Un seul être vous manque

Partie 2

Lou rejoignit Buck, accoudé à la barrière du corral. Le départ précipité de Cody et Sara, la gifle de Jimmy, avait changé le cours de leur repas. Jimmy avait fui, et Buck aussi. Et Lou ne voulait pas laisser son ami se morfondre. Elle avait compris que Sara était la demoiselle qu’il avait croisé et qui lui avait fait tant d’effet. Il avait dû souffrir de la voir avec Cody !
- Alors, c’était elle ?
Il hocha la tête ;
- Tu vois, j’ai jamais de chance ; Cody est passé devant moi.
- Ca ne veut rien dire… Elle a été gentille avec toi. Elle se souvenait de toi…
Buck haussa les épaules ;
- C’est pas grave, Lou. J’aimerais être seul, si ça ne te dérange pas !
- Non. Pas du tout.
Lou retourna dans la maison où seuls Teaspoon, Kid et Ike étaient restés. Ils s’arrêtèrent net de parler quand elle entra. Elle ouvrit de grands yeux ;
- Qu’est-ce qu’il y a ? Vous savez il ne faut pas vous déranger pour moi ! Si vous la trouvez jolie, dites-le !
Teaspoon se racla la gorge ;
- Ben, si tu nous autorises à livrer le fond de notre pensée… Ben, oui… Elle est très jolie. Ca c’est quelque chose cette Sara que nous a dégoté Cody. Du charme, un sourire ensorcelant, des manières aussi légères que les ailes d’un papillon, une douceur qu’aucun miel ne pourrait égaler…
Ike fit quelques gestes. Lou fronça les sourcils et se tourna vers Kid ;
- Teaspoon a donné son avis, Buck est conquis, Ike aussi dirait-on, et toi ?
Kid se sentit comme pris au piège. Il rit gêné ;
- Ben… Je dois avouer que Cody a beaucoup de chance…
Le regard de Lou fit penser au Kid qu’il avait dit une bêtise. Elle répéta ;
- Il a beaucoup de chance !
Il se justifia ;
- Oui. Sara est…
- Sara… Tu l’appelles déjà par son prénom !
Kid se mit à rire ;
- Allons, Lou, ne sois pas jalouse. Je voulais seulement dire que Sara était très jolie, et que j’étais heureux pour Cody qu’il ait enfin trouvé quelqu’un de bien !
Lou redressa la tête fière ;
- Tu es content pour lui, alors ! C’est facile, ça ! Tu la trouves jolie, et si tu avais pu, tu aurais été le premier à l’accueillir à la sortie de la diligence ! Je trouve ça scandalisant, que dès qu’une femme a une belle chevelure et un jolie robe, vous soyez tous à ses pieds ! Tous autant que vous êtes !
Et Lou quitta la maison, laissant ses amis surpris de sa réaction. Ike et Teaspoon éclatèrent de rire, et Kid déclara en regardant Ike ;
- Tu as raison Ike, je crois que je vais devoir éviter Sara le temps qu’elle reste en ville !

Cody revint à la nuit était noire. Il était furieux. Furieux qu’une fois encore, Hickok ait gâché sa soirée. C’était toujours ainsi ! Il fallait que Hickok se fasse remarquer, qu’il vole la vedette. Cette soirée avec Sara devait être "sa" soirée, et il ne savait par quel mystère, il avait raccompagné la jeune fille qui n’avait plus en tête que Jimmy. Oh ! C’est sûr, c’était son ami ! Il aimait bien Jimmy, mais il avait toujours le don d’être dans des situations impossibles. Il connaissait Sara, mais la jeune fille était restée muette sur les raisons de son geste. Jimmy avait encore trop d’ombres qui planaient sur sa vie. Qu’avait-il donc pu faire à Sara ? Il ne lui aurait pas fait de mal, Jimmy ne s’en prenait jamais aux femmes ! Avait-il tué un membre de la famille de Sara ? Il en aurait le cœur net ! Cody s’apprêtait à rentrer demander des comptes à Hickok quand il entendit ;
- Je t’attendais.
Jimmy était assis sur le pas de la porte et nettoyait ses armes. Il faisait toujours ça quand il était préoccupé. Cody croisa les bras, et demanda froidement ;
- Tu m’expliques ?
