Chroniques du Poney Express


Chapitre 10 (suite)

Posté à l’angle de la boutique de Tompkins, masqué par l’ombre du bâtiment, Buck fit un signe discret en direction du reste du groupe. Ike et Cody sortirent de leur recoin et avancèrent prudemment vers l’église en rasant les murs. Ils allèrent se poster chacun d’un côté du bâtiment, à une distance suffisamment respectable pour ne pas donner l’éveil, mais d’où ils pouvaient avoir une vue imprenable sur ses abords. Quand ils furent en place, Lou, Kid et Jimmy avancèrent à leur tour. Ce dernier longea le mur et s’immobilisa sous la fenêtre du petit appartement attenant au lieu de culte. Il se hissa sur la pointe des pieds et jeta un oeil à l’intérieur. Personne. Il fit signe à Kid et Lou de le rejoindre. Cette dernière glissa un regard inquiet aux garçons, qui ne fit qu’agacer Hickok : "Qu’est-ce qu’il y a ?
-Je suis pas sûre qu’on doive faire ça, murmura la jeune fille, mal à l’aise.
-On en a assez discuté, Lou. Tu étais d’accord, rappela Hickok.
-Il faut qu’on le fasse, insista Kid d’une voix plus douce en lançant un regard réprobateur à son ami.
-Je sais pas. Et si on ne trouvait rien ? Ca me gêne...
-D’accord ! Reste là. C’est moi qui y vais", trancha Jimmy avec impatience.
Kid le retint par le bras, mais son regard ne quittait pas Lou : "Tu as vu ce qu’il a fait à Fanny. Ca s’est peut-être déjà passé avec d’autres et ça se reproduira certainement. Peut-être qu’on ne trouvera rien, mais il faut essayer. On a besoin de toi, Lou. Jimmy doit rester là pour nous couvrir si quelqu’un venait. C’est à nous d’y aller." La jeune fille sembla faire un gros effort sur elle-même. Finalement, elle acquiesça et se tourna vers le mur. Jimmy croisa ses mains pour faire un marche-pied sur lequel elle prit appui pour atteindre la fenêtre. Elle souleva discrètement le battant. Après s’être assurée que la voie était libre, elle se faufila à l’intérieur et fit signe au Kid de la rejoindre. Quand il prit pied dans la petite pièce, elle était déjà au travail, fouillant tous les tiroirs du petit secrétaire de noyer. Kid regarda autour de lui et décida d’attaquer par l’armoire. Lou observait la pièce, songeuse. Les tiroirs qu’elle avait inspectés ne recelaient que quelques lettres insignifiantes et les brouillons de sermons. Le révérend ne possédait pas grand chose, ce qui rendait la fouille facile. Pendant que Kid examinait la paillasse, elle ouvrit la sacoche de selle. Seulement quelques livres. Elle revint vers le secrétaire. Pourquoi lui semblait-il bizarre, comme disproportionné ? Elle se pencha pour examiner le dessous du plateau. Elle ne s’était pas trompée. Il semblait bien y avoir un tiroir secret. Elle tâta un moment le dessous de l’écritoire et finit par tomber sur un petit loquet dissimulé contre la plainte, qu’elle finit par actionner. Le fameux tiroir se dégagea de l’épaisseur du plateau. La jeune fille demeura tout d’abord muette de stupeur.
"Kid ! Viens voir, appela-t-elle.
-Tu as trouvé quelque chose ?" Pour toute réponse, Lou lui désigna du doigt les objets cachés. Kid prit le minuscule revolver dans sa main pour l’examiner.
"Un derringer, murmura-t-il. En parfait état. Et ça qu’est-ce que c’est ?
-On dirait un journal, répondit Lou en retirant le cahier recouvert de cuir de sa cachette et en commençant à le feuilleter. Ecoute ça..."
"Jeudi 18 novembre 1860 : C’est encore plus facile que je ne l’imaginais.. Je n’ai pratiquement rien eu à dire. Mes chères amies de la Ligue font un travail remarquable. Elles sont en passe de faire fermer le saloon. D’ici peu de temps, elles auront vaincu les dernières résistances. Le seul point épineux reste ce marshal qui semble décidé à se battre. Il fallait s’y attendre : il est de la vieille école. Mais il aura bientôt les mains liées. Attendons."
"Pas la peine de continuer. Je crois qu’on en a assez pour se débarrasser définitivement de cet homme", conclut Kid. Au même instant, Jimmy frappa contre le mur. Cody venait de l’avertir que le pasteur arrivait. Kid et Lou tombèrent d’accord sur un regard. La jeune fille se rapprocha de la fenêtre pour s’assurer du soutien de Jimmy et ils attendirent, leur attention tournée vers la porte qui s’ouvrit bientôt.
Flanagan s’arrêta sur le pas de la porte. Sa stupéfaction se changea vite en fureur. D’un pas vif, il se précipita vers Lou qui recula contre la fenêtre en brandissant le journal.
"Vous reconnaissez ceci, Révérend ? Nous y avons trouvé toutes les preuves que nous souhaitions contre vous. De quoi compromettre sérieusement votre avenir dans cette ville.
-Ce n’est pas encore fait", grinça le pasteur en tendant le bras. Mais il fallut encore moins de temps à la jeune fille pour laisser tomber le cahier entre les mains de son ami dans la rue. Flanagan la dévisagea, hors de lui, puis, bizarrement, sembla s’apaiser.
"J’aurais dû vous éradiquer dès que j’en ai eu l’occasion, déclara-t-il dans un murmure. Dès que j’ai su que vous étiez les instruments du Malin. Maintenant, il est trop tard. Voilà ma punition.
-Votre punition ? répondit Lou, écoeurée. Vous ne pourrez jamais racheter le mal que vous avez fait ici !
-Voilà ce que vous allez faire, intervint Kid qui craignait que son amie ne perde son calme. On vous laisse deux heures pour quitter Sweetwater. Si vous ne le faîtes pas, nous dévoilerons vos véritables intentions aux habitants de cette ville. Je ne sais pas si vos croisées apprécieraient de découvrir à quel point vous les avez manipulées.
-Vous déraisonnez, mon petit ami. J’ai assez de poids sur ces gens pour vous contrer.
-Mais nous, nous avons votre journal, rappela Lou.
-Lou ! Sam et Teaspoon arrivent !" lança soudain la voix de Jimmy.

