Chroniques du Poney Express


Chapitre 10 (suite)

Le dimanche suivant, malgré les protestations, toute l’équipe avait ressorti ses habits de fête pour assister à l’office. Emma avait été intraitable, et curieusement, Teaspoon l’appuyait. Même s’ils ne comprenaient pas vraiment les raisons de leurs aînés, les cavaliers s’étaient pliés à leur volonté. En ces temps difficiles, tous comprenaient la nécessité de rester soudés et de former plus que jamais une famille. Ils ne savaient pas comment les événements allaient tourner en ville, mais une chose était sûre : quoi qu’il arrive, ils auraient besoin les uns des autres. Comme le dimanche précédent, toute la ville était dans la rue et se dirigeait vers l’église dont la cloche sonnait à la volée. A première vue, rien ne semblait avoir changé. Debout devant le perron, les croisées de la veuve Halloran, toutes de gris vêtues, accueillaient les fidèles, les invitant à prendre place dans la maison de Dieu et leur remettant de petites croix à épingler au revers des vestes ou sur les corsages. Leurs visages exaltés se fermèrent en voyant approcher les cavaliers. L’une d’elle attrapa Emma par le bras et l’entraîna un peu à l’écart. Elles se connaissaient bien, puisqu’Emma avait aidé Clara Jensen à mettre son bébé au monde un an plus tôt. Elles s’étaient toujours très bien entendues, pourtant Emma ne semblait pas particulièrement à son aise, tandis que la jeune femme lui parlait avec animation en serrant contre elle sa bible. Finalement, Emma Shannon lui adressa un sourire et posa sur son bras une main rassurante avant de revenir vers les cavaliers. Elle échangea juste un regard soucieux avec Teaspoon puis monta l’escalier et entra dans l’église.

Le sermon du Révérend avait été encore pire que tout ce qu’ils avaient pu imaginer. Il s’était montré bien plus virulent que la première fois : prenant appui sur le récit des dix plaies d’Egypte, il avait exhorté les habitants de Sweetwater à extirper le péché de leur ville, par la force s’il le fallait, sous peine de subir eux aussi l’effroyable châtiment jadis envoyé aux égyptiens. Devant les terribles yeux noirs du pasteur qui lançaient des éclairs et sa puissante voix, personne n’osait prononcer le moindre mot. L’assemblée semblait sinon hypnotisée, du moins terrifiée par l’annonce des fléaux qui menaçaient de s’abattre sur la ville.
Une fois dehors, Cody laissa enfin libre court à sa colère et explosa en une litanie de jurons que, heureusement, le Révérend Flanagan n’entendit pas. Cela lui aurait sans aucun doute valu les foudres du Ciel ! Contrairement à son habitude, Emma ne le rappela pas à l’ordre. Elle noua son chapeau et les pria de rentrer au relais sans l’attendre. Comme, étonnés, les cavaliers se tournaient vers Hunter, celui-ci leur fit signe d’obéir sans discuter. Quand ils se furent suffisamment éloignés, Emma se tourna vers Teaspoon. "Allons-y", dit-elle simplement, en se dirigeant vers le bureau du marshal. A l’intérieur, Sam était déjà en grande discussion avec un Tompkins passablement énervé, lequel s’interrompit en voyant entrer les nouveaux-venus. Sam se tourna vers eux et poussa un soupir de soulagement. Teaspoon referma la porte du bureau derrière lui après avoir vérifié que personne ne faisait attention à eux. "Les garçons ? demanda Sam Cain.
-On les a renvoyés au relais, répondit Hunter.
-Quoi qu’il se passe, je ne veux pas qu’ils y soient mêlés, déclara Emma Shannon d’un ton qui ne supportait pas la moindre contradiction. D’ailleurs, je ne suis pas sûre que nous fassions pour le mieux.
-Emma, si tu n’étais pas encore convaincue, le sermon d’aujourd’hui aurait dû le faire, s’énerva Sam.
-Comment peux-tu le savoir, puisque tu n’étais pas là ? rétorqua la jeune femme du même ton agressif.
