Chroniques du Poney Express


Chapitre 8 (suite)

A l’aube, tout était tranquille. Fanny repoussa sa couverture et s’étira dans la pénombre. Une lueur rosée filtrait à travers la petite fenêtre. Elle jeta un coup d’oeil dehors. Les deux mustangs broutaient paisiblement dans le corral. Elle poussa Cody du pied en annonçant joyeusement : "Debout, marmotte ! On est encore en vie, et une journée magnifique commence." Le cavalier grogna, et ramena la couverture sur sa tête. Il lui fallait toujours un bon quart d’heure pour émerger des bras de Morphée. Elle n’insista pas. La situation semblait moins tragique, à la lumière d’un jour nouveau. Fanny scrutait les collines avec moins d’anxiété. Elle savait pourtant que la partie n’était pas encore gagnée. Elle regarda les installations saccagées. On leur avait toujours dit que le courrier devait passer coûte que coûte. Ils ne pouvaient pas tout laisser à l’abandon. Ce relais, ils en avaient besoin. A sa grande surprise, Cody ne se fit même pas tirer l’oreille, quand elle lui exposa ses plans. Il s’agissait de faire l’inventaire des affaires de McKenna et du matériel nécessaire à la reprise des activités du relais. Il devait bien rester du matériel utilisable dans l’appentis. Selles, bridons, harnais. Tout ça leur prendrait bien la matinée. De quoi attendre l’arrivée du courrier de Sweet Valley. Ensuite, ils se mettraient en route vers Indian Rock.

Armé d’un balai, Billy Cody mettait de l’ordre dans la petite cabane qui avait servi d’abri au vieux gardien pendant de nombreuses années. Il s’était installé là en solitaire bien avant l’arrivée du Poney Express. Pourtant, sa vie et ses affaires se résumaient à peu de choses. Une chemise, un caleçon, deux paires de chaussettes, un manteau rapiécé, une flasque à whisky et quelques peaux mitées. Autant les brûler ; ça ne ferait jamais le bonheur de personne. A l’intérieur, nulle trace non plus d’affaires appartenant aux deux inconnus. Tout avait dû rester sur leurs chevaux. Par acquit de conscience, Cody descella les pierres de la cheminée. Ils étaient tous pareils : dans un renfoncement, il trouva une vieille boîte métallique qu’il eut le plus grand mal à ouvrir. Une bourse de cuir renfermait le magot du vieil homme : deux petites pépites d’or, dix dollars plus quelques cents. Voilà qui aiderait le gardien suivant à démarrer. Il remit la pierre en place et jeta un coup d’oeil par la fenêtre. Il vit Fanny déplacer le lourd couvercle obstruant le puits à même le sol. Elle saisit le bout de la corde, le passa dans la poulie arrimée à un trépied branlant posé au-dessus de l’ouverture, et laissa le seau dégringoler dans le trou sans fond. Le seau de fer blanc s’écrasa sur la surface de l’eau. Fanny sentit la tension augmenter sur la corde. Quand le seau coula, elle commença à tirer sur la corde. La vieille poulie grinçait horriblement et donnait un à-coup à chaque tour. C’était un véritable exercice de force, de remonter ce seau plein. Un tour d’adresse, aussi. L’anse émergea de l’obscurité. Elle se pencha pour ramener la corde vers elle et attrapa le seau. Quand elle se releva, ils étaient là. Cinq cheyennes, sur leurs poneys des plaines maquillés. La jeune fille posa lentement le seau à ses pieds. Ils l’entouraient à présent, immobiles. Leurs visages sévères arboraient les peintures de guerre. Ils n’étaient pas venus pour parler. Elle entendit Cody hurler son prénom et la porte claquer. Rompant brutalement leur immobilité de statues, les indiens levèrent leurs fusils. Celui qui les commandait la quitta des yeux pour reporter son attention sur l’homme blanc qui l’accompagnait. Ils allaient les abattre. Fanny leva le bras et prononça le salut de paix cheyenne. L’ordre d’ouvrir le feu resta en suspens. Le chef, un guerrier d’une vingtaine d’années, à la longue chevelure brune séparée en deux mèches dans lesquelles étaient accrochées des plumes d’aigle, la regarda. Ce n’était pas un chef de clan, mais il jouissait d’un rang important, à en juger par les ornements de ses jambières et de la têtière de son poney. Probablement un chef de partisans. Il fit faire à sa monture deux pas vers elle. Ses yeux sombres la transperçaient. Elle pouvait voir la tension de ses muscles sous son pectoral en os. "Tu parles ma langue ? demanda-t-il, d’une voix rocailleuse.
-J’ai beaucoup d’amis parmi ton peuple."
Le guerrier parut surpris. "Les visages pâles ne sont pas nos amis. Vous êtes comme ceux qui étaient ici. Comme eux, vous mourrez.
-Attends ! s’exclama la jeune fille. Tu ne peux pas nous tuer ainsi, sans raison.
-Je n’ai pas de raison à te donner.
-Tu ferais une grosse erreur. D’autres visages pâles viendraient, des soldats. C’est donc la guerre, que tu veux ?
-Je ne crains pas les Longs-Couteaux.
-Peut-être crains-tu plus ceux de ton peuple ?
-Qui, parmi mon peuple, pourrait me reprocher la mort d’un visage pâle ? répondit l’homme, découvrant ses dents blanches dans un sourire ironique.
-Orage-Du-Matin."
Fanny jeta ce nom comme un pavé dans une marre. Le rictus disparut du visage anguleux aussi vite qu’il y était apparu. Un des cheyennes baissa son arme et s’approcha de son chef pour lui glisser quelques mots à l’oreille. Celui-ci balaya ses objections d’un geste nerveux. Ses yeux brillaient de colère, quand il les ramena sur la jeune fille. Elle soutenait ce regard avec un aplomb remarquable. "Je sais que Orage-Du-Matin n’appartient pas à ton clan, mais je sais aussi qu’il est respecté de toute la Nation Cheyenne. Tu l’offenserais, en nous tuant.
-Tu essaies de sauver ta vie.
-J’essaie de trouver une issue honorable pour nous deux. Je veux savoir ce qui s’est passé. J’ai été adoptée par les cheyennes, et je ne comprends pas pourquoi mes frères s’en prennent ainsi à nos relais.
-Nous ne sommes pas frères ! s’écria le guerrier, ivre de colère. Tu es un visage pâle. Tu es le mensonge."

