enfumés des grandes villes, sans que personne ne sache vraiment quoi que ce soit de lui. Jamais on ne l’avait vu entrer, ni même sortir chargé de ses précieux colis... Sa notoriété, il la devait au seul indice laissé derrière lui après chaque vol, une carte de jeu, la Dame de Pique.

Son nom arriva vite aux oreilles des habitants de la petite ville de Rock Creek et aucun d’entre eux ne fut épargné par les histoires rocambolesques du voleur mystérieux. Ses aventures passionnèrent bientôt les jeunes cavaliers du relais du Poney Express dont le Marshall Hunter avait la charge. William F. Cody était l’un d’entre eux. Fervent admirateur des exploits du cambrioleur, il n’avait de cesse de lire les articles que les journalistes lui consacraient, comme si par ces temps mouvementés la Dame de Pique lui faisait oublier la gravité de la situation qui était en train de s’installer. La guerre approchait, enflammant le pays, et l’arrivée du télégraphe bouleversait les habitudes de la communauté.

La ligne reliant l’Est et l’Ouest n’était pas tout à fait prête mais son avènement était proche, les ouvriers qui plantaient les poteaux à travers le territoire le rappelaient chaque jour. La compagnie Russel Major et Waddle avait déjà fermé certains de ses relais, abandonnant à leur sort les nombreux jeunes gens qui avaient fait sa réputation en acheminant courageusement le courrier de ses clients à travers l’Ouest. Mais le congrès avait choisi... Il valait bien mieux subventionner la fin des travaux du télégraphe plutôt que les folles courses des cavaliers du Poney Express bien trop dangereuses à son goût.. Russel, Major et Waddel faisaient faillite et la fin de l’aventure était proche, inévitable. Hunter savait bien que leurs missions deviendraient de plus en plus rares et que ces garçons avec qui il vivait depuis des mois partiraient chacun vers de nouveaux horizons. William lui, avait déjà choisi. Pressé de s’engager dans l’armée, il voulait leur servir d’éclaireur et parcourir le pays, en quête d’aventure. Hunter, lui-même ancien soldat, n’appréciait guère cette décision et c’est pourquoi, pour cette mission peu banale, il proposa à Cody de l’accompagner jusqu’à St Joseph, espérant bien profiter du temps qu’ils passeraient ensemble pour le raisonner et l’empêcher de rejoindre les rangs du l’Union. Le jeune homme accepta avec joie, ravi d’avoir l’honneur de rencontrer et d’escorter la Dame de Pique ; il le considérait comme un génie d’intelligence et d’adresse et s’imaginait volontiers à sa place lors de ses lectures ; il aurait aimé être ce genre d’homme mystérieux dont les filles sont folles. Un aventurier, un vrai.

Le Colonel Grant promettait une bonne rétribution pour ce service et précisait dans sa missive que l’identité du voleur ne devait en aucun cas être révélée. En effet, la moitié des notables des grandes villes, comme Boston ou New York, voulaient la tête de la "Dame de Pique" tant ils se sentaient humiliés d’avoir été la cible de l’incongru voleur ; si l’un d’entre eux apprenait l’arrestation de Cooper - c’était son nom - avant qu’il ne soit en lieu sûr à Fort Laramie, le pauvre type aurait tous les chasseurs de prime du pays à ses trousses et la tâche d’escorte du Marshall et de son jeune ami en serait d’autant plus difficile et dangereuse. Hunter somma donc Cody de faire preuve de discrétion et de ne pas dévoiler l’exacte raison de leur visite à St Joseph à ses camarades.