-Moi j’y étais, intervint Teaspoon. Voyez les choses en face, Emma. Cet homme est un danger pour notre communauté. Il cherche à asseoir son pouvoir sur nous par la terreur.
-C’est un homme d’église, Teaspoon ! s’offusqua la jeune femme.
-Ca n’excuse pas tout. Il se constitue la plus dangereuse des armées : une armée de fanatiques. Ces femmes sont en train d’endoctriner maris et enfants.
-Elles sont de plus en plus nombreuses, renchérit Sam. Elles ont avec elles la femme du maire, ce qui est un appui non négligeable, et elles commencent à convaincre les hommes. Et si les hommes s’y mettent, dans peu de temps, ils voudront rendre la justice eux-mêmes.
-Bientôt, Flanagan aura tout pouvoir sur cette ville, mettant en péril sa sécurité au nom d’une foi corrompue et de principes dépassés, reprit Teaspoon.
-Sans compter que cette histoire est en train de ruiner le commerce. Je ne peux plus commander certains produits et plusieurs de mes clients vont se ravitailler à Willow Creek !
-Si ça ne mettait en jeu que ta caisse, je ne m’inquièterais pas trop Tompkins, répondit Teaspoon avec un sourire en coin. Mais le problème est que les gens vont finir par tous aller se ravitailler ailleurs. Et si Tompkins met la clé sous la porte, les autres ne tarderont pas à faire pareil. Dans peu de temps, cette ville sera une ville morte.
-C’est elles qu’il faut arrêter alors, dit Emma.
-Ouvre les yeux, Emma ! s’exclama Sam. Elles font ce que Flanagan veut qu’elles fassent. C’est lui la pierre d’angle de tout ça.
-Et si on enlève cette pierre, l’édifice s’écroule", termina Teaspoon. Emma baissa les yeux en soupirant. Elle savait qu’ils avaient raison, mais elle n’admettait pas l’idée d’avoir à toucher à un pasteur. Une clameur venue de la rue la tira de ses pensées. Tous se précipitèrent dehors pour découvrir une foule rassemblée autour du saloon, brandissant des banderoles et lançant des poings rageurs vers le propriétaire qui les tenait en respect, le fusil à la main. Sam vérifia son barillet, attrapa sa carabine et s’élança vers le rassemblement. Il fendit la foule principalement constituée de femmes vêtues de noir ou de gris de la coiffe aux souliers, et de quelques hommes, et grimpa les trois marches pour se retrouver aux côtés de Lionel Chandler.
"Que se passe-t-il, ici ? demanda-t-il, poussant sa voix pour couvrir celles des manifestants.
-Ah ! Vous voilà Marshal ! s’exclama Chandler, visiblement rassuré, mais ne relevant pas son fusil pour autant.
-Cet homme est un suppôt du diable ! cria une voix de femme dans la foule.
-Et son établissement est l’antichambre du Malin ! renchérit une autre, immédiatement acclamée par l’assistance.
-Ces cinglés veulent me faire fermer mon établissement, expliqua Chandler. Ils me menacent d’entrer et tout casser chez moi si je refuse !
-Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Sam, s’adressant à la foule. Lionel Chandler est un citoyen respecté dans cette ville. Il n’a jamais fait de mal à aucun de vous...
-Cet homme est un envoyé de Satan", s’exclama une femme en se frayant un chemin à travers la foule pour venir se placer devant les marches. Sam reconnut sans surprise la veuve Halloran. Elle le fusillait de son petit regard perçant, les lèvres pincées, bien décidée à ne pas lâcher un pouce de terrain. "Son antre est un lieu de débauche et de perdition. Il y attire nos jeunes gens, les livre au jeu, à la boisson et à la luxure avant de les offrir à son Maître !
-Ecoutez madame Halloran. Je suis d’accord, un saloon n’est pas forcément un endroit fréquentable. Mais ça ne vous donne pas le droit d’y entrer pour tout casser, ni de le faire fermer. Le seul qui ait ce pouvoir ici, c’est moi.
-Alors faites votre devoir, marshal. Sinon, nous trouverons quelqu’un de plus apte que vous pour exercer ce poste.
