La dame de pique


Chapitre 2

Le marché

Ils arrivèrent à Fort Laramie dans l’après midi. Le camp était en effervescence, à se demander si une attaque n’était pas en train de se préparer... les soldats courraient dans tous les sens sans qu’aucun ne remarque les étrangers. Bientôt, l’un des soldats les interpella.
- Marshall Hunter ? lança un jeune type transpirant.
- Oui...
- Le Colonel Grant vous attend, suivez-moi.

Cody aida Mary Jane à descendre de cheval, et en déposant la jeune femme à terre, il réalisa soudain que le moment des adieux arrivait. Il la dévisagea un long moment en silence, et remarqua ses yeux se remplir de larmes à l’appel de Teaspoon.
- Cody, amène donc Mlle Cooper !
Le jeune homme s’exécuta, sans plaisir. Il la fit entrer dans l’office du Colonel Grant.

Mary Jane, tête haute, était assise en face du Colonel, entourée de Cody et Teaspoon. Elle mordillait ses lèvres nerveusement en attendant de connaître son sort et cherchait en vain un endroit où poser ses yeux. Soutenir le regard de Grant serait trop difficile, elle ne pouvait pas craquer, pas maintenant, pas devant lui.

Le Colonel Ulysses S. Grant, un homme d’une quarantaine d’années, barbu, trônait sur un large fauteuil de cuir derrière un immense bureau qui remplissait toute la pièce. Son silence était une vraie torture et enfin, au bout d’une minute qui parut une heure à Mary Jane, il s’accouda sur le cuir de son sous-main, croisa les mains, et soupira avant de commencer un discours qui allait changer le reste de sa vie. - J’ai un problème, et vous avez la solution lança-t-il d’une voix forte et claire à la jeune femme.
- Moi ? dit-elle, levant un regard interrogateur vers le moustachu.
- Je vous propose Mlle Cooper de travailler pour nous en échange de votre libération.
Cody et elle se regardèrent stupéfaits, mais contents de ce nouvel espoir. Teaspoon, lui, resta de marbre, voire soucieux...

Grant se leva et se mit à arpenter la minuscule pièce de long en large faisant craquer le plancher sous chacun de ses pas. Mary Jane le suivait des yeux, ne sachant pas s’il fallait qu’elle saute de joie ou qu’elle se méfie d’une telle proposition.
- Le président Lincoln connaît votre père... et pour cette mission il pense que vous avez des atouts je dirais, plutôt convaincants... poursuivit le Colonel en s’arrêtant un instant sur son décolleté. Il pense que vous êtes quelqu’un de confiance et il veut vous donner une chance de vous racheter de vos fautes.
Il posa sa main sous le menton de la jeune femme, soulevant doucement son visage vers lui, comme pour mieux le scruter. Mary Jane recula sa tête brusquement. L’homme se contenta de sourire, amusé par sa réaction. Il reprit.
- Nous avons arrêté un type du nom de Sam Lock, il avait ses habitudes au Saloon de Rock Creek, il nous a révélé qu’un certain Liam Nielson projetait de vendre des secrets militaires aux confédérés. Nous devons récupérer les éléments qui pourraient être en sa possession... et peut-être même éliminer cet homme. Nous ne pouvons plus nous permettre de défaites après l’humiliation dont l’Union a été victime il y a quelques semaines en Virginie. Ce sont des hommes comme Nielson qui peuvent faire prendre un tournant à cette guerre. Nous devons vaincre, conclut-il, les poings serrés.
Ses yeux clairs était rempli de rage, mais ne déstabilisèrent pas pour autant Mary Jane qui lança en riant :
- Quoi ? vous voulez que je vole des documents pour vous ? Vous plaisantez Colonel ?
- Pas du tout Mlle Cooper, coupa calmement Grant. Vous êtes notre seul espoir. Deux de nos agents ont déjà échoué..