Ils partirent un vendredi de juin. Après avoir chevauché toute la journée ils atteignirent enfin la petite ville de Falls City ; St Joseph était tout près, à peine à quelques heures de là, dans le Missouri. Les deux hommes ralentirent leur allure. Leurs montures, épuisées d’avoir parcouru la plaine aride allaient au pas, offrant aux cavaliers une marche calme et rythmée dans le soleil couchant. Hunter observait Cody, à quelques mètres devant lui, soucieux de ce que pourrait être son avenir ; tout au long du trajet ses nombreuses tentatives pour essayer de le faire changer d’avis quant à son engagement échouèrent les unes après les autres et le jeune homme se terrait systématiquement dans un mutisme agaçant ou détournait habilement la conversation par quelques moqueries ou blagues de son cru. Hunter, las, se résigna et ne lui en reparla plus.

Arrivés dans l’unique rue de Falls City, le Marshall repéra un petit hôtel, apparemment le seul que la ville comptait. Situé en face d’un saloon bruyant, le "Falls City Hôtel" était tenu par un énorme type transpirant et très souriant qui leur proposa de dîner, le temps pour lui de leur préparer une chambre pour la nuit.
Un copieux repas leur fût servi dans la salle commune ; les rideaux fleuris qui ornaient les nombreuses fenêtres et la décoration surchargée n’était pas du meilleur goût, mais la cuisine, elle, était excellente ! Rassasiés, Hunter et Cody purent enfin profiter d’un repos bien mérité dans la chambre où le gros type les conduisit. Aménagée avec un chevet et deux petits lits, situés de part et d’autre de l’unique fenêtre, la pièce était parfaite pour les deux cavaliers si peu habitués à tant de confort. Une fois débarrassés de leurs vestes, chapeau et bottes, ils s’étendirent sur les draps propres et frais, au milieu des bruits incessants du saloon qui remontaient jusqu’à eux par la fenêtre entrouverte.
-Teaspoon, vous dormez ?
-Je pourrais si tu m’en laissais l’occasion Cody... Grommela Hunter, qu’est-ce que tu veux ?
-Comment ont-ils réussi à coincer le voleur ? Il est pourtant très fort !
-Tu as lu trop d’histoires mon garçon, rétorqua Teaspoon en croisant ses mains sous sa tête, ce n’est qu’un homme après tout et il a fait une erreur ! Je crois qu’il a vaguement participé à l’attaque du train qui transportait les réserves d’or de l’Union d’après le courrier que j’ai reçu de Grant ; un gros coup et bien trop risqué ! Mais le Colonel n’en a pas dit d’avantage. Le shérif Pikes nous donnera plus de détails demain. Maintenant fiche moi la paix Cody et dors. On a encore un long voyage à faire demain. Et ce ne sera certainement pas une partie de plaisir !
Cody resta songeur un instant ; il pensait à sa rencontre avec Cooper, il avait tant de questions à lui poser ! Mais peut-être serait-il déçu ? Il chassa cette idée de son esprit en souriant et ferma les yeux.
-Bonne nuit Teaspoon.
-Bonne nuit mon gars grommela ce dernier.

St Joseph était une grande ville qui leur sembla pour le moins paisible en ce petit matin. L’armée y était omniprésente, mais aucune agitation ne vînt perturber la percée des premiers rayons du soleil.
Ils chevauchaient au pas, regardant de part et d’autre de la grand rue par laquelle ils étaient arrivés jusqu’à ce qu’ils aperçoivent l’enseigne du bureau du shérif.
Un homme se tenait là, juste devant la porte entrouverte ; à leur approche, il descendit mollement les quelques marches devant lui et les rejoignit.
-Marshall Hunter ? Demanda-t-il alors que Cody et Teaspoon stoppaient leurs montures.
L’homme qui les dévisageait était de corpulence moyenne, avec un certain embonpoint et d’épaisses moustaches grises qui recouvraient presque sa lèvre supérieure. D’aspect plutôt négligé, Pikes n’avait pas l’air très avenant.
-C’est bien moi, répondit Hunter en descendant de cheval, nous venons chercher MJ Cooper Shérif.
-Oui, venez donc dans mon bureau, vous et votre ami ne refuserez pas un café n’est-ce pas ?