-Et qui ? s’écria Sam, contenant avec peine sa colère. Connaissez-vous ici quelqu’un qui aura assez de cran pour occuper cette place ? Quelqu’un qui sera capable de vous défendre contre les prochains pilleurs de banque qui s’en prendront à la nôtre ? Ou les prochains voleurs de bétail ? Ou le prochain criminel qui voudrait trouver refuge ici ? Combien d’entre vous ont eu le courage de me suivre dans l’une de mes expéditions ? Je ne vous le reproche pas. Vous avez tous des familles et des terres à défendre. C’est normal. Mais ce que vous n’avez pas fait alors, qui le fera maintenant ? Lequel d’entre vous ? Toi, Bennett ? Strattenmeyer ? O’Reilly ?... A moins que ce ne soit votre cher pasteur... Peut-être est-ce à lui que vous voulez confier la sécurité de votre ville ? Dans ce cas, je lui laisserai la place. Mais pourtant l’instant, je suis toujours marshal. Et en tant que tel, je vous interdis d’approcher de ce saloon. Celui qui y contreviendra risque fort de se retrouver derrière des barreaux. Maintenant, rentrez chez vous ! Je ne veux plus vous voir dans les rues."
Un léger murmure parcourut la foule qui hésita un instant puis commença à se disperser. La veuve Halloran resta pourtant plantée face à Sam, indifférente aux mouvements autour d’elle. "Profitez de ce petit instant de gloire, marshal. Il est éphémère. Vous avez voulu discréditer notre bien-aimé Révérend. Mais on ne parle pas ainsi d’un homme dévoué à notre Seigneur. Craignez le châtiment de Dieu." Elle lui tourna le dos et s’éloigna à son tour.

Les cavaliers ignoraient tout de ce qui s’était passé en ville, Emma et Teaspoon étant restés très discrets sur les raisons qui les y avaient retenus. Mais à vrai dire, ils avaient décidé de ne plus y penser. Il faisait un temps magnifique pour un mois de novembre. Le soleil brillait dans un ciel sans nuages et la température s’était radoucie. Ike faisait travailler un nouveau cheval et Fanny l’observait, assise sur la barrière du corral.
"Alors, comment il s’en sort ? demanda une voix derrière elle.
-A merveille, répondit la jeune fille sans quitter Ike des yeux. Il a un don avec les chevaux. Comme avec les enfants d’ailleurs."
Jimmy s’accouda à la barrière pour observer le cavalier qui venait de mettre le petit cheval au galop et finit par se lancer : "Fanny, faudrait que je te parle.
-Je t’écoute.
-C’est... à propos de ce qui s’est passé à Fort Monroe", répondit-il, légèrement gêné, en jetant un regard furtif alentours. La jeune fille baissa les yeux vers lui, intriguée, puis elle sauta de la barrière : "Il fait un temps superbe. Si on allait faire un tour du côté de la rivière ?" Jimmy acquiesça, trop heureux que ce soit si facile. Il avait souvent essayé d’imaginer sa réaction, persuadé qu’elle allait se braquer ou esquiver. En fin de compte, ça ne s’annonçait pas trop mal. Fanny semblait sereine, comme s’il ne s’agissait que d’une balade ordinaire, alors que lui était dans un état de nervosité difficilement imaginable. Il avait l’impression que son avenir se jouait sur la discussion qu’ils allaient avoir. Et elle ne semblait même pas s’en rendre compte. En arrivant sur les berges de la Sweetwater, ils mirent pied à terre. Ils laissèrent les chevaux boire dans l’eau claire et glacée, puis se mirent en marche, côte à côte, tenant les chevaux du bout des rênes. Jimmy l’observa une bonne minute avant d’oser rompre le silence.
"Tu ne coupes plus tes cheveux ? demanda-t-il, étonné de les voir atteindre bientôt le bas de sa nuque.
-Non... Si tu avais vu la tête de ma mère quand elle s’est aperçue que je les avais coupés... Ca lui a fait de la peine. Et puis, je crois qu’ils me manquaient. C’est plutôt paradoxal de ma part, non ? finit-elle par dire, avec un sourire malicieux.