Jimmy leva à peine les yeux ;
- Elle ne l’a pas fait ?
- Non. Elle est restée muette jusqu’à la porte de l’hôtel. Alors ?
Hickok secoua la tête ;
- Si elle n’a pas jugé bon de t’en parler, ce n’est pas moi qui le ferai !
Et il se leva. Cody le rattrapa par un bras ;
- Tu ne vas pas t’en tirer comme ça ! Tu as gâché mon rendez-vous avec Sara ! Alors, tu me dois des explications !
Jimmy se dégagea de l’étreinte de Cody ;
- Je suis vraiment désolé pour ta soirée ! Sincèrement ! Mais je n’ai aucune explication à te donner !
Cody devint menaçant, il ne supportait pas que Hickok ait le dernier mot et le laisse ainsi dans le doute ;
- Ne m’oblige pas…
Hickok le coupa ;
- T’obliger à quoi ? A te battre ! Cody, tu sais très bien que je ne me battrai pas avec toi ! Ta soirée n’est que partie remise ; il y en aura d’autres ! Le sujet est clos !
Et Jimmy alla vers l’écurie ;
- Où tu vas ?
Il sella son cheval sans répondre, et partit dans la nuit noire.

Devant l’hôtel, un cavalier avait arrêté sa monture, et avait le regard sur les chambres de la bâtisse. Il observait la lumière et les ombres qui se dessinaient. Jimmy cherchait à apercevoir l’ombre chinoise de Sara. Soudain, il vit la silhouette de la jeune femme se dessiner ; il retint sa respiration. Il regardait la longue chevelure onduler, les courbes du corps ; il devinait ses yeux, son visage… C’est alors que Sara parut à la fenêtre. Elle posa son regard sur Jimmy. Leurs regards se croisaient sans pouvoir se détacher l’un de l’autre. C’est Sara qui mit fin à cet échange nocturne ; elle claqua la fenêtre. Et instinctivement, Jimmy porta la main à sa joue qui le brûlait encore. Il fit faire demi-tour à son cheval.

Teaspoon et Rachel étaient seuls dans la maison. Rachel se berçait doucement dans son fauteuil ; elle murmura ;
- Etrange soirée !
Teaspoon opina ;
- C’était déjà étrange que Cody nous présente quelqu’un mais la tournure que ça a pris l’a rendue encore plus surprenante ! Tu as eu des explications de Jimmy ?
Rachel hocha la tête ;
- Pas vraiment. Quand Jimmy veut cacher quelque chose, on ne peut pas le lui tirer de force. Tout ce que je sais, c’est qu’il connaît Sara !
- Ah ! Là ! Là ! Ce garçon nous révélera bien des surprises !
- Je crois qu’il a beaucoup de secrets au fond de lui. Des secrets trop lourds !
- Que veux-tu qu’on y fasse, Rachel !
- L’aider ! Le délivrer !
Teaspoon sourit ;
- Oui, ce serait possible avec n’importe lequel de nos garçons, mais pas avec Jimmy Hickok ! Pas avec ce qu’il a vécu ! Il a trop pris sur lui, il s’est trop endurci ! Mais… il faut espérer que cette gifle, magnifique dois-je remarquer, n’est peut-être due qu’à une querelle d’amoureux ! Peut-être que Jimmy lui a compté fleurette avant de la laisser tomber !
- J’espère ! souffla Rachel, se souvenant de sa conversation avec Hickok. "Je l’ai abandonnée."

Le lendemain, Teaspoon rangeait un peu sa paperasse dans son office, quand on frappa. Il vit Sara à sa porte ;
- Mademoiselle, mais entrez !
Ah ! Elle était très jolie !
- Bonjour, je venais pour m’excuser pour hier soir. Vous m’avez bien accueillie et…
- Allons, c’est oublié !
- Et…
- Oui ?
- Je voulais vous demander de dire à James Hickok d’éviter de venir m’espionner par mes fenêtres la nuit.
- Il a fait ça ! Teaspoon n’en revenait pas.
- La nuit dernière.
- Je lui dirai.
- Merci. Bonne journée.
