Cal

Chapitre 4
J’ai fait ma première course. C’était merveilleux! Pourtant, il ne
s’est rien passé de particulier. Mais, j’ai réussi. J’ai su le faire. Je
suis aussi fort que les autres cavaliers! Et je vaux autant que Monsieur
Hickok, alors la prochaine fois qu’il me regarde de haut comme si je
n’étais rien à côté de lui, il va voir. Je vais lui mettre la raclée de sa
vie! J’aurais presque envie de chanter!
Je raconte à Cody ma course. Ca le fait rire, mais maintenant je
sais qu’il ne se moque pas de moi. Je crois que j’ai appris aussi ici à
comprendre les humeurs des gens qui m’entourent.
Teaspoon entre, l’air revêche, suivi de Rachel. Il m’attrape par
le bras, me fait sortir du dortoir et me regarde droit dans les yeux.
"Tu vas m’expliquer tout de suite. On vient de m’apprendre que l’on a
retrouvé à Fort Laramie un vieux trappeur français du nom de Yves
d’Asselin. Ce même nom qui est inscrit dans ton livre. On lui avait tiré
une balle dans le coeur. Ca s’est passé il y a un mois. Et le shérif qui
m’en a parlé m’a aussi dit que lorsqu’on a trouvé son cadavre, plusieurs
hommes ont vu s’échapper un jeune garçon dont la description correspond
tout à fait à toi. Alors j’attends... Je veux une explication."
Je me retourne, vieux, je veux pas qu’il voit que je pleure.
Mais je crois que Teaspoon sent ces choses-là. Il m'a juste dit que je n’ai
rien à craindre mais qu’il faut que je lui parle.
Je lui réponds que c’est difficile d’une voix que je voudrais
ferme mais qui ne l’est pas du tout. Il pose sa main sur mon épaule, et me
dit que j’ai tout mon temps. Et là je fonds en larmes, pire que des chutes
d’eau. Je déverse tout ce que je contiens depuis un mois. Ca fait beaucoup
tu sais, vieux, mais je viens de m’apercevoir que tu es vraiment mort.
Je ne me souviens plus du tout ce qui s’est passé ensuite mais
je viens de me réveiller dans mon lit et il fait nuit. Je suis seul. J’ai
comme une plaie au coeur, tu m’as abandonné vieux, je me souviens
maintenant. J’ai mal, vieux, et t’es pas là pour me consoler. C’est
injuste. Je n’avais que toi.
Je me suis levé, je suis sorti du dortoir. Ils étaient tous dehors
à parler. Je me suis retourné pour ne pas les voir. Et je t’ai hurlé,
vieux, tous mes reproches, tout ce que j’avais sur le coeur.
"J’aime mes yeux, je crois que c’est ce qu’il y a de mieux chez
moi. Même si j’aurais préféré qu’ils soient bleus comme les tiens, vieux.
J’aurais voulu te ressembler, être de ta famille. Avoir une tâche de
naissance sous le genou et les cheveux de la même couleur que toi, blond
foncé avant d’être gris. Mais je n’ai rien de tout ça. Ton sang ne coule
pas dans mes veines. J’aurais aimé, mais non. D’autres sont orphelins et
n’ont pas connu leurs parents. Mais moi, non. Je ne suis né de personne,
j’ai pas de date de naissance non plus. D’ailleurs je ne suis même pas né
du tout. Je suis apparu entre un chêne renversé et un buisson de mûres, sur
la terre et les herbes folles, nu comme un ver et c’est là que tu m’as
trouvé. Aucun signe d’avoir jamais vu un être humain avant toi. Sans
bagages ni parents, j’ai été jeté là par le Saint Père, peut-être une erreur
mais qu’il a oublié de réparer, me voilà échoué dans tes bras...
J’ai vécu quatorze années, sans les voir passer près de toi,
vieux. Tu m’as appris, tu m’as félicité, tu m’as disputé mais tu ne m’as
jamais frappé. Tu étais si gentil avec moi alors que tu ne me devais rien. Et
que moi je te dois tant. Chasser, pêcher, tirer avec un fusil ou un
pistolet, faire du feu, la cuisine, chanter des chansons, un peu lire, un
peu écrire, coudre, faire du commerce et parler, en plus de l’anglais, ta
langue natale le français. Tu savais faire tout ça et maintenant moi aussi.
Mais je n’ai pas compris pourquoi, un jour d’été, t’as décidé de tout
quitter. T’as plus voulu être un trappeur, t’as décidé de tout descendre
en ville. Et tu t’es fait descendre."
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