Chroniques du Poney Express


Chapitre 5 (suite)

Brusquement, le sourire de Ike se figea. Judith le vit se tourner vers la porte et écouta avec lui. La porte de l’entrée venait de se refermer et le pas lourd du concierge résonnait dans le couloir. Ike interrogea Judith du regard. Il n’était visiblement pas tranquille. "Oh lui... murmura Judith, se rembrunissant. Que veux-tu, Ike. On ne peut pas tout changer si vite. En tout cas, lui n’a pas changé... Ou alors, c’est en pire. Et la directrice ferme toujours les yeux." Un silence pénible s’installa. Chacun semblait revivre ces années sous le joug du vieil homme. Et comme pour donner vie à ces douloureux souvenirs, l’orage éclata, aussi violent qu’autrefois. La voix de Gallagher retentit soudain, déversant sa rage sur un malheureux dont les plaintes terrifiées leur parvenaient à peine. Ike se leva d’un bond, renversant sa chaise, et se précipita dans le couloir, Judith sur ses talons. Devant eux, Gallagher était en train de corriger un enfant de dix ans qui s’était réfugié dans un angle de mur et, les bras repliés au-dessus de sa tête, tentait vainement de se protéger de la badine. Les orphelins faisaient cercle autour d’eux, prenant garde à se tenir à une distance raisonnable de la menaçante cravache, figés par la crainte.
"Sale petit vermisseau ! hurlait le vieil homme. Je vais t’apprendre à courir dans les couloirs ! Tu vas comprendre ce que c’est que la discipline !
-Monsieur Gallagher ! s’écria Judith, d’une voix mal assurée. Ca suffit, je pense qu’il a compris.
-Vous en mêlez pas, Miss Ryan. Cette petite vermine n’a que ce qu’elle mérite. Je l’avais déjà prévenu." Le vieil homme redoubla ses coups, arrachant des sanglots à sa victime. Ne pouvant plus supporter l’odieux spectacle, Ike s’interposa et tenta de protéger l’enfant. Mais cela n’eut pour résultat que de décupler la fureur du concierge qui le repoussa. Comme Ike se redressait pour lui faire face, Gallagher le reconnut enfin : "Tiens ! Voilà Simplet ! s’exclama-t-il d’une voix méprisante. Qu’est-ce que tu veux, l’idiot ? Tu crois que tu peux m’empêcher de corriger ce morveux ? T’en a pas reçu assez, des coups ? Faut croire que t’as pas encore compris." Sous les yeux horrifiés des enfants et de Judith, le vieil homme abattit violemment sa cravache sur le cavalier qui tenta tant bien que mal de parer de son bras. Mais chaque coup cinglant lui arrachait une grimace. Ainsi, il n’était revenu que pour revivre la même humiliation qu’en ses jeunes années ? Il allait donc laisser ce vieux tortionnaire gagner une fois de plus ? C’était bien la peine d’avoir fait tant de chemin, d’avoir affronté les routes, les bandits et les indiens pour en arriver là : à son point de départ. Il était devenu un homme, bon sang ! Un homme qui avait appris à se battre et était capable de gagner ! Ike serra les poings. Qu’avait-il à craindre, après tout ? Quoi qu’il arrive, ça ne pouvait pas être pire que maintenant. Dépliant rapidement son bras, il bloqua de la main le poignet du vieil homme qui le dévisagea, surpris de tant d’audace. Le visage de Ike était crispé de colère. Une veine battait à sa tempe et ses yeux brillaient de larmes. Pourtant, les lèvres serrées, il les refoula. Gallagher fit un pas en arrière, effrayé, quand Ike lui arracha la cravache des mains. Un instant, il crut qu’il allait la retourner contre lui. Le cavalier le toisa d’un regard rempli de la haine accumulée pendant tant d’années de vexations et de mauvais traitements. Puis, d’un geste franc, il cassa la badine sur son genou et en jeta les morceaux au visage du vieil homme. Passant devant la directrice qui était accourue dès les premiers cris, et alors que des murmures impressionnés s’élevaient du groupe des enfants, Ike remonta le couloir et sortit sans se retourner.