Et Sara quitta le bureau, laissant Teaspoon tellement sous le charme, qu’il n’avait pas eu le réflexe de demander ce qu’il y avait entre elle et Jimmy. Après tout, cela les regardait ! Mais il faudrait qu’il tire au clair cette histoire d’espionnage. Ce n’était pas l’habitude de Hickok d’aller espionner les jeunes filles, la nuit, mais bon… il avait déjà réservé tellement de surprises !

Jimmy était venu en ville avec l’espoir d’apercevoir Sara, et comme un ange qui tombe du ciel, il la vit là, qui traversait la rue. Au milieu de la foule, elle rayonnait ! Jimmy ne voyait plus qu’elle. Il comprenait pourquoi Cody avait été conquis. Il sauta allègrement de son cheval, et vint à son rencontre ;
- Sara !
Elle se retourna, et son visage se ferma ;
- Laisse-moi tranquille !
Et elle fit volte-face. Jimmy ne voulut pas se satisfaire de cette réponse ;
- Sara ! Écoute-moi !
- Ne m’approche pas !
- Sara, il faut qu’on parle…
Sara le dévisagea ; elle avait du mal à retrouver dans le visage impassible de cet homme le Jimmy qu’elle connaissait. Pourtant, elle le trouvait beau, avec son regard dur, ses cheveux un peu trop longs, et ses yeux posés sur elle… Mais il lui avait fait trop de mal ! Elle le repoussa ;
- J’aurais préféré te savoir mort !
- C’est pas vrai ! Tu peux pas dire ça !
- Laisse-moi !
C’est là que Cody surgit aux côtés de Sara et qu’il s’en prit à Jimmy ;
- Je crois qu’elle a été claire, Jimmy. Laisse-la !
Hickok leva les yeux au ciel ;
- Ne te mêle pas de ça Cody !
- Oh que si, je vais m’en mêler ! Je n’aime pas qu’on importune les dames !
Sara intervint ;
- William, laissez !
- Non, Sara. Je n’apprécie pas que Jimmy vous harcèle !
Sara poussa un gros soupir, et s’éloigna sans leur accorder un regard. Jimmy fit un geste vers elle, mais Cody le retint ;
- Maintenant, ça suffit, Jimmy. Tu me dis ce qu’il y a ou…
Jimmy se défit de son étreinte d’un geste brusque et courut vers Sara. Cody sentit la colère lui monter au nez. Une fois encore, Jimmy le repoussait. Cody courut, sauta sur son ami et le terrassa ;
- Je t’ai dit de la laisser tranquille !
Jimmy fut surpris de cette attaque, mais ses vieux réflexes refirent surface, et il assena un violent coup de poings dans le menton de son ami.
- Excuse-moi, Cody. Je t’avais dit que je ne voulais pas me battre avec toi, mais tu l’as cherché !
Et il laissa Cody dans la poussière alors qu’il courait après la jeune fille ;
- Sara !
Alors, il ne sut d’où cela venait, mais la jeune fille tira une arme et la pointa sur lui ;
- Ne m’approche pas !
Jimmy s’arrêta brusquement. Il n’avait habituellement pas peur des armes, mais là , il savait qu’elle pouvait tirer sur lui. Il dit doucement ;
- Sara, laisse-moi t’expliquer !
Sara serrait son arme fort, elle en tremblait presque, Jimmy voyait ses yeux se perler de larmes ;
- Pas un mot, ou je tire ! Je ne veux plus que tu m’approches, je ne veux plus croiser ton regard, je ne veux plus que tu me parles…
- Alors, tire ! Qu’est-ce que tu attends ? Tu as dit que tu préférais me voir mort, je dois t’avouer que je préférerais mourir par toi que par n’importe qui d’autre ! Alors ?
Cody s’était relevé. Il voyait que la situation s’envenimait, et que Jimmy, quoiqu’il ait fait était en mauvaise posture. Il n’avait qu’une chose à faire. Il courut chercher Teaspoon. Il arriva alors que Sara armait le revolver ;
- Qu’est-ce qui se passe ici ? Jimmy ?
Hickok resta silencieux, ne quittant pas du regard la jeune fille. Teaspoon soupira. Hickok et ses secrets ! Il se tourna vers Sara ;
- Mademoiselle, pourquoi pointez-vous cette arme sur ce garçon ?