Il fit volte-face. Sur son geste, les indiens sautèrent de leurs poneys et s’avancèrent. Ils ligotèrent les deux cavaliers et les attachèrent à la barrière du corral. Ils formaient maintenant un petit groupe qu’agitait une discussion animée dont ne s’échappait pourtant aucun bruit. "Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? demanda Cody, en essayant de desserrer la lanière de cuir qui lui tailladait la chair.
-On attend.
-Quoi ? La cavalerie ?
-J’espère bien qu’elle ne viendra pas. Je leur ai donné à réfléchir, j’espère que ça suffira.
-T’es complètement cinglée. Tu le sais, ça ? On va y laisser notre scalp, oui... A propos, c’est qui, Orage-Du-Matin ?
-Un chaman cheyenne. A l’occasion, il est aussi le père de mon frère de sang. Ils ne feront rien qui risque de le contrarier. Ils auraient trop peur qu’il appelle sur eux les malédictions.
-C’est quand même beau, les relations... Bon sang, qu’est-ce qu’ils attendent ?
-Ils ont dû envoyer quelqu’un aux renseignements."

Le calme de sa camarade finit par gagner Cody. Il ne pouvait que s’en remettre à elle. Il se prit à observer les indiens. Ils étaient tous très jeunes, mais c’étaient déjà des combattants accomplis. Ils maniaient le fusil aussi bien que le casse-tête, et montaient à cheval comme de vrais centaures. Ils s’étaient rassemblés devant la cabane et faisaient l’inventaire des affaires des cavaliers. La carabine Sharp de Fanny les intéressa énormément. La jeune fille ne put réprimer une grimace en voyant le jeune chef s’approprier l’arme avec un ravissement de gamin. Voilà un jouet qu’il ne ferait pas bon laisser entre ses mains. Au bout de quelques temps, le messager revint. Du haut de son poney pie, il glissa quelques mots au jeune chef qui parurent le contrarier. Avec un agacement flagrant, il donna ses ordres. Les jeunes guerriers s’agitèrent. Ils chargèrent les affaires des cavaliers sur leurs poneys, tandis que deux d’entre eux mettaient leurs brides aux deux chevaux. Puis, ils vinrent relever les prisonniers et les hissèrent sur leurs montures dont ils prirent les rênes. Ainsi encadrés, leurs mains liées agrippées dans la crinière, les cavaliers de Poney Express prirent au trot le chemin des collines.

Lentement, Teaspoon s’assit dans le siège que lui présentait le colonel avec un sourire amical. Le sergent Kipper avait fermé la porte du bureau et se tenait devant, attendant les ordres. Le colonel s’assit à son tour et s’affaira à garnir sa pipe, laissant au chef de relais le temps de se remettre de son émotion.
"Dites-moi, monsieur Hunter, vous souvenez-vous de Max Barthelemy ?
-Le capitaine Barthelemy ? Bien sûr. Il était très apprécié, chez les volontaires... Personne ne pensait qu’il finirait ainsi. Avoir traversé toute la guerre du Mexique sans une égratignure et tomber au pied du palais présidentiel.
-C’était ce qu’il souhaitait, répondit mélancoliquement l’officier en tirant une bouffée. Mais si vous vous souvenez bien, il avait une petite fille.
-Une gamine de trois ans qu’il avait eue avec une mexicaine, je crois, acquiesça Hunter. La mère avait été tuée quelques semaines avant lui. Je me souviens bien de la petite... C’est vous qui l’aviez emmenée en quittant Mexico, non ?