A ces mots, le révérend Flanagan fit un pas vers la porte, mais Kid s’interposa. "Je serais curieux de voir ce que le marshal va penser de ça", dit-il d’un air grave. Ils se dévisagèrent une longue minute. Les pas des deux hommes se rapprochaient. Trois coups brefs résonnèrent contre la porte, auxquels Kid répondit immédiatement. Surpris, Sam poussa la porte avec prudence et embrassa la scène d’un regard : le pasteur était débout au milieu de la pièce. Devant la fenêtre, le visage décidé, Lou semblait lui barrer ce passage, tandis qu’à son opposé, Kid lui interdisait l’accès à la porte.
"Qu’est-ce qui se passe ici ? finit par demander Teaspoon.
-On vient de donner deux heures à notre bon révérend pour quitter la ville sans jamais y revenir, répondit Kid sans détourner son regard aigu de l’homme. Il ne lui en reste maintenant qu’une trois-quart.
-Deux heures ? Je vous trouve bien généreux, grogna Sam. Moi, j’avais l’intention de le raccompagner immédiatement hors des limites de cette ville.
-Et de quel droit, marshal ? demanda le pasteur, recouvrant tout son aplomb.
-Du droit que je représente la loi ici et que les individus de votre espèce n’y sont pas les bienvenus. Mais vous pouvez toujours refuser. Auquel cas, j’ai une jolie petite cellule qui vous attend... et un juge qui sera ravi de vous revoir.
-Que voulez-vous dire ?" demanda le pasteur, soudain devenu blême.
Teaspoon se gratta le menton et fit quelques pas dans la pièce avant d’annoncer d’un ton badin : "Ben... il se trouve qu’on s’est permis d’envoyer quelqu’un aux renseignements à St Jo, et qu’il en est revenu avec une petite histoire tout à fait intéressante."
Le vieil homme s’arrêta et se tourna vers Flanagan pour observer sa réaction. Les mains jointes devant lui, la tête penchée sur le côté, son oeil droit à demi fermé, il continua avec un léger sourire : "Voyez-vous, il y a quelques mois, il s’est passé un événement plutôt étrange dans un village du nom de Snail Creek, pas très loin de St Jo. Un jeune homme y a été sauvagement lynché. Là où c’est étrange, c’est que jusqu’à votre arrivée là-bas, c’était un brave type, respecté de toute la communauté. Un fermier travailleur, un voisin apprécié, et qui allait se marier avec une jeune femme charmante. Et du jour au lendemain, il subit la vindicte populaire...
-Qu’ai-je à voir avec cette malheureuse affaire ?
-J’sais pas... Mais vaut p’t’êt’ mieux que vous attendiez pas que j’ai trouvé... Et quelque chose me dit que mes pt’its gars pourraient me donner des indices..."
Le révérend comprit, au sourcil haussé de Hunter, que la partie était perdue. Sans demander son reste, il enfourna ses affaires dans sa sacoche et sortit, escorté par Sam, Teaspoon, et les deux cavaliers. Quelques habitants s’étaient rassemblés devant l’église en voyant les deux hommes s’y diriger. Ils les entouraient à présent, inquiets et impatients de comprendre ce qui se passait. Le pasteur fit mine de parler, mais Sam Cain le devança, soucieux de ne pas le laisser envenimer la situation : "Une autre communauté réclame les services de notre bon révérend. C’est pourquoi il nous quitte aujourd’hui, si vite. Mais croyez bien que c’est avec regret." Puis, dans le silence qui s’était installé, il accompagna le pasteur jusqu’à sa monture que Ike s’était empressé d’aller préparer en voyant la tournure des événements. "Ne revenez jamais, menaça Sam dans un murmure. Ou alors, je vous ferai goûter de la cellule, tout homme d’église que vous soyez."

