Les trois rivières


06 mars 1861

J’ai pris la diligence, il y a cinq jours. Presque tout le village est venu me dire au revoir. Même Sallington ! Le révérend m’a tendu une enveloppe ;
- Si votre père vous refuse la défense de James, donnez-lui cette enveloppe ! Dites-lui que tout Amnistia veut ses services ! La ville s’est cotisée, il devrait y avoir assez pour couvrir les frais. Nous voulons un bon avocat pour James ! Nous comptons sur vous, Laurie !
- Merci !
J’aurais pu dire plus. J’aurais pu dire à quel point cela me touchait. Leur générosité est si grande ! J’ai juste dit merci. Je devais partir. Travis avait voulu m’accompagner, mais j’avais refusé. Matt et James avaient besoin de lui. Vence était prêt à fermer le saloon pour venir avec moi. Mais je voulais y aller seule. C’était mon combat ; affronter mon ancienne vie pour sauver la nouvelle. Le docteur me rappela qu’il était dangereux pour une femme de faire une aussi longue route, seule. Moi, je lui ai rappelé qu’en juin dernier, j’étais venue jusqu’à Amnistia seule, et personne ne s’en était inquiété.
- A ce moment-là, on ne vous connaissait pas ! On tient à vous, Laurie ! Si le moment n’avait pas été aussi triste, j’aurais été heureuse de cette simple phrase. J’ai souri.
C’était l’heure des adieux. Le père de Sara et Cathy m’ont donné des provisions pour la route, Art m’a serré dans ses bras puissants ; il m’a murmuré à l’oreille ;
- Revenez-nous vite, petite institutrice !
Sallington est venu me serrer la main, le docteur, le révérend m’ont souhaité bonne chance et j’eus droit à un sourire de Vence. Je suis montée dans la diligence et j’ai quitté Amnistia. Ils m’avaient confié leur argent, donné leur confiance, je ne devais pas les décevoir. La diligence roulait. Devant mes yeux défilait le paysage, ma vue s’est brouillée,… James… Je reviendrai…