-Je l’ai adoptée, en effet. Elle a grandi...>br> -Excusez-moi, mon colonel, c’est une belle histoire, mais je ne voudrais pas qu’on s’éloigne du sujet. Ce n’est pas ça qui aidera mes cavaliers face aux indiens." Le colonel sourit en retirant la pipe de sa bouche. Ainsi, malgré les années, Hunter était resté le même. Direct, franc, ne s’embarrassant pas de discours inutiles dans les moments cruciaux. Tout pour ses hommes. L’officier le regarda dans les yeux.
"Monsieur Hunter, selon vous, Mac pourrait être le diminutif de quoi ?"
Teaspoon le dévisagea, surpris par une question bien saugrenue en de telles circonstances. Pourtant, il connaissait assez l’homme en face de lui pour savoir qu’il y avait une raison à toute cette conversation, aussi bizarre qu’elle lui paraisse. Le colonel n’était pas homme à oublier l’essentiel, sinon ni lui ni les volontaires du Texas n’auraient survécu à la guerre du Mexique. Teaspoon avait servi plus d’un an sous ses ordres, et tout jeune qu’il soit, c’était un sacré officier.
"Allons, un peu d’imagination, insista le soldat, avec un sourire en coin." Teaspoon écarquilla les yeux, abasourdi par l’idée qui venait de germer dans son esprit : "Etes-vous en train de me dire... que c’est MacLand ? Que c’est elle ? !
-J’imagine que ça doit vous faire un choc. Le sergent Kipper m’a signalé qu’elle se faisait passer pour un garçon.
-Une fille ? Mac serait... une fille ? continua Teaspoon, incrédule.
-C’est en effet ma fille, qui s’est enfuie il y a six mois de cela. C’est Ben Kipper qui m’a prévenu. Alors...
-Et vous la laisseriez massacrer par des indiens !" s’indigna soudain le vieil homme, réalisant qu’on était à nouveau en train d’en oublier la situation précaire de ses cavaliers. Pour lui finalement, peu importait que Mac soit un garçon, une fille ou le saint-esprit. Mac et Cody étaient là-bas, au pied des collines, dans un relais attaqué par des indiens, et ils risquaient gros. Son devoir à lui était de faire en sorte qu’ils rentrent sains et saufs. Après, on aviserait. Le colonel MacLand ne sembla pas prendre ombrage de la réaction de l’ancien volontaire. Calmement, il se leva pour vider le fourneau de sa pipe dans le poêle. Le commandant Harp et le sergent Kipper n’avaient toujours pas bougé.
"Ecoutez, Hunter. Il n’est certainement pas dans mes intentions de laisser massacrer ma fille alors que sa mère et moi nous morfondons d’inquiétude depuis six mois. Seulement, j’ai confiance en elle, chose qui apparemment vous fait défaut.
-C’est une jeune fille, rétorqua Teaspoon, comme si ce seul fait justifiait tout.
-Fanny a grandi ici, à Fort Laramie. Elle connaît très bien les cheyennes de cette région. Ils la respectent. Elle saura comment s’y prendre. La dernière chose dont elle ait besoin, c’est de voir débarquer l’armée.
-C’est exactement ce qu’elle m’a dit quand elle m’a demandé de l’envoyer au relais McKenna, réalisa Hunter. Alors, vous croyez que... ?
-Je vous l’ai dit, faites-lui confiance. Et croyez-moi, ce n’est pas un homme, mais elle en vaut bien d’autres."