Quand Judith le rejoignit devant la pension de famille où il avait pris une chambre, Ike était prêt à partir. La jeune fille se décala sur le côté pour lui laisser prendre la place du meneur. Il saisit les guides qu’elle lui tendait et mit immédiatement le petit cheval bai au trot. Tandis que le chariot cahotait sur la piste tracée au milieu de la prairie, Judith jetait de temps en temps un regard à son compagnon, sans oser troubler le silence de ses questions, tant il semblait soucieux, loin d’elle. Elle se contentait de lui indiquer le chemin lorsqu’ils arrivaient à une bifurcation. Ike engageait le petit cheval dans la bonne direction et se replongeait dans ses pensées. A vrai dire, ce n’étaient pas tant des pensées que des souvenirs, qui l’absorbaient à ce point. Il avait passé une mauvaise nuit, revivant en rêve cette fatidique journée qu’il avait cru avoir oubliée. Il s’était levé avec un étrange sentiment d’oppression qui l’avait empêché d’avaler quoi que ce soit. Pourtant, il savait qu’il avait pris la bonne décision. Mais plus le chemin se déroulait sous les sabots du petit cheval, plus la tension le gagnait. Des barrières de bois apparurent sur le bord de la piste, délimitant les champs verts où le maïs était déjà haut. A sa gauche s’ouvrait un chemin, au milieu des plantations. Au bout, il y avait la maison qu’il ne voyait pas encore. Elle était cachée derrière les peupliers. Mais il entendait déjà le murmure de la rivière qui coulait à ses pieds. Il arrêta le chariot et regarda sans les voir les grands arbres dont une légère brise agitait le sommet.

"Tu verras, les Fletcher sont des gens adorables, dit Judith, comprenant combien Ike luttait contre lui-même pour engager le cheval dans l’allée. C’est un jeune couple qui s’est installé là il y a trois ans. Ils ont travaillé dur, et ils s’en sortent plutôt bien, maintenant."
Ike était pourtant de plus en plus sombre. Les dents serrées, il fit claquer le fouet et le cheval tourna entre les champs de maïs. Les cinq cents mètres de l’allée lui parurent sans fin. Pendant tout le trajet, il jeta des regards anxieux à droite et à gauche, restant sur ses gardes, comme si une bande armée pouvait tout à coup surgir des hautes tiges.
"Qu’ils viennent, pensait Ike en s’assurant du bout des doigts que son arme était bien là. Qu’ils viennent. Cette fois, je les attends. Cette fois je ne les laisserai pas s’en tirer à si bon compte."

La maison apparut enfin. De l’ancienne ferme, il ne restait que la grange, un peu à l’écart. Cette grange où il s’était caché quand ils étaient arrivés et d’où il avait tout vu. Les propriétaires suivants avaient reconstruit la maison sur les ruines de l’ancienne, mais elle était plus grande, avec un étage et une véranda qui courait sur toute sa longueur. Les murs avaient été récemment blanchis à la chaux. Les fenêtres étaient grandes ouvertes et les rideaux blancs volaient au vent. Comme dans la maison d’Emma. Une femme en chemise blanche et jupe grise était en train d’étendre le linge, son bébé de deux ans jouant à ses pieds. Elle s’arrêta en entendant le chariot et se tourna dans leur direction, retenant d’une main une mèche échappée de son chignon. Comme Emma... Comme sa mère.
"Bonjour, madame Fletcher, lança Judith d’un ton enjoué, tandis que Ike l’aidait à descendre.
-Miss Ryan ! s’exclama la femme en s’avançant à leur rencontre. Excusez-moi, je ne vous avais pas reconnue.
-Je vous présente Ike McSwain, enchaîna Judith. C’est un vieil ami."
Madame Fletcher sembla tiquer en entendant ce nom qui lui était familier, puis tout à coup elle se souvint. C’était le nom gravé sur les tombes...

Assise sous la véranda, Judith observait avec inquiétude son ami qui venait d’entrer dans le petit enclos entouré de barrières de bois brut, installé à l’écart de la maison. Madame Fletcher sortit de la cuisine et déposa devant elle un plateau avec trois verres et un broc de citronnade.
"Ca ne doit pas être facile pour lui de revenir après tant d’années, remarqua-t-elle en désignant Ike du menton.
-Pendant longtemps il a voulu oublier cette histoire. Mais je crois qu’au fond, elle n’a jamais cessé de le hanter.
-Vous croyez qu’en l’exorcisant il pourrait retrouver la parole ?
-Comment savoir ? Je souhaite en tout cas qu’il en finisse avec tout ça."