Teaspoon n’en revenait pas, il se leva d’un bon - Vous l’envoyez au devant d’une mort certaine Grant !
- C’est ça ou la prison Hunter. Mlle Cooper est plutôt futée... et elle nous nargue depuis des mois en dérobant des objets dans les plus hauts lieux Bostoniens et New-Yorkais, pourtant très surveillés...
Il avait dit ça en la regardant droit dans les yeux. Les bras croisés sur sa poitrine, il attendait une réponse, comme si la jeune femme avait le choix. Cette situation semblait l’amuser à en croire son sourire narquois.
- Vous savez que je ne peux pas refuser... soupira-t-elle.
- Quelle meilleure façon de purger sa peine qu’en servant son pays... Vous n’aurez qu’en remplir quelques missions pour nous, et d’ici peu vous serez libre !
- C’est d’accord, lança alors Mary Jane, je ferai ça pour vous. Grant était ravi de sa décision. Cody et Hunter restèrent silencieux, stupéfaits par la proposition du Colonel et la rapide réponse de la jeune fille.
- Me donnerez-vous tout ce dont j’ai besoin ? reprit-elle.
- Absolument tout.
- Aurais-je des garanties ? parce que sachez que je me fiche de votre parole ou de celle du président.
- Signez ceci dit il en lui tendant une lettre, agacé par l’insolence de la jeune femme, "ce document stipule que nous faisons appel à vous pendant un temps égal à la peine qui vous était impartie, celle-ci pouvant être réduite si votre travail au sein de nos services est satisfaisant. Aucun refus ne sera autorisé durant cette période, sinon vous purgerez votre peine restante en prison..."

Mary Jane soupira longuement, consciente qu’elle s’engageait cette foi-ci dans une sacrée aventure. Pourtant, la proposition du Colonel était alléchante, elle tendit ses mains menottées vers Grant, il sortit une minuscule clé de la poche de son veston et libéra la jeune femme. Elle frotta ses poignets en souriant.
- Parfait, dit-elle en apposant sa signature en bas de la feuille. Où vais je trouver ce type ?
- A Rock Creek, il y a acheté un hôtel particulier, conclut Grant en tendant un exemplaire du "contrat" à Mary Jane. Puis se tournant vers Hunter il poursuivit. Vous devrez surveiller cette demoiselle Marshall, on ne sait jamais... et la protéger le cas échéant. Vous serez nos yeux et nos oreilles.
- Très bien... marmonna Hunter à contre coeur.
Grant ouvrit un tiroir de son bureau, en sortit une liasse de billets et une arme qu’il tendit à la jeune femme en soupirant. Teaspoon et Cody écarquillèrent les yeux en voyant l’épaisseur de la liasse ; la scène à laquelle ils assistaient semblait irréelle, tout droit sortie d’un de ces livres que lisait Cody à longueur de journée.
- Voici votre solde, et votre arme, lança Grant, Tous les autres frais engagés devront être couchés sur le papier. Nous attendons votre premier rapport vendredi prochain.
- Attendez une minute... dit Mary Jane inquiète, pourquoi aurais-je besoin d’une arme ? il s’agit de voler des documents... je, je ne sais pas me servir de ça !
- Et bien vous apprendrez, Nelson a tué deux agents. Alors méfiez-vous bien de lui. Pas de coup fourré Mademoiselle Cooper... reprit-il en la fixant droit dans les yeux, sinon c’est la prison et nous serons bien moins indulgents.

- J’arrive pas à y croire Teaspoon marmonna Cody une fois dehors.
- C’est une drôle de seconde chance... répondit Hunter en regardant Grant donner sur le pas de la porte quelques dernières instructions à Mary Jane.
Elle hochait la tête à chacun de ses dires, et finalement, après une poignée de main rapide, elle les rejoint.
Elle avait l’air plutôt contente par cette nouvelle vie qui l’attendait.
- Alors, demanda Teaspoon, vous êtes libre...
- Oui... et le comble c’est que je vais travailler pour les gens que j’ai jusqu’à présent dépouillés ! dit-elle en riant.
- Vous aimez ça hein ? interrogea alors Cody amusé par sa réaction.
- N’aimez-vous pas l’aventure Mr Cody ? répondit-elle sur le même ton.
Cody secoua sa tête en souriant.
- Et bien je crois que oui... je crois que j’aurais aimé être à votre place avoua-t-il.
- M’aiderez-vous ? demanda-t-elle alors en s’adressant aux deux hommes.
- Bien sûr Mary Jane, répondit Teaspoon.
- Ce sera un réel plaisir ! poursuivit Cody en passant un bras autour de ses épaules.

Ils se dirigèrent alors vers l’écurie où ils purent récupérer leurs montures. Une fois à cheval, Cody Teaspoon et Mary Jane se mirent en route pour Rock Creek. Ils avaient convenu que la jeune femme resterait au relais avec eux, ce qui ravit Cody encore plus qu’il ne l’était déjà. De là, elle pourrait préparer sa première mission, aidée par les "courageux cavaliers du Poney Express" comme aimait à lui répéter fièrement Cody.

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