Le trajet fut très long. Trop long pour que mes angoisses déferlent, trop court pour pouvoir les affronter. Mais le temps était compté, il fallait faire vite. J’ai retrouvé la grisaille de Chicago avec déplaisir, ses immeubles, sa foule, ses voitures… Cela me changeait des grands espaces. Je me suis regardée dans la vitrine d’une boutique. J’étais couverte de poussière ; j’avais maigri, ma peau avait bruni. J’étais méconnaissable. Je n’avais plus rien de la jeune noble qui était partie. Tant pis, je devais y aller, quitte à subir d’amères critiques, quitte à me faire mettre à la porte. Je le devais à James. Il m’a sauvé la vie à deux reprises ! A mon tour ! Je le devais aux habitants d’Amnistia… et à Vera ! Elle aurait déjà frappé à la porte, elle ! J’étais devant la demeure familiale à hésiter. Le moment fatidique ; je crois que j’aurais préféré affronter une nouvelle fois la tempête de neige qu’être devant cette porte. J’ai frappé. Le sort était jeté, je ne pouvais plus reculer. Ce fut Oscar, un vieux serviteur, qui vint ouvrir ;
- Bonjour Oscar.
Il me regarda des pieds à la tête et s’exclama ;
- Mademoiselle ! mademoiselle Julie ! Je ne m’attendais pas à vous voir ! Entrez donc !
Il s’effaça pour me laisser passer ;
- Je vais chercher madame.
Il me laissa dans la bibliothèque. J’ai regardé autour de moi. Rien n’avait changé, tout était propre, bien rangé. Le sol en marbre, les lustres en cristal,… ma cabane faisait triste mine à côté. J’entendis une exclamation venant de l’entrée ;
- Mon dieu ! Serait-ce Julie Williams ? Ou plutôt Laurie ? L’ouest sauvage est venu jusqu’à nous ! Qui aurait cru cela possible ?
- Bonjour Davis.
- Par quel miracle êtes-vous revenue parmi les gens civilisés ?
Davis était ironique, il avait ce petit rictus au coin des lèvres que j’exécrais.
- Je ne reste pas Davis.
Il sourit amer. Il allait sûrement me répondre quelque chose, mais ma mère a surgi dans toute sa splendeur ;
- Julie, est-ce toi ?
- Bonjour, mère.
Elle me détailla des pieds à la tête, et secoua la tête, déçue ;
- Seigneur, Julie, t’es-tu regardée ! Tu es à faire peur !
C’était le genre d’accueil auquel je m’attendais. Ma mère n’avait pas devant elle la fille parfaite dont elle rêvait. Comme une enfant, j’essayais de me justifier ;
- J’ai parcouru un long chemin, Mère.
Pincée, elle déclara ;
- Davis m’avait prévenu que tu te négligeais, mais à ce point là ! Enfin, tu es revenue à la raison. Nous allons essayer de réparer les dégâts ! Regarde tes cheveux, ta robe, ces taches de rousseur ! On dirait une paysanne !
- Mère, je vous arrête. Je ne suis pas revenue. Je ne reste pas. Je repars à Amnistia dès que j’ai réglé une affaire ! Ma vie est à Amnistia ! Alors n’essayez pas de me changer ! Vos critiques ne me touchent plus ! Je suis partie, parce que je ne supportais plus que vous régissiez ma vie ! Faites-vous à l’idée que j’en ai construit une autre, et que dans cette nouvelle vie ma robe est convenable !
Ma mère était interloquée. Je dois dire que je me suis étonnée moi-même. De fréquenter les gens d’Amnistia m’a délié la langue. Jamais, je n’aurais cru pouvoir dire cela à ma mère ! J’ai regretté mes paroles. J’avais blessé ma mère, et j’avais sûrement minimiser mes chances de parler à mon père.
- Pardon mère.
Elle ne pouvait plus parler. Davis vint à son secours ;
- Julie, dites-nous exactement pour quelle raison vous êtes venue.
- Je voudrais parler à père. J’ai besoin des services d’un avocat.
Davis hocha la tête, me fit signe de le suivre en disant à ma mère ;
- Veuillez nous excuser.
Je me retournais vers ma mère ;
- Pardon mère. Je ne voulais pas dire…
- Tu es une ingrate Julie !
C’est sous cette injonction que je pénétrais dans le bureau de mon père. A son bureau, comme un juge, il me regarda entrer. Il fumait un cigare. Il me fit signe de m’asseoir, Davis prit place à mes côtés. Mon père parla le premier ;
- Serais-tu venue rendre l’argenterie que tu as volé ?
Je ne m’attendais pas à cette attaque. Je fus déstabilisée. Mon père a toujours été impressionnant ;
- Euh… non…
Les choses n’allaient pas être facile. Davis vint à mon aide ;
- Julie a besoin des services d’un avocat.
Mon père fronça les sourcils ;
- Qu’as-tu volé d’autre ?
- Rien père. Je suis désolée pour l’argenterie, croyez-moi, mais c’est un autre problème qui m’amène. Je n’ai pas de problème mais un de mes amis risque d’être pendu s’il n’est pas défendu.
- Vous avez toujours de bonnes fréquentations à ce que je vois, lança Davis.
Je ne lui ai même pas accordé un regard, mais il continua ;
- Qui est-ce ?
- James.
- Quoi ? Ce cow-boy armé jusqu’aux dents qui entre chez vous comme dans un moulin !
Il a une mémoire prodigieuse. J’acquiesçais. Mon père coupa court aux réflexions de Davis. Il me demanda de tout lui raconter. J’ai parlé de James, de ses armes, de son passé, du ranch, de Vera, j’ai raconté le duel, l’enterrement, la folie de James, la proposition des habitants…
Mon père est resté silencieux quelques instants, Davis étudiait sa réaction, et moi je l’appréhendais. Il s’est éclairci la voix ;
- Si je comprends bien, tu veux que je parte au fin fond du Missouri pour défendre un cow-boy meurtrier ! Franchement, Julie, donne-moi une bonne raison d’accepter de te rendre ce service !
Je décidais de jouer l’humilité et le repentir ;
- Je sais, je suis impardonnable. J’ai agi comme une ingrate et je m’en excuse ! Mais pensez à ces personnes qui ont donné sans hésiter le peu de leur fortune pour payer vos services ! Je vous en prie ! James mérite qu’on le sauve !
- Une dernière question ; quels sont tes liens avec cet homme ?
- Un ami très cher…
J’ai senti ma voix se casser. Je ne pouvais avouer que je l’aimais, mais mes yeux, ma voix en dirent long. Davis avait blêmi, mon père avait compris ;
- Je vois…
Davis intervint ;
- Andrew, vous n’avez pas l’intention d’aller là-bas !
Mon père l’ignora ;
- Je te ferai connaître ma décision plus tard.
C’en était terminé. La décision lui appartenait, et le sort de James également.