Ike poussa avec précaution le portillon qui fermait l’enclos à l’ombre du saule. Devant lui se dressaient six croix plus ou moins récentes, surplombant des monticules de terre dont certains étaient recouverts d’herbe. Il hésita un instant, cherchant des yeux les plus anciennes. Elles étaient quatre, proprement alignées contre la barrière au fond de l’enclos. Ike ôta son chapeau puis son foulard et s’avança. Alors qu’il lisait les noms sur les croix, les images affluèrent dans sa tête. Sa mère, ouvrant sa bible avec un sourire indulgent et lui, jouant avec le cerf-volant que son frère venait de réparer. Puis un galop lointain. Ils avaient d’abord cru au tonnerre. Mais en se rapprochant, le martèlement des sabots était devenu plus distinct. Tim avait levé la tête, inquiet. Il lui avait murmuré de rester là où il était et s’était levé. "Je viens avec toi", avait dit Ike. Tim s’était tourné vers lui, l’avait saisi par les bras et, les yeux dans les yeux, d’un ton grave, lui avait ordonné : "Non, Ike. Toi, tu restes là. Cache-toi dans la grange, et quoi qu’il arrive, ne bouge pas jusqu’à ce que je vienne te chercher. Et surtout, ne fais pas un bruit. C’est bien compris ?
-Non, je viens avec toi ! s’était entêté le petit garçon.
-Ecoute-moi bien, moustique. Si tu n’obéis pas, je dirai à Papa que c’est toi qui a fait échapper la pouliche la semaine dernière, et il te vendra à la mine."

Terrorisé par cette menace on ne peut plus explicite, Ike s’était retranché dans la grange. Grimpant dans le grenier à foin, il avait couru à son habituel poste d’observation, contre le mur, à l’endroit où deux planches légèrement disjointes permettaient d’observer la cour sans être vu. Alors, il les avait vus débouler dans la cour, abattant son père sans sommation. Sa mère s’était mise à hurler et, attrapant Lisa par la main avait tenté de s’enfuir. Ike retenait sa respiration. Il n’en pouvait plus, déchiré entre le désir de leur porter secours et la peur de désobéir à Tim. Avec stupeur, il avait vu l’un des hommes abattre d’une balle dans le dos sa mère et sa soeur. Puis ça avait été au tour de Tim qui, du haut de ses douze ans, les tenait en joue avec le fusil de leur père. En le voyant lâcher l’arme et s’écrouler dans l’herbe, Ike s’était détourné de la scène, anéanti, retenant à grand peine ses sanglots. Il s’était alors enfoui sous le tas de foin, ce qui lui avait permis d’échapper aux assassins. Quand enfin, à la tombée de la nuit, il avait trouvé la force de sortir, la maison brûlait. Sans doute à cause d’une lampe touchée par une balle perdue. Les hommes de la ville venaient d’arriver et s’occupaient des corps. On ne lui avait pas permis de les voir. On l’avait emmené immédiatement pour le confier à l’orphelinat. Depuis, il n’était jamais revenu.

Tout à coup, il sentit les larmes lui monter aux yeux. Il se mit à pleurer en silence.
"Pardon ! Pardon ! J’aurais tellement voulu pouvoir vous sauver. Tim, je voulais être aussi courageux que toi. J’ai toujours cru que j’avais été lâche. Je ne comprenais pas pourquoi moi j’avais survécu et vous non. J’avais honte. Mais maintenant, je sais. Je n’étais qu’un enfant. Pardonnez-moi." Ike tomba à genoux devant les tombes et éclata en sanglots.
Quand Judith vint le chercher, une heure plus tard, il était toujours prostré sur la tombe de son frère, mais il ne pleurait plus. Il leva vers elle un regard clair, lavé de toute angoisse et de tout remord. Elle sut qu’il avait enfin fait la paix avec les siens.