-Ca te va bien.
-Merci... Alors, que voulais-tu me dire ?"
Jimmy hésita de nouveau. Ce n’était décidément pas facile. Mais il fallait qu’il sache. N’osant la regarder en face, il laissa ses yeux voilés errer sur la ligne d’horizon puis les baissa de nouveau vers ses rênes qu’il tortillait de ses doigts fébriles. "Fanny, tu regrettes ce qui s’est passé ?"
La jeune fille s’arrêta, surprise, et se tourna vers lui pour le regarder. "Pourquoi ?
-Depuis qu’on est rentrés, tu es comme avant, toujours un peu distante... comme s’il ne s’était rien passé. Alors j’ai pensé que peut-être tu regrettais. Ou que tu n’avais fait ça que pour... me souhaiter bonne chance."
Fanny ne répondit pas immédiatement. Elle pensait que son geste aurait suffi à lui faire comprendre. Elle avait aimé ce contact, elle avait aimé le sentir si proche d’elle, même si elle ne l’avait pas dit. Pourtant, une fois de plus, elle avait échoué. Il n’avait pas compris. Son satané sang-froid avait repris le dessus et anéanti ses efforts. Elle jura intérieurement. Il fallait vraiment qu’elle apprenne à exprimer ses sentiments.
"Tu crois que je t’aurais embrassé si tu n’avais pas été important pour moi ? demanda-t-elle soudain en le regardant dans les yeux.
-Non, mais..." Cette fois, ce fut lui qui ne put soutenir son regard.
"Mais ?
-Après ce qui s’est passé, j’espérais que tu serais... différente. Je crois que j’ai... que j’ai besoin de croire que je représente quelque chose pour toi. J’ai besoin de ta présence, de ton regard. J’ai besoin de t’approcher, de te serrer contre moi... de t’embrasser.", termina-t-il dans un murmure. La jeune fille ne broncha pas. Ses yeux limpides fixés sur lui ne reflétaient aucune colère, aucune indignation, aucune ironie. Mais au contraire une grande confiance, de la sincérité et de la loyauté. Elle ne cherchait plus à déguiser ou dissimuler. Cette fois, il pouvait déchiffrer ce qu’il voyait. Elle attendait, simplement... S’il devait se noyer un jour, il espérait que ce serait là, dans ce regard d’un vert si profond. Lentement, il se pencha vers elle et effleura de ses lèvres celles de la jeune fille. Comme elle ne reculait pas, il s’enhardit. Sans la moindre hésitation, elle lui rendit son baiser. Elle laissa échapper les rênes de Black et posa les mains sur sa nuque, pendant qu’il entourait sa taille de ses bras. Ils restèrent ainsi une longue minute, savourant ce baiser, le premier véritable qu’ils échangeaient, parfaitement conscients tous les deux de ce qui était en train de se passer. Quand il s’écarta, il la vit rouvrir les yeux et constata avec bonheur qu’elle lui souriait. Ce sourire lumineux la transfigurait, laissant enfin apparaître sa véritable nature.
"Tu sais Jimmy, je m’en veux de ne pas t’avoir parlé de ça plus tôt. J’aurais dû voir que ça te faisait du mal. Mais je crois que je ne sais pas encore comment m’y prendre. J’étais tellement inquiète à l’idée que les autres se doutent de quelque chose... Tu comprends, je ne veux pas que ça puisse changer quelque chose au relais ou entre nous...
-Mais ça a déjà tout changé, Fanny", l’interrompit-il avant de prendre de nouveau ses lèvres. Elle se laissa enfermer dans ses bras et s’abandonna contre lui en fermant les yeux.

"Misérables !"
Les jeunes gens sursautèrent de surprise et, confus, se séparèrent instantanément pour voir celui qui venait de les surprendre en si délicate posture.