Au détour d’un chemin rocailleux, Cody et Fanny découvrirent soudain, le bivouac des indiens, abrité sous une large corniche. Ils se regardèrent, stupéfaits. Ils étaient une bonne cinquantaine, portant les attributs de guerre, armés de fusils. Les poneys étaient attachés en petits groupes gardés. Plusieurs feux brûlaient, qu’ils pouvaient facilement masquer. Ils pouvaient lever le camp et disparaître à la moindre alerte, et personne ne saurait jamais qu’ils avaient campé là. Les gardiens les firent descendre sans ménagement, et on emmena leurs chevaux. Ils les poussèrent devant eux sous la menace de leurs fusils, jusqu’à l’un des feux. Cinq hommes étaient assis là, enroulés dans des couvertures chamarrées ou des peaux de bison. Ils fumaient la pipe de guerre, reconnaissable à son fourneau rouge. L’un d’eux fit signe au garde qui trancha leurs liens. La tête haute, Fanny leva la main droite. L’homme lui rendit son salut d’un signe de tête. Son visage lisse aux pommettes saillantes semblait taillé dans la pierre. Les prunelles sombres de ses yeux en amandes luisaient d’un éclat insolite, donnant un souffle de vie à ses traits inertes. Ses longs cheveux de jais étaient tressés et retombaient sur la chemise finement perlée qui indiquait son rang. C’était un chef. Il leur désigna une place en face de lui. Les deux jeunes gens s’assirent, tandis que le jeune chef prenait place à côté de son aîné. Les autres hommes se passaient la pipe dans un silence religieux, avec de temps à autre quelques hochements de tête. L’un d’eux n’avait pas d’âge. Sa peau fripée comme un vieux parchemin contrastait étrangement avec ses yeux vifs qui avaient dû contempler toutes les terres entre le Missouri et les Rocheuses. Ses cheveux gris tombaient, libres, sur ses épaules encore solides. Les muscles qu’on devinait sous sa chemise de guerre étaient la preuve d’une vitalité entière. Autour de ce feu, trois générations étaient rassemblées. Il y avait là le passé, le présent et l’avenir, l’alpha et l’oméga. Le chef posa la pipe et regarda Fanny dans les yeux. Ses traits de pierre s’animèrent soudain, et une voix caverneuse sortit de sa gorge. "Je suis Black-Knife. Qui es-tu ?
-Je m’appelle Fanny MacLand. Voici mon ami, William Cody.
-Homme-Debout-Devant-La-Mort dit que tu as parlé de Orage-Du-Matin. C’est un sage. Comment connais-tu son nom ?
-Son clan m’a adoptée lorsque j’étais enfant. Son fils est mon frère de sang."
Le jeune chef pâlit. Les autres se regardèrent.