Sur le chemin du retour, il était plus détendu, presque souriant. Ils avaient déjeuné avec les Fletcher qui avaient longuement parlé de leurs projets pour la propriété. Cette confiance qu’ils avaient en l’avenir avait redonné à Ike l’envie de croire en quelque chose. Désormais, il ne craignait plus les assassins fantômes. Ils ne surgiraient plus au détour du chemin pour lui prendre sa vie. Mais comme pour démentir cet optimisme nouveau, un coup de feu retentit soudain. Le petit cheval bai hennit, fit un pas et s’écroula entre les brancards. Retrouvant immédiatement ses réflexes, Ike se jeta sur Judith. Tous deux roulèrent à bas du chariot. Il dégaina immédiatement et observa les alentours pour finir par apercevoir un homme qui tentait tant bien que mal de se dissimuler derrière un arbre. Ike prit le temps d’ajuster sa visée avant de tirer. L’homme sursauta, sortit de sa cachette d’un pas chancelant et tomba la tête en avant. Aussitôt plusieurs tirs fusèrent autour d’eux, ce qui permit au jeune homme de constater que tous venaient de la même direction. Attrapant Judith pas le bras, il la fit glisser dans le fossé qui les abritait mieux que le cadavre du cheval. Pourtant, la situation n’était pas brillante. Aussi, il jugea plus prudent de ne pas gaspiller ses munitions et de faire le mort. Judith et lui s’allongèrent donc au fond du fossé qui séparait le champ du chemin, attentifs à tout ce qui pourrait se passer. En effet, au bout d’un moment, les agresseurs semblèrent trouver bizarre de ne trouver aucune riposte. Les coups de feu cessèrent, et un homme sortit de l’abri des arbres avec prudence. Il fit quelques pas vers le chariot, jusqu’à ce qu’il put apercevoir le fossé. Comme rien ne bougeait, il fit signe à ses complices que la voie semblait libre. A leur grande stupeur, Ike et Judith virent du coin de l’oeil surgir le vieux Gallagher et deux autres complices. Le sang du jeune homme ne fit qu’un tour. Non seulement le vieux tyran avait voulu l’éliminer, mais il n’avait pas hésité à s’en prendre à Judith. D’un bond, Ike surgit du fossé, abattant l’homme le plus proche de lui. Le troisième tira, le blessant au bras, tandis que le concierge se réfugiait derrière le chariot. Insensible à la douleur, porté par sa colère, Ike continuait à avancer. Sans sourciller, il blessa l’homme de main à la jambe, ce qui le fit trébucher et tomber sur le genou. Dans le mouvement, il lâcha son arme. D’un coup de pied, Ike l’écarta de lui avant de se retourner vers Gallagher. Celui-ci arma le chien de son revolver. Mais sa main tremblait. Ike, lui, n’hésita pas. Visant le poignet, il le désarma. Le vieil homme était maintenant à sa merci, debout devant lui, le visage décomposé par la peur, serrant dans sa main valide son poignet ensanglanté. Le bras tendu, le jeune cavalier se rapprocha, jusqu’à poser sur son front le canon de son arme. Son doigt blanchissait sur la gâchette. Son regard impitoyable l’avait déjà condamné.

Judith bondit hors du fossé.
"Non, Ike !" Le jeune homme ne bougea pas. Il était prêt.
"Je t’en prie, implora-t-elle en s’accrochant à son bras. Ne fais pas ça. Tu vaux mieux que lui."
Ike sembla tergiverser. Son visage résolu se tourna finalement vers elle.
"Il ne doit plus s’approcher des enfants, finit-il par dire, en trois signes saccadés.
-Je te le promets. Quand la directrice et le marshal sauront ce qui s’est passé, ils n’auront pas d’autre choix que de le faire enfin enfermer. Il n’a plus d’avenir, Ike. Alors laisse-lui la vie. Ne sois pas comme lui."
Ike hésita encore. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait de débarrasser la ville d’un tel homme. Après tout, qui le pleurerait ?... Judith. Elle qui savait pardonner, même aux plus ignobles. Vaincu par ses raisons, Ike releva le canon de son arme. Il lia les mains du vieil homme et le fit monter avec le blessé sur la plate-forme du chariot où il déposa les corps des morts. Après avoir dégagé le petit bai et attelé le cheval de Gallagher à sa place, il reprit la route de Bufford à la tête de ce curieux équipage.

Ike retrouva avec un plaisir oublié la piste qui menait à Sweetwater. Il avait enfin vaincu tous ses fantômes et il se sentait plus léger que jamais. Son seul regret était que Judith ait décliné sa proposition de l’accompagner. Mais elle avait avancé un argument sans appel : les orphelins avaient besoin d’elle. Il était bien forcé de se rendre à ses raisons. Les enfants ne pouvaient être entre de meilleures mains. Les choses allaient changer à l’orphelinat de Bufford. Et tant pis si lui perdait une perle. Il avait toujours la possibilité de revenir la voir. Après tout, comme elle l’avait dit, ce n’était pas si loin. En s’éloignant de Bufford, Ike se remit à penser aux événements qui avaient précédé son départ. Il n’avait pas eu alors le loisir d’en prendre toute la mesure, et il se demandait comment les choses avaient pu évoluer. Il était curieux de voir ce qui allait changer désormais au relais. Cette pensée le fit sourire et accélérer le pas.