08 mars 1861

Je n’ai pas encore réalisé le miracle qui s’est produit. Mais mon père est là avec moi dans le train en direction de St Louis. Il a accepté. Je n’en reviens toujours pas. James a une grande chance de s’en sortir. Mon père reste silencieux, il ne m’a jamais beaucoup parlé d’ailleurs ; mais il a quand même pris le temps de me poser une question qui a l’air de lui tenir à coeur ;
- Julie, qu’as-tu fait de l’argenterie ?
- Je… je l’ai vendue. J’avais besoin d’argent pour ma maison, et pour quand il y a eu la sécheresse,…
Il m’arrêta d’un signe de la main ;
- J’ai compris.
Il est retombé dans un profond silence, et moi, je me suis penchée sur l’étude du paysage ; les grandes prairies, les troupeaux, les champs de blé. Après plusieurs jours de grisaille, il me semblait respirer à nouveau. Comment avais-je pu penser à retourner à Chicago ? Le Missouri était ma vie, le Missouri et ses cieux uniques…


10 mars 1861

Lorsque nous sommes arrivés à Amnistia, c’est une foule qui nous accueillit. Le révérend m’aida à descendre de la diligence, et le docteur s’empressa auprès de mon père, lui serra la main chaleureusement ;
- Bonjour, monsieur Williams. Je suis le docteur Barnes. Merci à vous d’avoir accepté de venir. Je savais que notre petite Laurie réussirait à vous convaincre.
- Ma fille s’appelle Julie,répondit froidement mon père.
J’en fus gênée. Je le présentais aux habitants, Art, le révérend, Lewis, Travis. Il fut très distant comparé à la chaleur avec laquelle mes amis le recevait.
- Allons chez toi, Julie. Que je puisse prendre un bain et me reposer !
Je fus subitement embarrassée. Ma cabane n’était pas apte à recevoir une telle visite. Le confort y était minime. Cathy vint à mon aide ;
- Monsieur Williams, vous nous feriez l’honneur d’être notre invité ! Vous aurez tout ce que vous souhaitez !
L’éducation de mon père voulait qu’il ne refuse jamais une invitation. Il accepta,. Art continua ;
- Et puis, vous serez en ville. Cela sera plus facile pour vous ; la maison de Lau… euh… Julie est dans les bois !
Mon père se retourna vers moi ;
- Dans les bois ?
Que lui répondre ? Il ne demandait pas de réponse d’ailleurs. Il secoua la tête, et suivit ses hôtes. Je l’accompagnais. Cathy, en bonne maîtresse de maison, lui montra sa chambre ; je demandais pourquoi ne pas lui donner la "chambre bleue", elle était plus lumineuse. Cathy m’a souri ;
- "La chambre bleue" est votre chambre Laurie !
Chère Cathy ! Mon père s’est installé, a pris un bain, et est descendu nous rejoindre dans la grande salle. Pendant que nous buvions du café, il interrogea Art et Cathy ;
- Parlez-moi du condamné. Pour vouloir qu’il soit défendu, cela veut dire que vous l’estimez ?
- James est un bon garçon, dit Art. Il n’a jamais causé de problèmes ici. Au contraire, il a toujours prêté main forte en cas de coup dur ! Il est honnête, travailleur, discret…
- Mais il a tué !
Cathy prit la parole ;
- Il faut comprendre une chose, monsieur Williams. James travaillait pour Vera Collins. Il lui était très attaché. Quand Garon a mis le feu au ranch et tué Vera, il est devenu fou. Tout le monde aimait Vera. Si ce n’était pas James qui avait tué Garon, cela aurait été quelqu’un d’autre. James a fait ce que tout le monde voulait faire.
Art reprit ;
- Si James n’avait pas été là, votre fille ne serait jamais arrivée saine et sauve jusqu’ici. Il lui a sauvé la vie, le jour de la tempête...
- D’accord, d’accord, acquiesça mon père.
A cet instant, Lewis arriva en courant de la poste, et entra sans frapper chez Art ;
- Le juge a télégraphié. Il arrive dans deux jours !
Mon père essuya ses lèvres qu’il venait de tremper dans le café ;
- Deux jours ! Il est grand temps que j’aille voir ce jeune homme !
Nous avons traversé le village. J’ai fait signe à Travis qui était chez Sallington de venir. J’avais besoin de son soutien. Il nous suivit. Du seuil du saloon, Vence m’adressa un signe de la main. Nous sommes entrés dans la prison. James s’était levé à notre entrée, le marshall s’éclipsa. Je n’avais jamais trouvé James aussi beau, avec son regard grave ;
- Jimmy, je te présente mon père, il est avocat.
Mon père lui tendit la main. James ne la serra pas. Méfiant, il avait froncé les sourcils ;
- Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Cela veut dire, jeune homme, que je suis venu vous défendre !
Comme je m’y attendais, James se renfrogna, se buta ;
- Je n’ai rien demandé. Je ne veux pas qu’on me défende !
Travis intervint ;
- Jimmy, il serait temps que tu arrêtes de jouer les martyrs ! Cela ne changera rien et c’est stupide ! Nous, on veut que tu t’en sortes ! Et pense à Vera ! Elle ne voudrait pas que tu sois pendu !
James s’énerva, il cria ;
- Mais bon sang, Vera est morte ! Morte ! Tu comprends ? Alors arrête de me dire ce qu’elle aimerait ou non, comme si elle était là !
Sa réaction m’exaspérait. Surtout devant mon père, qui le regardait bizarrement. Je le suppliai presque ;
- Jimmy, je t’en prie, ne sois pas égoïste ! Pense à moi ! J’ai déjà perdu ma meilleure amie, je ne veux pas te perdre aussi !
Un instant, nos regards se sont croisés. Il était malheureux, et il voulait en finir avec son malheur, avec cette souffrance qu’il combattait depuis si longtemps et qui le poursuivait. Il était jeune, mais sa vie n’avait pas été facile. Il en avait assez. Et moi, j’étais prête à lui redonner le goût de vivre, je le voulais heureux. Mon père se racla la gorge ;
- Je ne voudrais pas vous déranger…
Nous nous sommes tournés vers lui. Il dit à James ;
- Que vous vouliez ou non être défendu, n’est pas mon problème. Il y a dans cette ville, un certain nombre de personnes qui veulent vous sauver et qui ont requis mes services. Mon travail est de vous sortir de là. Votre affaire est mauvaise. Vous avez commis un meurtre et vous le revendiquez. C’est la pendaison assurée ! Je peux vous sortir de ce mauvais pas, mais à une condition…
Il me regarda ;
- Julie, je le tire d’affaire, et toi, tu rentres à Chicago et tu épouses Davis ! C’est la seule condition !
- Père, comment pouvez-vous me faire ça ?
- A toi de choisir.
- Laurie, ne te laisse pas faire ! me cria James.
- D’accord père, je rentre. Mais sauvez-le !
Mon père m’avait mise devant le fait accompli. Je n’avais pas le choix. A quoi bon rester à Amnistia si je n’avais plus Vera, ni James ? Ma vie éclatait en mille morceaux. Moi qui rêvais de plus de liberté ! Je devrais passer le restant de ma vie avec Davis, avec comme seuls souvenirs les yeux graves de cet homme que j’aime ! C’était injuste ! Je détestais mon père ! Je revenais à mon point de départ et à tout ce que j’avais fui. Si mon père avait accepté de venir au Missouri, ce n’était pas par pure bonté d’âme, mais parce qu’il avait déjà son plan. Me ramener dans le droit chemin, me faire épouser Davis pour que je lui donne enfin un héritier ! Il avait réussi ! Il venait de sortir de la prison. James laissa libre cours à sa colère ;
- Laurie, pourquoi ? Si j’en réchappe aujourd’hui, quelqu’un d’autre me tuera demain. Cela ne sert à rien de gâcher ta vie pour la mienne !
Travis lui lança ;
- Elle t’aime ! Sois digne de son amour.