-Oh, non ! Votre café sera le bienvenu Pikes ! Rétorqua Teaspoon ravi par la proposition du Shérif. Propre et bien agencé, son office était vaste et clair. Les murs apparemment fraîchement repeints, étaient ornés de vieux avis de recherche et de portraits jaunis d’hommes posant avec leur fusil et Hunter crut reconnaître Pikes sur l’un d’entre eux. De la paperasse traînait sur le bureau, démontrant qu’il ne devait passer ici que de rares instants, préférant sans doute les chevauchées et la poussière au calme trop pesant de son office. Dans le fond, quatre cellules. Cody y jeta un oeil rapidement en entrant, pensant y voir Cooper, mais elles étaient vides.
-Où est Cooper ? Murmura-t-il à Hunter.
-Pikes a certainement dû le mettre dans un lieu plus sûr et à l’abris des regards indiscrets, répondit le Marshall en chuchotant à son tour alors que le shérif remplissait deux grandes tasses de café brûlant.
-Pourquoi tant de mystère autour de Cooper ?
Sans que le Marshall ne puisse répondre, Pikes les rejoignit, posant les tasses fumantes sur son bureau.
-Asseyez-vous messieurs, je vous en prie.
Il désigna deux chaises de la main puis il se tourna vers un jeune garçon assis dans un coin de la pièce et lui dit :
-Va prévenir les gars, qu’ils amènent Cooper.
Laissant à terre le jeu de cartes qu’il n’avait cessé de battre nerveusement entre ses mains depuis l’arrivée des étrangers, le garçon s’exécuta et sortit en courant de la pièce.
-Il est pas comme tous les autres enfants, mais c’est un bon p’tit, reprit Pikes en souriant tendrement, c’est mon fils, Jack. Il va faire la commission, soyez en sûr ! Il est bien fier de m’aider dans ma tâche de Shérif !
-Vous avez de la chance ! Répondit Hunter, et merci pour le café !
-Je vous en prie Marshall, c’est bien naturel après le long voyage que vous avez fait.
-Dites shérif, comment avez-vous réussi à coincer la Dame de Pique ? Demanda alors Cody impatient.
-Je vois que vous suivez vous aussi ses péripéties... Décidément il a de nombreux admirateurs et vous risquez d’être agréablement surpris jeune homme, répondit-il en souriant.
-Surpris ? Répéta Cody interloqué.
Pikes marqua une courte pose, un large sourire aux lèvres.
-Et bien, reprit-il, Mary Jane Cooper est ce fameux voleur que vous devez escorter jusqu’à Fort Laramie. Cette charmante demoiselle nous arrive tout droit de New York.
-Quoi ? Dirent ensemble Teaspoon et Cody. Vous plaisantez ? Reprit ce dernier en riant. La Dame de Pique une femme ! Ricana-t-il de plus belle. Je ne peux pas croire ça shérif !
Pikes s’accouda à son bureau en souriant.
-C’est pourtant vrai ! Mary Jane Cooper a aidé un dénommé Morloch à organiser l’attaque du train qui transportait l’or de l’Union, elle lui a tout bonnement fourni les renseignements nécessaires à son forfait dans les moindres détails : plan de chaque wagon, nombre de gardes, rondes, arrêts en gare, nom des villes traversées...
-Comment a-t-elle su pour les horaires, les rondes... ? Ce sont des renseignements tenus au plus grand secret !
-C’est une femme Teaspoon, coupa Cody un sourire en coin, elle est douée pour embobiner les gens !
-Peut-être, mais pas assez pour choisir ses associés ! Morloch ne s’est pas fait prier pour dénoncer ses complices, il a été très bavard ! Nous avons 5 hommes sous les verrous Marshall, en plus de Cooper et Morloch. Une fine équipe, croyez moi !