Si, en découvrant leurs vérités respectives, Lou avait été moins surprise que Fanny, c’est peut-être parce que cela lui avait permis de comprendre certains comportements qu’elle avait jusqu’à présent jugés pour le moins étranges. Mais encore fallait-il confirmer ses soupçons. Après avoir longtemps tenté sans succès de sonder le terrain par des allusions anodines et des lieux communs, elle décida en désespoir de cause de mettre les pieds dans le plat.
Fanny était en train de recoudre son étrivière, tandis que sa camarade, le dos appuyé contre le pilier du auvent, semblait perdue dans ses pensées. Lou balança un instant, se racla la gorge, puis se lança :
"Fanny, tu as l’air de t’entendre mieux avec Jimmy ces derniers temps, non ?
-Ca va, répondit négligemment la jeune fille en poussant l’allène de sa paume couverte d’une épaisse pièce de cuir brun. Pourquoi ?
-Je me disais..."
Fanny leva les yeux vers elle, étonnée de l’entendre s’interrompre : "Quoi ?
-Tu as remarqué comme il te regarde ?
-Qui ça ? demanda sa camarade en reprenant sa couture.
-Jimmy, voyons... Il ne te quitte pas des yeux."
Surprise, Fanny se tourna dans la même direction que Lou et aperçut Hickok qui se détourna presque immédiatement. Elle haussa les épaules et se remit au travail. "C’est toi qu’il regarde, Lou.
-Je t’assure que non. Ca fait plusieurs fois que je le remarque... Tu sais quoi ? Je crois que tu lui plais.
-Ridicule, commenta Fanny.
-Pourquoi ? s’étonna son amie, ramenant son regard vers elle.
-Oh ! Je t’en prie, Lou ! Ne viens pas me dire que tu es comme toutes ces mijaurées qui ne pensent qu’à se trouver un mari. Tu ne vas pas te mettre à ce genre de mièvreries. Pas toi !"

Lou sourit devant sa réaction. Elle comprit que Fanny n’avait pas mordu à l’hameçon quand elle avait abordé la question de façon plus subtile parce qu’elle n’était tout simplement pas réceptive sur le sujet. Elle y semblait même complètement hermétique. Mais elle se redressa soudain en voyant son amie poser sa pièce de cuir et se lever, un regard déterminé tourné vers la grange devant laquelle Hickok soignait le sabot de son palomino avec un onguent préparé par Teaspoon.
"Où vas-tu ?
-Vérifier quelque chose", répondit Fanny avec un sourire en coin. Elle s’avança d’un pas léger vers le jeune homme, s’appuya contre le billot de bois et, les bras croisés sur la poitrine, le regarda faire. Au bout d’un moment, Jimmy, agacé, releva la tête tout en maintenant l’antérieur de l’animal sur sa cuisse.
"Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il.
-Oh rien", répondit Fanny d’un air désinvolte.
Jimmy l’observa du coin de l’oeil, méfiant.
"Tu es sûre ?
-C’est juste, commença la jeune fille, hésitante, ... Comment tu trouves Lou ?
-Quoi ?
-Elle est plutôt jolie, non ?"