Je ne suis pas retournée chez Art, je n’avais pas la force d’affronter mon père. Je ne suis pas retournée chez moi, je sais que c’est là que l’on serait venu me chercher. Avec ma jument, j’ai longtemps galopé. Si je devais passer le restant de ma vie à Chicago, je voulais profiter des plaines qui s’étendaient à perte de vue, des hautes herbes, des collines et des rivières. Je voulais me rappeler de ces paysages dans la grisaille de la ville. J’ai arrêté Sally à l’embouchure des trois rivières, je suis descendue de cheval et j’ai marché le long de la berge. C’était ici que l’on s’était baignées avec Vera. Tant de choses me passaient par la tête. Chicago, Davis, James à jamais perdu, et toute ma vie de l’ouest anéantie… mes élèves que j’abandonnais, mes amis, ma cabane dans les bois,… J’en avais les larmes aux yeux. Je ne voulais pas partir. Je remarquais alors que je n’étais pas la seule à avoir trouvé refuge près de la rivière, Matt était assis au bord de l’eau, il contemplait les flots. Je me suis approchée ;
- Matt ? Je peux te tenir compagnie ?
Il hocha la tête. J’avais besoin de solitude, mais sa présence me rassurait. Il était le seul qui ne chercherait pas à me consoler. Il avait bien trop de sa peine ! Matt était aussi désemparé que moi, aussi déchiré ! Nous ne nous étions pas beaucoup parlés depuis… Sans me regarder, il me dit ;
- Je vais partir.
Je me doutais qu’il me dirait cela. Il ne voulait pas que je le raisonne, que je lui demande pourquoi, je le savais. Alors, je ne l’ai pas fait. J’ai juste souri ;
- Tu nous manqueras.
Le silence est retombé entre nous, chacun dans ses pensées. Matt-le-vagabond devait songer à cette route qui l’éloignerait de sa douleur… enfin, il espérait qu’elle s’atténuerait avec le temps. Lui, si optimiste, si plein de vie, devait repartir à zéro. Mais je suis sûre qu’un jour, il pensera à Vera avec un sourire et il se rappellera les bons moments ;
- Tu te souviens quand on a pêché à Callway ?
Il sourit ;
- Oui. C’était la première fois que tu pêchais. Je n’avais jamais trouvé Vera aussi belle que ce soir où elle se séchait au soleil !
Il sembla réfléchir, puis dit ;
- Vera, James, toi et moi, on faisait une belle équipe ! Merci pour ce joli souvenir, Laurie !
- Tu me manqueras, Matt !
Et alors que le silence reprenait ses droits, que seuls quelques corbeaux troublaient, je regardais les roseaux s’agiter dans les flots. Je sentis une larme couler le long de ma joue. J’ai longtemps pleuré ce soir sur le bord de la rivière.