- Il le sait très bien, lui !
La voix de Sara était brisée, les larmes commençaient à couler. Jimmy eut un geste vers elle, mais il fut arrêté par l’arme. Teaspoon les considérait tous les deux. Une jeune fille ravissante, les larmes aux yeux, et tant de douleurs dans son regard, et Jimmy, ce garçon qu’il croyait connaître et qui le surprenait à chaque fois, Jimmy et son visage impassible, qui à cet instant exprimait tant de compassion pour la jeune fille, un regard qui demandait pardon. Teaspoon prit une voix douce ;
- D’accord, mais quoiqu’il ait fait, nous allons régler ça ailleurs que dans la rue. Donnez-moi votre arme !
Jimmy n’avait pas bronché ; seul son regard cherchait une réponse, un pardon, et celui de Sara se mit à le fuir. Aucun d’eux n’avait pris conscience qu’un attroupement s’était formé autour d’eux. Teaspoon retira l’arme de la main de Sara ;
- Venez dans mon bureau, tous les deux !
Ils le suivirent sans protester. Il installa Sara dans le fauteuil et s’assit sur le bureau. Jimmy resta en retrait près de la porte. Teaspoon commença ;
- Alors ?
Sara s’exprima avec colère ;
- Il le sait, lui ! Il sait ce qu’il m’a fait !
- Jimmy ?
Il fit un geste de la main. Teaspoon comprit qu’il ne dirait rien. Il soupira ;
- Bon, y’a-t-il un moyen pour que vous n’en veniez plus aux mains, et pour que vous ne le menaciez plus ?
Jimmy s’avança ;
- Si c’est des excuses que tu veux, Sara, je te les fais de tout cœur ! Je ne peux rien faire d’autre !
- Tu as raison, c’est trop tard ! Et ce n’est pas des excuses que je veux !
Ils se regardaient calmes, enfin. Jimmy lui répondit ;
- Mais c’est tout ce que je peux t’offrir ! Je n’ai pas le pouvoir de changer le cours des choses !
- Ce n’est pas assez ! Tu as fait de ma vie un enfer !
- Je crois que la mienne n’a pas été mieux !
Teaspoon intervint ;
- Vous pouvez m’expliquer ?
Jimmy secoua la tête ;
- C’est entre elle et moi. Et c’est le passé ! Le passé ne vaut pas toujours la peine qu’on s’arrête dessus !
Il sortit du bureau sans attendre la permission de Teaspoon. Ce dernier demeura seul avec Sara. Il se rengorgea ;
- Je dois avouer que je vous trouve charmante, Mademoiselle. Mais je ne pensais pas que vous nous créeriez ce genre de problème. Brandir une arme ainsi en pleine rue ! Vous auriez pu vous blesser et blesser quelqu’un d’autre. De plus, c’est illégal ! Alors, donnez-moi une bonne raison à votre acte ou je ne vous laisse pas partir !
- C’est un criminel !
Teaspoon se gratta le menton ;
- J’ai souvent entendu ça au sujet de Jimmy, et avec l’expérience j’ai appris à ne pas y ajouter foi. A moins que vous m’en apportiez la preuve. Qu’a-t-il fait ?
Sara se mit sur la défensive ;
- C’est entre lui et moi ! répondit-elle obstinée.
Teaspoon s’énerva ;
- D’accord ! Filez ! Mais je vous préviens, si vous recréez une esclandre, je ne me soucierai pas du fait que vous soyez jolie, et je vous colle en cellule ! Je ne saurais que vous conseiller d’éviter Jimmy, et même Cody, avant que vous ne créiez une guerre civile. Et l’arme, je la garde !
Il l’escorta jusqu’à la sortie. Jimmy attendait sur le pas de la porte. Leurs regards se croisèrent, et elle s’éclipsa. Teaspoon resta près de Jimmy sur le seuil, pour une fois, ce dernier prit la parole ;
- Qu’est-ce qu’elle a dit ?
- Que tu étais un criminel ! répondit Teaspoon, comme s’il s’était agi d’une évidence.
- Et vous la croyez ?
- Jimmy, mon garçon, te concernant, j’ai appris à ne pas écouter ce qu’on pouvait raconter ! J’attends que tu avoues toi-même. Je sais que tu ne me mentiras pas.