Pikes s’adossa à sa chaise et poursuivit :
-Malgré les informations précises de sa complice, Morloch a échoué et a été arrêté puis interrogé ici même. C’est là qu’il a avoué avoir travailler avec un certain MJ Cooper, sur lequel il nous a fourni des renseignements précis : une adresse qu’il connaissait à Boston où ils se seraient rencontrés et un petit hôtel de St Joseph où Cooper et lui devaient se retrouver après le casse, certainement Morloch voulait-il la payer pour ses services. Malheureusement il n’a pas eu le temps de s’y rendre et ce sont mes gars qui ont accueilli Cooper ! Mais à ce moment là nous ne nous doutions pas une seconde que cette charmante personne était la Dame de Pique.
-Et comment avez vous su alors ? Questionna Hunter. Morloch ?
-Et bien il n’a jamais mentionné la Dame de Pique mais nous a fortement conseillé d’aller jeter un oeil à Boston dans l’appartement de Cooper, comme quoi nous y trouverions des choses intéressantes. Alors par soucis de bien faire, j’ai télégraphié à Boston, au shérif Benton que je connais bien ; il a visité l’appartement et a découvert des tas de documents, plans, fiches techniques et nombreux objets d’art qui avaient été dérobés dans les différents musées de la ville. Il m’en a informé et nous avons compris que nous venions d’arrêter non pas un simple complice de Morloch, mais la Dame de Pique ! Nous avons ensuite convenu de ne parler de ceci à personne, compte tenu de la notoriété de la demoiselle, et d’en référer au Colonel Grant lui même.
-Bon dieu ! Soupira Cody, vous avez arrêté la Dame de Pique par hasard ?!
-Et oui jeune homme ! Sans Morloch nous n’aurions peut-être jamais su que Cooper et la Dame de Pique ne faisaient qu’une seule et même personne !
-Et savez-vous pourquoi Grant n’a pas envoyé ses hommes la chercher ? Questionna Hunter
-Le Colonel ne veut pas que l’arrestation de Cooper soit rendue publique tant qu’elle n’est pas en lieu sûr à Fort Laramie et que toutes les preuves de ses vols ne sont pas réunies. Ils nous a donc demandé de rester très discrets. Envoyer des soldats chercher une jeune femme aurait éveillé les soupçons, laissant penser qu’il devait s’agir d’une personne très recherchée pour que l’Union s’en mêle. La faire escorter comme n’importe quel autre prisonnier, ma fois... Pas de quoi en faire tout une histoire !
-Oui, je comprends... Nous ne dévoileront pas l’identité de notre prisonnière Pikes, soyez-en sûr, promis Hunter.
-Parfait. D’ailleurs, Grant a été plutôt généreux pour s’assurer de notre entière collaboration...
Pikes sourit et sortit une enveloppe d’un des tiroirs grinçant de son bureau.
-Voici pour vous Marshall, pour vos frais et un peu plus... Profitez-en vous et votre ami.
Le shérif avait jeté face à Teaspoon une enveloppe de couleur orangée, contenant une petite liasse de billets verts. 200$ compta Hunter, le salaire de tout un mois.
-Mes adjoints ne devraient plus tarder Marshall, vous pourrez bientôt repartir avec Cooper.
-Pourquoi Grant veut-il absolument récupérer Cooper ? Demanda alors Cody, pourquoi ne pas la juger ici, comme Morloch ?
-Cooper est un bien trop gros poisson Cody, répondit Teaspoon en soupirant. Je suppose que lorsque Grant a su pour Cooper il aura voulu que le procès se déroule à Fort Laramie histoire de s’en attribuer tous les honneurs. En s’octroyant cette victoire le Colonel redore un peu plus le blason de l’armée, et le sien ! Conclut Hunter.
-Votre ami a raison Monsieur Cody, le voleur le plus recherché du moment va lui faire une sacrée réputation ! Conclut Pikes. De toutes façon, c’est plus mes oignons, Grant peut bien faire ce qu’il veut !
Sur ses mots, le shérif se leva ; il venait d’apercevoir la prisonnière entourée de ses adjoints traverser la rue.