11 mars 1861

Shane est revenu. J’aurais dû être heureuse, mais les évènements ont un peu gâché ma joie. Il m’attendait à la sortie de l’école. Je fus très surprise de le voir ; je pensais qu’il ne reviendrait jamais ! C’est étonnant de voir comment, en quelques mois, il s’est métamorphosé ;
- Shane ! Laisse-moi te regarder ! Tu es un homme maintenant !
Il avait forci, les travaux de la ferme l’avait endurci, son visage avait gagné en maturité. C’était un homme désormais, un homme sûr de lui. Dire qu’il y a peu de temps, je lui apprenais à lire !
- Alors, tu es revenu !
- Oui. Je ne pouvais pas quitter Amnistia ainsi. C’est quand même ici que j’ai grandi !
- Mais que vas-tu faire ?
Le problème de Shane était toujours le même. Il ne pourrait jamais vivre de sa terre. Ces quelques mois l’avaient rendu adulte ; il avait réfléchi. Nous nous sommes mis à marcher, il m’avait proposé son bras ;
- J’ai gagné assez d’argent pour rembourser les dettes de mon père. Je peux repartir de zéro. J’ai même un peu d’argent de côté ! Je vais vendre la ferme. Je sais qu’elle ne vaut rien, mais ce que j’en tirerai sera le bienvenu ; je veux acheter une autre terre. Je comptais vous en parler d’ailleurs…
- Me parler de quoi ?
J’ignorais où Shane voulait en venir.
- J’ai appris ce qui s’est passé au ranch. Il n’y a plus personne pour s’occuper des bêtes. Matt Parker s’en va, on ne sait pas ce que va devenir James, et Travis n’a pas les moyens de le reprendre ! J’ai été voir un notaire, je pourrais l’obtenir à un bon prix !
- Tu veux racheter le ranch !
Il venait de me donner un coup au coeur. Je n’avais jamais imaginé que cette terre puisse appartenir à quelqu’un d’autre qu’à Vera. Elle y avait souffert, elle y avait été heureuse ! C’était chez elle !
- Laurie, si personne ne le reprend, les bêtes vont mourir, et tout le travail de Vera n’aura servi à rien, il sera à l’abandon !
- Mais c’est chez Vera !
- Oui. Je sais. Mais le ranch est prospère, il ne faut pas l’abandonner.
- Que veux-tu que je te dise ?
C’était vrai. Que lui dire ? Qu’il aurait beau reconstruire, agrandir et faire des transformations, que ce serait toujours l’ombre de Vera que je verrai sur la balancelle du perron, que ce serait toujours sa voix que j’entendrai quand elle appelait Matt, que ce serait toujours sa silhouette que je verrais chevauchant après les bêtes… Shane me regardait avec insistance, inquiet de ma réaction ;
- Fais ce qu’il y a de mieux pour toi !
Je ne pouvais pas lui dire mieux. Vera n’était plus, mais lui, il était bien en vie, et il devait le rester !
- Merci, Laurie !
Il venait d’avoir mon accord, il était heureux. L’avenir se montrait plus souriant à son égard. Et moi…

A quelques distances de nous, j’aperçus Emily. Elle nous épiait de la boutique de son père, mi-admirative, mi-intimidée. Son regard était posé sur Shane. Je crois qu’elle tombe amoureuse… La vie continue malgré tout…


13 mars 1861

Le juge est arrivé hier. Nous l’avons accueilli froidement. Le procès doit avoir lieu aujourd’hui. Je crois que je n’y assisterai pas. Cela me fera trop de mal de voir James au banc des accusés. Cela fait trois jours que je ne mange plus, que je ne dors plus. Je dois préparer mes affaires pour suivre mon père. Vence me conseille de ne pas monter dans la diligence. C’est vrai. Une fois que James sera sauvé, qu’est-ce qui m’oblige à quitter la ville ? Rien. Et pourtant si ; ma stupide conscience, et cette faculté que mon père a de me rendre aussi vulnérable qu’une enfant. Je ne peux lui désobéir. Vence ne sait pas ce pouvoir que mon père exerce sur moi. C’est un miracle que je sois partie de Chicago ! Je dois le suivre.

Matt partira juste après le procès. Il veut être sûr que rien n’arrive de malheureux à son ami. Peu à peu, sa colère s’estompe. Il veut aller vers la Californie. J’espère sincèrement qu’il sera heureux. J’espère qu’un jour, il réussira à s’installer, à fonder une famille. Matt est né pour être heureux.