Jimmy avait retiré son chapeau et il semblait l’étudier durant de longues secondes, enfin il le remit brusquement ;
- Non, c’est trop tôt encore, pour que je raconte le passé!
- Pourquoi t’excusais-tu ?
- Je… Je vous le dirai… Mais pas là…, pas comme ça !
- Comme tu veux. Mais évite-la ! Elle n’a pas l’air très heureuse de te voir, et cela rend Cody fou de rage. Alors, évite-la.
Jimmy hocha la tête ;
- Oui, je crois que c’est ce qu’il y a de mieux à faire !
- Quelle idée aussi as-tu eu d’aller l’espionner la nuit dernière ?
Un léger sourire naquit sur les lèvres de Jimmy ;
- Elle est belle, non ?
- Ah ! Mon garçon, tu n’as pas fini de t’attirer des ennuis !
Et tous deux regardèrent l’air rêveur, la fine silhouette disparaître dans la foule.

Kid regarda autour de lui. Personne. Lou était bel et bien partie en course et ne reviendrait pas de sitôt. Il était seul. Cody était en ville, essayant sûrement de poursuivre Sara, ou il était peut-être en train de s’en prendre à Jimmy. Il avait eu vent de l’altercation qu’ils avaient eu le matin même. Cody était revenu avec la lèvre fendue. Pourtant, il savait qu’il n’était jamais bon de se battre avec Jimmy ; Cody n’était pas à la hauteur ! Lui-même, il avait déjà frotté ses poings à ceux d’Hickok, et il s’en souvenait encore. C’était à cause de Lou. Et aujourd’hui, c’était à cause de Sara. Quelle coïncidence ? Les femmes étaient toujours à la source de leurs différents. Pourquoi Hickok ne se mariait-il pas une fois pour toutes ? Kid se mit à rire à cette pensée ; il imaginait son ami, avec femme et enfant ! Non, cela ne cadrait pas avec le personnage !
Kid se rendit dans la grange où Buck s’activait à faucher la paille. Il s’assit sur un tas de sac de grains, et attendit sans rien dire que son ami note sa présence. Buck posa sa fourche ;
- Qu’est-ce que t’as à me regarder comme ça ?
- Tu ne trouves pas ça bizarre, que la venue de cette fille à Sweetwater, ait autant d’impact sur nos vies ?
- Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
- Ben, Cody a craqué pour elle, elle déteste Jimmy, Lou m’en veut parce qu’elle est jolie, Teaspoon devient muet dès qu’elle apparaît !
- J’ai une explication toute faite pour toi. Cody et Teaspoon sont conquis parce qu’elle est jolie, la gifle de Jimmy doit bien s’expliquer par une quelconque histoire passée, et si Lou t’en veut, c’est parce que tu n’as pas été assez malin pour cacher ton admiration !
- C’est pour ça, tu crois ?
- Bien sûr. Tu bavais devant Sara. Tu crois que ça fait plaisir à Lou de voir qu’il suffit qu’une jolie fille arrive pour que tu ne lui accordes plus d’attention !
- Mais c’est pas vrai ! protesta Kid. Lou a le don de me rendre fou. Je ne sais jamais ce qu’elle veut ! Si je suis trop proche, elle me repousse ; si je m’occupe moins d’elle, elle m’agresse ! Ce n’est pas parce que j’ai dit que Sara était jolie, que je n’aime plus Lou, ou que je ne la trouve pas jolie !
Buck sourit ;
- Ce n’est pas à moi qu’il faut dire ça !
Kid secoua la tête ;
- Ah ! les femmes !
Kid se plongea quelques instants dans ses pensées et regarda son ami qui s’était remis à travailler. Il sourit pour lui-même ;
- Dis-moi, Buck, tu n’aurais pas un faible pour Sara, toi aussi !
Buck se redressa subitement, et prit à parti son ami ;
- Dis, tu vas rester là, tout l’après-midi à bavasser ou tu vas m’aider ?
Kid rit, se leva et s’empara d’une fourche. Il lança ;
- J’en étais sûr ! Tu vois qu’elle a un impact sur nos vies à tous ! Comme si elle était le seul être qui nous manquait pour compléter nos vies!