"Ainsi donc je ne m’étais pas trompé ! gronda le révérend Flanagan en sortant d’un bosquet, les fusillant de son regard de braise, un doigt accusateur pointé vers eux. Sous ces vêtements d’homme se cachait bien la Tentatrice, le Démon incarné, l’Eve chassée de l’Eden. Et toi, homme de peu de foi, tu t’es laissé berner. Séduire par cette Jézabel ! Tremblez pauvres pécheurs, repentez-vous, fils d’Hérode, et prosternez-vous devant Notre Seigneur. Craignez la colère Divine ! Car le Feu du Ciel s’abattra sur vous pour extirper vos péchés de cette chair impure !"

Les yeux du pasteur lançaient des éclairs, tandis que sa voix enflait jusqu’à emplir tout l’espace, comme si elle dominait toute chose. Même le chant des oiseaux et le murmure de la rivière s’étaient tus. Médusés, Jimmy et Fanny le regardaient avancer vers eux, menaçant, effrayant. Imperceptiblement, ils reculaient à chaque nouvel assaut. Quand ils tentèrent de s’expliquer, Flanagan les coupa aussitôt et tonna, en se tournant vers la jeune fille : "Tais-toi, mauvaise femme ! Femme impure dévoyée par Satan, vois le châtiment qui t’es réservé ! Toi qui es de la lignée de Dalila, Lilith et Bethsabée, tu devras laver ton péché dans la douleur. Implore le pardon de Ton Seigneur et accepte la souffrance, car comme la femme adultère, la pécheresse sera lapidée !"
Sur ce, il se baissa prestement pour ramasser des pierres. Instinctivement, Fanny fit un pas en arrière, pendant que Jimmy tentait vainement de le raisonner. La première pierre manqua de peu sa cible.
"Hé ! Mais vous êtes fou ? Qu’est-ce que vous faites ? s’écria Jimmy horrifié.
-Laisse Jimmy, dit Fanny en agrippant son bras. Allons-nous en." Une pierre atteignit soudain la jeune fille au bras. Elle étouffa une exclamation et lâcha son ami.
"Je lui donnerai pas ce plaisir ! protesta Hickok en portant la main à son étui.
-Non, ne fais pas ça ! le supplia Fanny en se protégeant tant bien que mal de ses bras, tandis que la pluie de pierres et les menaces redoublaient. C’est un pasteur. On ne peut pas."
Il savait qu’elle avait raison. Mais Jimmy hésitait toujours. Il rageait de se sentir les mains liées. Les événements décidèrent pour lui quand, tout à coup, une pierre atteignit Fanny à la tempe. Sonnée, la jeune fille fit un pas en arrière, trébucha et tomba à genoux. Jimmy se précipita vers elle pour la soutenir. Il écarta d’une main les cheveux qui masquaient son visage : du sang coulait de la blessure. La tête lui tournait, les images s’embrouillaient, elle s’affaissa de nouveau. Une nouvelle pierre la toucha à la tête. C’en fut trop pour le cavalier. Dégainant d’une main, serrant contre lui sa camarade sur le point de s’évanouir, il mit l’agresseur en joue. Un rictus fendit la barbe noire.
"Ah ! Caïn se dévoile enfin. Qu’attends-tu ? Tue-moi. Je ne crains pas la mort. Ma vie n’a pas d’importance. Mon Seigneur m’attend. Mais toi, que sera ta vie ? Fuite et remords. Seulement, tu ne pourras pas te cacher à Son regard. Il te poursuivra de Sa vengeance. Plus jamais tu n’auras de répit. Jusque dans la tombe, tu seras maudit. Et bien qu’attends-tu ? Tire !" Déstabilisé par une telle assurance proche de la folie, Jimmy hésita. Il sentait Fanny faiblir à ses côtés. Ses paroles étaient maintenant incompréhensibles. Elle était plus importante que lui. Il fallait à tout prix qu’il la ramène au relais. Il serait toujours temps de faire payer cet homme. Peu importe qu’il soit homme de Dieu. Il ne l’emporterait pas au paradis. Tenant le pasteur en joue, Jimmy recula vers les chevaux. Il hissa Fanny sur le palomino, puis il rengaina rapidement, se mit en selle d’un bond et lança sa monture au galop d’un cri rageur pendant que le pasteur leur lançait ses dernières munitions. En jetant un coup d’oeil en arrière, Jimmy vit que Black leur avait emboîté le pas et galopait maintenant dans leur sillage. Il serra contre lui la jeune fille maintenant inconsciente et talonna son cheval.