Shane va aller trouver le notaire. Il va racheter le ranch. Il a raison. Et moi ? Que m’importe qu’il soit habité par quelqu’un d’autre que Vera ? Je ne serai même plus là. Shane a droit à sa chance, et je préfère cent fois que ce soit lui qui le reprenne qu’un étranger. Travis va l’aider à reconstruire la maison de bois blanc, puis il ira chercher du travail ailleurs. Tout le monde fuit Amnistia…

James est aussi têtu qu’une mule. Son sort lui est complètement égal. Il en veut à mon père du chantage qu’il m’impose, il m’en veut d’avoir accepté. Il mène la vie dure à son avocat. James …mon cow-boy aux deux colts… Il m’a murmuré ;
- Pour quelle raison je survivrais, si tu n’es plus là ?
Moi, je vais survivre pour pouvoir me souvenir de lui.


14 mars 1861

Le procès a eu lieu. Il s’est déroulé à l’école. Pour une fois, les enfants n’ont pas eu classe, mais je ne crois pas qu’ils aient été si heureux que ça de leurs vacances forcées. Les derniers jours, ils n’ont cessé de me manifester leur sympathie, un mot gentil, un bouquet de fleurs, un sourire… Mes enfants vont me manquer. J’attendais docilement assise sur les marches, j’avais refusé d’entrer. Le docteur est venu me rejoindre ;
- Vous allez bien, Laurie ?
- Ca va.
Non, je n’allais pas bien. Je vivais mes derniers instants à Amnistia. Dans l’enceinte de l’école, l’homme que j’aimais était jugé. Je n’allais pas bien.
- Vous ne voulez pas entrer ?
- Je ne préfère pas.
Il m’a souri ;
- Je comprends. Laurie, rassurez-vous, on ne vous laissera pas partir. On a besoin de vous !
Il est entré dans la classe. Qu’avait-il voulu dire ? Je ne pus me poser la question plus longtemps, car Vence surgit ;
- Voulez-vous que je vous tienne compagnie ?
- Vous ne voulez pas assister au procès ?
Je pensais que Vence serait aux premières loges pour assister à la sentence de son ennemi.
- Je crois que James a assez de soutien comme ça dans la salle. Je crois aussi que c’est surtout vous qui avez besoin d’un appui. Et puis, à quoi bon y assister ? Je ne souhaite de mal à personne, même pas à lui. Venez, ne restons pas là !
Il me prit par le bras, et me fit quitter les marches de l’école. Il surprit mon regard qui s’attardait sur la façade du bâtiment ;
- Ca va bien se passer, me rassura-t-il.
Nous avons traversé le village désert ; je me suis attardé sur tous ces détails que je ne verrais plus, la boutique d’Art à l’enseigne délavée, le bureau de poste de Lewis dont le carreau cassé par un enfant n’avait toujours pas été réparé, la maison de Mattie Berg, notre couturière disparue, la petite église, le cabinet du docteur où lui et le révérend jouaient aux échecs, le grange de Sallington dont les portes battaient à tous vents, la prison, la bibliothèque à l’arrière du saloon… Toute ma vie… Et Vence ! L’ami fidèle, toujours présent au bon moment. Il m’a fait entrer dans le saloon déserté, et m’a servi du café. Je l’ai regardé avec attention. Il était beau, toujours distingué, charmeur,… Puisque je n’allais plus le voir, il devait savoir que je l’estimais ;
- Vous aviez raison, Vence. Finalement, je vous aime beaucoup.
Il s’est mis à rire ;
- J’ai toujours raison.
Il s’est assis en face de moi et m’a regardé dans les yeux ;
- Pourquoi a-t-il fallu que ce soit lui que vous choisissiez ?
- C’est ainsi. Répondis-je avec évidence.
- Je sais.
Il avait l’air triste. C’était moi qui avais besoin de réconfort, mais je ne pus m’empêcher de le consoler. Je l’ai attiré à moi, il m’a pris dans ses bras. Je l’ai serré fort contre moi.
- Merci pour tout, Vence.
Il m’a embrassé sur la joue ;
- Merci à vous, Laurie. Merci.
Nous avons passé toute la durée du procès au saloon, tous les deux.