Homme-Debout-Devant-La-Mort se leva brusquement et s’avança vers elle, menaçant. Il lui saisit le poignet gauche sans ménagement et serra de toutes ses forces. Sous l’effet de la pression, Fanny fut bien contrainte d’ouvrir la main. Bien sûr, la cicatrice était toujours là, barrant sa paume de part en part. L’indien resta un moment immobile, la retenant prisonnière. Puis, d’un geste brutal, il lui tordit le bras pour montrer la cicatrice au groupe. Après quoi, il la lâcha et reprit sa place. Il y eut quelques conciliabules, des hochements de têtes. Le vieil homme posa son regard franc sur elle. "Je me rappelle de Petit-Renard qui a dompté le Démon Noir. Petit-Renard et son père étaient amis des cheyennes.
-Ils le sont toujours.
-Mais tu es venue défendre les hommes qui portent la parole des Blancs, dit Black-Knife.
-Je travaille pour le Poney Express. Nous voulons savoir pourquoi les cheyennes ont attaqué le relais, alors que nous avons toujours vécu en bonne intelligence."
Il y eut à nouveau des murmures. Le chef prit son temps avant de répondre. "Le vieil homme chassait dans nos rivières.
-Il chassait ici depuis des années, et vous le tolériez.
-Tant qu’il chassait pour se nourrir, nous l’avons laissé en paix. Mais d’autres hommes sont venus avec lui. Ils venaient de plus en plus souvent. Ils tuaient les visons, prenaient les peaux pour les vendre, et laissaient les cadavres aux vautours."
Fanny et Cody échangèrent un regard incrédule. Ils n’arrivaient pas à imaginer le vieux McKenna en trafiquant de peaux. Le chef claqua des doigts. Deux indiens approchèrent, les bras chargés de dizaines de peaux de vison. Au sommet d’un des tas, il y avait même trois peaux de castor. Les jeunes gens examinèrent les peaux, stupéfaits. Le travail de préparation était sommaire. Les indiens étaient plus soigneux. "Nous avons trouvé tout ceci dans la cabane du vieil homme.
-Est-ce que ça justifiait leur mort ? demanda Cody.
-Pas ça, répondit Black-Knife. Mais, vos amis ont commencé à malmener nos enfants. Nous ne pouvions plus les laisser jouer dans les rivières, au risque de les rencontrer... Il y a quatre jours, ils ont enlevé la femme de Homme-Debout-Devant-La-Mort et tué son jeune frère.
-Ce crime réclamait vengeance !- s’écria le jeune homme en brandissant le poing.

Fanny baissa les yeux. Elle comprenait mieux, à présent. Elle avait honte d’elle, honte d’avoir cru en l’innocence du vieil homme qu’elle pensait connaître. Elle aurait voulu leur dire que les représailles n’étaient pas une solution, mais elle savait très bien qu’ils n’obtiendraient pas d’autre justice. Le crime mérite châtiment. Ils avaient châtié les fautifs suivant leurs lois. Maintenant, il s’agissait de circonscrire les représailles. Ça ne devait pas aller plus loin, si on ne voulait pas que l’armée s’en mêle et que les événements dégénèrent.
"Black-Knife, je comprends ton geste. Mais, nos employeurs craignent maintenant que vous ne vous attaquiez aux autres relais. S’ils ont peur, ils enverront les soldats pour protéger leurs hommes. Les soldats ne chercheront pas à comprendre. Ils vous feront la guerre."
Le chef fit taire d’un geste les murmures de protestation qui s’élevaient du cercle. Son regard passa de la jeune fille à Cody, puis il revint sur elle. "Qu’attends-tu de moi ?
-La promesse que les autres relais ne sont pas menacés, que le courrier pourra passer sans crainte et que nous pourrons à nouveau utiliser le relais du vieil homme.
-Si les blancs respectent notre peuple, nous ne ferons rien. Mais les blancs ne savent pas respecter.
-Nous ferons en sorte qu’ils le fassent. Maintenant, il me faut ta promesse.
-Que crains-tu ?"
Fanny ne répondit pas immédiatement. Elle regarda le chef dans les yeux. "Vos raids de chevaux... Les chevaux que vous avez emmenés n’appartenaient pas au vieil homme, mais à la compagnie. Et la compagnie pourra dire qu’ils ont été volés. C’est un prétexte suffisant pour eux... Maintenant, je peux leur dire que les chevaux se sont enfuis. Mais, cela ne doit pas se reproduire. Vous ne devez pas toucher aux chevaux."