-Les voilà ! Dit-il en se dirigeant vers de la porte.

Il l’ouvrit et Cooper, menottes aux poignets, entra talonnée par les adjoints du shérif. Ses formes généreuses étaient enveloppées dans une robe bordeaux, taillée dans une riche étoffe et rehaussée d’un bustier qui affinait sa taille et mettait en valeur sa poitrine ; malgré ses cheveux en bataille, elle dégageait beaucoup de sensualité. En la voyant, Teaspoon pensa immédiatement à Amanda, sa chère Amanda... Pas seulement à cause de la couleur de ses cheveux, ou de son élégance, mais Mary Jane avait ce même regard malicieux et pétillant, le genre de fille qui n’a pas froid aux yeux et qui sait ce qu’elle veut. Cody s’était levé et la dévisageait les mains posées sur les hanches, un tantinet amusé par la situation, mais on ne peut plus ravi de cette charmante rencontre ! Mary Jane lui décrocha son plus beau sourire après l’avoir détaillé de la tête au pieds, apparemment tout aussi ravie. Au sourire béat de son compagnon, Hunter comprit. Il comprit - pour avoir déjà été marié six fois - qu’au moment même où cette fille avait posé les yeux sur lui, Cody avait été séduit. Mais qui ne l’aurait pas été ? La jeune fille qui se tenait devant eux avait effectivement des atouts pour faire parler les hommes et leur soutirer bon nombre d’informations pour arriver à ses fins ! Elle aurait certainement pu faire chanter "oh Susana !" au plus austère d’entre eux !

Le shérif Pikes se leva et s’approcha de la jeune femme, les mains dans le dos, les mâchoires crispées par la colère. L’expression antipathique qui avait accueilli Hunter et Cody quelques instants plus tôt s’afficha de nouveau sur son visage.
-Voici les deux hommes qui vont vous escorter jusqu’à Fort Laramie. Le colonel Grant se chargera de votre sort. En tout cas vous allez encore faire couler de l’encre...
-Et ça vous ennuie n’est ce pas ? Ne pas être avec moi en première page des journaux alors que c’est vous qui m’ avait eu. C’est tellement dommage que vous ayez préféré vous laisser acheter par Grant, coupa Cooper calmement en le défiant du regard. Combien vous a-t-il donné pour recevoir tous les honneurs à votre place ?
-Fermez-la Cooper ! Lança Pikes irrité par le ton hautain de la prisonnière.
Il lui lança un regard inquisiteur et lui dit froidement :
-Je ne vous aime pas Mlle Cooper, je n’aime pas les demoiselles aussi mal élevées que vous qui ne respectent rien ni personne.
Sans la quitter des yeux, il tendit les clés des menottes à Hunter.
-Elle est à vous Marshall. Bon retour.

La monture donnée par les gars de St Joseph n’était plus toute jeune, mais en la ménageant, elle conduirait Mary Jane Cooper jusque devant le Colonel Grant sans trop de problème. Par la force des choses, Hunter et Cody durent accepter l’idée d’un voyage plus long, d’une journée tout au plus. Qu’importe, l’essentiel était de veiller sur la jeune femme et de la protéger, le cas échéant, afin qu’elle ait droit à un procès équitable. La tâche ne fut pas si compliquée, en effet, à aucun moment Mary Jane ne chercha à s’enfuir et chevaucha, entourée de Cody et du Marshall, poings liés, sans dire un mot, le regard perdu sur l’horizon, ses mèches brunes virevoltant au grès de la légère brise qui s’était levée.
A la tombée de la nuit, ils avaient déjà traversé une bonne partie du Nebraska et s’arrêtèrent dans la petite ville de North Platte.
Hunter brossa un rapide portrait de la situation au shérif, Jim Monroe sans révéler à aucun moment le nom de la jeune femme ; il lui raconta que Mary Jane devait être conduite à Fort Laramie pour être jugée suite à un différent avec l’armée. Monroe ne posa pas de question et accepta volontiers de leur prêter son office pour la nuit.