Hickok jeta un rapide coup d’oeil à leur camarade qui se tenait toujours sous le porche, se demandant où Fanny voulait en venir. Ce genre de préoccupations n’était pas dans ses habitudes, et il craignait qu’elle n’essaie de lui jouer un tour. Il secoua la tête avec un sourire moqueur et se remit au travail : "Demande à Kid. Je crois que c’est le mieux placé pour te répondre." Fanny ne se laissa pas ébranler par son esquive. Après un moment de silence, tandis qu’il reposait le pied de l’animal et se mettait à le brosser, elle s’approcha, s’accouda au dos du palomino et posa le menton sur ses bras.
"Jimmy, je peux te poser une question ?
-Dis toujours, répondit le jeune homme, visiblement plus préoccupé par son travail que par la conversation.
-Qu’est-ce qui fait que vous tombez amoureux ?"
Fanny guettait sa réaction, et elle ne fut pas déçue en le voyant s’interrompre brutalement et se redresser. A sa grande surprise, il se heurta à ses yeux verts, lumineux et pleins de malice, qui le déroutèrent une fois de plus. Il était pourtant résolu à ne pas se laisser troubler. Refoulant son émotion première, il retrouva rapidement le ton bourru des premiers jours pour demander :
"Qu’est-ce qui te prend, tout à coup ?
-J’essaie de démonter la théorie de Lou, et pour ça, j’ai besoin de comprendre pourquoi tu es tombé amoureux de Sarah puis de Moineau, ou Buck de Katherine, ou Ike et Cody d’Amanda.
-J’étais pas amoureux d’Amy, répondit Jimmy d’un ton sec.
-Moineau ? En tout cas, tu la trouvais à ton goût.
-Et alors, tu es jalouse ?
-Dieu m’en garde, répondit-elle en levant les yeux au ciel. Alors ?
-C’est quoi la théorie de Lou ?
-Ca, je te le dirai quand tu m’auras répondu et que j’aurai ainsi prouvé qu’elle ne tient pas debout.
-Je te fais pas confiance", répondit Hickok en secouant la tête. Tout en continuant à brosser l’animal, il passa sous l’encolure pour se retrouver du même côté qu’elle. "Alors, c’est quoi cette théorie ?
-Réponds-moi d’abord.
-Tu sais que j’ai les moyens de te tirer les vers du nez », avertit-il avec un sourire dont elle réalisa tout à coup qu’elle devait se méfier. Mais, avant qu’elle ait pu réagir, il lui immobilisa les mains et la hissa sur son épaule pour l’amener au-dessus de l’abreuvoir.
-Tu pourrais me torturer que je ne dirais rien, déclara Fanny en se démenant pour tenter de se libérer.
-A oui ? Et bien moi, je crois que tu as besoin d’un bon bain pour te rafraîchir les idées, répondit-il en l’inclinant au dessus de l’eau poussiéreuse.
-Tu le feras pas, tenta-t-elle, bien que son inquiétude grandisse à voir la surface de l’eau se rapprocher dangereusement de son visage. Tu sais très bien que sinon, je ferai de ta vie un enfer.
-Ma vie est un enfer depuis que tu es arrivée."

Au même instant, Lou qui, craignant de voir dégénérer la discussion entre les deux cavaliers, s’était rapprochée, annonça l’arrivée d’un cavalier. "C’est Ike !" confirma-t-elle, dès qu’elle eut reconnu le chapeau à large bord de leur ami. Tandis que toute l’équipe jaillissait des différents recoins du relais pour accueillir le jeune homme, Jimmy posa précipitamment son fardeau qui lui décocha un coup de coude dans les côtes.
"T’as eu de la chance, cette fois-ci, lui murmura-t-il, mais ça ne durera pas toujours.
-Et toi, tu n’as toujours pas répondu à ma question. » Jimmy jeta un coup d’oeil alentours pour s’assurer que personne ne faisait attention à eux, puis il se tourna vers elle avec sérieux : « Si tu veux tout savoir, il n’y a pas de recette miracle pour tomber amoureux. Ca dépend uniquement de la personne qu’on a en face de soi.
-D’accord. Il suffit qu’elle ait un joli minois, une belle voix, qu’elle soit bien habillée et sache se tenir. Le chant des sirènes, quoi. C’est bien ce que je pensais.
-C’est un peu réducteur, comme raisonnement.
-Ose dire le contraire."
Le sourire dédaigneux qu’elle arborait le dissuada de polémiquer davantage. Il préféra se rabattre sur la deuxième partie du marché : "Alors, c’est quoi, la théorie de Lou ?
-Que tu serais amoureux de moi, répondit-elle sans se départir de son air moqueur. Ridicule, non ?
-Ridicule", conclut Jimmy tandis que son estomac se nouait. Mais une fois de plus, il se força au calme et se raisonna. Voilà une conversation qu’il était bien décidé à oublier au plus vite. Retrouvant son attitude habituelle, il lui asséna une bourrade dans le dos et l’entraîna vers le groupe d’où émergeait Ike, radieux comme il ne l’avait jamais été.

Note de l'auteur : "Toute ressemblance avec certains faits d'un épisode existant n'est pas fortuite. Je me suis permis d'utiliser certains dialogues de la série pour y greffer mon histoire. Toutes mes excuses aux scénaristes originaux."

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