"Je ne peux pas faire grand-chose de plus. Il ne reste qu’à attendre qu’elle reprenne connaissance. -Vous pensez que ça ira ?" demanda Emma, visiblement inquiète. Le docteur soupira en rangeant ses instruments et regarda sa patiente étendue entre les draps blancs, la tête bandée et les yeux clos. Sa respiration était régulière, mais...
"Elle a quelques hématomes, mais heureusement rien de cassé. Elle est de bonne constitution, ce qui l’aidera à récupérer rapidement...
-Si elle reprend conscience, c’est bien ce que vous voulez dire ?
-Le choc a été très violent, madame Shannon. Et fort mal placé. Le fait qu’elle ait perdu connaissance n’est pas rassurant. Nous devons être à l’affût de la moindre évolution.
-Vous pensez qu’elle pourrait ne pas revenir à elle ?" demanda timidement Lou.
Le regard que lui adressa le médecin valait toutes les réponses. Rompant l’immobilité des cavaliers sous le choc, Jimmy sortit de la pièce et dévala l’escalier. Kid et Cody échangèrent un regard. Dans son état, il était capable de n’importe quoi. Mieux valait qu’il ne reste pas seul. Les garçons sortirent à leur tour. Quand ils entrèrent dans la pièce commune, ils comprirent que leurs craintes ne pouvaient être plus justifiées : Jimmy avait bouclé son deuxième ceinturon et vérifiait soigneusement le barillet de ses colts.
"Qu’est-ce que tu comptes faire ? demanda Cody en s’asseyant sur le banc.
-Ca ne te regarde pas, Cody, répondit l’intéressé sans se détourner de sa tâche.
-Tu te trompes, Jimmy, intervint Kid. On est tous concernés.
-Tu veux un bon conseil, Kid ? Te mêles pas de ça.
-Je vais pas te laisser faire une bêtise.
-Une bêtise ? demanda Hickok en levant les yeux. Je ne laisserai pas ce fou furieux continuer à nous détruire. Je vais faire ce que les gens de cette ville auraient dû faire depuis longtemps ! A commencer par Teaspoon ! D’ailleurs où est-il ? Fanny est gravement blessée, et lui il disparaît. Après tous ses petits discours sur la famille, j’attendais un peu plus de lui !
-Tu dis ça parce que t’es en colère, soupira Cody.
-Evidemment que je suis en colère ! fulmina Jimmy. Notre amie... TON amie est là-haut, inconsciente, et on ne sait pas si elle s’en sortira. Et tu voudrais que je reste là à ne rien faire pendant que le responsable continue tranquillement de prendre possession de cette ville ?" Voyant que ses amis ne répondaient pas, Hickok en profita et s’élança vers la porte. Mais Kid et Cody furent plus rapides. Avant qu’il atteigne la poignée, ils lui sautèrent dessus et le plaquèrent au sol, face contre terre. Ils réussirent non sans difficulté à l’immobiliser et Cody jeta les colts à l’autre bout de la pièce.
"Maintenant, tu vas nous écouter, espèce de tête de mule, dit Kid en lui maintenant les bras dans le dos. On est tous d’accord : il faut se débarrasser de ce pasteur. Mais il faut le faire intelligemment et en douceur.
-Tu comptes lui demander gentiment d’aller prêcher ailleurs ? ironisa Jimmy, les dents serrées, en essayant une nouvelle fois de se dégager.
-On va déjà éviter de lui mettre une balle entre les deux yeux. Ca en ferait un martyre et on aurait toute la ville sur le dos... Si tu nous promets de te tenir tranquille et d’écouter, on te lâche." Cody adressa un regard peu convaincu au Kid. Jimmy ? Se tenir tranquille ? La probabilité était encore plus faible que de voir un jour Teaspoon entrer dans les ordres. Il s’attendait plutôt à un retour de flamme. Pourtant, après quelques minutes, Jimmy acquiesça.

Suite

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