La jeune femme dormirait dans une des quatre cellules qu’il comptait, tandis qu’Hunter et Cody passeraient la nuit dans la cellule voisine, veillant à tour de rôle sur la jeune femme. Une fois libérée de ses liens, Mary Jane se réfugia dans un des coins de la petite pièce aux barreaux noirs, les genoux repliés sur la poitrine. Elle fixait la flamme d’une lampe à pétrole que le Shérif Monroe leur avait laissé.
-Vous voulez un peu de café Mademoiselle Cooper ? demanda Cody qui avait déjà pris ses aises dans le vaste bureau.
-Oui, merci.
Mary Jane se leva lentement et s’approcha de Cody. Elle serra la tasse qu’il lui tendit entre ses mains et souffla sur le liquide brûlant. "Celui là, il n’en rate pas une !" pensa Hunter en secouant la tête de gauche à droite, exaspéré par l’attitude de son jeune ami. Tout ce qui portait un jupon l’intéressait, et outre le fait qu’il la trouvait séduisante, cette fille là avait quelque chose en plus ; elle était "La Dame de Pique".
-Savez-vous ce qui m’attend à Fort Laramie ? demanda-t-elle en se tournant vers le Marshall qui s’était installé sur la banquette de bois de la cellule juxtaposée.
-Et bien vous serez jugée et condamnée je suppose...
Mary Jane but une gorgée de café, songeuse. Elle se rassit, le dos contre les barreaux, et l’office du shérif Monroe replongea dans le silence.
-Pourquoi avoir accepté de travailler avec un type comme Morloch ? Demanda soudainement Cody, confortablement installé au bureau du shérif. Vous vous débrouilliez plutôt bien seule.
Mary Jane le fixa longuement, ne sachant si elle devait répondre ou non. Après tout, il n’était là que pour la conduire devant son juge, alors pourquoi se souciait-il de ce qui avait bien pu se passer entre elle et Morloch ? Cody attendait une réponse, sa tasse de café fumant à la main, les yeux rivés sur elle.
Finalement, Mary Jane se radoucit; ce type avec sa veste à frange lui était sympathique, ses yeux, si bleus, laissaient transparaître sa bonne humeur et sa gentillesse. Elle lui sourit.
-Il avait découvert qui j’étais et ce que je faisais, il m’a fait chanter en quelque sorte. Je n’ai pas pu refuser. Et puis, pour être franche, ça m’amusait de faire ça pour lui, continua-t-elle les yeux pétillant de malice. Son idée était bonne... Risquée, mais bonne ! J’ai pensé que se serait un sacré coup si jamais il réussissait, il y avait beaucoup d’argent à la clé ! C’était faisable... Mais Morloch ne sait pas ce que veulent dire discipline, rigueur et modestie; il a échoué et moi j’ai perdu la partie. C’était le jeu.
-Pourquoi prendre autant de risques Mary Jane ? Intervint Teaspoon, vous ne semblez pas avoir besoin d’argent, vous êtes une jeune femme plutôt de bonne famille on dirait, je me trompe ?
-Non, vous avez raison Marshall ; pour relever le défi je suppose, comme à chaque fois. Quand l’aventure vous tend la main, vous ne pouvez pas refuser ! C’est comme une drogue.
Aux visages stupéfaits de ses gardiens, Mary Jane se mit à rire et son visage s’éclaira comme par magie.
-Ne faites pas ces têtes, voyons ! J’ai face à moi un ancien soldat devenu Marshall et un cavalier du Poney Express... On ne peut pas dire que vous n’aimez pas le danger et l’aventure ! Alors vous devez bien me comprendre non ?
-Qui vous l’a dit ? Demanda Teaspoon surpris.
-Quand on sait écouter Monsieur Cody, on apprend des tas trucs intéressants ! Et les adjoints de Pikes sont plutôt bavards...