James a été acquitté. Je ne sais pas comment mon père a fait, mais James est libre. Je suis allée l’accueillir à la sortie de l’école. J’étais impatiente de le voir. Il sortit entouré de la foule des villageois qui l’acclamaient. Pas un éclair de joie ne passait dans ses yeux noirs, il semblait vouloir fuir au plus vite toute cette effervescence. Il s’arrêta devant moi, me prit les mains, puis sans un mot, il bondit sur son cheval et quitta la ville au galop ;
- Jimmy ! appelai-je. Mais je savais par expérience qu’il ne ferait pas demi-tour. Travis me rejoignit, et le regarda partir ;
- Qu’est-ce qui lui prend encore ?
Il lui prenait qu’il n’avait jamais aimé le monde et qu’il fuyait par habitude. Mais il reviendrait. Je le savais, il ne pouvait pas partir ainsi ! Une voix terrible retentit derrière moi ;
- N’oublie pas notre accord, Julie.
Mon père s’était approché de moi. Je n’ai rien répondu, j’ai baissé les yeux. Je n’avais pas oublié. Tous les villageois étaient présents. Je fus surprise d’entendre le révérend lancer ;
- Me Williams, nous vous sommes très reconnaissant pour James, mais laissez-nous Laurie !
- Excusez-moi révérend, mais ceci ne vous regarde pas, c’est entre moi et ma fille ! lui répondit mon père.
Le docteur intervint à son tour ;
- Si cela nous regarde. Nous avons payé pour vos services. Laurie ne faisait pas partie du contrat. Ce n’est pas juste de nous l’enlever. Nous avons besoin d’elle.
- On ne retrouvera jamais une institutrice comme elle ! continua Art. Ils s’étaient tous regroupés autour de moi. Vence posa une main sur mon épaule ;
- Dites-vous qu’on ne la laissera pas vous suivre !
Je les regardais tour à tour. Je n’en croyais pas mes yeux, ils me défendaient tous ! Je vis que mon père s’énervait ;
- Qu’est-ce donc ? Une mutinerie ? Julie, va chercher tes affaires, nous partons immédiatement !
Art se posta face à mon père ;
- Elle n’ira nulle part ! Elle ne veut pas partir !
- On la garde ! confirma le docteur.
Mes amis voulaient que je reste. Ils étaient prêts à affronter mon père, qui ne voulait pas se laisser faire par une poignée de paysans ;
- Mr Blair, révérend, je vous croyais assez respectueux pour ne pas interférer dans une histoire de famille !
- Commencez par être respectueux de Laurie d’abord ! cria Matt de la foule.
Art continua ;
- Il n’y a pas d’histoire de famille qui tienne. Nous sommes impliqués, et l’avenir des enfants aussi ! C’est nous sa famille, maintenant.
- Cela ne sert à rien de discuter, monsieur Williams, prévint Vence. On ne vous laissera pas l’emmener !
Matt et Travis surgirent à leur tour. Matt était agressif ;
- Vous êtes un sacré bon avocat, mais comme père, vous ne valez rien !
- Sa vie est ici. Ne la privez pas de son bonheur ! tenta Travis.
Mon père était déstabilisé, il n’avait pas l’habitude qu’on s’oppose à lui de cette manière. Je crois même qu’il avait un peu peur. Il ne savait de quoi étaient capables ces gens de l’ouest. Il allait céder, persuadé que cette fois il ne gagnerait pas.
- C’est comme ça que vous me remerciez ! En me prenant ma fille ?
Ce fut Cathy qui donna le coup de grâce ;
- Merci pour tout, Monsieur Williams. Vous avez toute notre reconnaissance, nous vous l’avons déjà dit. Mais laissez à votre fille la liberté de choisir où elle veut vivre. Nous ne vous la prenons pas, c’est vous qui l’avez perdu, il y a longtemps déjà. Si vous lui aviez donné le choix, elle n’aurait pas fui. Respectez sa décision, cela rattrapera un peu vos erreurs. Mon père se redressa de toute sa fierté ;
- Je vois. Julie, reste ici si tu le souhaites. Mais oublie-nous !
Il a rajusté son chapeau sur la tête, et il est parti. Je me suis faite acclamée. Même par Sallington. Et moi, j’ai éclaté en sanglot dans les bras de Cathy.

J’ai longtemps galopé. J’ai parcouru les grandes plaines, j’ai longé la rivière, je suis même rentrée dans les bois, mais en vain… Je n’ai pas retrouvé James. Ma jument était fatiguée, j’étais découragée, j’ai décidé de rentrer chez moi. Je suis quand même passée au ranch voir si Matt et Travis avaient tout ce qui leur fallait. Je comptais les inviter à dîner chez moi. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir non seulement Matt et Travis en train de déblayer les décombres, mais aussi James.
- Jimmy !
J’avais hurlé son nom. Il vint jusqu’à moi, et m’aida à descendre de cheval.
- Je t’ai cherché partout.
- Alors ? Tu n’es pas partie avec ton père ?
- Non.
- Bien.
Il repoussa une de mes mèches de cheveux qui tombait sur mon visage ;
- Tu es une femme exceptionnelle.
- Alors, tout va bien. Tout redevient comme avant ? lui demandais-je sachant que rien ne serait comme avant. Il me confirma ;
- Plus rien ne sera comme avant. Je vais partir, Laurie.
- Non ! criai-je.
- Je vais partir, répéta-t-il. Vers l’Arizona, le Texas et pourquoi pas le Mexique ! Je dois trouver du travail, je n’ai plus rien ici.
- Et moi ? demandai-je en pleurant. D’un doigt, il essuya mes larmes ;
- Tu seras mieux sans moi, je te l’ai déjà dit. Ma vie ne vaut pas la peine que tu t’y intéresses !
- Jimmy…
- Chut !
Et il me déposa un baiser sur les lèvres. C’en était trop. J’avais risqué beaucoup pour le sauver, et voilà qu’une fois encore, il s’éloignait de moi. Amnistia sans lui ne valait pas le coup. La destinée de James était de partir loin, très loin, dès qu’on s’attachait à lui. Il ne devait pas partir. S’il reprenait la route, il ne ferait aucun effort pour rester en vie ! Il était en danger. Il ne voulut rien savoir. James avait des idées bien arrêtées, et il ne changerait pas d’avis. J’allais une nouvelle fois le perdre ! Moi, qui avais tant besoin de lui !