- Travaille !

Lou arrêta son cheval dans la cour de la maison. Le relais semblait vide. Tant mieux ! Elle n’avait aucune envie de croiser Kid. Elle ne savait pas ce qu’il se passait, mais en ce moment, elle ne cessait de se disputer avec lui. Surtout depuis que cette Sara était en ville. Elle l’aimait pourtant, mais il la rendait folle ! En fait, Lou avait peur qu’un jour Kid préfère une fille beaucoup plus féminine, plus jolie qu’elle ! C’était sa hantise ! Il fallait voir comment il avait dévisagé Sara ! Elle, pauvre Lou, elle n’existait plus !
Lou amena son cheval au corral, se débarbouilla, et se décida à rejoindre Rachel dans la maison. Rachel la comprenait et avait toujours de bons conseils à lui donner. Peut-être l’éclairerait-elle sur la conduite de Kid. Lou gravit les trois marches du perron, frappa et entra. Rachel l’accueillit avec un grand sourire ;
- Lou, tu es déjà de retour !
- Oui. Je n’ai rencontré aucune embûche sur ma route. Dites, Rachel, on peut parler ?
- Bien sûr ! J’ai fait du thé, tu en veux ?
Lou acquiesça, et s’installa à la table où Rachel vint la rejoindre avec deux tasses de thé ; Rachel demanda avec douceur ;
- C’est Kid ?
Lou baissa les yeux et hocha la tête, silencieuse. Rachel l’encouragea ;
- Dis-moi…
Lou triturait sa tasse nerveusement, elle répondit très vite ;
- Je ne sais pas ce qu’il se passe ! Kid et moi, on ne peut pas s’échanger deux mots sans se disputer ! Comme si… comme si on avait pas du tout la même façon de voir les choses ! Au début, il était très attentionné, et maintenant plus rien… Il me traite comme si j’étais Cody ou Buck !
Rachel pencha la tête ;
- N’était-ce pas ce que tu cherchais ? Qu’on te traite comme les autres !
Lou eut un air gêné ;
- Si, bien sûr ! Je ne veux pas de traitement de faveur, je veux qu’on me considère comme un cavalier comme les autres, mais pas Kid ! Kid, je voudrais qu’il me considère comme une femme ! Jimmy est dix fois plus attentionné que lui !
- Tu le lui as dit ?
- J’ai essayé. Mais il ne comprend rien ! C’est comme si tout ça le dépassait ! Rachel, j’aime Kid de tout mon cœur, mais il y a des jours où je me dis que notre histoire est vouée à l’échec !
Rachel retira la tasse des mains de Lou ;
- Louise, la vie n’est pas une partie de plaisir ! Surtout quand on vit les uns sur les autres comme vous ! Il y a des moments où on a l’impression que tout va se fracasser sur le sol, mais il faut surmonter ces moments. Kid t’aime, et tu l’aimes, c’est tout ce qui compte… Des fois, il faut passer outre les différents et les incompréhensions de la vie quotidienne.
- Mais qu’est-ce que je dois faire quand il est en admiration devant une fille comme Sara ? Dans ces moments-là, j’ai envie de l’étriper !
Rachel sourit malicieusement ;
- Tu devrais peut-être lui rappeler que toi aussi, tu es une femme et que tu peux rivaliser avec des filles comme Sara !
- Vous croyez ?
- J’en suis sûre. Viens !
Et Rachel entraîna Lou à l’étage.