Cody avait ouvert la bouche pour protester. Fanny lui pinça la cuisse pour le faire taire. Elle essayait de sauver la situation. Elle connaissait l’importance des chevaux pour les cheyennes. La plupart des raids qu’ils menaient étaient motivés par ça. C’était une tradition, c’était le fondement de leur société. Pour un peuple nomade tel que celui-ci, un cheval n’avait pas de prix. Il était le principal artisan de sa sauvegarde. Le présent qu’elle leur faisait était un acte de paix, la marque de sa sincérité. Elle n’aurait pu faire plus. Elle espérait seulement que Teaspoon l’approuverait. Mais, elle trouvait qu’une dizaine de chevaux, c’était peu cher payé pour la paix.
Le chef posa la pipe devant lui. L’entretien était terminé. Fanny se leva, entraînant Cody dans son mouvement. Des guerriers les emmenèrent à l’écart. Ils allaient maintenant délibérer. Fanny fit le compte. Le vieil homme était de son côté. Le chef aussi, probablement. Mais il n’interviendrait pas dans les débats. Quant aux autres, ils dépendaient très certainement du plus éloquent : le vieil homme ou Homme-Debout-Devant-La-Mort. Le premier avait pour atout son âge, sa position sociale, et le respect qu’ils lui témoignaient. Mais le second avait mené avec succès le raid sur le relais. C’était un acte glorieux qui lui procurait une grande estime de la part de son peuple. Fanny s’assit sur un rocher, la tête dans les mains. Elle n’arrivait plus à réfléchir. Cody se baissa pour la regarder. La jeune fille leva les yeux et tomba sur son sourire amical. Il lui prit la main. Il y avait tant de confiance dans cette main chaude. Il y avait tant de confiance, dans ses yeux malicieux. Tant qu’il lui parlerait d’autre chose, elle oublierait la longueur des tractations, la lumière du jour déclinant, le va et vient de leurs gardes, la faim qui commençait à lui tordre l’estomac. Elle finit par s’endormir sur son épaule.

Les cavaliers avaient pris la route d’Indian Rock à l’aube. Le vieil homme était venu leur annoncer leur victoire avec un sourire paternel. Il y avait de la complicité, dans ses yeux. Fanny lui avait prit la main et s’était inclinée dessus en signe de reconnaissance. Il avait posé sa main décharnée sur sa tête pour la bénir. "J’ai consacré Petit-Lynx, le jour où il est devenu chaman. Je connais sa vision. Tu étais dans sa vision. Je sais combien tu es présente dans son coeur.
-Comme il l’est dans le mien, Père."

Black-Knife avait accepté le présent, acceptant ainsi la paix. On leur avait rendu leurs chevaux et leurs armes, puis on les avait reconduits au relais. Ils s’étaient immédiatement remis en route. Ils espéraient que le relais d’Indian Rock n’aurait pas subi les foudres des cheyennes, qui n’en voulaient qu’à McKenna. Mais, un doute subsistait. Lorsqu’ils arrivèrent en vue de la cabane surplombée par le Roc ressemblant à une tête d’indien, ils poussèrent un soupir de soulagement. Une fumée blanche s’élevait de la petite cheminée, et les chevaux paissaient paisiblement dans le corral. Une silhouette armée d’un fusil parut sur le seuil, mais l’arme se baissa dès que les cavaliers furent à portée de voix, et un rire tonitruant jaillit de la barbe broussailleuse d’Omer Nettlepott. Tout était rentré dans l’ordre.

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