30 mars 1861

La vie a repris son cours à Amnistia. Le printemps commence à illuminer les vallées, les rivières semblent plus joyeuses, et la ville aussi. L’école continue ; Jason fait des farces, Sara s’applique et Emily découvre ses premiers émois. Le rire communicatif d’Art résonne toujours dans sa boutique, et le bruit familier de la forge de Sallington rythme les journées. Le révérend et le docteur ont repris leurs parties d’échec sur le seuil du cabinet médical, et Cathy se rend toujours au club de couture. Le printemps fait la joie des fermiers et leur donne de l’espoir. Au ranch, Shane a pris les commandes. La maison a été reconstruite, et il s’est installé. A mon tour, je lui ai donné meubles et linges. Shane sait ce qu’il fait, il faut le voir chevaucher après ses bêtes !

Travis a quitté la ville, il y a deux jours. Je ne sais pas où il va aller. Il va me manquer. Travis était pour moi un soutien unique ; la seule personne qui ait gardé les pieds sur terre. Je ne me fais pas de souci pour lui, mais… je vais me sentir seule. Bien sûr, Cathy et Art sont toujours présents, Vence est toujours aussi charmant, mes amis sont formidables, mais c’est le ranch qui me manque. Ces parties de luge de l’hiver dernier, les repas partagés, les confessions, les facéties de Matt… tout ça a disparu en même temps que Vera. Le ranch était mon havre, mon refuge. L’endroit où je me dirigeais instinctivement en cas de problèmes, le lieu où étaient rassemblées les personnes qui comptaient le plus pour moi… Je me sens déjà très seule.

Matt est parti il y a deux semaines. Il a tout simplement pris son sac et il est monté sur son cheval. Il nous a souri ;
- A un de ces jours !
Il est parti au galop. Je ne crois pas que je le reverrai un jour, mais toute ma vie, je me souviendrai de ce garçon joyeux, heureux de vivre, qui aimait profondément Vera.

James a disparu le même jour. Sans un mot, sans un adieu, sans laisser une trace. Comme s’il n’avait jamais fait partie de la vie d’Amnistia… de ma vie… Il m’a abandonnée, tout simplement. N’a-t-il pas compris que je l’aimais ? Dés ce premier jour où je l’ai vu à Red City, j’aurais du me méfier. Vence a raison, il m’a rendue malheureuse. Vence a toujours raison. Et je me retrouve seule dans ma cabane avec mon chien, à pleurer sur mon sort. Ma vie ne devait pas prendre ce chemin là. Tout ce que je voulais, c’était être heureuse dans l’ouest. Il avait fallu qu’un étranger anéantisse ma vie, il avait fallu que je tombe amoureuse d’un cow-boy mystérieux, ce n’était pas juste ! Et je me retrouve seule…


1er avril 1861

Hier soir, il pleuvait. Il tombait des trombes d’eau. Je suis restée chez moi, bien au chaud. Apache, mon chien, paressait au coin du feu. Je lisais dans mon fauteuil. Une soirée triste. Soudain, Apache s’est redressé et s’est précipité vers la porte, il s’est mis à gémir.
- Tais-toi, mon chien !
Apache grattait à la porte, et gémissait de plus en plus fort. J’eus un étrange pressentiment. J’ai ouvert la porte, Apache a filé comme une fusée. Dehors, sous la pluie, à quelques distances de ma maison, j’ai vu James. Apache lui faisait fête. Il était là, debout sans bouger, il dégoulinait de pluie. Il me regardait.
- Jimmy ! j’avais murmuré.
Je suis allée vers lui, profitant de chaque pas… Je me suis arrêtée… Il a enlevé sa veste et l’a tenu au-dessus de nos têtes… Et nous sommes rentrés dans ma maison… Ensemble…


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