"Après tout ce qu’il a fait, on le laisse quand même partir ? demanda Lou, d’un ton amer en regardant le pasteur s’éloigner. Le voilà libre de recommencer alors qu’il mériterait le pire des châtiments.
-Cet homme ne vit que pour ce qu’il représente aux yeux des autres, soupira Teaspoon en posant une main rassurante sur son épaule. Le pire des châtiments pour lui, c’est le rejet et la solitude.
-C’est peu cher payé, murmura Jimmy.
-Il paiera sans doute un jour le prix de ses actes. Mais crois-moi, il vaut mieux ne pas être son bourreau."

Emma sortit sur le pas de la porte en entendant les chevaux. Elle plaqua en arrière une mèche de cheveux échappée de son chignon, tout en les interrogeant du regard. A son grand soulagement, tout le monde semblait aller bien. Teaspoon mit pied à terre devant la barrière du jardinet.
"Ma chère Emma, dit-il en montant les trois marches, les cavaliers à sa suite, je suis navré de vous annoncer que nous n’aurons pas d’office dimanche.
-Navré ? reprit-elle, un sourire narquois sur les lèvres. Allons Teaspoon, vous y avez toujours été contraint et forcé... Et bien tant pis. Une prière suffira.
-Alléluia ! soupira Cody.
-A propos Jimmy, reprit Emma, ne pouvant s’empêcher de sourire de la réaction de ses protégés. Tu devrais monter la voir... Elle t’a réclamé."
Le jeune homme l’interrogea du regard pour être sûr qu’il avait bien compris ce qu’elle voulait dire. Un timide sourire égaya son visage fermé et, maîtrisant son impatience, il gravit l’escalier. Les cavaliers voulurent lui emboîter le pas, mais Emma les retint :
"Allons, Fanny est sortie d’affaire, mais elle ne s’envolera pas de si tôt. Vous aurez tout le temps de la voir. Pour le moment, il lui faut du calme."
Cody esquissa un sourire entendu. Pour lui, les ennuis ne faisaient que commencer.

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