Hickok s’était isolé. Il voulait être seul. Surtout ne pas se retrouver confronté aux inquisitions de Teaspoon, ni à la colère de Cody et encore moins à la curiosité des autres. Il voulait être seul et se souvenir. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas plongé dans cette période sombre de son passé. Sara. Il s’en souvenait comme si c’était hier ; il la revoyait, si jeune, si insouciante, elle n’avait pas alors dans son regard cette haine qu’elle lui avait jetée en pleine face, quand elle l’avait giflé. Ils travaillaient ensemble dans une ferme du Kansas. Ils s’étaient liés, d’une amitié très forte, aussi forte que de l’amour. Ensemble, ils avaient bravé les durs labeurs des champs, les privations mais surtout les colères de Stanton, le propriétaire. Ce dernier buvait, était dur, intransigeant, sans pitié… Mais Sara et Jimmy étaient ensemble, et tant qu’ils le resteraient, ils seraient invincibles. Ils s’étaient faits des promesses, des serments… Ils étaient si jeunes ! Mais il fallut que Jimmy brise ces promesses et que ce fragile équilibre qu’ils avaient construit, se trouve anéanti. Hickok avait attaqué Stanton ; il s’en souvenait ! Stanton voulait s’en prendre à Sara ; il avait décroché le fouet de l’écurie et s’apprêtait à rentrer dans la maison pour corriger Sara ; Jimmy lui avait sauté dessus, l’avait terrassé et l’avait bombardé de coups à le laisser pour mort. Stanton n’avait pas le droit de toucher à Sara ! Des ouvriers avaient été attirés par le bruit de lutte, et ils découvrirent Hickok en train d’assener des coups avec tant de violence sur leur patron, qu’ils ne réfléchirent pas plus longtemps. Ils donnèrent l’alerte ! Pour Jimmy, il n’y avait pas plusieurs solutions ; soit il se laissait prendre et terminerait pendu, ou il fuyait ! Il n’avait pas réfléchi longtemps ; il avait sauté sur un cheval, et Sara, qui sortait de la maison, ne vit que son ami fuir. Elle avait crié, elle avait appelé… Jimmy avait entendu son nom résonner dans ses oreilles, et il avait fui ; abandonnant Sara, leurs promesses, leur amour,… Jimmy n’avait pas eu la belle vie, mais il avait réussi à trouver son équilibre au sein du poney express, mais Sara… Elle avait dû continuer à vivre dans cet enfer ; elle avait dû le maudire, le haïr… Jimmy soupira. Il rajusta son chapeau, monta sur son cheval et s’éloigna à pas lents.

Buck avait chevauché jusqu’en ville. Son but premier avait été d’aller voir Sara. Il était conquis, et comptait bien le lui faire savoir ! Lou avait raison, s’il ne se lançait pas, il n’aurait jamais rien. Mais alors qu’il était en ville, qu’il était proche de l’hôtel, qu’il était à deux pas de la rencontrer, il doutait… Est-ce que ça valait le coup ? est-ce que Sara s’intéresserait à lui comme elle s’intéressait à Cody. Il n’avait pas son aisance, ni son art de raconter les choses,… Et puis, Buck ne voulait pas donner de raisons supplémentaires à Cody d’être fou de rage. Il était déjà tellement tendu depuis la dernière soirée… Mais Cody s’inventait peut-être encore une histoire idyllique ! Il ne pouvait pas être sûr que Sara soit la femme de se vie en si peu de jours. Alors, Buck avait sa chance ! Mais Buck ne voulait pas perdre son ami, le trahir, alors qu’il savait toute l’admiration qu’il vouait à la jeune femme ! Buck changea d’avis ; il ne dirait rien à Sara, mais il ne put s’empêcher d’aller à l’écurie de la ville, voir le cheval de la jeune femme. C’était un moyen comme un autre de se rapprocher d’elle !
Il attacha son cheval devant l’écurie, et y entra. Immédiatement, il vit l’animal qu’il avait soigné. Il alla à lui, le flatta, palpa son membre endolori, et entendit derrière lui ;
- Bonjour, Buck !
Il sursauta et vit Sara entrer dans l’écurie ;
- Bo… bonjour ! Je… J’étais venu voir comment allait votre cheval !
- Mieux, je crois. Grâce à vous !
- Oui, il va beaucoup mieux. Je… j’allais au magasin de Tompkins, et je me suis dit que c’était l’occasion de passer voir votre cheval !
Elle riait ;
- Vous êtes toujours autant aux petits soins pour les animaux ?
Il hocha la tête ;
- Je pense qu’ils ont droit aux mêmes soins que les hommes !
- Je suis d’accord avec vous ! approuva-t-elle. Dites, Buck, je voulais m’excuser d’avoir gâcher la soirée. Vous avez dû me trouver très mal élevée !
Buck ne put s’empêcher de démentir ;
- Ne vous inquiétez pas ! Nous nous sommes dits que vous aviez une bonne raison d’avoir giflé Jimmy ! Il n’y a que Cody qui en veut à Jimmy d’avoir gâché sa soirée !