Les deux hommes la regardèrent amusés, conquis. Cody n’avait d’yeux que pour elle, il la fixait en souriant, toujours plus curieux.
-Comment faisiez-vous ? demanda-t-il, je veux dire, pour entrer comme ça dans n’importe quel endroit et en ressortir une heure plus tard sans que personne n’ait vu quoi que se soit... Comment faisiez-vous ?
Un immense sourire ornait ses lèvres, il trépignait d’impatience.
-Et bien, il suffit de bien préparer son coup. Cela prend des mois souvent pour repérer les lieux ; il faut faire des plans, observer encore et encore... Le jour, la nuit... tout répertorier, noter et relire sans arrêt. Ce n’est pas si simple !
-Vous alors... Ricana Cody, j’ai lu tout ce que l’on a écrit sur vous, mais je n’aurais jamais pensé une seconde...
-Que j’étais une femme ?
-Et bien oui... Vous allez en surprendre plus d’un ! Mais je dirais que c’est plutôt une bonne surprise... Conclut-il en buvant une gorgée de café, sans la quitter des yeux.
Mary Jane sourit, gênée par l’insistance de son regard. Elle essaya de cacher les sentiments qui la saisirent à cet instant en remettant en place une de ces mèches de cheveux, l’air de rien.
-Alors comme ça vous êtes de New York ? lança Hunter pour la tirer de son malaise.
-Oui.
-J’adorerais aller là bas... Dit Cody rêveur.
-C’est une ville fantastique.
-Mais où avez-vous a appris toutes ces choses que vous semblez savoir, cette discipline, cette rigueur dont vous vous vantez tant ? reprit Hunter
-Mon père, répondit-elle simplement en souriant. Il vit toujours à New York, il est ingénieur. Je crois que j’ai hérité de son esprit calculateur et méthodique...
Teaspoon fronça les sourcils:
-Attendez une minute... Peter Cooper ?
-Lui-même.
-Qui est-ce ? Demanda Cody
-L’inventeur la 1ere locomotive à vapeur Cody, il y a de ça 20 ans non ?
Mary Jane acquiesça d’un signe de la tête.
-Pourquoi ne pas être restée près de lui et étudier ?
-Parce qu’il ne pense qu’à son travail, exclusivement à son travail. Il m’a élevée comme il a pu, ma mère est morte à ma naissance... Il aurait aimé avoir un garçon je pense, pour qu’il puisse prendre sa suite dans ses recherches, mais une fille... C’est pas facile de s’imposer quand on est une femme, d’être reconnue. Au moins la Dame de Pique fait la une des journaux !
-Il est au courrant de vos agissements ?
-Oui. Mais il ne m’a jamais rien dit répondit Mary Jane en baissant les yeux. Puis je suis partie.

Le silence s’installa de nouveau dans le bureau et Mary Jane, soudain rattrapée par son passé, retourna dans le coin de sa cellule que la faible lumière de la lampe à pétrole ne pouvait atteindre et là, dans la pénombre, elle essuya une larme et ferma les yeux, feignant de dormir, incapable de mener plus loin cette discussion ou de répondre à quelconque autre question.
Elle trouvait les deux hommes plutôt sympathiques et agréables contrairement à certains autres qui s’étaient avérés plutôt lourds et bien trop entreprenants, essayant de profiter de la situation. Elle avait effectivement dû repousser les adjoints de Pikes qui s’étaient montrés quelques peu collants... Cette fois, avec Hunter et Cody, c’était différent. Le fait de se retrouver seule avec eux ne la gêna pas - au contraire elle se sentait bien - Ils semblaient s’intéresser à elle et même s’il ne s’agissait que de pure politesse, cela lui fit plaisir de partager un peu de sa vie avec eux. Mais demain elle devrait les quitter, alors autant ne pas trop s’attacher, la séparation serait d’autant plus difficile.

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