- Je ne voulais pas créer de problèmes ! dit-elle, en baissant les yeux d’un air coupable.
Buck fut touché, il la rassura ;
- Il ne faut pas vous en vouloir, si ce n’était pas vous, Cody aurait trouvé une autre raison de s’en prendre à l’un de nous ! C’est toujours ainsi !
Il la regardait, et alors qu’elle parlait avec lui avec tant de naturel, de douceur, sans peur d’être surprise à converser avec un métis, il fut tenté de lui livrer le fond de son cœur. Mais elle mit fin au cheminement de ses pensées, en disant ;
- Il va falloir que je m’excuse auprès de William ! Je ne me suis pas très bien conduite avec lui, et c’est quelqu’un de bien ! Je l’aime beaucoup !
Ces mots frappèrent Buck en plein cœur et il ravala ses paroles qui étaient prêtes à franchir le bord de ses lèvres. Il ne se mettrait pas entre Sara et son ami.
- J’étais venu pour voir la santé de votre cheval, il va bien, alors, si vous voulez bien m’excuser !
Il la salua de son chapeau, et sortit de l’écurie, résigné à l’idée que Sara n’était pas pour lui !

A l’heure du dîner, tous étaient attablés dans la petite maison, et la tension était palpable. Cody était silencieux, et tout de suite, on aurait dit qu’un phénomène étrange s’était produit. Il ne cessait de jeter des regards mauvais à Jimmy, qui préférait feindre de ne pas le voir. D’ailleurs, Jimmy était bien sombre, ce soir-là. Buck semblait perdu dans ses rêves, et Ike ne bougeait pas. Seuls Teaspoon, Kid et Rachel semblaient avoir gardé les pieds sur terre. D’ailleurs, Kid s’inquiéta ;
- Mais où est Lou ? Elle est rentrée, j’ai vu son cheval !
Rachel sourit ;
- Oui, elle est rentrée. Elle ne va pas tarder !
- Pourquoi vous souriez ? Qu’est-ce que vous nous cachez ? demanda Kid, qui n’avait pas raté le petit sourire de la jeune femme.
Rachel n’eut pas à répondre, car la porte s’ouvrit et Lou, vêtue d’une belle robe de soie bleue nuit, les cheveux bouclés tombant dans son cou, une fleur des champs près de l’oreille, fit son entrée dans un sourire ;
- Bonsoir, les garçons !
- Bonsoir, répondit Buck, soudain émerveillé par la beauté de son amie.
Cody avait cessé de manger, et la bouche ouverte, ne put que s’exclamer ;
- Ben, dis-donc !
Ike en tomba de sa chaise, et Jimmy ouvrit de grands yeux et dans un sourire, lança ;
- Lou, tu es… tu es…
Il ne put terminer sa phrase, mais Teaspoon continua ;
- Tu es comme un ange tombé du ciel !
- Merci, murmura-t-elle, en lançant un regard reconnaissant vers Rachel, ravie de l’effet que Lou produisait. Lou se tourna alors vers Kid. Il souriait et demanda bêtement ;
- Euh… On fête quelque chose ?
- Non, c’était juste comme ça ! Ca ne te plaît pas ?
- Si, bien sûr…
Cody lança une boulette de pain sur Kid ;
- Avant que tu ne t’enfonces, tu n’as pas compris que Lou a fait ça pour toi !
Lou hocha la tête ;
- Pour moi ? s’étonna Kid.
Jimmy continua ;
- Pour te montrer qu’elle est une femme !
- Mais je sais qu’elle est une femme !
Buck crut bon d’ajouter ;
- Et que tu n’as pas besoin de te pâmer devant les autres demoiselles, car tu en as une vraie devant toi !
Lou avait plongé ses yeux dans ceux de Kid. Il murmura ;
- Je sais que j’en ai une vraie ! Tu es belle !
Lou rougit très légèrement ;
- Merci.
Teaspoon attira Rachel à lui, prit une inspiration, et lança ;
- Eh ! Ben ! Avec deux jolies femmes à notre table, on peut dire qu’on est vernis ! Alors, bon appétit !
Et personne ne remarqua le clin d’œil que Rachel fit à son amie.


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